Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
- CHAPITRE 2 -PROTÉGER LES TIERS, LE CONSTAT DES LIMITES DE LA PUBLICITÉ.Idéalement, un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières a vocation à protéger tous les tiers à portée d'information. La règle doit être simple, dénuée d'exception même dans les cas les plus discutables : si un tiers n'a pas eu une chance de s'informer, car les formalités obligatoires de publicité n'ont pas été réalisées, alors ses droits (quelles que soient leurs natures) sur le bien grevé doivent être intouchables (Section 1). Plus délicate est la question du traitement que nous devons réserver aux tiers que nous ne pouvons espérer informer même si les formalités obligatoires de publicité sont effectuées avec rigueur. Du fait de la nature personnelle de la publicité des sûretés réelles mobilières, les sous-acquéreurs sont des tiers aveugles à la publicité. (Section 2). Section 1 : La nécessité de ne pas hiérarchiser la protection des ayants causes à titres particuliers.Daniel BASTIAN fait remarquer qu'en droit français « le droit d'invoquer l'inopposabilité appartient à tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts et à eux seuls150 ». En nous interrogeant quant aux objectifs d'un système efficace de publicité nous nous sommes demandé quelles catégories de tiers avaient intérêt à être informées et pour quelles raisons. Logiquement, il conviendrait à présent de se demander quelles catégories de tiers méritent de voir leurs intérêts protégés par la loi. À ce propos, nous nous attellerons à défendre l'idée selon laquelle les droits réels naissants d'une sûreté conventionnelle ne devraient jamais être opposables aux tiers s'ils n'ont pas fait l'objet de formalités de publicité régulière. Pourtant en s'intéressant à la notion de tiers on pourrait être tenté par l'idée d'une hiérarchisation. D'aucuns diraient que certains tiers sont plus méritants que d'autres et que là où certains méritent une protection totale via le mécanisme de l'inopposabilité, d'autres pourraient bien être frappés par la découverte tardive de droits réels occultes sans que le système de la publicité ait à s'en émouvoir outre mesure. À ce propos, la CNUDCI rappelle que « Les États envisagent très différemment les catégories de tiers à l'égard desquelles une sûreté réelle mobilière reste inefficace si la formalité supplémentaire requise n'a pas été accomplie151 ». Pour illustrer ce propos, il est temps d'évoquer l'ayant cause à titre particulier du constituant que l'on regarde du plus mauvais oeil. Le donataire. Sur le fondement de la question du juste, on pourrait arguer qu'entre « un créancier garanti qui, par définition, a fourni une contrepartie pour sa sûreté et un donataire qui n'en a fourni aucune, c'est le créancier garanti qu'il faut protéger même s'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer l'opposabilité152 ». L'argument tient à l'idée que, finalement le donataire ne perd rien153 si le créancier garanti vient épancher sa créance en réalisant sa sûreté. 150D. BASTIAN, « Essai d'une théorie générale de l'inopposabilité » : Sirey, 1929, p. 322 s., et spéc. p. 325. (dans Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.). 151« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », préc., p. 111., paragr. 9. 152Ibid., p. 112., paragr. 13. 153Selon Adam SMITH, « Du prix réel et du prix nominal des marchandises, ou de leur prix en travail et de leur prix en argent», dans Smith (A.), « la richesse des nations », [en ligne], 1776, W. Strahan and t. Cadell, Londres, accessible en ligne à https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75319v.pdf Toutefois, on opposera à cette vision que c'est de la propre faute du créancier garanti, qui n'a pas accompli les formalités de publicité obligatoire, que cette situation est survenue. De ce contre argument moral naît un argument juridique : plus stricte et absolue est la sanction de l'inopposabilité plus elle est incitative. Dans le but de promouvoir la publicité des sûretés réelles mobilière, le principe de l'inopposabilité des droits réels occultes ne doit connaitre aucune exception. De surcroît quand on vise l'efficacité d'un ensemble de règles juridiques il faut se garder de trancher le cas par cas en recherchant l'éthique à l'échelle individuelle. Il ne peut en résulter que des débats stériles où chacun invoquera des arguments axiologiques d'une égale légitimité. Finalement, la question de savoir si tel tiers doit être davantage protégé qu'un autre est plus une affaire de politique et d'idéologie qu'une question d'efficacité du droit. Or c'est bien à cette tâche objective que notre travail de recherche est dédié. Sous la direction de ce modèle de pensée, il convient d'évoquer le caractère délétère de toute différence de traitement entre les tiers quand il est question de leurs protections par l'inopposabilité. Tout d'abord, il faut faire remarquer que la recherche du « statut du bénéficiaire du transfert d'un bien grevé peut susciter des litiges ex post facto contraires aux objectifs de certitude et de prévisibilité a priori154 ». Ainsi, dans un système de publicité légale où l'inopposabilité est un sésame dispensé à quelques-uns, il est facile d'imaginer l'intérêt pour un tiers de travestir sa situation pour échapper à la saisie entre ses mains d'un bien grevé. Dès lors, le donataire pourrait tenter d'inventer toutes les contreparties imaginaires afin d'alimenter un litige avec le créancier garanti. À l'inverse dans un tel système, on comprend qu'un créancier qui a négligé les formalités nécessaires à l'opposabilité de sa sûreté a tout intérêt à remettre en cause la contrepartie consentie par le tiers en cas de transfert de propriété à titre onéreux du bien grevé. L'opération pourrait potentiellement être requalifiée en donation. Même si cette éventualité est peu probable il n'en demeure pas moins qu'opérer une distinction au sein des règles d'opposabilité en fonction du statut des tiers a vocation à créer des conflits inutiles. Pour viser l'efficacité, il ne faut pas songer à une disposition à l'aune de ses meilleures intentions, mais bien en considérant tous les mauvais usages qui pourraient en être faits par ceux qui tenteront de la tordre à leurs profits. La simplicité est un gage de résilience là où la multiplication des exceptions a vocation à affaiblir la règle de droit. Pour ces raisons, l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilières commande de se ranger à la recommandation de la CNUDCI « Tant que les conditions d'opposabilité ne sont pas remplies, la sûreté est sans effet à l'égard de tous les droits acquis entre-temps par des tiers sur les biens grevés, quel que soit leur type155 » Dans cette optique, on ne peut que saluer le progrès apporté en droit interne par l'ordonnance de 2006 que Pierre CROCQ rapporte en ces termes « Les auteurs de l'ordonnance ont, en effet, considéré que pour qu'un système de publicité soit vraiment efficace, il faut qu'il ait un effet mécanique156 ». Il faut comprendre qu'un système de publicité efficace suppose nécessairement qu'une publication régulière emporte l'opposabilité de la sûreté contre tous là ou son défaut de publication limite toute son efficacité à la sphère purement contractuelle. 154« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 112., paragr. 13. 155« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 112., paragr. 14. 156Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 17. |
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