INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
L'un des effets pervers de la mondialisation aujourd'hui est
l'ouverture des frontières1, qui permet la circulation facile
du capital2 issu de diverses activités même celles
menées dans l'illégalité. En effet, les différentes
activités criminelles telles la prostitution, la contrebande, le trafic
de drogues génèrent d'énormes profits. Ces sommes acquises
illégalement sont légitimées par les délinquants
grâce au blanchiment des capitaux. L'individu ou le groupe
impliqué doit trouver un moyen pour justifier l'origine de ces fonds
sans éveiller des soupçons sur l'activité criminelle qui
en est l'origine. C'est la raison pour laquelle, les criminels s'emploient
à masquer la provenance frauduleuse de ces fonds en recourant à
des investissements nationaux et internationaux pour restituer aux instruments
financiers illégalement acquis une respectabilité, leur donnant
ainsi l'accès à des activités de tous
ordres3.
Par essence, les faits de blanchiment se situent dans le
sillage de la commission d'une infraction en amont. Ils consistent
cumulativement en la justification mensongère de l'origine des biens,
des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit profitable, mais aussi
au placement, en la conversion et à la dissimulation des produits d'un
crime ou d'un délit.
Selon les théoriciens, les opérations de
blanchiment se font généralement en trois phases à savoir
: le prélavage encore appelé placement4 qui consiste
pour les criminels à fractionner l'argent illicite de façon
à l'intégrer facilement dans le circuit financier normal ; le
brassage ou dispersion5consistant pour le criminel à
brouiller les pistes par les transactions financières complexes afin de
légitimer la possession ; l'essorage encore appelé recyclage ou
intégration c'est la phase où l'argent a déjà
acquis l'honorabilité recherchée par le criminel, ainsi les
investissements peuvent commencer. C'est généralement dans cette
dernière phase qu'intervient l'acquisition des biens immobiliers. En
fait, depuis belle lurette l'immobilier est considéré comme un
secteur de prédilection des délinquants pour dissimuler ou
transférer les revenus licites6. Ils préfèrent
effectuer des placements dans des valeurs non ou peu soumises
1 Libre circulation de biens, des personnes et des
services.
2 Capital : Fonds, somme d'argent destinés aux
placements et investissements ; quantité considérable
d'argent.
3 BERR (C. J.), « Blanchiment de capitaux et
financement du terrorisme », Répertoire de droit
commercial, 2010, p. 4.
4 Le placement consiste par ailleurs à
placer l'argent liquide sous un compte bancaire, en masquant son origine
frauduleuse, c'est une phase vulnérable pour le criminel.
5 A été qualifié de
dissimulation le fait de contracter un faux contrat pour l'achat d'un bien
immobilier, les échéances du contrat de prêt étant
prises en compte par l'argent blanchi V. Crim.10oct. 2007 n° 06-84.632,
inédit.
6 Rapport de l'OCDE, du 20 février 2009, sur
les risques de fraude fiscale et de blanchiment de capitaux dans le secteur
immobilier cité par GROSS (S.), Les intermédiaires de
l'immobilier face au blanchiment et à la fraude
3
aux aléas du marché. L'immobilier permet de
blanchir de grosses sommes d'argent, car s'agissant d'investissement à
forte rentabilité7. Le secteur immobilier sert ainsi de cadre
à de nombreuses pratiques frauduleuses ou opérations
financières illicites ; il reste un investissement de choix des
fraudeurs.
Depuis plus d'une décennie, le phénomène
du blanchiment des capitaux fait l'objet d'une mobilisation de la
communauté internationale. Face aux conséquences
désastreuses qu'entrainent les activités des organisations
criminelles sur les économies nationales8 et
transnationales9, la lutte contre le blanchiment de capitaux est
apparue comme une nécessité pressante. La stratégie
adoptée à cet égard a été globale en raison
du caractère transnational de ces activités illicites, car toute
stratégie qui se limiterait à la sphère nationale serait
inéluctablement vouée à l'échec10. C'est
ainsi que les États de la sous-région d'Afrique
Centrale11 se sont engagés depuis le début des
années 2000, en adoptant un cadre institutionnel et normatif
anti-blanchiment à vocation à se hisser au niveau des standards
européens et internationaux.
Ces États ont procédé12
à la création d'un Groupe d'Action contre le Blanchiment d'Argent
en Afrique Centrale (GABAC) et par la suite ont adopté plusieurs
Règlements13. Le plus récent est le Règlement
N° 01/CEMAC/UMAC/CM du 11 Avril 2016 portant prévention et
répression du blanchiment de capitaux et financement du terrorisme et la
Prolifération en Afrique Centrale. Ces Règlements adoptés
dans le cadre de l'harmonisation des moyens de lutte contre la
criminalité organisée s'imposent à une certaine
catégorie d'acteurs
fiscale, mémoire de licence professionnel
« Investigations judiciaires en matière de délinquance
économique et financière », Université de Strasbourg,
Ecole de Management Robert Schuman, Juin 2010.
7 GROSS (S.), Les intermédiaires de
l'immobilier face au blanchiment et à la fraude fiscale, op. cit.,
p.12.
8 Le blanchiment est un choc pour l'économie
d'un pays. Les effets sont particulièrement sensibles quand le secteur
financier du pays concerné est assez modeste, comme en témoigne
l'affaire Stanford dans laquelle une fraude organisée depuis les
Etats-Unis a bouleversé une petite économie insulaire.
9 Il est indéniable que les activités
criminelles, difficiles à mesurer, faussent les statistiques
économiques disponibles et empêchent tout diagnostic
précoce d'une crise en germe. L'argent sale présente un risque
pour le fonctionnement efficient des marchés, car sa circulation se fait
en dehors de toute logique économique.
10 NGUIFFEU TAJOUO (E. L), La lutte contre la
criminalité financière en zone CEMAC, Etudes à la
lumière du modèle européen, EUE 2011, p. 8.
11 La CEMAC est constituée de six Etats : le
Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la
République Centrafricaine et le Tchad.
12À travers l'Acte Additionnel n° 09/00/CEMAC-06/CCE
du 14 décembre 2000.
13Le Règlement du 02 Octobre 2010 portant
révision du Règlement n°01/CEMAC/UMAC/CM du 04 Avril 2003
portant prévention et répression du blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme en Afrique centrale.
4
économiques tels les Entreprises et Professions Non
Financières Désignées dont les agents immobiliers et les
agents de location14 sont des espèces.
L'article 6 du Règlement de 2016 au titre des personnes
assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme et de la prolifération, prescrit que les
dispositions du Règlement, sont applicables à toute personne
physique ou morale qui, dans le cadre de sa profession, réalise,
contrôle ou conseille des opérations entrainant des
dépôts, des échanges, des placements, des conversions ou
tous autres mouvements de capitaux. Ces personnes assujetties sont la BEAC, les
institutions financières, les changeurs manuels, les agents immobiliers,
y compris les agents de location15, les opérateurs de ventes
volontaires de meubles aux enchères publiques, les agents sportifs
(...). Des dispositions de l'article 8 du Règlement
N°01/CEMAC/UMAC/CM du 11 Avril 2016 portant prévention et
répression du blanchiment et la prolifération en Afrique, le
blanchiment des capitaux désigne la dissimulation ou le
déguisement de la nature, de l'origine, de l'emplacement, la disposition
du mouvement ou la portée des biens provenant d'un crime. La
dissimulation de la nature des capitaux peut se faire via les investissements
immobiliers, secteur dans lequel interviennent des agents facilitant les
transactions.
Selon le Vocabulaire juridique publié sous la
direction de GERARD CORNU16, l'agent immobilier,
est un agent d'affaire qui intervient habituellement comme intermédiaire
dans les opérations portant sur les biens immobiliers. Une autre
définition est donnée par la loi camerounaise N°2001/020 du
18 Décembre 2001 portant organisation de la profession d'agent
immobilier qui définit l'agent immobilier comme toute «
personne physique ou morale qui accomplit des opérations
immobilières17 et en fait sa profession habituelle
».
La définition prévue par la loi N° 006/2017
portant règlementation de la profession d'agent immobilier en
République Gabonaise nous parait plus claire et contient toutes les
attributions de l'agent. L'agent immobilier y est définit comme
« toute personne physique ou morale qui accomplit, en vertu d'un
mandat et moyennant une rémunération, des prestations
14 Assujettis prévus aux articles 6 et 7 du
Règlement CEMAC de 2016.
15 Alinéa 7 de l'article 6 du Règlement
CEMAC de 2016.
16 CORNU (G.), Vocabulaire juridique,
Association Henri Capitant, 11e édition mise à jour, PUF,
p.46.
17 Selon la loi camerounaise organisant la
profession d'agent immobilier, les opérations immobilières
prévu en son article 3 consistent en -l'achat, la vente, la location ou
la sous-location en nu ou en meublé d'immeubles bâtis ou non
bâtis ; - l'achat, la vente, la location ou la sous-location de fonds de
commerce ; - la souscription, l'achat, la vente d'actions ou de part de
sociétés immobilières donnant vocation à
l'attribution des locaux en jouissance ou en propriété, - la
vente ou l'achat de parts sociales non négociables, lorsque l'actif
social comprend un immeuble ou un fonds de commerce ; - la gestion
immobilière.
5
de service à caractère commercial en
matière d'intermédiation dans le domaine des transactions et de
la gestion immobilières pour le compte ou au profit des tiers
propriétaires »18. L'agent immobilier peut
être un agent commercial, un mandataire, un travailleur en agence ou
exerçant individuellement mais il agit pour le compte d'un tiers.
En ce qui concerne l'aptitude professionnelle, l'article 5 du
décret camerounais de 2007 fait état du diplôme requis pour
les agents immobiliers. Ainsi pour ce qui est de l'aptitude professionnelle des
personnes morales, les lois des États de la CEMAC prévoient que,
toutes celles qui remplissent des conditions d'exercice de la profession de
commerçant doivent en outre employer des personnes physiques ayant
l'aptitude professionnelle requise et remplissant les conditions d'exercice de
la profession19. Ce qui revient à dire que les personnes
qu'emploient les agences immobilières doivent avoir la même
aptitude professionnelle que les agents immobiliers. Il serait même
judicieux qu'elles soient des agents immobiliers.
L'agent immobilier est un agent d'affaire (agissant le plus
souvent en qualité de courtier) dont l'activité habituelle et
rémunérée est de gérer les affaires d'autrui et
s'entremettre dans les transactions commerciales ou foncières qu'il
s'agisse d'une location, vente ou échange d'habitation ou de locaux de
tous genres. Aux yeux de la loi, il s'agit des professionnels
représentant soit le propriétaire, soit le locataire ou
l'acheteur lors de la négociation d'un acte portant sur un bien
immobilier.
Il faut souligner avec les lois QUILLOT de 1970 et MERMAZ du 6
juillet 1989 en France que le marché de l'immobilier couvre en
réalité non seulement le secteur locatif, mais aussi le secteur
d'accession à la propriété20. Dit autrement, il
existe une branche Transaction consistant en la vente et la location des biens
immobiliers, et la branche de Gestion locative consistant en la gestion des
biens ayant fait l'objet de location. Nous nous intéresserons à
ces deux branches, car elles sont ouvertes aux opérations de blanchiment
des capitaux.
L'activité d'agent immobilier qui se résume pour
l'essentiel à la négociation pour le compte de ses clients des
contrats de location ou de vente d'immeuble (faisant l'objet d'une juste
rémunération) donne lieu à la conclusion d'une convention
d'entremisse encore appelé
18 Cf. art 6 de la loi Gabonaise de 2017.
19 L'exercice de la profession d'agent au Cameroun est
subordonné aux termes de l'article 6 de la loi de 2001 et son
décret d'application de 2007, à l'inscription au Registre des
agents immobiliers et la délivrance d'une carte professionnelle par le
ministre en charge de l'habitat. Ces mêmes conditions et plus sont
posées à l'article 9 de la loi Gabonaise n° 006/20167 du 09
août 2017.
20 BOMBA (D. T.) « Le statut juridique de
l'agent immobilier au Cameroun » in « Droit et politique de
l'immobilier en Afrique : exemple du Cameroun », Mélange en
l'honneur du Pr André TIENTCHOU NJIAKO, PUA, p. 76.
6
mandat par la loi21; ces agents immobiliers pouvant
déléguer tout ou partie de leur mandat à des
négociateurs en immobilier22, mandataires
immobiliers23, ou à l'agent commercial en
immobilier24 salariés ou juridiquement indépendants.
Ces derniers sont tenus de faire remonter toutes les informations utiles
à l'agent immobilier, ce dernier étant seul tenu des obligations
en matière de lutte contre le blanchiment.
La législation communautaire anti-blanchiment
inspirée des normes internationales, elles-mêmes inspirées
des recommandations du GAFI25, part de l'idée que le
blanchiment de capitaux est souvent favorisé par la coopération
de certains professionnels, lesquels, sans pouvoir être accusés
ouvertement de complicité, sont en revanche coupables de
négligence, de laxisme caractérisé. Il convient donc de
les associer à la détection, à la prévention, et le
cas échéant, à la répression des agissements
frauduleux auxquels ils ont été mêlés. C'est ainsi
que le Règlement CEMAC a prévu des obligations anti-blanchiment
à l'égard des agents immobiliers, sauf que ces obligations pour
certaines s'opposent aux obligations prévues par les textes nationaux
organisant la profession d'agent immobilier qui ignorent la
réalité du blanchiment de capitaux car obsolètes et par
conséquent n'astreignent pas les agents immobiliers à lutte
contre ce phénomène. En effet, le Règlement pose le
principe de l'intervention des agents immobiliers dans la lutte contre le
blanchiment, pourtant l'organisation de la profession qui relève des
États membres est subordonnée aux textes nationaux qui ne
prennent pas en compte la lutte contre le blanchiment dans leurs dispositions.
Se soulève ainsi la question de la cohérence et l'harmonie des
textes. Les textes nationaux ignorent le phénomène de blanchiment
qui a une assise dans le secteur immobilier, cette assise qui passe
inéluctablement par les agents immobiliers. Par ailleurs, ces textes
nationaux n'ayant pas pris en compte la réalité du blanchiment
sont en déphasage avec le Règlement de 2016.
Face à ces difficultés et ces contradictions
dans les règlementations, la solution la plus plausible pour une
harmonisation des textes communautaires et nationaux est la solution
21 CALAIS-AULOY (J.), et STEINMETZ (F.), Droit de
la consommation, 6ème éd., Dalloz,2003, n°
387, p. 421.
22 C'est un intermédiaire entre les
acheteurs et les vendeurs des biens immobiliers, il met en rapport vendeurs et
acheteurs des biens immobiliers. Le négociateur n'est pas un agent
immobilier il est le mandataire de celui-ci.
23 Le mandataire immobilier est un professionnel qui
agit sous le contrôle et l'appui d'un agent immobilier.
24 C'est toute personne physique qui s'enregistre
au RCCM en tant qu'entrepreneur individuel ou autoentrepreneur et qui est
lié à un agent immobilier ou une agence immobilière par un
contrat d'intermédiation. Son rôle se résulte à la
partie commerciale de l'opération c'est à dire prospecter et
rentrer les biens en portefeuille. Son mandat se limite à l'offre
d'achat.
25 GAFI : Groupe d'Action Financière
International, il émet des recommandations, comme leurs noms l'indique
n'ayant pas force obligatoire, mais obligatoire pour les États dans la
politique de lutte de les appliquer.
7
juridique qui consacre la primauté du droit
communautaire sur les textes nationaux, et donc l'application immédiate
du texte communautaire, ce qui revient à dire que les agents immobiliers
dans l'exercice normale de leurs activités doivent lutter contre le
blanchiment en dénonçant tout agissement de ses clients tombant
sous le coup du Règlement de 2016.
Dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, l'agent
immobilier n'est pas un organe de poursuite, son intervention se limite
principalement dans la phase de la prévention, puisque dans la phase de
la répression il sera poursuivi soit en complicité soit
même comme auteur principal du blanchiment. Il n'est non plus un acteur
dans la répression car elle relève des autorités
d'enquête et de poursuite. Les agents immobiliers n'intervenant que dans
la phase de la prévention, on peut utilement s'interroger sur
l'efficacité de leur intervention. Le problème que soulève
le sujet soumis pour analyse est celui de l'efficacité du dispositif
assujettissant les agents immobiliers à lutter contre le blanchiment de
capitaux en Afrique Centrale.
En effet, tel que le Règlement est structuré et
ses règles posées, lorsque ces règles sont mises en
ensemble avec l'organisation juridique de la profession d'agent immobilier,
peut-on espérer une contribution efficace des agents immobiliers dans la
lutte contre le blanchiment des capitaux ? Autrement dit, les dispositions du
Règlement CEMAC permettent-elles une lutte efficace contre le
blanchiment des capitaux dans le secteur immobilier ?
Pour conjuguer les contradictions textuelles afin de permettre
une lutte efficace, le législateur communautaire peut aborder la lutte
dans le secteur immobilier de manière particulière
c'est-à-dire en tenant compte des réalités du secteur
d'activité. Ainsi notre étude nous permettra de relever les
difficultés observables dans les textes règlementant
l'activité de l'agent immobilier qui ne permettent pas sur le pan de la
lutte contre le blanchiment de se concilier ou d'être d'une
utilité pour les dispositions de lutte contre le blanchiment. Aussi,
elle se basera sur les standards européens en faisant recours aux
recommandations du GAFI.
Pour apporter des solutions à la participation efficace
des agents immobiliers à la lutte contre le blanchiment de capitaux,
trois méthodes seront utilisées : D'abord la méthode
juridique dans ses composantes qui sont l'exégèse, puisqu'il est
de tradition, lorsqu'on s'intéresse à un phénomène
juridique codifié, de dépouiller les textes s'y
référant. On fera ainsi appel aux règlements, lois
nationales et textes communautaires ; et la casuistique qui consiste en une
analyse sur les cas de blanchiment dans le secteur immobilier. Ensuite, la
méthode de droit comparé qui consistera à comprendre et
mieux traiter le sujet par le recours aux autres systèmes normatifs en
la matière. Enfin, la méthode de l'analyse économique qui
fera relever
8
la participation ou non des agences immobilières dans
la lutte contre la criminalité organisée. Outre ces
méthodes, la technique documentaire sera utilisée.
La lutte contre le blanchiment de capitaux par le truchement
des agents immobiliers sera efficiente si par exemple un véritable cadre
normatif est mis en place, en tenant compte de tous les facteurs sociaux,
économiques, juridiques, et politiques d'exercice de la profession ;
aussi le législateur communautaire doit prendre des mesures permettant
aux États membres d'inclure dans leurs systèmes normatifs
nationaux, des dispositions, allant dans ce sens surtout concernant le secteur
d'activité visé. Aussi il peut assujettir les notaires, les
courtiers à lutter contre le blanchiment, car leur rôle n'est pas
de moindre dans les transactions portant sur les immeubles.
En outre, opacité, vétusté et
inadaptabilité du cadre juridique de lutte contre le blanchiment qui
caractérisent les textes nationaux organisant la profession et les
dispositions communautaires en la matière, permettent dans
l'étude de ce sujet à emprunter la méthode du GAFI. Les
États de la CEMAC ont pensé à l'adoption des dispositions
basées sur les risques26 sauf que cette approche que
préconise les recommandations du GAFI27 n'est pas
effectivement considérée.
Le Règlement CEMAC impose aux agents immobiliers
d'alerter spontanément les autorités responsables de poursuite
lorsqu'ils ont découvert des agissements susceptibles de tomber sous le
coup de loi anti-blanchiment. Ainsi l'efficacité du Règlement
peut s'apprécier par l'assujettissement des agents immobiliers à
la prévention du blanchiment à travers les obligations de
vigilance (PREMIÈRE PARTIE) et l'obligation de déclaration de
soupçon (SECONDE PARTIE).
26 L'approche par les risques recommande de renforcer
les obligations dans les situations de risques plus élevés,
d'adopter une approche plus ciblée dans les domaines présentant
des risques élevés et dans les domaines où la mise en
oeuvre pourrait être renforcée ; et les dispositions communautaire
anti-blanchiment à l'heure actuelle en plus d'être
général prennent plus en compte les réalités du
secteur bancaire.
27 GAFI groupe d'action financière
internationale, Recommandations GAFI, février 2012, p. 8.
9
PARTIE I : L'ASSUJETTISEMENT JUSTIFIÉ DES
AGENTS IMMOBILIERS AUX OBLIGATIONS DE VIGILANCE DE LUTTE CONTRE LE
BLANCHIMENT DE CAPITAUX
10
L'assujettissement peut être entendu comme la
contrainte, l'obligation de faire quelque chose. Ainsi les agents immobiliers
sont contraints à travers les obligations mises à leurs charges
à lutter contre le blanchiment d'argent. La lutte peut se définir
comme le fait d'agir pour vaincre, pour éradiquer un
phénomène considéré comme nuisance. Les agents
immobiliers sont obligés de participer à lutter contre le
blanchiment de capitaux qui est devenu une menace réelle pour
l'économie mondiale28. Le blanchiment de capitaux constitue
une atteinte à la sécurité des transactions dont les
agissements visent la justification de l'origine mensongère des biens ou
revenus de l'auteur d'un crime.
Si le recours aux experts d'un domaine permet une
sécurité transactionnelle, il est ainsi conseillé avant de
faire toute transaction immobilière de passer par les experts de
l'immobilier ; c'est un moyen pratique mais surtout sécurisé
pouvant aboutir à des prestations à la hauteur des attentes des
demandeurs, et surtout une prise en charge professionnelle du bien immobilier.
Ceci rejoint l'idée du Doyen CARBONNIER lorsqu'il affirmait : «
La terre n'est pas un bien comme les autres (...) Son aliénation est
moins libre, sa vente ne peut être affaire courante entre deux individus
»29. Donc la présence d'un professionnel est
importante pour juguler certaines difficultés. C'est ainsi que le
législateur a estimé que le professionnel de l'immobilier pouvait
lui aussi être associé à l'éradication du
phénomène de blanchiment qui depuis peu converge vers son domaine
d'activité et interpelle les autorités en charge de la lutte.
Ces professionnels, en plus des obligations qui sont les leurs
dans l'exercice de leurs activités, ont aussi l'obligation de participer
à faire face au blanchiment tel que prévu par le
législateur communautaire. De ce fait, ils sont tenus des obligations
préventives par la détection du blanchiment à travers la
vigilance et la déclaration des opérations à laquelle la
législation communautaire leurs a assujettis.
Le législateur communautaire a, depuis
200330 à travers le Règlement adopté,
estimé que les agents immobiliers doivent contribuer à vaincre le
phénomène de blanchiment qui est
28 D'après de récentes estimations de
l'ONU, les produits d'activités criminelles blanchis chaque année
représente entre 2 et 5% du PIB mondial.
29 CARBONNIER, Flexible droit, pour une
sociologie du droit sans risque (le droit de propriété
depuis 1914), LGDJ., 9e éd. 1998.
30 Il s'agit du Règlement n°
01/03/CEMAC/UMAC/CM/ portant prévention et répression du
blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique
Centrale.
11
comme un cancer pour l'économie et pour emboiter le pas
à KONAN BANNY, « le blanchiment est pour le système
financier ce que le SIDA est pour la société
»31.
Les agents immobiliers acteurs de la prévention, leur
rôle dans la lutte se concentre à prévenir la
réalisation des opérations de blanchiment, ils doivent alors
faire preuve de promptitude à déceler et éradiquer ce
phénomène et ceci devra se faire à travers la vigilance
qu'ils feront montre dans l'exercice de leurs métiers. En amont des
mesures d'éradication du blanchiment, il existe des mesures pour le
prévenir, c'est dès lors en cas d'échec de ces mesures
préventives que seront mise en oeuvre les mesures curatives.
Afin de rendre la lutte contre le blanchiment de capitaux dans
le secteur immobilier efficace le législateur CEMAC a astreint les
agents immobiliers aux obligations préventives à savoir
l'obligation de vigilance qui consiste en la recherche des informations sur
l'identité des clients avec qui la relation d'affaire sera
établie (chapitre1). Néanmoins la mise en oeuvre de cette
obligation contient des imperfections qui appellent à des corrections
(chapitre2).
31 KONAN BANNY (Ch.), Gouverneur de la Banque centrale
des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), propos tenu lors du sommet
des gouverneurs des Banques Africaines tenu à Yaoundé les 29 et
30 Juillet 2004, in TCHUENKAM (B.), « Contre le blanchiment et pour
l'intégration monétaire », paru dans le financier
d'Afrique, n° 08, août/ sept 2004.
12
CHAPITRE I : LA NÉCESSITÉ DE LA VIGILANCE
Á L'ÉGARD DE LA CLIENTÈLE
En matière de détection du blanchiment, les
agents immobiliers sont astreints à la vigilance dans les
opérations. La vigilance consiste à exécuter une
tâche avec diligence, avec attention. Ainsi, les agents immobiliers sont
tenus à l'obligation de diligence afin de détecter si dans une
relation d'affaire il existe des indices pouvant laisser croire que
l'opération consiste au blanchiment de capitaux.
La vigilance en matière de lutte contre le blanchiment,
consiste pour l'agent immobilier à recueillir des informations sur le
client avec lequel il établira la relation d'affaire ; et cette
vigilance s'étend à la nature de la relation d'affaire qui
s'établira ; par ailleurs le professionnel est tenu à cette
vigilance même au cours de la relation, ainsi s'il existe des indices de
blanchiment, l'agent immobilier selon les cas et sous certaines conditions
pourra mettre un terme à la relation d'affaire en cours, et si celle si
, n'avait pas été conclu, pourra simplement refuser la
transaction.
Face à certain client, le professionnel doit renforcer
les mesures de vigilance générales, cela l'est également
face à certaines transactions présentant des indices de
dissimulation d'un fait par exemple lorsque le bénéficiaire
réel de l'opération n'est pas celui qui entame la relation. Il
existe des dispositions pour gérer les situations des clients et des
opérations présentant de risques. Par ailleurs, les
professionnels sont tenus de conserver toutes les informations sur leurs
clients ainsi que les informations concernant les transactions passées,
ceci pour des éventuelles investigations ultérieures.
En matière de vigilance financière les agents
immobiliers sont assujettis à une vigilance générale ou
ordinaire (Section 1), commune sauf que cette vigilance s'intensifie en
fonction de la nature de la relation d'affaire et du statut du client
impliqué dans la relation d'affaire (Section 2).
Section 1 : Le contenu de l'obligation de vigilance
générale
La vigilance générale consiste en une diligence
commune que devra faire montre le professionnel de l'immobilier face à
toutes relations d'affaire avec la clientèle. Le dispositif
communautaire consacre au chapitre de la vigilance générale,
l'obligation de connaissance de
13
la clientèle à travers son identification par
les pièces qu'il doit fournir et l'obligation de conservation des
informations recueillies (Paragraphe 2).
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