Conclusion du chapitre 1
De tout ce qui précède, il apparait que le juge
occupe une place centrale dans le système juridique et politique. Cela
ne veut certainement pas dire que le juge est un « acteur » devant
intervenir dans l'arène politique au même titre que les pouvoirs
Législatif et Exécutif ; loin de là. Sa fonction reste
celle « de juger »264. Il n'en demeure pas moins que tant
pour l'instauration de l'État de droit que pour le respect des droits et
libertés individuels, les populations attendent du juge qu'il remplisse
son rôle, c'est-à-dire faire respecter la loi et s'assurer que les
principes démocratiques comme les droits de l'homme ne soient pas
impunément bafoués. Bien évidemment, sans une
réelle indépendance, dans le cadre d'une séparation des
pouvoirs, garantie à la fois par des textes et confirmés dans la
pratique, ce rôle du juge ne sera que théorique.
Il convient de souligner que l'État de droit et la
démocratie constituent une quête permanente, et se
présentent comme des défis quotidiens jamais
définitivement acquis. Pour cela, de profondes mutations au sein de la
justice nécessitent d'être entreprises et accompagnées,
tout particulièrement par les autres acteurs constitutionnels et
politiques (majorité et opposition, etc.).
264 La justice semble tout de même jouer aujourd'hui un
rôle important de contre-pouvoir dans nos sociétés
démocratiques contemporaines... (V. F. HOURQUEBIE, Sur
l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème
République, Bruylant, 2007, 277), cité par BANDARA FALL Alioune,
« Les menaces internes à l'indépendance de la justice
», op. cit., p.28.
81
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES
DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD
Les droits fondamentaux constitutionnellement consacrés
doivent faire l'objet d'une garantie. Cette garantie n'est pas seulement
juridictionnelle mais aussi matérielle. Cependant, la mise en oeuvre de
ces mécanismes de garantie est confrontée à certains
obstacles qui continuent de persister. Les obstacles à la protection
juridictionnelle persistants ont fait l'objet d'un développement dans le
chapitre précédent, ceux de la protection non juridictionnelle et
d'autres obstacles feront l'objet du développement dans ce chapitre.
L'effectivité de la protection en droit est à la
fois formelle et matérielle265. Or, au regard de cette
dernière considération et aux vues du dispositif non
juridictionnel de protection des droits de l'homme et des libertés
actuellement en vigueur au Tchad, il est très aisé de constater
d'énormes difficultés entravant ladite protection au plan
matériel, et ceci à toutes les fois que l'on s'attèle
à apprécier les effets concrets ou l'efficacité des
règles juridiques prévues à cet effet. La
démocratie ne peut véritablement exister que si elle
débouche sur la mise en oeuvre effective et efficace des droits et
libertés fondamentaux de l'homme. C'est parce que ces derniers (droits
et libertés fondamentaux) apparaissent comme un patrimoine commun de
l'humanité qu'ils nécessitent une reconnaissance et des garanties
de la part des États. C'est dans ce sens que certains organes ont
été mis sur pieds pour jouer ce rôle et pallier aux
insuffisances de la protection juridictionnelle. Il s'agit notamment de la
CNDH.
Á côté des obstacles à la
protection non juridictionnelle, il y a également d'autres obstacles
visibles dans la Constitution qui concourent à l'amenuisement des
efforts consentis dans la protection des droits fondamentaux. Ces obstacles
s'analysent par les effets des circonstances exceptionnelles et la protection
de certaines autorités publiques.
Ainsi, il convient de voir les limites à la protection
non juridictionnelle des droits fondamentaux (section 1) avant
de passer en revue les autres obstacles (section 2).
265 GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non
juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais »,
Village de la justice, 2019, p. 1.
82
SECTION 2 : LES LIMITES Á LA PROTECTION
NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX
La notion de protection des droits au plan opérationnel
renvoie à l'effectivité et à l'efficacité de cette
dernière. L'effectivité vise ce qui se réalise en fait
pour être valable ou opposable aux sujets de droit, ce qui prévaut
dans les faits et dont l'existence palpable justifie la connaissance ou
l'opposabilité. Il s'agit d'un moyen de création de droit au
profit des sujets de droit. Ainsi, à cette question, écrit
AMSELEK Paul « l' étude de l'effectivité statuée
par les normes juridiques interroge sur le contenu même d'une norme
juridique, tandis que l'analyse de l'effectivité des règles de
droit porte sur la question de leur stricte application par les organes
chargés de les mettre en oeuvre au plan matériel »
266. Il s'agit de leur efficacité.
C'est dans la recherche de cette efficacité de
protection des droits de l'homme que l'État tchadien va mettre sur pieds
des nombreuses autres institutions et organismes non juridictionnels de
protection, parmi lesquels la CNDH. Rappelons que la CNDH a vu le jour le 09
septembre 1994267 à la suite de la CNS. Quelques
années plus tard, avec la révision constitutionnelle de 2005,
elle a disparu. Conscient du rôle considérable que joue cet organe
dans la consolidation de l'État de droit, le constituant de 2018 a
constitutionalisé cet organe. C'est à l'issue de l'ordonnance
n°024/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la
CNDH que la commission a été mise sur pied.
Au regard de toutes ces considérations sus
évoquées, il semble donc, en effet particulièrement
logique sinon nécessaire que l'on s'attache à apprécier
les effets concrets de la protection non juridictionnelle des droits de l'Homme
et des libertés publiques en droit tchadien, au regard des règles
juridiques prévues à cet effet. Il est à noter que la CNDH
présente des limites constitutionnelles considérables dans la
protection des droits fondamentaux. Il s'agit bien évidemment des
limites institutionnelles (paragraphe 1) et les limites
d'ordre juridique (paragraphe 2).
266 AMSELEK Paul, Cheminement de la
philosophie du droit, cité par GUISWE Norbert, « Les limites
de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif
camerounais », op. cit., p. 2.
267 Voir la loi n°03/PR/94 portant
création de la CNDH.
83
Paragraphe 1 : Les limites institutionnelles de la CNDH
dans la protection des droits fondamentaux
Consacrée par le titre IX de la Constitution, la CNDH
est une institution administrative268 , indépendante et a
pour mission269 de formuler des avis au Gouvernement sur les
questions relatives aux droits de l'Homme, y compris la condition de la femme,
les droits de l'enfant et des handicapés. Elle assiste le Gouvernement
et les autres institutions nationales et internationales pour toutes les
questions relatives aux droits de l'Homme au Tchad en conformité avec la
charte des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. La
Commission est autonome quant aux choix des questions qu'elle examine par
auto-saisine. Elle est entièrement libre de ses avis qu'elle transmet au
Président de la République et dont elle assure la diffusion
auprès de l'opinion publique270. Dans le cadre de la
protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CNDH
est chargée de recevoir les plaintes et ouvrir les enquêtes sur
les cas de violation des droits de l'homme. Elle effectue des visites
régulières, inopinées ou notifiées des
établissements pénitentiaires et de tous les lieux de
détention et de privation des libertés aux fins de
prévenir la torture et toute violation des droits de
l'homme271. Elle peut aussi saisir le Ministère Public ou
ester en justice au nom des victimes sur les violations constatées.
Des manquements sont à recenser au niveau des
règles juridiques relatives aux droits de l'Homme et des libertés
au Tchad. Des obstacles sont relevés au niveau des mécanismes
chargés d'assurer son implémentation et sa réalisation
effective. La garantie non juridictionnelle des droits de l'Homme et des
libertés au Tchad fait ainsi face à divers niveaux dans la
pratique à des difficultés sérieuses mettant à mal
la propension à réaliser efficacement ses missions visant
à mieux promouvoir et protéger les droits de l'être humain.
Le cadre institutionnel est relativement dépendant (A) et quasi inactif
(B).
A - La relative indépendance institutionnelle de
la CNDH
En principe, les organes de garantie non juridictionnelle des
droits et libertés au regard du cadre juridique national et
international, sont pour la plupart autonomes et
indépendants272.
268 Article 171 de la Constitution.
269 Article 172 de la Constitution.
270 Article 173 de la Constitution.
271 Article 5 de l'ordonnance n°025/PR/2018 portant
attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des
Droits de l'Homme.
272 Article 2 de l'ordonnance n°024/PR/2018, «
La CNDH est une autorité administrative indépendante de
promotion et de protection des droits de de l'homme et des libertés
fondamentales. Elle est dotée de la
84
Dans le contexte tchadien, il s'agit toutefois d'une
indépendance voilée, textuelle et de façade. Ces organes,
dans la pratique et du point de vue institutionnel, ne semblent pas
réellement refléter des organes de protection
véritablement indépendants. L'une des limites à laquelle
les institutions de protection non juridictionnelle font face principalement
aujourd'hui est d'ordre statutaire.
Plus loin encore, le législateur met
l'approvisionnement financier de ces institutions à la charge de
l'État273. Leurs ressources financières proviennent
des : dotation inscrites chaque année au budget de l'État ;
appuis provenant des partenaires nationaux et internationaux ; dons et legs.
Cette approche législative tendant plus vers la
soumission des membres de l'organe non juridictionnel de protection des droits
et libertés au pouvoir exécutif va un tout petit peu en
contradiction mais légère et pas des moindres, avec les
règles internationales en la matière. Il y a d'abord les
Principes de Paris274. Ceux-ci mettent un accent sur la
nécessité de la neutralité des institutions nationales des
droits de l'Homme. Ensuite, la Déclaration des Nations Unies du 9
décembre 1998 en son article 14 alinéa 3, met également
à la charge de l'État, la responsabilité et l'obligation
d'appuyer le développement des institutions nationales
indépendantes, visant à assurer la promotion et la protection des
droits et libertés fondamentaux sur leurs territoires.
L'indépendance des institutions non juridictionnelles
est donc, une exigence sur laquelle insistent les textes internationaux
protégeant les droits de l'homme. Une exigence à laquelle
l'architecture institutionnelle de protection non juridictionnelle telle
qu'aménagée législativement au Tchad, ne souscrit pas
véritablement. Même si en matière de désignation des
membres de la CNDH le pouvoir de nommer est partagé entre un
représentant de l'AN, un magistrat de la Cour Suprême, un membre
de la Haute Autorité des Médias et de l'Audiovisuel (HAMA) et un
membre du Haut Conseil des Collectivités Autonomes et des Chefferies
Traditionnelles (HCCACT)275, il faut dire qu'il existe toujours de
doute sur l'indépendance réelle de l'organe.
Au regard de tout ce qui précède, l'on se rend
bien compte que l'État a ainsi la pleine maîtrise des moyens
d'action, et partant, de l'indépendance de cet organe. Cette
maîtrise des
personnalité morale et jouit de l'autonomie
financière. Tous les services de l'Etat doivent lui accorder
l'assistance nécessaire dans l'accomplissement de sa mission
».
273 Article 34 de l'ordonnance n°024/PR/2018.
274 Voir GUISWE Norbert, « Les limites de la protection
non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais »,
op. cit., p. 4.
275 Article 14 alinéa 3 de l'ordonnance
n°024/PR/2018.
85
moyens d'action par l'État rend la CNDH non active et
non matériellement active dans la protection des libertés.
|