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La constitution tchadienne du 04 mai 2018 et la consolidation de l'état de droit.


par Keumaye Tchiakika
Université de Dschang Cameroun - Master 2 en droit public 2020
  

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SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA
PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX

Les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont en principe garantis par la Constitution. Ils ne doivent pas faire l'objet d'une restriction quelconque, sauf les cas de restriction prévus par la loi. C'est ainsi que le législateur a prévu certaines hypothèses où les libertés et les droits des citoyens sont rétrécis, mettant ainsi à mal la protection de ceux-ci. Cela entraine l'absence de justiciabilité des droits des citoyens.

Le Professeur BILONG Salomon soulignait que : « comment le droit peut-il s'épanouir si le juge est lésé dans sa matière même ? Si son domaine de compétence varie au gré des humeurs d'un autre pouvoir (pouvoir législatif) ? »282. Il est admis dans toutes les nations dotées d'un État moderne que « l'État de droit est celui dans lequel les citoyens peuvent déférer devant les tribunaux compétents les actes émanant du pouvoir exécutif et même dans une certaine mesure les lois, par le biais du recours pour excès de pouvoirs »283. Par conséquent, soustraire certains actes de tout contrôle par quelque juge que ce soit ne peut donc être qu'une mesure spéciale visant une catégorie d'actes clairement définie ou au besoin strictement limitée.

Et comme l'a écrit le Doyen FAVOREU Louis, « aucun acte de l'Exécutif ne peut logiquement se voir reconnaître le statut juridique d'acte incontestable, car quelle que soit l'activité qu'il exerce, l'exécutif est soumis à la loi, du moins à la Constitution »284. Ainsi, l'injusticiabilité de certains actes émanant de l'Exécutif trouve son origine dans l'idée que certains actes des autorités administratives sont pris non pas en vertu du pouvoir règlementaire, mais plutôt pour des raisons politiques; par conséquent, ils échappent à la connaissance de toute juridiction. L'immunité juridictionnelle dont bénéficient certains actes (paragraphe 1) apparait évidemment contraire au regard des principes de l'État de droit.

A côté de ces actes, il y a aussi certaines autorités qui sont protégées par la Constitution. Ces autorités bénéficient des immunités juridictionnelles (paragraphe 2).

282 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État de droit au Cameroun : le développement des immunités juridictionnelles », Juridis périodique n°62, 2005, p. 56.

283 KAMTO Maurice, « Actes de gouvernement et droits de l'Homme au Cameroun », in Lex Lata, n°026, mai 1996, p. 9.

284 FAVOREU Louis, Du déni de justice en droit public, Paris, LGDJ, 1964, p. 169. Cité par FOPA TAPON Cyrille Arnaud, Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2012, p. 87.

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Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de l'immunité juridictionnelle

L'établissement d'un État de droit suppose que l'État soit soumis au droit. Cette soumission peut être réalisée s'il existe un juge compétent pour exercer le contrôle des actes de l'administration, contrôle fondé sur le droit. Mais certains actes demeurent immunisés du contrôle juridictionnel.

En effet, l'établissement d'un État de droit ne suppose pas seulement la soumission de l'État au droit mais aussi la protection des droits fondamentaux des citoyens. Cependant, la garantie de ces droits se trouve limitée lorsque certains actes, susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, ne sont pas susceptibles de recours devant le juge. Il s'agit de l'injuticiabilité des actes de gouvernement (A) et les actes administratifs (B).

A - L'injusticiabilité des actes de gouvernement

La qualification d'acte de gouvernement entraine l'exclusion du recours pour excès de pouvoir. Elle a donc une conséquence importante alors qu'il n'existe pas une définition générale et précise. Il faut cependant noter que l'acte de gouvernement est une « qualification à prétention explicative donnée à certains actes émanant d'autorités de l'État, dont les juridictions administratives que judiciaires se refusent à connaitre et qui en général, soit concernent les relations du Gouvernement et du Parlement, soit mettent directement en cause l'appréciation de la conduite des relations internationales par l'État »285. La genèse des actes de gouvernement trouve sa justification dans le fait que certains actes de l'administration, notamment ceux portant sur les relations entre le Gouvernement et le parlement, et ceux concernant la conduite des relations internationale par l'État, au regard de leur délicatesse, ne sauraient être justiciables devant le juge administratif ou judiciaire. Ces actes sont pris non en vertu du pouvoir règlementaire mais plutôt en vertu des pouvoirs de gouvernement286.

La notion d'acte de gouvernement existe depuis longtemps, même si cette terminologie n'est pas toujours employée. Déjà dans les années 1800, dans sa décision, le Conseil d'État français se fondait sur l'existence d'un « mobile politique »287 pour se déclarer incompétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir. Toutefois, l'intérêt politique

285 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, 25ème édition, 2018, p. 67.

286 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État de droit au Cameroun : le développement des immunités juridictionnelles », op. cit., p. 52.

287 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE, 19 février 1875, prince Napoléon.

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de l'acte, de même que le fait que l'acte ait été délibéré en Conseil des ministres, n'est pas suffisant pour qualifier d'un acte de gouvernement.

La jurisprudence française distingue deux catégories d'actes de gouvernement. La première catégorie d'actes comprend les actes de droit interne qui se rattachent aux rapports entres les pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire les actes relatifs aux rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. C'est le cas par exemple, des décisions de mettre en oeuvre les pouvoirs de crise288 de l'article 16 de la Constitution française de 1958 et de l'article 96 de la Constitution tchadienne de 2018. La seconde catégorie d'actes de gouvernement correspond aux actes de conduite des relations internationales. Alors, la qualification d'acte de gouvernement exclut la possibilité d'avoir recours pour excès de pouvoir comme cela existe pour d'autres types d'actes administratifs.

Le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif tendant à l'annulation d'un acte administratif. Ce recours est possible lorsque l'acte administratif porte grief aux droits consacrés. Le juge administratif ne peut connaître, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, que les actes administratifs faisant grief. Les actes de gouvernement sont aussi des actes qui font grief. Cela est en contrariété avec les principes d'État de droit, de légalité et de droit au recours. La Charte Africaine des Droits de l'Homme et de Peuple, dont le Tchad est partie, réaffirme le principe selon lequel toute personne dont les droits et libertés reconnus ont été violés, a le droit à l'octroi d'un recours devant une instance nationale, alors que la violation même aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions289.

Le refus d'un juge de connaitre d'un litige heurte frontalement le droit à un procès équitable290. Ce droit fondamental, exigence propre des démocraties et de l'État de droit, se trouve bafoué par le principe de l'injusticiabilité des actes de gouvernement. Celui-ci implique que soit assuré l'accès à un tribunal et respectés les droits de la défense291 dès lors qu'une sanction revêt le caractère d'une punition.

Il existe d'autres actes administratifs qui bénéficient des immunités de juridiction.

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