B - Les immunités parlementaires
Les immunités parlementaires s'inscrivent dans les
traditions historiques selon lesquelles les parlementaires doivent être
protégés lorsqu'ils exercent leurs fonctions. La protection dont
jouissent les députés se définit comme une «
immunité particulière »303 prévue à
l'article 117 alinéa 1 de la Constitution, selon laquelle « les
membres de l'Assemblée Nationale bénéficient de
l'immunité parlementaire. Aucun député ne peut être
poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé
pour des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions
». Pour DUHAMEL Olivier, « l'immunité parlementaire
recouvre deux garanties différentes : l'irresponsabilité et
l'inviolabilité »304. La différence entre
les deux notions tient à ce que les domaines qu'elles définissent
sont distincts. L'une est afférente à la liberté des
paroles parlementaires ; l'autre au fait que l'on ne puisse arrêter un
parlementaire sans l'accord de son Assemblée, sauf cas de flagrant
délit. Les deux protections représentent les immunités
parlementaires305 qui « se rattachent intimement aux
exigences primordiales du
301 PRETOT Xavier, « Quand la cour de cassation donne une
leçon de droit au Conseil Constitutionnel », RDP,
n°6, 2001, pp. 1625-1643 cité par AIVO Joël
Frédéric, article précité, p. 27.
302 Voir AIVO Joël Frédéric, article
précité, p. 28.
303 AVRIL Pierre, JICQUEL Jean, Lexique-Droit
constitutionnel, Paris, PUF, 2001, p.75.
304 DUHAMEL Olivier, MENY, Dictionnaire
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 487. Voir également CORNU
Gérard, Vocabulaire juridique, 3ème
édition, Paris, PUF, 2002, p. 493.
305 Par exemple dans ce sens VEDEL Georges affirme que les
deux immunités parlementaires sont l'irresponsabilité et
l'inviolabilité. Si l'irresponsabilité exonère de toute
imputabilité du fait du dommage, ceci n'est pas « incompatible
» avec des sanctions disciplinaires d'ordre intérieur que le
règlement de chaque
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régime représentatif et au jeu normal des
institutions dans les gouvernements constitutionnels »306.
La première relève de l'indépendance du parlementaire ; la
seconde, de l'entrave à l'exercice de ses fonctions307. Le
but essentiel consiste à préserver les membres du Parlement de
toutes poursuites judiciaires intempestives et
injustifiées308.
En effet, les effets de l'irresponsabilité des
députés apparaissent comme allant à l'encontre du principe
de l'égalité de tous devant la loi309. Ainsi, les
poursuites sont interdites s'il s'agit d'attaquer le parlementaire pour des
opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions, le
parlementaire est de ce point de vue irresponsable. Dans les autres cas, le
parlementaire n'est pas irresponsable, mais on considère que sa personne
est inviolable310. L'irresponsabilité parlementaire a pour
effet d'écarter toute poursuite pénale ou civile, même si
cela doit aller à l'encontre de l'article 1382311 du Code
civil.
Depuis la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
de 1948, la protection et l'attention accordées aux droits et
libertés fondamentaux ont considérablement augmenté. Toute
atteinte doit être valablement et suffisamment justifiée et
proportionnée. La liberté d'opinion et d'expression des
députés est considérée comme une des
libertés fondamentales, mais force est de reconnaître qu'elle peut
parfois conduire à des dérives, à des abus.
Si la liberté d'expression est essentielle et si sa
protection est primordiale, elle n'en est pas moins à encadrer ou
à limiter dans certains cas. En effet, « chacun sait qu'on ne
peut impunément tout dire, et qu'on ne peut être poursuivi si l'on
porte atteinte à l'honneur ou à la réputation d'autrui, si
on viole l'espace de la vie privée ou si l'on met en péril la
présomption d'innocence, si l'on appelle au meurtre ou à la
violence imminente, si l'on divulgue des secrets d'Etat
»312. La liberté d'expression s'accompagne de
devoirs et responsabilité, celui
assemblée prévoit à l'encontre de ses
membres. Voir VEDEL Georges, Manuel élémentaire de droit
constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 402
306 Les immunités parlementaires
« tiennent à l'économie de la division des pouvoirs et au
principe de la souveraineté législative. Elle sanctionne
pratiquement l'indépendance et la liberté du parlement dans
l'accomplissement de sa mission. Elles s'identifient en quelque sorte avec le
droit de la nation de manifester sa volonté par l'organe de ses
mandataires. Ce sont des prérogatives sans doute, c'est-à-dire
des exigences supérieures de la vie gouvernementale. Voir BEAUMONT
Didier, « Liberté d'expression et irresponsabilité des
députés », Afrilex, Paris, 2003, p. 2.
307 AVRIL Pierre, GICQUEL Jean, Droit
parlementaire, 2ème édition, Paris,
Montchrestien, 1996, p. 45.
308 VEDEL Georges, Manuel
élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p.
412.
309 GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et
institution politique, op. cit., p. 641.
310 Article 117 alinéa 2 de la
Constitution, « aucun député ne peut, hors session,
être arrêté sans l'autorisation du bureau de
l'assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit, de
poursuites autorisées ou de condamnation définitive
»
311 « Tout fait quelconque de
l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé, à le réparer ».
312 BALIS Zoé, Mise à
l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux droits
d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la
lumière du droit comparé, Mémoire de master,
Université catholique de Louvain, 2015, p. 19.
qui s'exprime est tenu de respecter autrui et de tenir compte
de sa liberté. Le juge peut être confronté à un
conflit entre deux droits constitutionnellement consacrés, tel que
l'irresponsabilité et l'inviolabilité des députés
et le droit au respect de la vie privée des citoyens. Il doit faire
alors une pondération des intérêts pour atteindre le
meilleur équilibre, la meilleure « compatibilité des
libertés »313 possible.
Il apparait alors que les immunités parlementaires
dérogent au principe d'égalité et de non-discrimination en
prévoyant un régime spécifique pour les parlementaires,
régime, nous l'avons vu, qui peut avoir pour conséquence de
limiter des droits et libertés d'autrui.
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313 HAARSCHER Georges, « Paradoxe de la liberté
d'expression », p. 103, cité par BALIS Zoé, Mise
à l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux
droits d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la
lumière du droit comparé, op. cit., p. 20.
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