Paragraphe 2 : L'indépendance organique incertaine
de la Chambre constitutionnelle
L'importance de la juridiction constitutionnelle dans la vie
publique est incontestable. Juridiction la plus haute au sein de l'État,
la Chambre constitutionnelle est chargée de vérifier que la loi
respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. Ainsi, le
juge constitutionnel doit bénéficier d'une indépendance
organique. Or, cette indépendance étant entendue de façon
relative comme une prérogative acceptée par les pouvoirs publics.
C'est justement à cet égard que l'indépendance du juge
constitutionnel est véritablement mise en cause229. Cela
s'observe à travers la nomination qui semble politisée (A) du
simple fait que les autorités qui interviennent dans la
désignation des juges sont des autorités politiques. Dans la
nomination, le pouvoir politique a une forte propension de désigner, du
moins en apparence, les personnalités sensibles à des
obédiences politiques230. En plus,
l'irrévocabilité de la juridiction constitutionnelle dans son
ensemble comme dans ses composantes individuelles
228 STAUDER François-Albert, « Tchad
: une nouvelle république sans État de droit ? », op.
cit., p. 6
229 DIALLO Ibrahima, « La
légitimité du juge constitutionnel africain », op.
cit., p. 20.
230 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les
justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation
concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique
», op.cit, p. 34.
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qui est la garantie statutaire (B) ne serait opposable aux
pouvoir publics, en l'occurrence les autorités de
nomination231.
A - La nomination politique des membres de la
chambre
Le Doyen ROUSSEAU souligne qu' « une institution,
surtout lorsqu'elle se construit, dépend toujours pour une part, de la
personnalité des hommes qui l'incarnent et la font vivre
»232. Cette assertion révèle l'importance
accordée à la politique de nomination par la classe politique qui
reste encore à la recherche d'un mode idéal, non politisé
de désignation.
Parler de la nomination des membres de la Chambre
constitutionnelle revient à passer en revue la nomination des membres de
la Cour Suprême. La nomination est politique du simple fait que les
autorités qui interviennent dans la désignation sont des
autorités politiques. Tout d'abord, la Cour est composée de
quarante-et-trois (43) membres selon l'article 158 alinéa 1 de la
Constitution. S'agissant des membres de la chambre constitutionnelle, il
convient de noter qu'ils sont aux nombre de sept (7).
Au regard de l'alinéa 4 de l'article 158, les membres
de la Chambre constitutionnelle sont désignés de la façon
suivante : « sept (7) parmi les spécialistes du droit
constitutionnel dont : quatre (4) par le Président de la
République et trois (3) par le Président de l'Assemblée
Nationale ». En effet, dans la nomination, le pouvoir politique a une
forte propension et une fois nommé, l'autorité politique attend,
dans une certaine mesure, du juge constitutionnel qu'il délibère
dans le sens de ses options politiques233. Le cas
échéant, le pouvoir politique peut aller jusqu'à remettre
en cause la valeur de la décision de la haute juridiction et faire plier
ce dernier à sa volonté. Cette pratique est plus
récurrente dans nos sociétés politiques et plus
précisément au Tchad. Même s'il n'y a pas, à notre
connaissance, une décision de la juridiction constitutionnelle
tchadienne pour en illustrer, il faut juste jeter un regard dans la pratique
des États d'Afrique noire francophone pour se rendre à
l'évidence. Il en est ainsi du juge burkinabé qui a dû
rendre une seconde décision de conformité d'un accord de
financement entre l'État burkinabé et la Banque Islamique de
Développement, alors que dans une première décision, il
avait estimé que la soumission dudit accord au principe de la
Charia234 contrevenait au principe constitutionnel de la
laïcité de l'État235. Incontestablement,
231 CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et
l'effet Becket », in renouveau du droit constitutionnel, Mélange en
l'honneur de FAVOREU Louis, Paris, Dalloz, 2007, pp. 83-89, cité par
DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel
africain », op. cit., p. 21.
232 ROUSSEAU Dominique, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, 8ème édition,
Montchrestien, 2008, p. 37.
233 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge
constitutionnel africain », op. cit., p. 21.
234 La loi islamique.
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l'exigence formelle d'un juge constitutionnel «
apolitique » échoue d'ailleurs et la politisation demeure une
réalité. Or, le rôle de légitimation
démocratique est reconnu au juge constitutionnel. Ce rôle de
légitimation démocratique est source des crises profondes
remettant ainsi en cause l'État de droit et la démocratie.
En fait, l'indépendance du juge constitutionnel
dépend en pratique de l'environnement juridico-politique dans lequel il
se déploie. En effet, si dans certains pays notamment les pays où
le niveau de culture juridique et démocratique est élevé,
la tâche du juge est relativement aisée, il en va
différemment dans d'autres pays où les décisions
audacieuses des juridictions constitutionnelles peuvent avoir pour
conséquences la suppression pure et simple de ces
juridictions236 ou la tentative des pouvoirs publics d'invalider ces
décisions237. Alors, le Président de la
République en procédant discrétionnairement à la
nomination des conseillers constitutionnels va certainement, comme les
français le disaient du Président de la Vème
République française, exercer « une magistrature d'influence
» en privilégiant ses amis politiques238. Cette
prérogative est plus ou moins critiquable en comparaison avec d'autres
institutions des pays souvent cités comme modèle de
démocratie.
Pour une juridiction constitutionnelle véritablement
indépendante, il est important de revoir le mode de nomination des juges
constitutionnels. Il faudra rechercher un mode idéal239 qui
fera écarter toute soupçon d'obédience politique dans la
désignation des membres de la Chambre. Il s'agit pour la classe
politique de s'assurer de la haute qualité morale des futurs membres et
surtout le changement du système de nomination destiné à
garantir leur totale indépendance et la dignité de leurs
fonctions. Dans une démocratie juvénile, dotée de justice
constitutionnelle, peu expérimentée et moins prouvée par
le temps, avec la mission combien importante que la juridiction
constitutionnelle est appelée à accomplir dans son travail de
235 Décision n°2003/CC/JB du 23 décembre
2003 aux fins de contrôle de conformité à la Constitution
du 2 juin 1991 de l'accord de prêt conclu à Kuala Lumpur, le 17
octobre 2003 entre le Gouvernement du Burkina Faso et la Banque Islamique de
Développement pour le financement partiel du projet de construction de
la route Kaya-Dori.
236 C'est le cas de la dissolution, par le
Président de la République, de la Cour Constitutionnelle
nigérienne en 2009, pour avoir donné un avis contraire au projet
présidentiel de révision et le déclarer contraire à
la Constitution. Voir CC du Niger, avis n°2/CC du 25 mai 2009 et
arrêt n°04/CC/ME du 12 juin 2009.
237 Communication du Conseil Constitutionnel
du Burkina Faso à l'occasion du deuxième congrès de la
conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, organisée
par la cour suprême fédérale du Brésil et la
commission de Venise du conseil de l'Europe à Rio de Janeiro du 16-18
janvier 2011.
238 MAMADOU Gueye, Le Conseil
Constitutionnel sénégalais et la vie politique, Thèse
de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP, 2011, p. 267.
239 L'idéal voulu pour une
indépendance certaine peut être illustré par le mode de
nomination des juges constitutionnels du Niger. Ces juges sont
désignés suivant un procédé mixte qui allie la
nomination et les élections, les organes politiques et les organes
corporatifs (article 121 de la Constitution de 2010). C'est le même
système à Madagascar (article 114 de la Constitution). On peut
s'en féliciter de la nomination du Président de la Cour
Constitutionnelle malienne par ses pairs (article 92 de la Constitution
malienne).
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protection des droits fondamentaux, la désignation
exclusive des membres par le Chef de l'État et le Président de
l'AN est révélatrice d'un péril certain.
En dehors de la nomination politique des juges
constitutionnels, il y a également leur statut qui est contestable quant
à la garantie d'indépendance.
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