A- L'octroi des moyens à l'ANIF pour le traitement
des déclarations de soupçon
L'ANIF comme toute cellule de renseignement financier, est
l'agence centrale de réception des déclarations faites par les
assujetties. Comme l'a fait remarquer le GAFI, les informations reçues
par l'ANIF devraient, au minimum inclure des déclarations
d'opérations suspectes175. Cependant, plusieurs freins
viennent faire bloc à l'efficacité de l'ANIF dans son entreprise
légale de lutte contre le blanchiment ; il s'agit de l'insuffisance des
moyens matériels et humains à la disposition de l'agence et la
difficulté de mettre en oeuvre les pouvoirs qui lui sont reconnus.
Le dispositif CEMAC, depuis 2003, a fait obligation aux
États membres de créer des agences nationales, sauf que 10 ans
après leurs institutions176, certains États n'avaient
pas encore procédé à l'implémentation de leurs
ANIF. C'est par exemple le cas du Congo, qui a attendu jusqu'à 2008
avant de créer son ANIF, et son directeur a été
nommé en 2012. Bien que sa première évaluation a
été réalisé en 2015, celle-ci a besoin d'un temps
pour assurer sa bonne opérationnalité, car il a été
relevé des insuffisances lors de son évaluation.
L'insuffisance des moyens matériels et humains
caractérisant les Agences nationales ne leurs permettent pas de
déployer leurs activités ; ajoutées à cela les
ressources insuffisantes qui leurs sont allouées. Plus encore, certains
membres ont été affectés à des postes de
175 Normes internationale sur la lutte contre le blanchiment
des capitaux et la prolifération, note interprétative de la
recommandation n° 29, p.101.
176 Par le Règlement CEMAC de 2003.
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responsabilités dans l'administration de
l'État177 sans toutefois être remplacé, ce qui
réduit considérablement sa capacité
opérationnelle.178
L'ANIF Tchad, est dans un processus de renforcement de ses
capacités opérationnelles. Elle est sur une voie qui permet
« de penser qu'à brève échéance, elle
pourrait, entièrement satisfaire aux exigences de fonctionnement des
cellules de renseignement financiers »179. On peut
constater que seul les ANIF Cameroun et Gabon, semblent avoir atteint un
véritable niveau d'opérationnalité et sont membres du
groupe Egmont180. Toutefois, avec un effectif opérationnel de
10 personnes, il est nécessaire d'un renforcement des moyens humains
pour plus d'opérationnalité.
En effet, que ce soit l'ANIF Cameroun ou Gabon, elle est
composée, en plus de son directeur général, d'un effectif
de trois membres permanents et de neuf professionnels ; il s'agit de trois
chargés d'études, deux informaticiens, deux Secrétaires,
un chargé de la communication et un coursier. Avec ce nombre
réduit, il est possible que ces agences ne remplissent pas
véritablement les missions assignées au CRF, ce qui imputera sur
la mise en oeuvre de leurs pouvoirs reconnu en matière de lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cette insuffisance
des moyens matériels et humains peut justifier la difficulté de
l'ANIF de déployer les pouvoirs qui lui sont reconnus.
B- Le nécessaire octroi des pouvoirs absolus
à l'ANIF pour le traitement des déclarations de
soupçon
Il est important et nécessaire pour les CRF
d'être indépendant, tel qu'il est recommandé par le GAFI,
qui estime qu'elles « devraient opérationnellement être
indépendantes et autonomes, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir
la capacité d'exercer librement leur pouvoirs notamment de
décider en toute autonomie d'analyser, de demander de désaminer
des informations spécifiques »181.A l'analyse de
l'organisation et des pouvoir des CRF de la sous-
177 Il s'agit principalement de l'ANIF da la République
centrafricaine.
178 NGAPA (T.), Lutte contre le blanchiment d'argent dans
la sous-région de l'Afrique Centrale CEMAC : Analyse à la
lumière des normes et standards européens et internationaux, op.
cit., p. 310.
179 Il y ressort de la réunion plénière
des ANIF de la CEMAC tenue à Brazzaville au Congo le 19 novembre
2013.
180 Le Groupe Egmont est un forum International crée en
1995 à l'initiative de la CTIF (Belgique) et de la FinCEN (Etats-Unis)
qui réunit au niveau mondial les services chargés de recevoir et
de traiter les déclarations de soupçon de BC/FT.
181 GAFI, normes internationales sur la lutte contre le
blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et la
prolifération, les recommandations, du GAFI, février 2012, note
interprétative de la recommandation 29, points E (8, 9,19 et 11) et F
(12).
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région CEMAC, on peut rapidement se rendre compte
qu'elles ne respectent pas la recommandation du GAFI.
Il est incontestable, que l'ANIF, a reçu la mission de
lutter contre le blanchiment, et à cet effet a reçu
également le pouvoir d'enquête, de communication et d'opposition.
Il existe des entraves à la mise en oeuvre de ces pouvoirs, ces entraves
concernent son indépendance à son pouvoir de communication et
d'enquête. Dans la CEMAC, le sentiment est celui d'un déficit
d'indépendance des CRF, qui semble provenir de la nature même des
ANIF, qui les expose à l'influence des pouvoirs politique et le mode de
financement182.
L'ANIF est une CRF de type administratif qui relève du
Ministère en charge des Finances183. Cette tutelle du
ministère des finances est un signe du défaut
d'indépendance et de son contrôle direct par les autorités
politiques. Ainsi, certaines transactions suspectes peuvent être
laissées sans traitement pour des raisons partisanes184. Ceux
qui s'entêtent à effectuer ces opérations sont souvent
exposés à des représailles185.
La dépendance des ANIF aux pouvoirs politique, peut
entrainer son instrumentalisation. Les infractions en amont du
blanchiment186 s'accompagnent presque toujours de l'insertion des
sommes dans le circuit normal par l'acquisition des biens immobiliers ou
d'autres opérations il est donc inconcevable qu'on protège ces
criminels. L'affaire dite de « biens mal acquis
»187 en France, traduit le malaise que de nombreuses
autorités nationales africaines ont à s'attaquer à toute
forme de criminalité financière et économique,
réalisées dans les hautes sphères du pouvoir.
182 NGAPA (T.), Lutte contre le blanchiment d'argent dans
la sous-région de l'Afrique Centrale CEMAC : Analyse à la
lumière des normes t standards européens et internationaux, op.
cit., p. 312.
183 Cf. art. 65 du Règlement CEMAC de 2016. Elle est
dotée de l'autonomie financière et d'un pouvoir de
décision autonome sur les matières relevant de sa
compétence.
184 Le blanchiment des capitaux en zone CEMAC est souvent
lié à la corruption des hommes politiques et aux
détournements de derniers publics. Il est donc difficile d'arriver
à une lutte efficace car ceux qui sont sensé la mener sont
souvent les utilisateurs des techniques.
185 C'est le cas d'un fait divers qui a agité le Tchad
à la fin des années 2012. Le directeur de l'ANIF du Tchad, Mr
Idriss ANNOUR, a été rétrogradé du grade de
contrôleur général de la police (équivalent à
celui de général dans l'armé), à un grade
équivalent de soldat. Les raisons semble-t-il pour s'être
attaqué à un vaste réseau de blanchiment de capitaux et de
criminalité économique et financier piloté par certaines
autorités du pouvoir central Tchadien. Son engagement pour la lutte
contre la criminalité lui aurait valu une tentative d'assassinat.
Informations relayées par le presse Tchadienne, également sur le
site https://www.tchadactuel.com/ le 22 novembre 2012 ; également
cité par NGAPA (T.), ibidem.
186 Il peut s'agir de la corruption, du trafic de
stupéfiant de la contrebande.
187 Voir CUTAJAR (C.), « Affaire « des biens mal
acquis », un arrêt qui ne clôt pas le débat »
-Note sous arrêt, JCP G 2009, 563. Cette affaire trouve son origine en
2007 à la suite des plaintes déposées par les ONG Sherpa
et transparency international, pour détournement de fonds contre
plusieurs chef d'Etat parmi lesquels celui du Gabon, du Congo et de la
Guinée équatoriale ; CA Paris, pôle 7, 2e
Ch.instr. , 29 oct.2009, Assoc .Transparence Internationale France : Juris Data
n°2009-014809.
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Il sera peut-être préférable que l'ANIF
soit un organisme de type financier, ceci peut garantir son efficacité,
et le prémunir de l'ingérence du pouvoir politique, ce qui rendra
rapide les mesures de contrainte. Il est donc important que l'ANIF soit un
organisme à la fois de type administratif et judiciaire pour assurer sa
pleine efficacité.
Pour assurer l'autonomie de l'ANIF il serait nécessaire
que son mode de financement ne soit pas tributaire d'une quelconque
autorité car c'est un gage de son indépendance. Il ressort de la
recommandation n° 29 du GAFI, que « la CRF devrait être
dotée de ressources financières, humaine et technique
satisfaisante, de manière à garantir son autonomie et son
indépendance et à lui permettre d'exercer efficacement son mandat
»188. Sauf que, le financement des ANIF par les
États n'est pas toujours assuré. Ceci peut être
présumé par la difficulté de la trésorerie de
l'État membre189 ou l'absence de volonté politique.
Il est donc nécessaire pour l'efficacité dans le
traitement des déclarations, que l'ANIF ait des pouvoirs et une
autonomie certaine, aussi des moyens humains, matériels et financiers ce
qui sera gage de son indépendance.
Section2 : L'implémentation des sanctions par
les organes de lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur
immobilier
L'inexécution des opérations préventives
par les professionnels assujettis, les expose à la mise en oeuvre de
leur responsabilité. Ce pan du régime des obligations
préventives permet de rendre compte de son efficacité. La mise en
oeuvre de la responsabilité permet de s'intéresser aux cas de
défaillances dans la mise en oeuvre des procédures internes ou de
manquement aux obligations déclaratives par les professionnels
assujettis. La responsabilité des agents immobiliers est engagée
dès lors qu'ils n'ont pas satisfait à leurs obligations de
vigilance et de déclaration (Paragraphe1). Il est aussi opportun pour
rendre le dispositif crédible et décourager les criminels, de
prévoir des sanctions à la hauteur de leur crime (Paragraphe
2).
188 Recommandation du GAFI février 2012, note
interprétative de la recommandation n° 29 point 10.
189 On peut voir le cas de la République
centrafricaine, dont la situation politique et militaire impacte gravement le
niveau économique du pays.
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