4.2. L'HÉTEROGÉNEITÉ LINGUISTIQUE
DES COUPLES, LA VÉHICULARITÉ ET LE NIVEAU INTELLECTUEL DES
PARENTS
Sur 32,04% des couples linguistiquement
hétérogènes (mixtes), 18,45% ont transmis à leurs
enfants les langues véhiculaires plutôt que les langues
vernaculaires ; 2,91% ont déclaré transmettre une langue
véhiculaire et une langue vernaculaire. Étant donné que
les parents sont de langues maternelles différentes ils optent pour la
transmission d'une langue véhiculaire à leurs enfants : le
lingala ou le français. Il est à préciser que le kituba,
langue véhiculaire, est faiblement transmis parce qu'il n'est pas
très répandu dans la zone nord du pays.
D'autres parents apprennent à leurs enfants à
parler une langue véhiculaire plus une langue vernaculaire. Dans ces
conditions, bien que chaque conjoint veuille que ce soit la sienne, c'est le
plus souvent la langue du père qui est transmise dans les cas où
il ne s'agit pas du gangoulou. Si les parents ayant des langues maternelles
différentes consentent à transmettre les langues
véhiculaires à leurs enfants, c'est parce qu'elles ne sont les
langues d'aucune ethnie et jouent un rôle protecteur. Dans cette
perspective, Talani Nanitelamio montre que dans les situations de conflits
interethniques qui ont eu lieu dans le pays, les gens « ...qui ne
parlaient que leur langue vernaculaire devant les « ennemis »,
couraient plus de risque. Même si le
32 Bitjaa Kody, Zachée Denis, «
Vitalité des langues à Yaoundé : choix conscient »,
in Le plurilinguisme urbain, actes du colloque de Libreville "Les villes
plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J. &
Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Érudition, Paris, 2000, p.171.
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kituba est plus répandu au Sud du Congo et le
lingala au Nord, ils garantissent mieux la neutralité linguistique en
cas de conflits interethniques.33 »
Le caractère cosmopolite de Gamboma qui est à
l'origine du plurilinguisme nécessite une ou des langue(s) de
communication à caractère véhiculaire. L.-J. Calvet
affirme :
« ...ce que nous montre le phénomène
véhiculaire, c'est que partout où apparaît un
problème de communication, la pratique sociale lui apporte une solution
: la communication s'établit malgré le plurilinguisme. Et ces
langues véhiculaires constituent donc une façon de relever, in
vivo, le défi de Babel. Mais toute expansion linguistique
s'établit toujours au détriment d'autres langues et
l'émergence d'une langue véhiculaire relève de la
compétition linguistique.34»
C'est ainsi que se justifie la transmission des langues
véhiculaires par les parents aux enfants, car ceux-ci sont conscients
qu'ils vivent dans un univers où tous n'ont pas la même langue
maternelle et que tous ne parlent pas une seule langue. Ainsi, s'impose la
nécessité de la transmission d'une ou des langues
véhiculaires aux enfants, car ils seront en communication avec les
personnes venues de diverses horizons.
L-J Calvet montre encore que « ...le rôle
joué par la ville dans la diffusion de langue s'explique par
différentes raisons. La ville est d'abord le lieu où se concentre
l'administration, et les fonctionnaires, amenés par leur
33 Talani Nanitelamio, op.cit., 2009, p.40.
34 Calvet, L.-J., La guerre des langues et les
politiques linguistiques, Paris, Payot, 2005, [1987], Réed.
Hachette, p.p.134-135.
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travail à se déplacer à travers le
pays, apprennent plus facilement les langues véhiculaires que le paysan
qui ne quitte pas son village.35 »
Nous nous rendons compte que l'emploi exercé qui est
aussi lié au niveau intellectuel des parents est un facteur très
important dans la transmission des langues. Les parents jouissant d'un niveau
de scolarisation élevé (Baccalauréat et plus) transmettent
plus facilement à leurs enfants les langues véhiculaires. Le
français par exemple est transmis à 6,94% par les parents
fonctionnaires qui sont censés être « intellectuels »
par rapport aux commerçants (1,39%), aux agriculteurs et artisans
(2,78%), aux ouvriers (2,78%) qui, pour la plupart ont un niveau intellectuel
bas. Les parents qui ont fait de longues études ont comme
préoccupation de transmettre à leurs enfants le français ;
ceux qui ne les ont pas faites transmettent les langues véhiculaire et
vernaculaire dominante du district (le lingala et le gangoulou).
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