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Le blanchiment de capitaux à  l'épreuve des crypto-actifs.


par Alexandra PUERTAS
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Droit Pénal International et des Affaires 2020
  

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B. L'assujettissement des offres au public de jetons aux obligations de lutte contre le blanchiment

21. - Contexte - La loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, affichait l'ambition de transformer le « modèle économique français pour l'adapter aux réalités du 21ème siècle106 ». Pour cela, la loi envisageait de « mobiliser tous les leviers disponibles107 » afin de « faciliter l'accès aux marchés du financement à toutes les entreprises108 ».

Dans ce contexte, l'article 26 du projet de loi PACTE avait pour objet d'établir un cadre juridique clair pour les offres au public de jetons (ICO). Pour rappel, l'ICO est une opération de levée de fonds, réalisée au moyen de la technologie blockchain, destinée à financer le projet porté par l'émetteur et donnant lieu à une émission de jetons numériques (appelés tokens) auxquelles les investisseurs souscrivent généralement en crypto-actifs109. Les jetons numériques se distinguent en fonction des droits qu'ils accordent à leur détenteur ; les utility tokens ayant vocation à octroyer un droit d'usage sur les biens et/ou services de l'émetteur, et les security tokens conférant des droits politiques et financiers. Ces derniers, présentant les caractéristiques d'un titre financier (sans pour autant répondre aux éléments de définition des titres financiers), ont dès lors été exclus de cette réglementation, leur privilégiant la soumission au régime de l'offre au public de titres financiers (introduction en bourse), et notamment la réglementation « prospectus » 110.

Il convient donc de distinguer les utility tokens, qui entrent dans le champ d'application de la loi PACTE, des security tokens, qui sont soumis à la règlementation relative aux titres financiers traditionnels.

106 Exposé des motifs de la loi PACTE.

107 Ibid.

108 Ibid.

109 BROSSET Jérôme, LORENTZ Philippe, BARBET-MASSIN Alice, « Les activités sur actifs numériques issues de la loi PACTE », Revue Lamy droit des affaires, n°151, 1er septembre 2019.

110 MARRAUD DES GROTTES Gaëlle, « Anne Maréchal, directrice des affaires juridiques de l'AMF : Avec ce visa optionnel, nous espérons créer un écosystème attractif qui permette d'attirer en France les beaux projets d'ICO », Wolters Kluwer France - Actualités du droit, 22 mai 2019 ;

AMF, « La réglementation applicable aux prospectus », sur AMF [en ligne], publié le 21 février 2020, https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/dossiers-

thematiques/prospectus#:~:text=L'article%2046(3),21%20juillet%202019%2C%20la%20date.

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22. - Visa optionnel institué par la loi PACTE - L'article 26 du projet de loi PACTE avait pour objectif « de fournir aux souscripteurs de jetons les moyens suffisants pour distinguer les acteurs qui mettent en oeuvre des diligences en matière d'information, d'identification et de connaissance du client et ceux qui ne respectent aucune règle111 ». Pour se faire, les porteurs de projets qui le souhaitent peuvent solliciter auprès de l'AMF un visa optionnel, gage de leur sérieux. Selon Madame Anne Maréchal, directrice des affaires juridique de l'AMF, les acteurs percevraient ce visa comme : « une possibilité de se différencier des émetteurs moins scrupuleux » et leur feraient bénéficier d'un « avantage compétitif important112 ».

Il convient cependant de préciser que cette possibilité est offerte aux seules offres de jetons ouvertes à la souscription par plus de 150 personnes agissant pour compte propre (C. mon. fin. art. L552-3 ; RG de l'AMF, art. 711-2).

Pour obtenir ce visa, les porteurs de projet doivent remplir diverses conditions tenant notamment, à la mise en place d'un dispositif de lutte anti-blanchiment conformément aux exigences légales et, à l'existence d'un lien de rattachement à la France. Cette dernière condition complète le dispositif anti-blanchiment dès lors que l'obligation, pour le porteur de projets, de se constituer sous la forme d'une personne morale établie ou immatriculée en France (C. mon. fin. art. L. 552-5) facilitera les échanges d'informations avec les autorités compétentes dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction portant sur des faits de blanchiment.

Concrètement, l'instruction du dossier par l'AMF consistera à vérifier le respect de quatre exigences légales. La première exigence, telle que développé plus haut, tient à la forme juridique de l'émetteur et à son lien de rattachement à la France (C. mon. fin. art. L. 552-5). La seconde réside dans la mise en place d'un dispositif permettant d'assurer la fiabilité, l'opérabilité et l'efficacité de la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l'offre de jetons113 (RG AMF, art. 712-7). La troisième consiste en l'établissement d'un document d'information, dit whitepaper, « destiné à informer et protéger les

111 Exposé des motifs de la loi PACTE.

112 MARRAUD DES GROTTES Gaëlle, op. cit.

113 BROSSET Jérôme, LORENTZ Philippe, BARBET-MASSIN Alice, « Les activités sur actifs numériques issues de la loi PACTE », Revue Lamy droit des affaires, n°151, 1er septembre 2019.

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investisseurs en leur apportant tous éléments utiles » (C. mon.fin. art. L. 552-4; RG AMF art. 712-1 suiv.). Enfin, la dernière exigence repose sur la mise en place du dispositif de lutte anti-blanchiment.

En ce sens, l'AMF contrôle, dans le cadre de l'instruction des demandes de visa, les mesures anti-blanchiment mis en place par les émetteurs de jetons. En pratique, elle porte une attention particulière aux éléments suivants114 :

- La mise en place d'un dispositif d'évaluation et de gestion des risques permettant de déterminer le profil de risque de chaque souscripteur et le niveau des mesures de vigilance à respecter ;

- La mise en oeuvre de mesures de vigilance permettant l'identification et la vérification de l'identité des souscripteurs pour toute souscription d'un montant supérieur à 1 000 euros ou pour toute souscription, y compris sous le seuil de 1 000 euros, dont l'émetteur pourrait soupçonner qu'elle participe au blanchiment des capitaux ou au financement du terrorisme ;

- La mise en oeuvre de mesures de vigilance permettant l'identification de l'origine des fonds en cas de souscription d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite ;

- La nomination d'un déclarant Tracfin.

Enfin, si l'émetteur a recours à des prestataires externes pour la réalisation de ces diligences, l'AMF procède au contrôle du caractère sérieux des exigences posées dans le contrat de prestations115.

A l'issue de l'examen du dossier, l'AMF peut décider d'apposer son visa sur le document d'information de l'offre au public de jetons ou de le refuser (RG AMF, art. L. 712-9). Étant précisé que l'accord de l'AMF emporte publication de l'offre parmi la liste blanche figurant sur son site internet, et que son refus doit être accompagné des éléments ayant motivé sa décision116.

114 AMF, Réglementation LCB-FT : précisions de l'AMF sur les principales mesures devant être mises en oeuvre par les émetteurs de jetons sollicitant un visa optionnel.

115 MARRAUD DES GROTTES Gaëlle, op. cit.

116 AMF, Instruction - DOC-2019-06, 3.7. Délivrance du visa, juin 2019, 7 p. ; BROSSET Jérôme, LORENTZ Philippe, BARBET-MASSIN Alice, op. cit.

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Il convient ici d'apporter deux précisions, d'une part le visa est délivré pour la seule et unique offre instruite par l'AMF (il ne porte donc pas sur l'émetteur mais sur l'opération) et n'est valable que pour une durée ne pouvant excéder 6 mois (RG AMF, art. 712-10), d'autre part, les opérations n'ayant pas obtenu le visa optionnel demeurent légales117.

Enfin, l'AMF peut décider de retirer son visa si l'offre ne présente plus les garanties prévues en matière de lutte contre le blanchiment (C. mon. fin. art. L. 552-6). L'émetteur dispose alors d'un délai de trois jours ouvrés pour faire connaître par écrit ses observations.

Pour finir, la commission des sanctions de l'AMF peut sanctionner tout personne se prévalant du visa sans le posséder (C. mon. fin. art. L. 621-15-II, e).

117 AMF, « Obtenir un visa pour une offre au public de jetons (ICO) », sur AMF [en ligne], publié le 16 janvier 2020, https://www.amf-france.org/fr/espace-professionnels/fintech/mes-relations-avec-lamf/obtenir-un-visa-pour-une-ico/preparer-une-ico.

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Pour conclure, la France a fait le choix d'assujettir les prestataires de services sur actifs numériques aux mêmes obligations LCB que les acteurs financiers traditionnels. Ces obligations « pas entièrement inadaptées » mériteraient pour certains auteurs d'être modulées « au regard des spécificités de ces actifs118 ».

En ce qui concerne les services sur actifs numériques, l'Union Européenne a opté pour un régime différencié (enregistrement obligatoire ou visa optionnel), comprenant un assujettissement obligatoire au dispositif de LCB, contrairement à la ville de New-York ou encore le Japon qui fonctionnent sur la base d'un agrément unique119. Cette différenciation de régimes est présentée, par le rapport Landau, comme un frein à l'attractivité de la place financière européenne. La solution résiderait dans la création d'un agrément unique européen qui emporterait l'obligation de respecter un socle minimal d'exigences en matière de LCB, modulé en fonction des activités exercées. Cette « Euro BitLicense », à même de concurrencer les Bitlicenses new-yorkaise et japonaise, permettait de « rétablir les conditions d'une concurrence entre les États membres et avec les autres grandes places financières120 ».

Plus précisément, le régime des offres au public de jetons est scindé entre les émissions de jetons de sécurité et les émissions de jetons d'utilité. Les premières sont soumises au régime des offres au public de titres financiers, et à ce titre, à la directive « prospectus » (2003/71/CE) qui apparaît à la fois inadaptée et trop lourde aux spécificités de ce type d'opération. Anne Maréchal, directrice des affaires juridiques de l'AMF, déclarait à l'occasion d'une interview de mai 2019, n'avoir : « reçu aucun porteur de projet de STO (security token offering) ayant déposé un projet de prospectus » en raison, à son sens, de « difficultés juridiques et techniques sérieuses » liées à une réglementation n'ayant pas été pensée pour la blockchain121. Les émetteurs de jetons d'utilité ont, pour leur part, la possibilité d'obtenir un agrément optionnel qui emportera l'obligation de se soumettre aux exigences légales de lutte anti-blanchiment.

118 POLROT Simon, « La régulation LCB-FT face à l'émergence des cryptomonnaies », Revue internationale de la compliance et de l'éthique des affaires, février 2020, n°1, étude 38.

119 LANDAU Jean-Pierre avec la collaboration de GENAIS Alban, Les crypto-monnaies, Rapport au Ministre de l'Économie et des Finances, 4 juillet 2018, p. 60.

120 Ibid.

121 MARRAUD DES GROTTES Gaëlle, « Anne Maréchal, directrice des affaires juridiques de l'AMF : Avec ce visa optionnel, nous espérons créer un écosystème attractif qui permette d'attirer en France les beaux projets d'ICO », Wolters Kluwer France - Actualités du droit, 22 mai 2019

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Ces régimes optionnels encourent toutefois le risque, d'une part, que la lourdeur des obligations LCB qui leurs sont associées dissuade les prestataires de tout demande d'agrément optionnel122, et, d'autre part, que l'exclusion des plateformes d'échange intra-cryptos du champ des assujettis au dispositif LCB constitue un obstacle à la traçabilité des fonds123. Il est toutefois possible d'avancer trois arguments qui tempèrent ces critiques. D'une part, les prestataires de services sur actifs numériques enregistrés ou agréés, qui feraient face à un refus d'ouverture de compte bancaire, bénéficient d'une voie de recours auprès de l'ACPR qui peut, en outre, proposer au demandeur de saisir en son nom et pour son compte la Banque de France d'une demande de désignation d'un établissement de crédit (C. mon. fin. art. D. 312-23). Ce « droit au compte » permet de rendre attractif les demandes optionnelles d'assujettissement des acteurs à l'AMF tant il peut être difficile pour les porteurs de projets blockchain d'ouvrir un compte bancaire124. De plus, seuls les prestataires agrées peuvent se livrer « aux activités de quasi-démarchage via des formulaires de contact en ligne et des opérations de sponsoring ou de mécénat125 ». D'autre part, les risques de blanchiment étant focalisés sur les services servant de passerelles entre l'économie légale et l'économie souterraine puisqu'on : « peine à distinguer l'intérêt de blanchir un actif numérique dans un autre actif numérique à partir du moment où le passage en monnaie ayant cours légal est soumis à un dispositif LCB/FT126 » ; le contrôle des portes d'entrées et de sortie entre le monde des crypto-actifs et le système monétaire et financier127 semble pour certains aboutir à un compromis suffisant et proportionné aux risques128. Enfin, et plus généralement, la labélisation des acteurs de l'industrie « crypto » permet aux autorités compétentes de mieux cibler le suivi et la détection d'opérations frauduleuses en distinguant les services agréés de ceux qui ne le sont pas.

122 O'RORKE William, « La mise en oeuvre des obligations LCB-F par l'industrie crypto », Revue internationale de la compliance et de l'éthique des affaires, février 2020, n°1, étude 38.

123 Cf. Infra, n°35 : plateformes de conversion intra-crypto.

124 MARRAUD DES GROTTES Gaëlle, « Prestataires de services sur actifs numériques : le décret est paru ! », Wolters Kluwer France - Actualités du droit, 22 mai 2019.

125 BROSSET Jérôme, LORENTZ Philippe, BARBET-MASSIN Alice, « Les activités sur actifs numériques issues de la loi PACTE », Revue Lamy droit des affaires, n°151, 1er septembre 2019 ; C. conso. art. L. 222-16-1, a. ; C. conso. art. L. 222-16-2.

126 O'RORKE William, op. cit.

127 Encore faut-il pouvoir identifier les portes d'entrées et de sorties ce qui est rendu difficile par l'utilisation de certaines plateformes d'échange intra-cryptos ; Cf. Infra, n°35 : plateformes de conversion intra-crypto.

128 O'RORKE William, Avocat fondateur du Cabinet ORWL Avocats, entretien téléphonique mené par Alexandra Puertas, le 28 mai 2020 ; STACHTCHENKO Alexandre, Co-fondateur et Directeur général de Blockchain Partner, entretien téléphonique mené par Alexandra Puertas, le 27 mai 2020.

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En outre, la réglementation des prestataires de services sur actifs numériques appelle un double défi : accompagner la technologie pour permettre l'émergence de champions français et attirer les acteurs étrangers, tout en protégeant la société contre les risques de son utilisation à des fins de blanchiment. Le législateur doit donc au préalable identifier les risques de blanchiment afin de moduler la réglementation LCB conformément au principe de proportionnalité et ne pas appliquer aveuglement « un principe de précaution généralisé129 ». En effet, il n'est pas s'en rappeler que l'assujettissement des prestataires au dispositif LCB induit des compétences et des coûts financiers pouvant être un frein à l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché, et de ce fait, propice à une concentration du secteur130.

Pour finir, la portée mondiale des crypto-actifs combinée à des processus infractionnels de plus en plus complexes, impliquant plusieurs entités souvent réparties sur différents états, appellent à une harmonisation au niveau européen et international des obligations LCB. En ce sens, le Groupe d'Action Financière (GAFI) a émis le 21 juin 2019, à destination de ses 39 états membres, des recommandations sur les actifs numériques131. Cependant, il convient une fois de plus de se demander si les activités liées aux crypto-actifs font peser un risque de blanchiment tel qu'il justifierait un assujettissement obligatoire de tous les acteurs et la mise en place d'une « Travel Rule132» comme le préconise le GAFI.

129 POLROT Simon, « La régulation LCB-FT face à l'émergence des cryptomonnaies », Revue internationale de la compliance et de l'éthique des affaires, février 2020, n°1, étude 38.

130 R. Remy, « AMLD5 aux Pays-Bas : un désastre pour les petites crypto-entreprises », Journal du coin [en ligne], 29 avril 2020, https://journalducoin.com/regulation/loi-amld5-pays-bas-desastre-pour-les-petites-crypto-entreprises.

131 GROUPE D'ACTION FINANCIERE, Guidance for a Risk-Based Approach to Virtual Assets and Virtual Asset Service Providers, juin 2019.

132 La « Travel Rule » (recommandation n°16 du GAFI) oblige tout prestataire qui effectue un virement à communiquer automatiquement au prestataire destinataire les informations sur l'identité du client qui en est à l'origine.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille