SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A
LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont
en principe garantis par la Constitution. Ils ne doivent pas faire l'objet
d'une restriction quelconque, sauf les cas de restriction prévus par la
loi. C'est ainsi que le législateur a prévu certaines
hypothèses où les libertés et les droits des citoyens sont
rétrécis, mettant ainsi à mal la protection de ceux-ci.
Cela entraine l'absence de justiciabilité des droits des citoyens.
Le Professeur BILONG Salomon soulignait que : «
comment le droit peut-il s'épanouir si le juge est
lésé dans sa matière même ? Si son domaine de
compétence varie au gré des humeurs d'un autre pouvoir (pouvoir
législatif) ? »282. Il est admis dans toutes les
nations dotées d'un État moderne que « l'État de
droit est celui dans lequel les citoyens peuvent déférer devant
les tribunaux compétents les actes émanant du pouvoir
exécutif et même dans une certaine mesure les lois, par le biais
du recours pour excès de pouvoirs »283. Par
conséquent, soustraire certains actes de tout contrôle par quelque
juge que ce soit ne peut donc être qu'une mesure spéciale visant
une catégorie d'actes clairement définie ou au besoin strictement
limitée.
Et comme l'a écrit le Doyen FAVOREU Louis, «
aucun acte de l'Exécutif ne peut logiquement se voir
reconnaître le statut juridique d'acte incontestable, car quelle que soit
l'activité qu'il exerce, l'exécutif est soumis à la loi,
du moins à la Constitution »284. Ainsi,
l'injusticiabilité de certains actes émanant de l'Exécutif
trouve son origine dans l'idée que certains actes des autorités
administratives sont pris non pas en vertu du pouvoir règlementaire,
mais plutôt pour des raisons politiques; par conséquent, ils
échappent à la connaissance de toute juridiction.
L'immunité juridictionnelle dont bénéficient certains
actes (paragraphe 1) apparait évidemment contraire au
regard des principes de l'État de droit.
A côté de ces actes, il y a aussi certaines
autorités qui sont protégées par la Constitution. Ces
autorités bénéficient des immunités
juridictionnelles (paragraphe 2).
282 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État
de droit au Cameroun : le développement des immunités
juridictionnelles », Juridis périodique n°62, 2005,
p. 56.
283 KAMTO Maurice, « Actes de
gouvernement et droits de l'Homme au Cameroun », in Lex Lata, n°026,
mai 1996, p. 9.
284 FAVOREU Louis, Du déni de justice en droit
public, Paris, LGDJ, 1964, p. 169. Cité par FOPA TAPON Cyrille
Arnaud, Les interventions du législateur dans le fonctionnement de
la justice administrative au Cameroun, Mémoire de Master,
Université de Dschang, 2012, p. 87.
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Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de
l'immunité juridictionnelle
L'établissement d'un État de droit suppose que
l'État soit soumis au droit. Cette soumission peut être
réalisée s'il existe un juge compétent pour exercer le
contrôle des actes de l'administration, contrôle fondé sur
le droit. Mais certains actes demeurent immunisés du contrôle
juridictionnel.
En effet, l'établissement d'un État de droit ne
suppose pas seulement la soumission de l'État au droit mais aussi la
protection des droits fondamentaux des citoyens. Cependant, la garantie de ces
droits se trouve limitée lorsque certains actes, susceptibles de porter
atteinte aux droits et libertés fondamentaux, ne sont pas susceptibles
de recours devant le juge. Il s'agit de l'injuticiabilité des actes de
gouvernement (A) et les actes administratifs (B).
A - L'injusticiabilité des actes de
gouvernement
La qualification d'acte de gouvernement entraine l'exclusion
du recours pour excès de pouvoir. Elle a donc une conséquence
importante alors qu'il n'existe pas une définition
générale et précise. Il faut cependant noter que l'acte de
gouvernement est une « qualification à prétention
explicative donnée à certains actes émanant
d'autorités de l'État, dont les juridictions administratives que
judiciaires se refusent à connaitre et qui en général,
soit concernent les relations du Gouvernement et du Parlement, soit mettent
directement en cause l'appréciation de la conduite des relations
internationales par l'État »285. La genèse
des actes de gouvernement trouve sa justification dans le fait que certains
actes de l'administration, notamment ceux portant sur les relations entre le
Gouvernement et le parlement, et ceux concernant la conduite des relations
internationale par l'État, au regard de leur délicatesse, ne
sauraient être justiciables devant le juge administratif ou judiciaire.
Ces actes sont pris non en vertu du pouvoir règlementaire mais
plutôt en vertu des pouvoirs de gouvernement286.
La notion d'acte de gouvernement existe depuis longtemps,
même si cette terminologie n'est pas toujours employée.
Déjà dans les années 1800, dans sa décision, le
Conseil d'État français se fondait sur l'existence d'un «
mobile politique »287 pour se déclarer
incompétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir.
Toutefois, l'intérêt politique
285 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes
juridiques, 25ème édition, 2018, p. 67.
286 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État
de droit au Cameroun : le développement des immunités
juridictionnelles », op. cit., p. 52.
287 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE,
19 février 1875, prince Napoléon.
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de l'acte, de même que le fait que l'acte ait
été délibéré en Conseil des ministres, n'est
pas suffisant pour qualifier d'un acte de gouvernement.
La jurisprudence française distingue deux
catégories d'actes de gouvernement. La première catégorie
d'actes comprend les actes de droit interne qui se rattachent aux rapports
entres les pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire les actes
relatifs aux rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
C'est le cas par exemple, des décisions de mettre en oeuvre les pouvoirs
de crise288 de l'article 16 de la Constitution française de
1958 et de l'article 96 de la Constitution tchadienne de 2018. La seconde
catégorie d'actes de gouvernement correspond aux actes de conduite des
relations internationales. Alors, la qualification d'acte de gouvernement
exclut la possibilité d'avoir recours pour excès de pouvoir comme
cela existe pour d'autres types d'actes administratifs.
Le recours pour excès de pouvoir est un recours
objectif tendant à l'annulation d'un acte administratif. Ce recours est
possible lorsque l'acte administratif porte grief aux droits consacrés.
Le juge administratif ne peut connaître, dans le cadre d'un recours pour
excès de pouvoir, que les actes administratifs faisant grief. Les actes
de gouvernement sont aussi des actes qui font grief. Cela est en
contrariété avec les principes d'État de droit, de
légalité et de droit au recours. La Charte Africaine des Droits
de l'Homme et de Peuple, dont le Tchad est partie, réaffirme le principe
selon lequel toute personne dont les droits et libertés reconnus ont
été violés, a le droit à l'octroi d'un recours
devant une instance nationale, alors que la violation même aurait
été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs
fonctions289.
Le refus d'un juge de connaitre d'un litige heurte
frontalement le droit à un procès équitable290.
Ce droit fondamental, exigence propre des démocraties et de
l'État de droit, se trouve bafoué par le principe de
l'injusticiabilité des actes de gouvernement. Celui-ci implique que soit
assuré l'accès à un tribunal et respectés les
droits de la défense291 dès lors qu'une sanction
revêt le caractère d'une punition.
Il existe d'autres actes administratifs qui
bénéficient des immunités de juridiction.
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