Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
Chapitre 3 : Ultime proposition, le registre efficace.INTRODUCTION
Il faut cependant avouer que les sûretés ne sont pas les seuls mécanismes juridiques prompts à répondre à ce besoin. On peut évoquer la titrisation4 un mécanisme qui n'a rien à voir avec la notion de sûretés, et qui offre des opportunités de financement considérables. Il 1À l'inverse, un jeu à somme non nulle est un jeu où les parties peuvent modifier les gains ou les pertes à distribuer en choisissant telle ou telle stratégie. L'économie est le jeu à somme non nulle par excellence dans la mesure où selon la stratégie adoptée par les agents économiques, la somme des richesses produite à partager variera considérablement. 2«S'il est vrai que le droit dans la société bourgeoise est essentiellement fonctionnel dans la mesure où il sert au maintien de la domination du capital sur le travail, il est également vrai, et Marx lui-même ne peut qu'insister sur ce fait, que le droit est un terrain d'affrontement» Stefano PETRUCCIANI, «Les multiples dimensions de la critique marxienne du droit», Revue Droit & Philosophie, nov. 2018., n° 10, p. 18. 3Voir, Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », Vienne, 2014, consultable sur le site de la CNUDCI : https://www.uncitral.org/pdf/french/texts/security/Security-Rights-Registry-Guide-f.pdf . 4La CNUDCI définit la titrisation comme « un montage financier complexe qui permet à une entreprise de tirer parti de la valeur de ses créances pour obtenir un financement en transférant celles-ci à une entité ad hoc qu'elle détient entièrement. Cette entité ad hoc émet alors des titres sur les marchés financiers garantis par les flux de recettes générés par les créances.», voir, Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », New York 2011, consultable sur le site de la CNUDCI : https://www.uncitral.org/pdf/english/texts/security-lg/f/LG_on_ST_French.pdf . suffit d'évoquer la titrisation synthétique5 et le « Dérivé sur événement de crédit6 » pour générer un semblant de confusion avec le domaine des sûretés personnelles. Cette confusion d'apparence doit toutefois être dissipée rapidement par une ferme distinction. En effet, toute garantie « contient en elle-même une référence à une obligation principale qui doit être garantie. Il ne peut y avoir de garanties que s'il y a une autre obligation à garantir7 ». Or les dérivés sur événement de crédit, via la titrisation synthétique, deviennent des actifs librement cessibles et totalement autonomes vis-à-vis de l'obligation supposément garantie8. Considérons la dette de Primus envers Secundus pour un montant de 10. Rien ne s'oppose à ce que Tertius et Quartus se décident à conclure une convention auprès de Secundus qui stipulerait pour ce dernier l'obligation de débourser une somme totale de 100 en cas de survenance d'un événement prédéterminé, à savoir la défaillance de Primus. Comment pourrait-on dès lors qualifier de sûreté un mécanisme qui peut potentiellement aggraver la situation d'un créancier en cas d'insolvabilité de son débiteur ? Secundus, dans notre exemple, fait face aux mêmes difficultés que certaines banques durant la crise des subprimes9. Un événement qui a montré les limites des dérivés de crédits, des mécanismes qui tiennent plus du produit de spéculation que de la garantie10. Aujourd'hui, l'état du marché obligataire est inquiétant11 et il semble d'ores et déjà raisonnable de se montrer critique vis-à-vis des créances titrisées issues de la « bulle étudiante12» américaine ou des « subprimes auto loans13 ». Les produits financiers issus de la titrisation synthétique, loin de juguler les risques, n'ont fait qu'aggraver la crise. Pourtant l'économie ne peut pas se passer de crédits garantis. 5« Par opposition aux titrisations classiques, communément appelées « titrisations cash », les titrisations synthétiques visent à un transfert du risque relatif à un portefeuille de créances ou d'actifs sans qu'il en résulte un transfert juridique desdites créances ou desdits actifs. Ce transfert synthétique s'opère par le biais de contrats dérivés communément appelés « dérivés de crédit » : credit default swaps, total return swaps, etc. », Xavier DE KERGOMMEAUX, « Titrisation », Répertoire de droit commercial, Dalloz, janv. 2010 (actualisation Janv. 2018). 6« Le contrat de dérivé sur événement de crédit est la convention par laquelle une partie, le « vendeur de protection » (Credit Protection Seller), s'engage envers une autre, « l'acheteur de protection » (Credit Protection Buyer), à lui payer une somme d'argent en cas de survenance d'un événement de crédit (Credit Event) stipulé par les parties et relatif à une dette souscrite par un tiers (un titre obligataire, une action, un prêt, etc.). L'acheteur de protection verse au vendeur une prime, pour contrepartie du risque qu'il assume. », Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, avr. 2019. 7M. CABRILLAC, C. MOULY, S. CABRILLAC et Ph. PÉTEL, « Droit des sûretés », 9e éd., 2010, Litec, no 425, (dans Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », op. cit., paragr. 9). 8« L'avantage du dérivé de crédit réside dans sa standardisation, sa cessibilité sur le marché, son autonomie totale par rapport à la dette garantie », Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », op. cit., paragr. 9. 9Durant la crise financière de 2008, en plus de faire face aux défauts de paiements massifs des ménages américains les banques ont dû débourser d'importantes sommes au profit des détenteurs de contrat dit de « credit default swap ». 10« Le système financier mondial aurait pu supporter les pertes (même lourdes) liées à la crise des subprimes. Mais les établissements financiers et investisseurs du monde entier ont découvert (ou ont fait semblant de découvrir) à cette occasion que, via certaines opérations de titrisation dites « synthétiques », le risque des subprimes leur avait été largement redistribué et que, surtout, malgré les notes satisfaisantes initialement attribuées par les agences de notation aux titres émis dans le cadre de ces opérations, des pertes parfois sévères étaient à craindre », Xavier DE KERGOMMEAUX, « Titrisation », op. cit., paragr. 13. 11« L'endettement des agents économiques est à l'origine de la plupart des crises financières du XXIe siècle » or cette auteur démontre que la politique des principales banques centrales mondiales en réponse à la crise de 2008 favorise cet endettement. Valérie LELIEVRE, « BCE, BoJ, Fed : pompiers et pyromanes », Revue de l'Union européenne, Dalloz, 2019, p. 57. 12Valérie LELIEVRE évoque une « bulle étudiante » qui traduit le très fort endettement d'étudiants issus de familles modestes dans une période où le crédit était « facile et pas cher » ibid. 13Une expression qui désigne les crédits automobiles à risques que Valérie LELIEVRE évoque parmi d'autres exemples d'endettements problématiques. Ibid. Comme le rappelle la CNUDCI, « des lois bien conçues sur les opérations garanties peuvent offrir des avantages économiques considérables aux États qui les adoptent, notamment inciter des prêteurs et d'autres fournisseurs de crédit, nationaux et étrangers, à octroyer des financements, promouvoir le développement et la croissance des entreprises nationales »14. Dès lors, sans solution miracle, il paraît sage de recommander une distribution raisonnée du crédit assortie de sûretés conventionnelles qui ont fait leurs preuves. Encore reste-t-il à choisir entre sûretés personnelles et sûretés réelles. 3. Le choix entre sûretés réelles et sûretés personnelles. Pour Dominique LEGEAIS, « La sûreté réelle repose sur la technique de l'affectation préférentielle ou exclusive d'un bien ou d'un ensemble de biens au profit du créancier. [...] Un droit réel est ainsi conféré au créancier sur un ou plusieurs biens. En cas de défaillance du débiteur, le créancier peut saisir les biens affectés en garantie pour exercer son droit de préférence sur le prix15 ». On peut les opposer aux sûretés personnelles qui selon le même auteur sont des mécanismes qui consistent en « l'adjonction, au rapport d'obligation principal, d'un rapport d'obligation supplémentaire permettant au créancier d'exercer les poursuites contre le garant, lequel est alors tenu pour un autre et dispose d'un recours contre celui-ci, qui doit seul finalement supporter la dette16». Par bien des aspects, il apparaît que les sûretés personnelles ne sont pas adaptées à la vie des affaires. L'exemple du cautionnement est assez éclairant. Que ce soit du point de vue du créancier garanti ou de la caution, cette sûreté n'est jamais pleinement satisfaisante. Pourtant il est assez courant de demander au dirigeant d'une société à responsabilité limitée de se porter caution pour celle-ci. Alors même qu'une telle convention fait perdre tout l'intérêt de la forme sociale qui avait été choisie à dessein pour placer un patrimoine personnel à l'abri des créanciers professionnels17. Pire encore, il n'est pas rare qu'un conjoint soit amené à prendre le même engagement. On ne peut pas penser pratique plus inféconde, car cette sûreté personnelle fait une piètre garantie en matière de financement des entreprises. Si le créancier poursuit les cautions en paiement, c'est en raison de l'insolvabilité du débiteur principal. Or dans la majorité des cas, c'est justement de la société (débitrice principale) que les cautions gérantes extraient leurs revenus. Dès lors en plus de bénéficier d'une sûreté dont la fiabilité a été amoindrie par la loi et la jurisprudence, le créancier s'expose à un « effet de domino », à une « succession de défaillances18 ». Enfin en sus de leurs faiblesses propres et au-delà de l'exemple du cautionnement, les sûretés personnelles souffrent de la comparaison avec les sûretés réelles. Autrement dit quel pourrait bien être l'intérêt d'un droit de gage général sur le patrimoine d'un garant dont tous les biens seraient grevés, même a posteriori par des sûretés réelles ? C'est, car elles ne supposent pas de droit de préférence, que les créanciers garantis bénéficiaires de sûretés 14« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », P1, paragr. 2. 15Dominique LEGEAIS, « Sûretés », Répertoire de droit civil, Dalloz, janv. 2016 (actualisation mars 2019), Paragr. 18. 16Ibid., paragr. 30. 17« Du côté de l'entrepreneur, le recours à une sûreté personnelle n'est pas plus satisfaisant. Dans la majorité des cas, celui-ci souhaite éviter une confusion des risques et placer ses biens personnels à l'abri des créanciers professionnels. Pour ce faire, il procède à la création d'une personne morale ou à un fractionnement de son patrimoine pour isoler les dettes de l'entreprise. La constitution d'un cautionnement contourne cette protection, puisque l'entrepreneur s'engage alors sur l'ensemble de son patrimoine », Yannick BLANDIN, « sûretés et bien circulant », thèse de doctorat en droit, sous la direction d'Alain GHOZI, Paris, Université Panthéon-Assas, 2014. 18À ce propos,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th. préc., Paragr. 3. personnelles risquent d'être primés en leurs droits sur tel ou tel bien particuliers par des créanciers bénéficiaires de sûretés réelles. À tout point de vue, les sûretés réelles semblent plus adaptées au financement des entreprises. C'est encore plus vrai quand on s'intéresse à des assiettes marginales de sûretés réelles telles que les biens circulants19 ou les biens immatériels20 qui malgré des problématiques particulières en matière de publicité et d'opposabilité recèlent un potentiel de financement certain et inexploité.
Les utilisations de droit réel accessoire, ou même du droit de propriété à des fins de garantie ne peuvent demeurer des opérations occultes, des pièges, dont les tiers ne pourraient 19Yannick BLANDIN écrit à propos des biens circulant : « Le bien circulant, catégorie générique regroupant des biens que le professionnel détruit, incorpore ou aliène et qui ont vocation à être constamment renouvelés, constitue une richesse considérable. »,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant, contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th. préc., paragr. 1. 20Vanessa PINTO HANIA souligne la montée en puissance de cette idée en rappelant, à propos des biens immatériels, que « d'aucuns affirment qu'ils représentent une richesse économique, une source de crédit fantastique pour les débiteurs, et un gage de sécurité pour les créanciers. », Vanessa PINTO HANIA, « Les biens immatériels saisis par le droit des sûretés réelles mobilières conventionnelles », Thèse de doctorat en droit, sous la direction de Stéphane PIEDELIEVRE, Université Paris-Est, 2011, p. 23. que difficilement se prémunir faute de publicité. En l'espèce, il semble pertinent de se ranger à la conception de sûreté proposée par la CNUDCI21 elle-même inspirée par le security interest américain22 se passer d'une approche globale en la matière c'est favoriser l'éclatement des dispositions relatives aux formalités obligatoires de publicité, alors même que seuls une harmonisation et un regroupement de ces dispositions peuvent permettre une amélioration de leurs lisibilités. 6. Définition de la publicité légale en opposition à la publicité commerciale. Émile DE GIRARDIN a posé une définition substantielle de la publicité (une définition de la publicité par sa substance, par son contenu, à savoir les qualités nécessaires de l'information publiée). « Pour être utile à celui qui la fait et commander la confiance de celui à qui elle s'adresse, l'annonce doit être concise, simple, franche, ne jamais porter aucun masque, marcher toujours droit à son but, la tête haute [...] Tout commentaire s'il n'est pas nuisible est au moins superflu ; tout éloge au lieu d'appeler la confiance, provoque l'incrédulité ». Pascal BEDER dans son ouvrage « Publicité légale » nous fait remarquer que « Près d'un siècle plus tard, la publicité légale pourrait presque totalement répondre à cette définition23». Là où la publicité commerciale vise à susciter chez le consommateur l'envie d'acquérir un bien, la publicité légale vise à informer les tiers dans un intérêt général de transparence de prévisibilité et donc par extension de sécurité juridique. La publicité légale selon Pascal BEDER serait « une information dite « légale », diffusée sous la responsabilité de son auteur24». Ainsi contrairement à la publicité commerciale, qui est bien sûr facultative, la publication de la publicité légale est une obligation à la charge de son émetteur. Pour Alain SAYAG, la publicité légale « suppose une divulgation obligatoire, c'est même sa définition première25 ». Pascal BEDER poursuit sa définition en ajoutant que « Le concept de publicité légale est basé sur une information à haute valeur juridique » à ce stade on peut arguer que c'est cette « valeur » qui justifie le caractère obligatoire de la publicité légale. Alain SAYAG a une formule pertinente à ce sujet « par l'effet de l'obligation légale, l'information fait l'objet, dès le départ, d'une sorte d'expropriation d'utilité publique à la source26 ». En opposition à cette définition substantielle de la publicité légale proposée par Pascal BEDER (cet auteur définit la publicité légale en se basant sur les caractéristiques de son 21Pour la CNUDCI, le terme « sûretés réelles mobilières » « recouvre tout type de droit réel constitué sur un bien meuble en garantie de l'exécution d'une obligation. La notion de sûreté ne se limite pas aux mécanismes de sûreté traditionnellement reconnus par différents systèmes juridiques, tels que le gage, la sûreté ou l'hypothèque. Elle recouvre tout type de droit réel constitué à titre de garantie. À ce titre, elle comprend le transfert de biens meubles, corporels ou la cession de biens incorporels à titre de garantie, ainsi que la réserve de propriété d'un vendeur pour garantir le paiement du prix d'achat d'un bien ou le droit de propriété résiduel du bailleur dans le cadre d'un crédit-bail », « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », paragr. 13. 22Dominique LEGEAIS en exprimant le regret de l'absence fonctionnaliste des garanties au sein de la réforme de 2006, évoque le modèle du « security interest » américain. « Une forme d'hypothèque qui peut s'appliquer à tous les biens mobiliers ou immobiliers ». Un modèle qui selon lui « inspire les travaux de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) chargée de l'uniformisation des différents droits des sûretés », Dominique LEGEAIS, « Sûretés », op. cit., paragr. 46. 23Pascal BEDER, « Publicité légale », Rép. Soc., oct. 2016. paragr. 1. 24Ibid., paragr. 2. 25Alain SAYAG, « introduction », dans CREDA, « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », colloque du 1er mars 1994, actes consultables à http://www.creda.cci-paris-idf.fr/colloques/1994-information-legale-actes.html 26Ibid. contenu, en fonction de la forme de l'information publiée) il faut souligner le caractère fonctionnel de la définition d'Alain SAYAG qui s'intéresse davantage au rôle de ce mécanisme plus qu'aux caractéristiques de son contenu27. Pour lui, la publicité légale est un ensemble de règles « qui imposent à certaines personnes de communiquer au public une information selon une forme et un support déterminés. » Dès lors, on constate que la publicité légale est une notion polysémique qui peut faire référence au message lui-même, apprêter selon des exigences particulières d'informations des tiers ou faire référence au corps de règle qui détermine les modalités de cette exigence.
Or la question de la publicité est devenue prégnante dès la consécration des sûretés sans dépossession, car c'est l'arrivée de cette innovation juridique qui a introduit la problématique 27Ibid. 28Voir l'intervention d'Alain SAYAG lors du colloque « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », préc. 29Ibid. 30Ibid. 31A. BENADIBA, « La publicité des sûretés réelles au Québec : évolution ou mutation ? », Revue du notariat, Éditions Yvon Blais, 2014, volume 116, n° 3, p. 333 et s., l'auteur parle de publicité matérielle pour qualifier la pratique de la dépossession du constituant au sein d'un contrat de gage. La dépossession ne pouvant être qualifié d'« information dite « légale », diffusée sous la responsabilité de son auteur » le concept de « publicité matérielle » échappe au champ de la définition proposé par Pascal BEDER. à contrario l'exigence de dépossession au sein d'un gage en tant que méthode d'opposabilité peut tout à fait être interprété comme une « règle » qui impose la communication d'une information par une formalité particulière conformément à la définition de la publicité légale selon Alain SAYAG. Il s'agit bien d'une publicité en tant que méthode imposée visant à informer les tiers de l'existence potentielle de droit réel grevant un bien (soit une information à haute valeur juridique). Le tiers qui découvrira que le constituant n'exerce plus d'emprise matérielle sur le bien ne sera pas victime d'apparences trompeuses. des droits réels occultes. Quand on se penche sur la matière des sûretés en droit romain on remarque d'abord la fiducia cumcreditore un mécanisme caractérisé par son exigence ad validitatem de dépossession et de transfert de propriété. Plus tard, on remarque que les sûretés du droit romain ont évolué pour devenir de moins en moins contraignantes. Après la fiducia cumcreditor vint le pignus où seule la dépossession du bien grevé entre les mains du créancier garanti était nécessaire. Enfin, « les Romains ont conçu une variété de pignus sans dépossession qui allait progressivement se distinguer de celui-ci pour devenir l'hypothèque32 ». À ce stade, nous sommes à une période transitoire, l'ordre juridique romain par la création de la sûreté sans dépossession a découvert l'une des clés de ce que nous pourrions aujourd'hui nommer un régime efficace des opérations garanties. Toutefois malgré cette innovation juridique très en avance sur son temps il « faut observer que l'hypothèque n'était soumise à aucune mesure de publicité33». Nous avons une sûreté mobilière sans dépossession, il ne nous manque plus qu'un régime efficace pour en assurer la publicité. Hélas le moyen âge marque une sorte de recule avec la règle les « Meubles n'ont pas de suite par hypothèque » qui selon les interprétations34 établissait soit une restriction pure et simple de l'assiette de l'hypothèque aux seuls biens meubles, soit une atteinte grave à son efficacité en supprimant le droit de suite en matière mobilière. C'est ainsi que commence une longue période de sommeil pour le concept de sûretés réelles mobilières sans dépossession35 et la question de leurs publicités. Le 19e siècle ne permit aucun progrès sur ce point, le Code civil de 1804 « ne reconnaissait comme seule sûreté mobilière que le gage avec dépossession36». L'attente se prolongea et le réveil en droit moderne du potentiel d'une sûreté mobilière sans dépossession fut des plus timide37 au sein du droit hexagonal là où certains droits étrangers se montrèrent plus audacieux38. L'attente s'est finalement achevée en 2006. Année où l'on a pu s'amuser de la tendance de l'histoire à se répéter quand, quasiment deux millénaires plus tard, le législateur français a répété le geste des juristes romains en supprimant l'exigence de dépossession nécessaire à la constitution du contrat de gage. Cette comparaison donne un éclairage particulier à la vision du professeur LEGEAIS qui a écrit à la suite de cette réforme « le nouveau gage sans dépossession est assez proche par 32J. GAUDEMET et E. CHEVREAU, « Droit privé romain », 3e éd., 2009, Montchrestien, p. 299 (dans Christophe JUILLET, «Hypothèque», Répertoire de droit immobilier, Dalloz, mai 2019.), paragr. 18. 33Christophe JUILLET, «Hypothèque», op. cit., paragr. 19. 34« Dans les pays de droit écrit et les pays de coutumes de l'ouest de la France, la règle n'interdit pas l'hypothèque mobilière, mais la prive d'un droit de suite. Au contraire, dans les autres pays de coutumes et en particulier dans la coutume de Paris, la règle est comprise comme prohibant purement et simplement l'hypothèque mobilière. », Christophe JUILLET, «Hypothèque», préc., paragr. 23. 35La Loi du 9 messidor an III « consacre l'interprétation de la règle « Meubles n'ont pas de suite par hypothèque » qui était retenue par la Coutume de Paris. Autrement dit, l'hypothèque mobilière est purement et simplement interdite. », ibid. 36Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », International and Comparative Secured Transactions Law Essays in honour of Roderick A Macdonald, Spyridon V Bazinas and N Orkun Akseli, oct. 2017, p. 136. 37« Le législateur français choisit dans un premier temps de ne reconnaître que ponctuellement de telles sûretés sans dépossession, à travers des instruments spéciaux et dans des domaines très spécifiques. », Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », dans Spyridon V Bazinas, N Orkun Aksel, « International and Comparative Secured Transactions Law Essays in honour of Roderick A Macdonald », Hart publishing, oct. 2017, p. 137. 38Le législateur américain avait franchi le pas dès 1952 avec le Security Interest 10 du Livre 9 de l'Uniform Commercial Code (UCC Article 9), ibid. son régime de l'hypothèque39». Quoi de plus normal quand on considère que l'hypothèque, par la pensée des juristes romains, est originellement née grâce à une antique soustraction de l'exigence de dépossession à l'ancêtre du contrat de gage qu'était le Pignus40 ? 9. Histoire croisée de la publicité légale et de ses différents supports. Nous nous sommes tournés vers le passé, avançons à présent vers l'avenir. Quand on se demande comment communiquer au public une information utile juridiquement, il faut obligatoirement se poser la question de la technologie disponible à un instant T. Le moyen le plus rudimentaire que l'on puisse se figurer est l'oralité. Afin d'avertir les tiers, quoi de plus simple que la parole ritualisée et la coutume. À ce propos le professeur Alain SAYAG évoque l'avant 16e siècle où les « les publicités légales prenaient forme de cérémonial41 ». En guise d'exemple, il évoque la cérémonie de l'abandon des biens se déroulant traditionnellement sur les places publiques, mais on peut se figurer que ce genre de publicité ritualisé existe depuis l'aube des droits subjectifs. Évidemment, cette méthode de publicité emporte de nombreux inconvénients, outre son caractère contraignant qui exige un mode de vie en adéquation avec le rythme des cérémonies et une forte cohésion sociale, cette modalité d'information du public est soumise aux aléas de la mutation que subit toute information transmise par le bouche-à-oreille. Il s'agit donc d'une méthode de publicité nécessairement faillible. Enfin, on peut lui reprocher d'être attentatoire aux droits des personnes dans leur conception moderne. Dans un registre voisin, l'auteur précité évoque la publicité par les symboles avec « le bonnet vert du failli42 ». Nul doute qu'une telle pratique ne saurait correspondre aux standards actuels de la Cour européenne des droits de l'homme en Europe. Une tendance se dégage à l'aune de l'histoire du droit, plus l'écriture est une pratique accessible plus les systèmes juridiques on tendance à évoluer vers des annonces légales écrites. Le point culminant de cette mutation étant la démocratisation de l'imprimerie et l'essor des journaux d'annonces légales. Aujourd'hui, l'immense majorité de la publicité légale est transcrite et diffusée grâce à l'écriture alphabétique, mais est-ce réellement ce langage le dernier maillon de la chaîne de l'évolution des supports de la publicité légale ? Si l'on s'attache au raisonnement d'Antoine GARAPON et de Jean LASSÈGUE, il n'en serait rien. Dans leurs ouvrages « justice digitale43 », ils nous expliquent comment l'écriture alphabétique qui a pour objectif de figer la parole sur le papier est peu à peu supplantée dans bien des domaines par l'écriture numérique. Cette écriture étrangère à une grande majorité de la population semble être l'avenir de la publicité légale. La publicité via l'oralité a depuis longtemps acquis un caractère anecdotique. Le registre papier et les journaux d'annonce légale sont des modèles à bout de souffle. Le registre purement informatique est un pas qui aurait déjà dû être franchi. Enfin, l'avenir de la publicité légale doit être recherché du côté du langage numérique. Le développement d'une 39Dominique LEGEAIS, « Sûretés », op. cit., paragr. 47. 40« À l'époque romaine, il n'existait aucune restriction relative à l'assiette de l'hypothèque, laquelle pouvait indistinctement porter sur des meubles ou des immeubles, sur d'autres droits réels que la propriété et même sur les droits de créance. », Christophe JUILLET, « Hypothèque », op. cit., paragr. 19. 41Ibid. 42Ibid. 43À ce sujet, Antoine GARAPON et Jean LASSEGUE, « Justice digitale : révolution graphique et rupture anthropologique », Presses universitaires de France/Humensis, 11 avr. 2018. blockchain44 visant à perfectionner le registre du commerce et des sociétés marque cette nouvelle étape du développement des supports de la publicité légal. 10. Distinction entre deux efficacités subjectives de la publicité. Il est possible d'opérer une distinction entre publicité et opposabilité des droits réels. L'opposabilité est la conséquence de la publicité régulière des droits réels grevant des biens à titre de garantie, le défaut de publicité est la cause de l'inopposabilité de ces droits en tant que sanction incitative et protection des tiers. Nous avons déjà défini la publicité légale, définissons à présent la notion d'inopposabilité. Pour se faire, « il convient de tenir compte de la distinction entre opposabilité substantielle et opposabilité probatoire45». La convention de sûreté existe pour les parties comme pour les tiers, à titre probatoire elle est opposable erga omnes46. Cependant, quant à ses effets, faute de publicité régulière elle demeurera sans effets vis-à-vis de « tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts47». Ainsi un acte inopposable n'est pas remis en cause dans son existence, il faut juste considérer que certains tiers sont protégés de ses effets via le mécanisme de l'inopposabilité. Le jeu des distinctions se corse quand on évoque les formalités obligatoires de publicités et les méthodes d'opposabilité. Et pour cause, ces notions désignent les mêmes actes juridiques (dans la majorité des cas l'inscription sur un registre). Toutefois, elles ne visent pas le même point de vue. Via les formalités obligatoires de publicité, on fait peser une contrainte sur les créanciers garantis au profit de l'information des tiers. À l'inverse via les méthodes d'opposabilité les créanciers garantis donnent corps à leurs droits réels et les imposent au tiers dans le réel juridique. P. BEDER nous rappelle qu'outre son rôle informatif (du point de vue du tiers) les méthodes d'opposabilité sont autant de moyens probatoires coûteux, mais utile pour le créancier. Ainsi « Si un créancier désire être garanti, il se doit de déclarer l'objet de sa créance auprès d'un organisme doté du capital confiance nécessaire et suffisant afin d'être capable, en cas de litige, de faire attester juridiquement de la date et du contenu de la déclaration déposée48 ». On retrouve un sentiment de conflictualité. Les tiers ont tout intérêt à ce que les bénéficiaires des droits réels grevant des biens meubles à titre de garantie soient astreints à de lourdes et exhaustives formalités obligatoires de publicité au profit de leurs informations. À l'inverse, les créanciers garantis ont besoin et réclament des méthodes d'opposabilité simples et peu coûteuses limitées aux informations absolument nécessaires aux tiers et à la fourniture des preuves dont ils pourraient avoir besoin en cas de litige. Toutefois, bien que divergeant, ces intérêts ne sont pas inconciliables. Car nous ne sommes pas en présence d'un jeu à somme nulle où toute victoire d'une des parties serait une défaite et une soustraction aux intérêts de l'autre. Il est possible d'améliorer, de rationaliser le système de la publicité légale. 44Ce projet issu d'un partenariat entre la société IBM et les greffes de différents tribunaux de commerce a attiré notre attention, nous aurons prochainement l'occasion de développer notre analyse de cette initiative. 45Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires,LexisNexis, n° 27, paragr. 8. 46Quiconque peut se prévaloir de la convention comme une preuve ou un indice afin d'établir une vérité ou une situation juridique qui peut avoir des conséquences en droit. Guillaume ANSALONI donne cet exemple, « dans le cadre d'une action en revendication exercée contre le possesseur, le contrat de vente sera opposé par le revendiquant, non comme acte translatif de propriété, mais comme un élément de preuve de celle-ci », Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc. 47D. BASTIAN, « Essai d'une théorie générale de l'inopposabilité »,Sirey, 1929, p. 322 s., et spéc. p. 325, « le droit d'invoquer l'inopposabilité appartient à tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts et à eux seuls », (dans Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.). 48Pascal BEDER, « Publicité légale », préc., paragr. 131.
La conception de notre modèle de référence de la publicité idéale se fera en deux étapes. Nous rechercherons la quintessence de la publicité légale. En évoquant ses missions, sa vocation, ses limites et les prérequis juridiques ingrédient de son efficience nous distillerons la substance de la publicité efficace (PARTIE 1). Enfin pour maximiser la portée de nos efforts d'optimisation juridique nous ne négligerons pas la question matérielle et technologique. Le registre informatisé soutenu par une blockchain sera le creuset, le réceptacle, dont les propriétés entreront en synergie avec la publicité que nous choisirons de placer dans cet écrin (PARTIE 2). |
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