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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
Section 2 : Informer le tiers des risques de son engagement.L'ayant cause à titre particulier du constituant, voici le tiers le plus emblématique, celui qui vient en premier à l'esprit quand on songe aux mésaventures du tiers ignorant en matière de sûretés mobilières. En droit français, Romain BOFFA rappelle que « lorsque le gage opère sans dépossession, le constituant, propriétaire du bien, conserve ce bien entre ses mains. Il est donc susceptible de céder le bien à autrui en le mettant en possession.135 » Un ayant cause à titre particulier peut alors être : au mieux un autre créancier bénéficiaire d'une sûreté réelle concurrente, pire un acheteur, et encore pire un donataire. 1. L'ayant cause à titre particulier, créancier garanti concurrent. Une première sûreté a déjà été consentie par le constituant et il souhaite affecter un même bien à la garantie d'une seconde créance. Dans cette situation le rôle de la publicité est d'informer ce second créancier garanti qui est un tiers à la première convention de sûreté. La question qui intéresse cet ayant cause à titre particulier du constituant est celle de l'antériorité. Se voir consentir un droit de préférence n'est que partiellement rassurant pour lui s'il est primé en ses droits par des créanciers de rang supérieur. C'est en ces termes qu'il faut évoquer la question de la priorité d'une sûreté. À ce sujet, l'article 2340 du Code civil dispose que « Lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs gages successifs sans dépossession, le rang des créanciers est réglé par l'ordre de leur inscription ». Le rôle de l'inscription est ainsi de fournir une donnée facilement vérifiable utile au classement chronologique de la priorité des droits, méthode souhaitable et majoritairement retenue au sein des différents ordres juridiques. La diffusion transparente de cette information est en outre dans l'intérêt du constituant, « en lui permettant d'utiliser un bien déjà grevé pour garantir et trouver de nouveaux crédits, ce qui ne serait pas possible si la connaissance de ses futurs créanciers n'était pas assurée par un système efficace de publicité136 ». En effet, si on considère un bien d'une grande valeur et une créance modeste, un droit de préférence de piètre rang peut suffire. Quand bien même le créancier garanti serait primé en ses droits par nombre de créanciers concurrents, il sait qu'en cas de réalisation de la sûreté le risque qu'il ne soit pas complètement désintéressé grâce à son droit de préférence est plutôt faible. Cependant pour faire ce calcul encore faut-il qu'il bénéficie d'informations fiables et accessibles. Quid de l'articulation de la priorité des droits en présence d'une sûreté avec dépossession et d'une sûreté sans dépossession ? Le deuxième alinéa de l'article 2340 du Code civil dispose que « Lorsqu'un bien donné en gage sans dépossession fait ultérieurement l'objet d'un gage avec dépossession, le droit de préférence du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier gagiste postérieur lorsqu'il est régulièrement 134Ibid. 135Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 11. 136Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 4. publié nonobstant le droit de rétention de ce dernier ». Selon Lionel ANDREU, cet article « désactive le droit de rétention du seul créancier gagiste postérieur137». Cela signifie que le second créancier garanti s'il opte pour un gage avec dépossession ne pourra pas faire valoir son droit de rétention contre le gagiste antérieur. Il a donc tout intérêt à consulter le registre des sûretés réelles mobilières, car son emprise matérielle sur la chose aurait tôt fait de lui communiquer un sentiment de sécurité trompeur. Si la situation est inversée, la publicité du gage montre ses premières failles. Si l'ayant cause du constituant (le second créancier garanti de notre exemple) opte pour une sûreté sans dépossession, alors qu'il existe déjà une sûreté avec dépossession affectant le bien au profit d'un créancier garanti antérieur, il entre en fâcheuse posture. Or a-t-on réellement laissé à ce tiers une chance de s'informer correctement ? Pour vanter les mérites de la dépossession en tant que méthode d'opposabilité Lionel ANDREU dénonce l'inscription en évoquant « des formalités complexes et incertaines, qui pourraient retarder le déroulement de l'opération dans certains cas138». Nous pouvons lui accorder ce point, certes la publicité des sûretés mobilières est éminemment perfectible en droit positif. Toutefois, il poursuit en regrettant que la publicité du gage ait « pour effet de porter à la connaissance des tiers l'existence d'un endettement du débiteur et de l'affectation d'une partie de ses actifs mobiliers à la garantie des dettes 139». Cette critique nous interpelle. D'une part, n'est-ce pas le propre de cette publicité efficace que nous traquons d'informer les tiers ? D'autre part, vanter la « confidentialité » de la dépossession n'est-ce pas reconnaître son total échec sur le plan de l'information des tiers ? La dépossession revient finalement à une publicité par le vide, où l'on s'attend à ce que le tiers remarque l'absence de tel bien alors même que nous avons précédemment vu que la dépossession se fait de plus en plus fictive pour contenter les intérêts des créanciers garantis. Admettons que le tiers à une première convention de sûreté se déplace jusqu'à l'entreprise du constituant pour choisir physiquement quel bien il désire prendre en gage, alors même que cette idée est totalement à contre-courant de la dématérialisation de l'économie. Peut-on réellement exiger de lui qu'il se figure que le vin stocké dans les propres cuves du constituant, dont la conservation est le fruit du travail des propres salariés du constituant140, est en fait un bien grevé par un gage avec dépossession au profit d'un créancier antérieur qui menace de le primer dans ses droits ? C'est un fait, plus la dépossession se fait artificielle plus elle perd cette faculté à informer les tiers que l'on peine à lui reconnaître en premier lieu. Aujourd'hui, l'article 2337 du Code civil dispose que « Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite il l'est également par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet ». Notre interrogation est la suivante, faut-il soumettre les gages avec dépossession à l'inscription ? La question peut paraître incongrue, mais elle se justifie au gré de nos développements. La dépossession n'est plus comme autrefois une garantie d'information des tiers. Quand le recours au registre des sûretés réelles mobilières se sera démocratisé, l'idée de se donner la peine de consulter le registre tout en ayant à l'esprit que d'autres sûretés potentielles n'y sont pas renseignées, à de quoi susciter la critique. Un simple coup d'oeil au registre devrait suffire pour qui désire avoir une vue d'ensemble de toutes les sûretés consenties par un constituant déterminé. Tous les 137Lionel ANDREU, « Gage avec dépossession contre gage sans dépossession », préc. 138Ibid. 139Ibid. 140Dans une affaire aux faits similaires, la Cour de cassation a retenu l'effectivité de la dépossession et donc l'opposabilité aux tiers. Voir Augustin AYNES, « Gage avec dépossession par entiercement : admission large de la condition de dépossession », L.G.D.J, Revue des contrats, n° 4, 1er oct. 2010, p. 1336. avantages qu'offre l'emprise matérielle sur les biens grevés devraient venir en supplément si le créancier garanti souhaite renforcer son contrôle. À notre sens, la dépossession est une forme de « publicité matérielle141 » médiocre. 2. L'ayant cause à titre particulier, acquéreur. Voilà assurément un tiers que le régime des opérations garanti ne peut se permettre d'ignorer. Certains auteurs cependant se sont interrogés jusqu'à son existence. En d'autres termes, le constituant a-t-il seulement le droit d'aliéner le bien qu'il a mis en gage142 ? Sur cette question, Yannick BLANDIN fait remarquer que la loi ne se prononce pas expressément143, il souligne simplement que la protection des droits du créancier en pareil cas est la raison d'être du droit de suite. Dans le silence des texte il est possible de répondre à cette interrogation par une autre : en tant que propriétaire pourquoi le constituant ne conserverait-il pas le droit d'aliéner son bien à sa guise ? Si je consens une servitude de passage à mon voisin sur mon terrain je lui offre un droit réel accessoire, une charge qui amoindrit ma liberté d'user pleinement de mon droit de propriété. Pourtant si je désire vendre mon terrain on conçoit mal que mon voisin puisse s'y opposer. Il n'aura plus qu'à opposer son droit réel au nouvel acquéreur. Voilà l'exemple d'un acheteur qui, s'il n'a pas été prévenu, se retrouve à devoir composer inopinément avec le droit réel d'autrui sur son bien. Finalement, cette conclusion est assez proche de ce qu'il se passerait en présence d'un meuble grevé d'un droit réel de garantie. En guise d'argument contraire, il y a bien l'article 314-5 du Code pénal qui dispose que « Le fait, par un débiteur, un emprunteur ou un tiers donneur de gage, de détruire ou de détourner l'objet constitué en gage est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ». Mais il ne faudrait pas se laisser aller à une lecture trop large de cette infraction, si « Une fois la réalisation de la sûreté entreprise, l'aliénation devient évidemment impossible, sauf pour le constituant à encourir des poursuites sur le fondement du détournement de gage144 », à contrario il faut bien reconnaître au constituant un droit d'aliéner tant que la sûreté est pendante. Ainsi l'efficacité de la publicité est-elle d'un enjeu crucial pour cette catégorie de tiers. A l'occasion du premier chapitre de cette première partie : « La non-incidence de la connaissance effective » nous avons démontré qu'en droit français les formalités obligatoires de publicité avaient vocation à créer une présomption de connaissance des sûretés publiées. Nous rappelons ici que cette présomption est critiquable parce qu'elle lie l'opposabilité des sûretés à la question de la connaissance du tiers quand bien même celle-ci ne serait pas effective. Or, du point de vue du créancier une inscription par simple avis qui aurait un effet mécanique d'opposabilité erga omnes est éminemment préférable. À notre sens le législateur français à une vision biaisée de la vocation de la publicité. Pour s'en convaincre, il suffit de se demander pourquoi il a ressenti le besoin d'empêcher les ayants cause à titre particulier du constituant d'invoquer l'article 2276 du Code civil alors 141Voir note (37). 142« L'aliénation créant un risque anormal pour le gagiste, on peut difficilement admettre que le constituant, tenu de maintenir le gage en l'état, ait le droit d'y procéder » M. CABRILLAC, C. MOULY, S. CABRILLAC et P . PÉTEL, « Droit des sûretés », Litec, 9e éd., 2010, p. 570, n° 763, (cité par Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr.118.). 143« Quant à l'aliénation de l'assiette du gage, qu'il soit d'ailleurs avec ou sans dépossession, la loi ne se prononce ni dans le sens de sa validité, ni dans celui de son interdiction. »,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr.118. 144Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th préc., paragr. 183. même qu'en premier lieu, l'application de cet article au domaine de l'opposabilité des sûretés est discutable145. Il faut revoir notre vision de la publicité en droit national afin d'en extraire les problématiques de connaissance ou de bonne foi qui pêchent par leur subjectivité. Les effets de la publicité doivent tenir en ces quelques mots : est opposable, envers tout tiers qui eût pu user du registre, la sûreté qui a fait l'objet d'une inscription régulière. Ceci dit, pour l'ayant cause à titre particulier du constituant le problème reste entier ! L'article 2337, alinéa 3 du Code civil le prive du droit, qu'il n'a peut-être jamais eu, de se prévaloir de l'article 2276 pour se placer hors d'atteinte du droit de suite d'un créancier garanti. Ce tiers ne s'intéresse pas à la question de savoir si oui ou non il aurait pu se prévaloir de la règle avant que celle-ci ne soit expressément écartée. Il ne peut que constater qu'en tout état de cause elle ne lui est plus d'aucun secours. Ce dernier peut alors potentiellement se retrouver avec une propriété grevée sans espoir de voir celle-ci purgée de la charge que constitue la sûreté du créancier garanti. En effet « Étant un droit réel sur la chose d'autrui, le gage peut être exercé sur le bien quel que soit le propriétaire de ce dernier146 ». Nul doute que cela « revient à traiter durement le tiers acquéreur de bonne foi, son droit se trouvant menacé par un autre, dont il n'avait nulle connaissance147 ». Finalement, la logique derrière cette norme revient à traiter l'ayant cause à titre particulier du constituant comme responsable de son sort. Il aurait dû se renseigner grâce à la publicité. Si cet argument peut être défendu sur le plan moral, il s'avère très frêle quand on l'oppose aux réalités économiques. Contracter en ayant toujours à l'esprit que son partenaire puisse être le constituant d'un gage dont il ne dit mot est propice à instaurer un climat de suspicion et de pesanteur incompatible avec la légèreté qui caractérise nécessairement un commerce des meubles efficace. Bien sûr, en dernier recours, l'ayant cause à titre particulier du constituant pourra faire valoir le dol en tant que vice de son consentement. En effet conformément aux dispositions de l'article 1137 nous serions bien en présence d'une réticence dolosive au sens de l'alinéa 2 « dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ». Dès lors, l'acquéreur du bien grevé pourra obtenir la nullité de la vente. Cependant, la nullité de la vente suppose des restitutions réciproques, les parties doivent être remises dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant l'acte. Or, l'ayant cause à titre particulier du constituant pourrait bien découvrir, en guise de seconde surprise, l'insolvabilité du constituant qui dès lors serait incapable de lui restituer le prix de la vente. 145À ce sujet, Romain BOFFA et Guillaume ANSALONI s'opposent quant à la question de la possibilité pour le tiers acquéreur d'invoquer l'article 2276 du Code civil « En fait de meubles, la possession vaut titre » pour échapper à l'opposabilité d'une sûreté réelle qu'il pouvait légitimement ignoré. Ce désaccord a émergé à l'occasion de la critique de Romain BOFFA relative au nouvel article 2337, alinéa 3, du Code civil tel qu'issu de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 qui prive explicitement les ayants cause à titre particulier du constituant du bénéfice de l'article 2276 face à un gage sans dépossession régulièrement publié. Romain BOFFA argue que cet alinéa est inutile en se basant sur une interprétation restrictive du champ de l'article 2276 dont il dénonce la portée « hypertrophiée ». Pour lui en tout état de cause cet article n'aurait jamais eu à jouer en cas d'acquisition « a domino », car il n'a que vocation à sécuriser les transferts de bien meuble en protégeant l'acquéreur de bonne foi qui tiendrait ses droits d'un non propriétaire. (Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc. et Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.). 146CROCQ Pierre, « gage », répertoire de droit civil, Dalloz, févr. 2017, actualisation Oct. 2018. 147Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 80. Le propre d'une sûreté est de prévenir le risque d'insolvabilité d'un débiteur, l'injustice est flagrante si on considère que c'est à l'acquéreur de supporter ce risque contre lequel le créancier garanti a cru bon de se prémunir148. À l'inverse si le créancier garanti est obligé de dédommager l'ayant cause à titre particulier du constituant du prix de la vente, on peut légitimement se demander à quoi a bien pu lui servir sa sûreté. Encore plus simplement, Yannick BLANDIN souligne que l'action en réticence dolosive est une « solution, longue et contraignante, puisque nécessitant le recours à une juridiction149 ». On est en droit d'espérer plus d'efficacité d'un régime de la publicité des sûretés réelles mobilières. Voilà autant de bonnes raisons d'informer les éventuels ayants cause à titre particulier du créancier gagiste avant qu'ils n'acquièrent cette qualité qui comporte intrinsèquement des risques forts. Dans ce chapitre, nous avons détaillé la catégorie des ayants cause à titre particulier du constituant. Cependant, il existe une catégorie de tiers qui pose des difficultés encor plus grandes, pour ne pas dire insoluble en l'état actuel du droit français. Il s'agit du sous-acquéreur. En effet, l'acquéreur et le sous-acquéreur sont exposés aux mêmes risques. Cependant, ils ne sont pas égaux face à la publicité. Plus que cela, existe-t-il seulement un moyen d'informer efficacement les sous-acquéreurs de l'existence d'un droit réel accessoire sur le bien meuble qu'il s'apprête à acquérir ? A priori, la réponse semble négative, or si nous sommes incapables de les informer nous ne pouvons les laisser sans protection. Une protection qui doit être uniforme et objective si elle se veut efficace. 148Dans le même sens Romain BOFFA évoque des potentiels dommages et intérêts pour le tiers victime de l'attribution judiciaire du gage, tout en rappelant qu'en cas « de procédure collective de son auteur », cette sanction sera pour le tiers « une bien maigre consolation. », Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 24. 149Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », préc., paragr. 80. |
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