P2 : LES RISQUES INHERENTS AU MOBILE MONEY
Le Mobile Money, est l'un des nouveaux moyens de paiement qui
a récemment fait son apparition dans le système bancaire de la
zone CEMAC. Parti du KENYA avec le service M-PESA offert par l'opérateur
de téléphonie mobile SAFRARICOM, ce nouveau moyen de paiement est
considéré comme une innovation africaine dans la finance
mondiale.
Définie comme une valeur monétaire
représentée sous la forme électronique et stocké
dans la mémoire d'un téléphone ou d'un
ordinateur. Le mobile money est une activité encadrée
dans la zone CEMAC, à travers le Règlement n°
01/11-CEMAC/UMAC/CM du 18 septembre 2011, fixant les conditions
d'exercice de l'activité d'émission de monnaie
électronique, ainsi que les rôles des autorités de
régulation et l'Instruction n° 01_GR du 31 octobre 2011 du
Gouverneur de la BEAC, relative à la surveillance des
systèmes de paiement par monnaie électronique.
Principalement utilisé au Cameroun, l'activité
du mobile money a conquis peu à peu conquis la CEMAC, au point
d'être aujourd'hui, le principal instrument de paiement par monnaie
électronique utilisé dans la sous-région.
En effet, une étude menée en 2017 par la
BEAC38, sur l'état de l'utilisation de la monnaie
électronique en Afrique centrale, relève que 95% de la monnaie
électronique en circulation en Afrique Centrale passe par le mobile
money. Par ailleurs, on note également une augmentation des transactions
aussi
38 État des systèmes de paiement par
monnaie électronique dans la Cemac Janvier - Septembre 2017.
Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi
Stéphane 40 | P a g e
Thème : La modernisation des moyens de paiement et le
dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le
financement du terrorisme en zone CEMAC
bien en nombre (passant de 97 836 317 en 2016,
à 203 283 736 de Janvier à Septembre 2017) qu'en
valeur (1 631 milliards de F CFA en 2016 à 3 160 milliards
au 30 septembre 2017).
Ce nouvel instrument de paiement, bien que contribuant
grandement à l'inclusion financière en Afrique
Centrale39, peut-être facteur de plusieurs risques,
constituant ainsi des défaillances pour le dispositif communautaire de
lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Ces
risques sont de divers ordres et détaillés ci-après :
? Le Risque inhérent à la
Concurrence entre les différents opérateurs du secteur
: En effet, le Mobile Money est devenu une activité
à fort potentiel de croissance qui attire divers opérateurs,
institutions bancaires et même des agents de distribution qui veulent
profiter de ce succès commercial. A cet effet, la Concurrence qui en
découle, entraine une course à l'innovation et au
développement de nouveaux en direction de la Clientèle,
destiné à s'arroger toujours plus une part importante du
marché, mais ne tenant pas forcément compte de la
règlementation y afférent en matière de
sécurité et particulièrement de celle relative à la
lutte anti-blanchiment.
Au Cameroun par exemple, la concurrence qui a lieu entre les
trois principaux réseaux de distribution du Mobile Money entraine la
naissance effrénée de nouveaux produits, certes favorables pour
le développement du secteur, mais qui sont porteur de risque de
blanchiment de capitaux et de Financement du Terrorisme. C'est le cas par
exemple du service Mobile Account Connected (MAC), qui est un
service aujourd'hui associé au mobile money au Cameroun et offert aussi
bien par Orange Money que par MTN Mobile
Money.
En effet, le service MAC permet au propriétaire d'un
compte Mobile Money, qui est également titulaire d'un compte bancaire,
de pouvoir retirer de l'argent de son Compte bancaire à partir de son
compte mobile money et Vice Versa. Ce service dans son fonctionnement actuel
est porteur de plusieurs risques de blanchiment de capitaux, dans la mesure
où il constitue un moyen de contournement des règles
établies par le régulateur communautaire en matière de
lutte contre le Blanchiment.
A titre d'illustration, supposons qu'un criminel
ait des fonds issus d'une activité criminelle et qu'il envisage de
dissimuler l'origine desdits fonds. Ce dernier pourrait aisément
souscrive au service MAC, qui lui permettrait d'effectuer
journalièrement des transactions de chargement de son compte bancaire
d'un maximum de FCFA 500 000 par compte, sans devoir à justifier
l'origine de ces fonds. Il apparait clairement que ce nouveau service, fruit
des innovations technologique et de la concurrence commerciale entre les
différents prestataires, permet de contourner les méthodes de
luttes anti-blanchiment s'appuyant sur les guichets bancaires.
Par ailleurs, la combinaison de ce facteur avec la
possibilité offerte à tout individu de devenir super
agent40, constitue un risque supplémentaire.
Car, si nous reprenons l'exemple précédent,
un criminel ayant des fonds à blanchir, et disposant d'un compte
bancaire associé au service MAC, peut très bien devenir super
agent de mobile money, utilisant cet « argent sale » pour recharger
son compte
39 En effet, il ressort du rapport 2017 de la BEAC sur
l'utilisation de la monnaie électronique en Afrique Centrale, que 98% de
la monnaie électronique en circulation dans la zone CEMAC l'est au
travers du mobile money.
40 Grand distributeur du mobile money
Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi
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Thème : La modernisation des moyens de paiement et le
dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le
financement du terrorisme en zone CEMAC
de distribution mobile money avant de le
redistribuer à d'autres agent et aux ends user41. Ce qui lui
permettre de passer la première étape du blanchiment d'argent qui
est le « Prélavage.
Ce service qui est proposé par les deux principaux
opérateurs de téléphonie mobile exerçant dans le
Mobile Money au Cameroun, est de nature à amenuiser l'efficacité
de la lutte anti-blanchiment en zone Cemac. En effet, l'obligation de
surveillance et d'identification des relations d'affaire du client ne pesant
que sur l'établissement du crédit, alors que c'est
l'opérateur de téléphonie mobile qui est chargé de
recruter ses partenaires qui seront des distributeurs de la monnaie
électronique de la banque au gros comme au détails, constitue un
risque majeur.
Par ailleurs, on note également le développement
des produits comme la Carte Visa de Orange Money, qui est une
carte prépayée mis à la disposition de ses clients par
l'Opérateur de téléphonie Orange et qui permettait
jusqu'à sa suspension par la COBAC, des transferts d'argent à
l'international en violation de la Règlementation communautaire des
Changes.
? Le Risque lié au recrutement des
partenaires de Distribution :
Sur ce point, il convient de préciser tout d'abord que,
le Mobile Money s'appuie sur un réseau de partenaire indépendant.
Ces partenaires de distribution, qui vont du Super Agent à l'agent de
détail, ne sont pas assujettis au même titre que les
Etablissements de crédit dont ils distribuent la monnaie
électronique. Cet état de fait constitue aussi également
un risque majeur. Supposons encore que, un criminel veuille blanchir le produit
de son activité criminelle. Celui-ci peut aisément se rapprocher
d'un des opérateurs de téléphonie mobile exerçant
dans le mobile money pour y souscrire un contrat de Distribution au travers
d'une activité commerciale apparemment banale, qui lui servirait de
couverture. Ce dernier injecterait des sommes issues de son activité
illicite pour le transformer en Money Electronique, et ainsi procéder au
blanchiment de ces sommes par la vente de cette monnaie électronique.
Cette étape constituerait la première étape du Blanchiment
de capitaux, appelée le prélavage. Ces sommes pourront ensuite
être déposé dans un compte ayant déjà obtenu
un justificatif de l'origine desdits fonds.
? Le risque lié à la Distribution du
Mobile Money :
La possibilité offerte aux Super-agent42 de
distributions de la monnaie électronique de s'approvisionner
mutuellement constitue une défaillance pouvant engendrer des risques de
blanchiment. En effet, si on reprend le même exemple cité plus
haut, on notera qu'il est laissé la possibilité aux super
agents43, dans la chaîne de distribution du produit mobile
money, de pouvoir effectuer des transferts entre eux sans que cela ne fasse
l'objet de l'approbation de l'opérateur de
41 Consommateurs finaux ou de détail du mobile
money
42 Super Agents : Distributeurs du
mobile money
43 Ce sont les membres de la chaine de distribution du
mobile money, partenaires indépendants des opérateurs de
Téléphonie mobile, et chargés de l'approvisionnement des
distributeurs de détails
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Thème : La modernisation des moyens de paiement et
le dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le
financement du terrorisme en zone CEMAC
téléphonie mobile. Cette défaillance dans
la chaîne de distribution constitue une porte ouverte au Blanchiment
d'argent « sale ». Supposons qu'un des Super Agent de mobile money
soit un criminel qui cherche à blanchir le produit de son
activité occulte. Il pourrait aisément, dans le cadre de leurs
échanges de services mutuels, acheter de la monnaie électronique
à un autre super agent pour cause de compte épuisé, en
payant en cash ou par un Dépôt (Cash IN) dans le compte mobile
money de ce dernier, par le biais du produit de son activité criminelle.
Il va par la suite se charger de recycler cet argent au travers de sa
redistribution aux autres agents et Utilisateurs finaux. Ces transferts de gros
distributeurs à un autre échappent aussi bien au contrôle
de la banque qu'à celui effectué par l'opérateur de
téléphonie mobile.
? Le risque lié au contournement des
plafonds par le fractionnement des opérations
En effet, pour éviter que le mobile money ne devienne
un canal de blanchiment des fonds issus d'activité criminelle, la Banque
des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC) a fixé des plafonds relatifs aux
différentes transactions pouvant être effectué au travers
de tous instruments faisant usage de la monnaie
électronique44. Cependant on constate très souvent
dans la pratique que les usagers (souvent en complicité avec les
distributeurs)45 contournent les plafonds imposés par le
régulateur communautaire, en fractionnant les montants de leurs
opérations en plusieurs autres opérations. Cette pratique a pour
conséquence de créer des défaillances dans le dispositif
de protection des circuits financiers de la communauté, la rendant ainsi
inefficace.
? Risques liés à
l'authenticité des pièces d'identité des donneurs d'ordre
:
L'un des canons de la lutte contre le Blanchiment de capitaux
en Afrique centrale repose l'identification systématique de la
clientèle. L'activité du Mobile Money ne déroge pas
à la règle. Cependant, cette vérification s'avère
difficile ou du moins inefficace, dans la mesure où on note une absence
de dispositif de vérification de l'authenticité des pièces
d'identité. D'autant plus que chez la plupart des opérateurs du
Mobile Money, il n'est souvent requis du client qu'une copie de leurs
pièces d'identité. Par ailleurs, il arrive que des clients face
souvent usage de fausse identité lors de l'ouverture des comptes.
Ce risque est d'avantage accru lorsqu'on considère que
la base de données sur laquelle repose les identités des
propriétaires de comptes mobile money est calquée sur celui des
abonnés de téléphonie mobile, qui n'est pas du tout
fiable. Cet état de fait est de nature à accroitre la survenance
du risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
? Les Risques de blanchiment d'argent et de
financement du terrorisme liés au déroulement des
opérations :
Ce risque découle de l'exécution des
opérations via mobile money par la clientèle et
s'appréhende sous la forme d'un virement classique ayant une origine ou
une destination criminelle. Bien que des justificatifs réels puissent
être utilisés lors de la souscription, de fausses informations
peuvent également être présentées. De telles
pratiques peuvent notamment servir au recyclage d'argent issu
d'activités criminelles telles que des arnaques ou des escroqueries
à la carte. A titre d'illustration, nous pouvons citer une espèce
relevée du rapport du GABAC, produit en Aout 2017, relatif au
44 Le détail de ces plafonds des instruments de
la monnaie électronique se retrouvent en annexe.
45 Cas du mobile money
Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi
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Thème : La modernisation des moyens de paiement et le
dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le
financement du terrorisme en zone CEMAC
blanchiment des capitaux par les Nouveaux Moyens de
Paiement46. Cette espèce, qui fait état d'un cas de
blanchiment d'argent via le mobile money, met en scène, un groupe de
criminel, qui après avoir escroqué des fonds par une arnaque
téléphonique, a procédé au blanchiment de ceux-ci,
par le règlement de plusieurs factures d'électricité et
par la revente des bonus de crédit de communication afférente au
règlement desdites factures.
? Les Risques de contournement des règles
de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme via les
transferts internationaux :
Les paiements transfrontaliers peuvent servir à
déplacer des fonds d'origine criminelle de leur juridiction d'origine
vers une autre juridiction plus souple, dans laquelle ils peuvent servir
à d'autres activités criminelles. Cette pratique, rend difficile
la traçabilité desdits fonds, au regard de la rapidité des
échanges et comptes tenu des lourdeurs administratives relatives aux
échanges d'informations et à la coopération
sécuritaire entre les Etats de la sous-région et même en
Afrique.
Par ailleurs, l'évolution des activités des
opérateurs de la téléphonie mobile vers l'émission
de la monnaie électronique au travers des cartes de paiement type
« VISA », pour régler des transactions et
pour retirer des espèces dans les guichets automatiques des banques,
pourrait ouvrir la porte aux transferts internationaux à des fins de
blanchiment d'argent de financement du terrorisme. Sans compter que lesdits
transferts internationaux ne manqueraient pas d'avoir un impact sur les
réserves de change des Etats de la sous-région.
Ces séries de risques, inhérents au à
l'introduction des nouvelles technologies dans le secteur bancaire et
financier, et ayant entrainé, la mise à la disposition de leur
clientèle des nouveaux moyens de paiement par les banques, ont produit
de nombreuses défaillances dans le dispositif communautaire de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Dès
lors, un autre pan de cette question, relatives aux défaillances du
dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et du financement du
terrorisme inhérent à l'introduction de nouveaux moyens de
paiements non bancaires, mérite une analyse particulière.
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