CONCLUSION GÉNÉRALE
Aux termes de cette analyse, il convient de noter que la
contribution de la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 à la
consolidation de l'État de droit est ambivalente. Car, certes il y a une
avancée perceptible de l'État de droit mais il y a
également des obstacles persistants pour un bon ancrage de l'État
de droit. En effet, l'État de droit présente des divers
critères qui doivent être réunis. Parmi ces
critères, deux ont été retenus. Il s'agit de la soumission
de l'État au droit qu'il a lui-même édicté et la
garantie des droits fondamentaux. Le choix de ces deux critères vient du
simple fait qu'ils sont perceptibles dans la Constitution, objet de
l'étude. C'est donc dans le souci de garantir les droits fondamentaux
des citoyens que le constituant tchadien a mis en place des mécanismes
qui assurent le respect de ces droits. Le mécanisme juridictionnel est
le premier mécanisme de protection. Il se fait à travers la mise
en oeuvre du rôle du juge constitutionnel, celui-ci (juge
constitutionnel) est un acteur principal dans la garantie des droits et
libertés fondamentaux. Il est clair que le juge constitutionnel a
fortement participé à la construction de l'État de droit.
En effet, l'apport des travaux du juge constitutionnel tchadien a
été plus que considérable pour l'édification de
l'État de droit. D'ailleurs, comme nous l'avons remarqué il est
beaucoup plus aisé de poser les bases de l'État de droit que de
les perpétuer et de les maintenir en bon état dans la mesure
où l'État de droit est « moins un État qu'un
mouvement de rationalisation et de mise en ordre voué par essence
même à l'incomplétude et à l'inachèvement
»315. Pourtant, le juge constitutionnel malgré ses
moyens limités est parvenu, par le biais de ses attributions, à
apporter sa contribution à l'édification de l'État de
droit au Tchad. En effet, par le contrôle de constitutionnalité,
il a su faire respecter les droits et libertés fondamentaux au nombre
desquels on compte aujourd'hui le droit de propriété, les droits
à la défense, à la présomption d'innocence,
à l'égalité, à l'équité, à la
dignité, etc. Il a su aussi mettre au-devant de la scène des
valeurs tels que la non-rétroactivité des lois, la
séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la
sauvegarde de l'intérêt général, de l'ordre public,
etc. Mais, il lui reste encore du chemin à faire dans ce processus aux
exigences mouvantes.
Les juges administratif et judiciaire jouent un rôle
subsidiaire mais important dans la garantie des droits fondamentaux. L'oeuvre
du juge administratif est observable. Elle est visible à travers une
version positive selon laquelle le juge administratif aurait
définitivement réussi à soumettre l'administration au
droit et à permettre aux requérants de sauvegarder leurs
315 CHEVALLIER Jacques, « État de droit »,
RDP, 1988, p. 139.
101
droits ou leurs intérêts particuliers. Le juge
judiciaire, gardien des libertés individuelles, à travers ses
attributions, joue un rôle non négligeable dans la garantie des
droits fondamentaux.
De plus, la soumission de l'État au droit est un
principe important dans la construction de l'État de droit. Cela se fait
à travers les mécanismes de contrôle parlementaire
consacré par la Constitution. Ceci permet aux députés de
contrôler les actions du Gouvernement dans la mise en oeuvre de son
programme politique. Ce contrôle apparaît nécessaire dans un
contexte où l'arbitraire des membres du Gouvernement dans l'exercice de
leurs fonctions est une monnaie courante au Tchad. Si les membres du
Gouvernement arrivent à s'échapper du contrôle
parlementaire, ils ne peuvent pas s'en passer des sanctions via la mise en
oeuvre de leur responsabilité prévue par la loi fondamentale.
Cette responsabilité est purement pénale pour le Président
de la République même si sa mise en oeuvre apparaît un peu
difficile. Elle est politique et pénale pour les ministres.
Nonobstant les avancées perceptibles de l'État
de droit dans la Constitution, il existe également des obstacles
persistants à l'émergence de celui-ci. Tout d'abord, les juges ne
sont pas totalement indépendants dans l'exercice de leur noble
tâche. Le juge constitutionnel tchadien se trouve dans une autre posture
qui ne favorise pas tellement son indépendance et son
impartialité. Si avant la Constitution de 2018 la justice
constitutionnelle était un organe indépendant de l'ordre
judiciaire, il n'en est plus le cas avec la venue de la IVe République.
Son statut comme une Chambre dans la Cour Suprême semble être un
signe de dépendance vis-à-vis du pouvoir judiciaire et à
l'égard du pouvoir exécutif au regard des autorités qui
interviennent dans la nomination des juges constitutionnels. Les juges
ordinaires se retrouvent également dans cette posture à travers
les immixtions intempestives des autorités dans le judiciaire. Cela
paralyse sérieusement le bon fonctionnement de la justice qui est
censée jouer un rôle nécessaire dans la protection de
droits des citoyens.
Á côté de l'indépendance discutable
des juges, il y a aussi la protection non juridictionnelle qui se trouve
limitée. Cette protection est assurée par la CNDH qui
bénéficie d'un statut constitutionnel avec les réformes de
2018. L'institution ne dispose pas des moyens adéquats et possède
un pouvoir de décision limité. Cet état des choses ne
parait pas favorable pour la protection des droits de l'homme qui est une
mission principale assignée à la CNDH. Il y a également
les immunités juridictionnelles dont bénéficient certaines
autorités qui limitent le pouvoir des juges dans la protection des
droits fondamentaux.
Ainsi, Il importe au pouvoir public de revoir le statut des
juges car ceux-ci (juges) participent à la construction de l'État
de droit afin qu'ils puissent jouer normalement et efficacement leurs
rôles. Ce statut passe par la formation des magistrats, la réforme
de la
102
justice, le rapprochement de la justice des justiciables afin
que ceux-ci puissent saisir le juge en cas de violation de droits fondamentaux.
Le constituant doit élargir la liste des personnes qui peuvent saisir le
juge constitutionnel en incluant le citoyen qui saisira directement
celui-ci.
103
|