Paragraphe 2 : L'impartialité menacée du
juge
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L'indépendance et l'impartialité sont des
valeurs séparées, mais elles sont étroitement
liées256. L'indépendance des juges et des tribunaux
renvoie à l'absence de lien de soumission envers le législateur
et le Gouvernement dans l'exercice de la fonction judiciaire.
L'impartialité quant à elle, renvoie à un état
d'esprit ou une attitude du juge faisant abstraction de toute autre
considération que celle d'appliquer aux faits la règle de droit
pertinente. Cette impartialité est organisée par un
texte257.
Ce sont des facteurs objectifs qui créent
l'indépendance des juges et des tribunaux, mais cette
indépendance n'a de valeur que parce qu'elle établit certaines
des conditions nécessaires pour assurer l'impartialité des
décisions de justice en éliminant les possibilités
d'ingérence du Législatif et de l'Exécutif. Mais elle ne
suffit pas à elle seule à écarter toutes les interventions
externes susceptibles de compromettre l'impartialité du juge dans une
affaire précise, ou encore l'apparence d'impartialité de la
juridiction au sein de laquelle il exerce sa fonction. Les circonstances
susceptibles de compromettre l'impartialité des juges sont les
pesanteurs hiérarchiques (A), la nomination et le renouvellement du
mandat (B) font parties également des obstacles.
A - Les pesanteurs hiérarchiques
Le Professeur BADARA FALL Alioune affirmait qu'« Il
peut paraitre curieux et même paradoxal d'évoquer la notion de
hiérarchie en matière de justice dès lors qu'elle implique
une idée de subordination qu'il est difficile de concevoir dans ce
domaine. Il faut cependant accepter l'idée que la justice, en tant que
service public, est également concernée par la hiérarchie
»258. Ainsi, l'organisation hiérarchique permet non
seulement de structurer le corps judiciaire, mais elle protège le
citoyen contre l'arbitraire grâce au recours qu'il pourra
éventuellement exercer lorsqu'il fait l'objet d'une décision de
justice qui ne lui donne pas satisfaction.
Ce principe de la hiérarchie touche à la fois
les magistrats (qui forment ainsi un corps hiérarchisé) et les
juridictions ; il permet de situer les responsabilités et donne une
certaine cohésion au corps judiciaire. En matière de justice
toutefois, cette hiérarchie est particulière et n'entraîne
pas une dépendance du juge à l'égard de ses
supérieurs ou de sa juridiction
256 DUPLE Nicole, « Les menaces externes
à l'indépendance de la justice », in
L'indépendance de la justice, 2007, Dakar, p.11.
257 Article 4 de la loi n°11/PR/2013 du
7 juin 2013 portant Code de l'organisation judiciaire au Tchad «
l'impartialité des juges est garantie par les dispositions du
présent code ainsi que par les règles d'incompatibilité
fixées par le statut de la magistrature »
258 BADARA FALL Alioune, « Les menaces
internes à l'indépendance de la justice », op.
cit., p.12.
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lorsqu'il s'agit des juges du siège. Tel n'est pas le
cas pour les magistrats du parquet qui obéissent à d'autres
règles à ce sujet.
La hiérarchie au sein des juridictions ne
soulève pas de problèmes particuliers. La meilleure justice est
celle permettant au requérant qui n'est pas satisfait de la
décision rendue par la première juridiction, de saisir la
juridiction hiérarchiquement supérieure. Et si celle-ci devait
rendre une décision contraire, cela ne constituerait pas une atteinte
à l'autonomie de la décision de la juridiction inférieure
dès lors que chaque juridiction est libre de statuer comme elle l'entend
et quelle que soit sa place dans la hiérarchie259.
En revanche, la hiérarchie entre les personnes
crée des rapports plus complexes et soulève plus de questions
quant à l'indépendance du magistrat. D'abord, ce pouvoir
hiérarchique ne concerne nullement la prise de décision ;
celle-ci relève de la seule conscience de chaque juge qui n'a de compte
à rendre ni à son chef de juridiction, ni à qui ce soit.
Cela dit, les chefs de juridictions sont investis de pouvoirs administratifs
qui peuvent constituer des menaces à l'indépendance du juge s'ils
ne sont pas limités aux nécessités du service. Il leur
revient en effet le pouvoir de réglementer l'organisation des audiences,
de pourvoir aux affectations et d'évaluer l'activité
professionnelle de magistrats placés sous leur autorité
(élément important pour leur avancement). Même si des
garanties entourent ces pouvoirs pour éviter tout arbitraire de leur
part, le juge n'est pas à l'abri de pressions ou de sanctions de la part
de ses supérieurs hiérarchiques, si les rapports qui les lient
dans le service ne sont pas d'une parfaite sérénité.
Ces pesanteurs hiérarchiques ne favorisent pas
l'épanouissement du juge dans l'exercice de sa mission qui est celle de
garant des libertés individuelles. Il faudra repenser au fonctionnement
de la justice de telle manière que l'impartialité du juge ne soit
pas compromise par les pesanteurs hiérarchiques. Si ces dernières
compromettent l'impartialité du juge, il n'en demeure pas moins en ce
qui concerne la nomination et le renouvellement de mandat.
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