Section 2 : L'inscription par simple avis plutôt
que l'inscription par enregistrement de document.
La CNUDCI évoque « Un certain nombre
d'États » qui « ont instauré, pour les
sûretés réelles mobilières, ce que l'on pourrait
appeler un système d'enregistrement de documents qui, s'il ne permet pas
d'inscrire la propriété des biens meubles, sert à prouver
l'existence de certaines sûretés.114
»
En Droit français, c'est l'article 2 du
décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006 qui est venu fixer
le cadre de l'inscription du nouveau gage de droit commun. « Le
créancier remet ou adresse au greffier du tribunal de commerce l'un des
originaux de l'acte constitutif de la sûreté ou une
expédition si l'acte est établi sous forme authentique
».
Force est de constater que le droit français a
fait le choix du système de publicité que la CNUDCI évoque
comme un système d'inscription par enregistrement de document. À
notre sens, ce choix n'est pas anodin, il démontre la vocation que le
législateur entend donner à la publicité, une vocation
probatoire. Pourtant selon la CNUDCI dans un régime idéal de la
publicité des sûretés mobilières la loi devrait
faire en sorte que « L'inscription soit effectuée par
enregistrement d'un avis contenant les informations spécifiées
dans la recommandation 57, et non par la présentation de l'original ou
d'une copie de la convention constitutive de sûreté ou d'un autre
document115 ». La recommandation 57 sus-citée
limitant quant à elle les informations nécessairement contenues
dans l'avis à un strict minimum n'ayant pas à être
vérifié par le conservateur du registre pas plus que
l'identité de celui qui procède à l'inscription
d'ailleurs. « Le conservateur du registre n'exige pas la
vérification de l'identité de la personne procédant
à l'inscription ni de l'existence d'une autorisation pour
procéder à l'inscription de l'avis, et ne réalise aucun
examen approfondi de la teneur de l'avis116 ».
À la lumière des exigences de notre
droit positif, ces modalités d'inscription peuvent paraître bien
légères, et sans conteste elles le sont ! C'est en somme
exactement comme cela qu'elles ont été pensées, comme des
modalités souples et simples de nature à faciliter constitution
et opposabilité des sûretés. Dès lors, les
précautions prises en droit français, via l'inscription par
enregistrement de documents, font figure d'alourdissement superflu. Afin
d'apporter un élément de réponse à ce
problème, il faut s'interroger quant à la vocation qui doit
être celle de la publicité efficace. Il faut soulever la
discordance qui peut exister entre ce rôle et la raison d'être des
vérifications et sécurité de l'enregistrement actuel.
Autrement dit le rôle que l'on prête à l'inscription par
enregistrement de document, à savoir apporter la preuve de la
constitution d'une sûreté, est-il compatible avec la vocation
d'une publicité efficace ?
1. La vocation probatoire de l'inscription par
enregistrement de document. Il est très facile de discerner le lien de
parenté entre l'inscription par enregistrement de document et la
publicité foncière. En effet en matière d'immeuble la
publicité a traditionnellement vocation à apporter une preuve
objective de la propriété comme de l'existence de droits
réels. Toutefois, même s'il existe des exemples de biens meubles
immatriculés de grande valeur117
114« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », p. 157, paragr. 11. 115«
Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties
», p. 498. 116Ibid.
117On pensera aux registres spéciaux des navires
et aéronefs par exemple.
pour lesquelles l'exemple de la publicité
foncière peut être très pertinent, en règle
général la publicité mobilière à tout
à gagner à s'éloigner de ce schéma.
Finalement que gagne-t-on à exiger du
conservateur d'un registre des sûretés mobilières qu'il
vérifie l'écrit original de la constitution d'une
sûreté réelle mobilière ? Une preuve de l'existence
de cette convention entre les parties, et la preuve au bénéfice
des tiers que toute sûreté mobilière renseignée dans
le registre à une existence réelle, pourrait-on
répondre.
Entre les parties. Comme nous l'avons vue plus haut,
la distinction entre constitution et opposabilité est une pierre
angulaire de l'efficacité en matière de publicité des
sûretés réelles mobilière. En considérant
cette distinction, il semble étrange de faire jouer à
l'inscription, formalité obligatoire de publicité par excellence,
un rôle probatoire vis-à-vis de la constitution d'une
sûreté. En règle générale, le
législateur exige un écrit à titre probatoire ou en tant
que condition de validité quand il veut promouvoir la
sécurité juridique entourant la constitution d'un acte.
L'inscription apparaît comme un outil contre indiqué pour cette
tâche, d'autant que l'exigence d'un écrit devrait suffire à
prouver l'existence d'une sûreté en cas de litige de nature
contractuelle.
À l'égard des tiers. L'investissement en
temps et en argent que suppose la vérification systématique des
documents exigés par cette forme d'inscription semble totalement
disproportionné vis-à-vis de l'avantage que pourraient en retirer
les tiers. En effet, le risque de la prolifération de fausses
sûretés est un risque auto généré par le mode
de l'inscription par enregistrement de document. Autrement dit, si
l'inscription sur le registre n'emporte pas présomption
réfragable, et encore moins présomption irréfragable, de
l'existence d'une sûreté, on peine à trouver quelle valeur
pourrait avoir une inscription frauduleuse.
Il convient toutefois de nuancer l'approche
préconisée par la CNUDCI, à notre sens l'inscription par
simple avis ne devrait pas supposer qu'on ne vérifie pas
l'identité de celui qui procède à cette formalité.
D'autant que cette vérification sera grandement facilitée par
l'utilisation de la technologie Blockchain que nous préconisons pour la
conservation du registre. En vérifiant systématiquement
l'identité de ceux qui procèdent aux inscriptions, nous pourrons
définitivement écarter le risque d'inscription malveillante
(pensée pour nuire à l'apparence de solvabilité d'un
concurrent par exemple). Cette hypothèse, bien que probablement
marginale doit faire l'objet de sanction exemplaire pour que l'accès au
registre puisse sereinement être ouvert à tous, et que
l'inscription par simple avis s'impose comme la norme.
2. La vocation de la publicité efficace. Afin
de justifier sa démarche, la CNUDCI rappelle que « Les
registres fondés sur le concept d'inscription d'avis existent dans un
nombre croissant d'États et ont en outre recueilli un large soutien au
niveau international118 ». Incontestablement,
l'inscription par simple avis est un modèle qui tend à se
développer au gré de l'harmonisation internationale du droit des
sûretés mobilières. Dans ce contexte l'opposabilité
reposant « sur l'inscription, dans un registre central organisé
sur une base personnelle, d'un simple avis et non de la convention constitutive
de sûreté119 » tant à s'imposer comme
le modèle dominant. Et pour cause, ce système contrairement
à
118La CNUDCI évoque ainsi « la Loi
modèle sur les sûretés de la Banque européenne pour
la reconstruction et le développement, la Loi type
interaméricaine relative aux sûretés mobilières de
l'Organisation des États américains, le guide sur les registres
de biens meubles intitulé « A Guide to Movables Registries »
de la Banque asiatique de développement, la Convention relative aux
garanties internationales portant sur des matériels d'équipement
mobiles et les protocoles s'y rapportant et l'annexe de la Convention des
Nations Unies sur la cession », « Guide législatif de la
CNUDCI sur les opérations garanties », p. 158, paragr.
14.
119Jean-François RIFFARD, «
L'harmonisation internationale des droits des sûretés
mobilières : ne ratons pas le train ! »,préc., paragr.
14.
l'inscription par enregistrement de document «
autorise les inscriptions en ligne et le cas échéant les
inscriptions conservatoires anticipées120
».
Quand on accepte que la publicité n'a pas
à avoir de vocation probatoire, qu'elle existe pour assurer
l'opposabilité des sûretés et la protection des tiers, on
accepte sans peine qu'un registre basé sur l'inscription de simple avis
ne s'embarrasse pas de vérifications coûteuses et chronophages. En
effet, « Si l'inscription était soumise à approbation
officielle, une telle condition irait à l'encontre du type d'inscription
rapide et bon marché nécessaire pour promouvoir le crédit
garanti ».
Pour ce qui est des deux avantages inhérents
à l'inscription par simple avis soulignés par
Jean-François RIFFARD : inscription en ligne et inscription
conservatoire anticipées, on constate que ces deux
caractéristiques de l'inscription par simple avis sont tout aussi
nécessaires à une publicité efficace qu'elles sont
incompatibles avec le système actuel.
L'inscription en ligne doit sans conteste s'imposer
comme le mode d'inscription de droit commun. Pour s'en convaincre il suffit de
relever toutes les complications inhérentes à la tenue d'un
registre papier. Enfin le simple fait de ne pas avoir à se
déplacer aux greffes du tribunal de commerce, pour y déposer
l'original de la convention de sûreté et le fait de ne pas avoir
à prendre le risque d'envoyer ce document par voie postale constituent
un progrès dont la pratique saura se réjouir. C'est encore plus
vrai pour ce qui est des opérations garanties internationales. Ainsi
certains ont dénoncé un système d'opposabilité
« trop octogonal121 ». D'aucuns ont en effet
relevé que certaines dispositions « exigeant que des
formalités de publicité soient faites sur un registre
spécial tenu au greffe du tribunal « dans le ressort duquel le
débiteur a son siège ou son domicile122 »
». Selon cet auteur cela rendrait « impossible ou inutilement
coûteux l'accomplissement des formalités d'opposabilité
à l'encontre d'un constituant ayant son siège social à
l'étranger et n'étant pas immatriculé en
France123 ». Nul doute que dans ce cas précis
l'approche via l'inscription électronique par simple avis faciliterait
grandement la vie des affaires.
Pour ce qui est du deuxième point,
l'inscription conservatoire anticipée, il est aisé de
la
résumer à une logique lapidaire : nul ne
peut fournir l'original de la sûreté qui n'existe pas encore.
Pourtant l'intérêt est conséquent et le législateur
améliorerait grandement la situation des créanciers garantis s'il
permettait ce type d'inscription anticipée. Ajoutons que cela
constituerait aussi une amélioration de l'information des tiers. En
effet, plus un avertissement survient en amont d'une situation délicate,
plus il est utile.
Ainsi « Dans un système d'inscription
d'avis, ainsi qu'il a été noté
précédemment,
l'avis inscrit est indépendant de la
convention constitutive et il n'est pas nécessaire pour procéder
à l'inscription de soumettre les documents relatifs à la
sûreté ni de prouver celle-ci d'une autre
manière124 ». Entre autres bénéfices,
l'autorisation de l'inscription anticipée permet «
l'inscription d'un avis unique suffit pour assurer l'opposabilité
des sûretés grevant les biens décrits dans l'avis, qu'elles
aient été constituées en vertu d'une convention unique ou
de plusieurs conventions séparées liant les mêmes parties,
même si elles ont été conclues à des dates
différentes125 ».
De manière générale,
l'inscription par simple avis « réduit le coût de
l'opération pour les personnes procédant à l'inscription
(qui n'ont pas besoin de fournir la preuve de la convention constitutive de
sûreté) et pour les tiers effectuant une recherche qui n'ont
pas
120Ibid.
121Étienne GENTIL,« problématique des
investisseurs finance et droit des sûretés », préc.,
p. 102.
122Ibid.
123Ibid.
124« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », P 181, paragr. 98.
125Ibid.
besoin d'éplucher une documentation pouvant
être volumineuse126 ». En outre, cette
méthode « réduit la charge administrative et le travail
d'archivage du personnel chargé d'exploiter le système de
registre127 ». Enfin, elle «
réduit le risque d'erreur d'inscription moins il y a d'informations
à communiquer, moins il y a de risque d'erreur128
». Évidemment, tous ces avantages ne sont pas à
négliger pour qui est en quête du registre efficace !
126« Guide de la CNUDCI sur la mise en place
d'un registre des sûretés réelles mobilières
», p. 24, paragr. 59. 127Ibid., p. 25, paragr. 59.
128Ibid.
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