- TITRE 2 -
DU RÔLE TRADITIONNEL DE LA PUBLICITÉ, DU
CONSTAT DE SES LIMITES, ET DE SA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION
Pour une approche complète de la vocation de la
publicité, il faut distinguer sa mission positive de son rôle
négatif. Positivement, la publicité vise à fournir une
information aux tiers. C'est ce que l'on peut nommer son utilité
traditionnelle : informer (chapitre 1). Négativement, elle commande la
sanction de l'inopposabilité qui vise à protéger les tiers
selon des conditions très variables d'un ordre juridique à un
autre. Le déclencheur de l'inopposabilité d'un acte qui fait le
moins débat est le cas d'absence totale de publicité. Dans un
régime optimisé de la publicité des sûretés
mobilières, un tel exemple devrait confiner à une
inopposabilité inconditionnelle, quels que soient les
intérêts des tiers en présence. Cependant, même une
publicité rigoureuse, du fait de ce que nous nommerons l'angle mort de
la publicité personnelle, ne peut informer les sous-acquéreurs,
que nous nommerons tiers aveugles à la publicité personnelle.
Dès lors faut-il, au mépris du juste et de la
sécurité juridique, sacrifier les intérêts de ces
tiers ? Ou faut-il amputer les créanciers garantis de leurs droits de
suite au risque de nuire gravement à l'efficacité des
sûretés réelles mobilières ? Cette seule question
démontre les limites de la publicité dans sa mission protectrice
des tiers (Chapitre 2). Comme souvent face à un dilemme insoluble, la
bonne solution est de ne pas se résoudre à trancher. En partant
de l'exemple particulier des abondants travaux universitaires sur les
sûretés sur stock, nous proposerons des alternatives au droit de
suite quand les difficultés qu'il pose ne peuvent pas être
traitées par la publicité. Une publicité efficace doit
être consciente de ses lacunes. Ainsi la nécessaire
évolution de cette matière commande-t-elle de supprimer les
risques que nous ne pouvons prévenir (Chapitre 3).
- CHAPITRE 1 -
INFORMER LES TIERS, L'UTILITÉ TRADITIONNELLE DE
LA PUBLICITÉ.
Il existe une multitude de bénéfices
différents propres à la publicité des sûretés
réelles mobilières. Chaque tiers intéressé par les
affaires du constituant en fait un usage distinct. Nommer
précisément une liste de tiers à qui s'adresse la
publicité qui nous intéresse est purement impossible, car par
définition la publicité s'adresse à une foule
anonyme129. Il est néanmoins possible de former
différentes catégories de tiers en fonction de
l'intérêt que la publicité peut avoir à leurs
yeux.
À cette étape, l'important est de
retenir que limiter la vocation informative de la publicité à
certaines catégories de bénéficiaires est purement
contre-productif. Contrairement aux règles de droit qui imposent des
notifications obligatoires, le coût économique des
formalités obligatoires de publicité n'augmente pas
corrélativement au nombre de bénéficiaires. Limiter les
bénéfices d'information et de protection de la publicité
en formant des catégories d'exclus revient à complexifier
inutilement cette matière.
Ainsi si certains tiers doivent être
informés de l'existence d'une sûreté réelle pour
pouvoir mesurer le risque de leurs engagements quand il contracte avec le
constituant ou l'un de ses ayants cause à titre particulier (Section 2),
d'autres tiers dépendent de la publicité pour anticiper la
dégradation de leurs situations (section 1).
Section 1 : Aider le tiers à anticiper
l'aggravation de sa situation.
Considérons la convention constitutive d'un
gage, ce contrat est loin d'être dénué d'effet pour nombre
de tiers. Il ne faut pas retenir de la notion d'effet relatif des conventions
issues du dogme de l'autonomie de la volonté que le contrat serait un
monde alternatif construit par les cocontractants pour y vivre en autarcie.
C'est d'autant plus vrai en matière de droit réel. Même si
l'article 1199 du Code civil dispose que « le contrat ne crée
d'obligation qu'entre les parties », l'affectation d'un bien à
la garantie d'une créance est une opération qui est de nature
à impacter la situation économique des tiers. En effet, l'article
1200 du Code civil ajoute que les tiers doivent « respecter la
situation juridique créée par le contrat ». Pour
Mathias LATINA, cela « illustre le rayonnement de la force obligatoire
au-delà de la sphère contractuelle130 ».
Ainsi même si le contrat ne met pas d'obligations à la charge de
celui qui n'y a pas consenti, il s'agit d'un acte qui crée un
réel juridique que tout agent économique rationnel désire
prendre en compte pour penser ou repenser sa position dans une relation
d'affaires.
Indirectement, la constitution d'une
sûreté réelle, dans la mesure où elle affecte
certains biens à la garantie d'une certaine créance, a vocation
à altérer la solvabilité générale du
constituant. Informer tous ceux qui pourraient voir leur droit de gage
général amputé entre dans le cadre du rôle
traditionnel et basique de la publicité.
Le créancier bénéficiaire d'une
sûreté personnelle et le créancier chirographaire sont les
tiers les plus éloignés de l'épicentre du séisme
que constitue la création d'une sûreté réelle.
Si
129« Dès que les destinataires d'une
information sont connus, nous avons affaire à une notification, non pas
à une publicité, et c'est alors un tout autre régime
juridique qui s'applique », Intervention d'Alain SAYAG, dans le colloque
« l'information légale dans les affaires : quels enjeux ?
Quelles évolutions ? », préc.
130Mathias LATINA, « Principes directeurs du
droit des contrats », Répertoire de droit civil, Dalloz,
actualisation Janv. 2019, paragr. 144.
bien qu'on ne pense pas, de prime abord, à
l'aggravation, pourtant évidente, de leurs situations. Prenons l'exemple
d'un contrat de cautionnement, on comprend rapidement quel intérêt
peut avoir le créancier garanti à être informé des
gages sans dépossession que pourrait consentir sa caution au profit
d'autres créanciers.
Le créancier bénéficiaire d'une
sûreté personnelle se voit consentir un second droit de gage
général sur le patrimoine de son garant. Une telle
sûreté n'emportant pas de droit de préférence, dans
le pire des cas, le créancier bénéficiaire d`une
sûreté personnelle peut se voir primer dans ses droits par une
multitude de créanciers privilégiés. Finalement, les
sûretés réelles lui posent le même problème
qu'à un créancier chirographaire. À ceci prêt que ce
dernier, ne peut compter que sur son droit de gage général
unique. Il est dès lors encore plus exposé aux risques de voir
les droits réels s'accumuler sur le patrimoine de son débiteur.
Autant de soustractions à la valeur sur laquelle il serait susceptible
de se payer en cas de défaillance. Malgré la
précarité de leurs situations, certains seraient tentés de
laisser ces deux tiers en dehors des objectifs d'informations de la
publicité des sûretés réelles mobilières. En
effet, la CNUDCI rappelle que « Dans certains États, la
sûreté produit effet dès sa constitution non seulement
entre le constituant et le créancier garanti, mais aussi à
l'égard des créanciers chirographaires131
».
Il convient à notre sens de se garder d'une
telle hiérarchisation dans les raisons qui poussent les tiers à
désirer l'information. La publicité ne doit pas être un
privilège accordé à une catégorie de tiers
justifiant d'un intérêt particulier. Elle doit s'adresser à
tous ceux qui se donneront la peine de la consulter. Ajoutons qu'un
régime efficace de la publicité des sûretés
réelles mobilières doit produire les mêmes effets, y
compris ceux relatifs à l'inopposabilité, à l'égard
de tous.
Le rôle de la publicité est
d'éviter aux tiers de se méprendre quant à
l'intérêt d'une opération en raison d'une trompeuse
propriété apparemment non grevée du constituant. Or il
n'est pas souhaitable qu'un créancier chirographaire qui a
déjà consenti un crédit se complaise dans une situation
illusoire de solvabilité de son débiteur alors même que
celui-ci est en train de grever un à un chacun de ses biens.
La sûreté réelle est la
sûreté la plus égoïste. Chaque bien mis en gage pour
garantir une créance est un bien qui sera soustrait au droit de gage
général des créanciers chirographaires. Incontestablement,
leurs situations se dégradent à chaque nouvelle
sûreté réelle. Il faut obligatoirement les en informer pour
qu'ils puissent dans le pire des cas faire le deuil d'une créance sur
laquelle ils ne peuvent plus raisonnablement compter. De surcroît, cette
information pourra leur éviter de prêter davantage au constituant
en se figurant que sa situation n'a pas changé depuis leurs premiers
engagements.
Enfin, on peut se demander si « la
publicité est l'appui de la vertu, la sauvegarde de la
vérité, la terreur du crime, le fléau de
l'intrigue132 », toujours est-il qu'en matière de
sûretés réelles mobilières elle a vocation à
éviter des arrangements et fraudes133 contraires aux
intérêts des créanciers chirographaires. Cette raison
suffirait à elle seule à arguer qu'il n'y a pas de tiers de
seconde zone et que l'information via la publicité doit être
accessible à tous. S'il apparaît que l'information est utile aux
créanciers chirographaires déjà engagés, elle l'est
tout autant pour ceux qui envisagent de consentir un prêt. En effet,
« les créanciers
131« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », p. 110., paragr. 10.
132Maximilien ROBESPIERRE, « Discours par
Maximilien Robespierre 17 avril 1792-27 juillet 1794 ».
133« L'obligation d'inscrire rapidement la
sûreté sur un registre public ou d'accomplir une formalité
supplémentaire équivalente réduit le risque qu'une
prétendue sûreté ne soit en fait qu'un arrangement
collusoire entre un constituant insolvable et un créancier
bénéficiant d'un traitement préférentiel »,
« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations
garanties », p. 110. Paragr. 11.
chirographaires fondent leur décision de
prêter sur la santé financière générale du
constituant, la présence ou l'absence de sûretés peut
être l'un des facteurs pris en compte dans cette
décision134 ». Les créanciers
chirographaires ou bénéficiaires de sûretés
personnelles ont besoin de la publicité des sûretés
réelles mobilières pour évaluer les risques de leurs
engagements.
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