B - La dépendance de la Chambre
constitutionnelle à l'égard des autres
pouvoirs
D'après MAMADOU Samb, « l'indépendance
de la justice s'exprime, de prime à bord, par une autonomie à
l'égard du pouvoir politique »224. Malgré
les garanties textuelles d'indépendance, les rapports entre les pouvoirs
judiciaires et le politique laissent apparaitre la domination du politique sur
le pouvoir judiciaire.
Le juge constitutionnel africain a été pendant
longtemps dans une situation vulnérable à cause de sa
dépendance au pouvoir politique. Aujourd'hui encore et malgré
l'ouverture démocratique, et la mise en place des juridictions
constitutionnelles, le débat se pose encore.
224 MAMADOU Samb, « La gouvernance politique : changement
ou continuité ? », Karthala, 2004, cité par MAMADOU Gueye,
Le Conseil Constitutionnel sénégalais et la vie
politique, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP,
2011, p. 269.
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L'indépendance du juge constitutionnel vis-à-vis
des autres pouvoirs n'est pas conquise de manière
parfaite225. Ainsi, la Chambre constitutionnelle étant
déjà dans l'ordre judiciaire, son indépendance
vis-à-vis des autres pouvoirs ne pourrait être tangible. Proclamer
l'indépendance des juges dans les textes est une étape importante
mais cela ne peut suffire à mettre les juges à l'abri des
pressions ou de l'autocensure226.
En effet, le constat est qu'en dépit des garanties
statutaires d'indépendance formelle227, le juge
constitutionnel tchadien est en réalité placé dans un
rapport de dépendance et de subordination statutaire à
l'égard du pouvoir politique. Dans ses rapports avec le pouvoir
politique, le juge constitutionnel doit bénéficier d'un
régime particulier lui permettant de réaliser effectivement son
indépendance. Et pourtant, l'existence même du juge
constitutionnel se justifie principalement, à l'origine, par la
volonté de préserver la conception de la séparation des
pouvoirs. Sa mission essentielle est en effet de réguler
l'activité des pouvoirs publics et particulièrement leur
activité normative. Mais l'extension des normes de
référence du contrôle de constitutionnalité aux
droits fondamentaux a eu pour conséquence de renforcer le rôle du
juge constitutionnel dans les relations entre pouvoirs publics. Cette position
actuelle de la juridiction constitutionnelle au Tchad apparaît peu
fortifiante en matière de régulation des relations entre les
pouvoirs, en ce sens que la Chambre se trouve sous le pouvoir judiciaire, en
l'occurrence la Cour Suprême. Il semble paradoxal que la Chambre puisse
agir en toute indépendance dans l'exercice de ses missions qui sont
d'ailleurs importantes dans la préservation de l'État de
droit.
Au regard de la pratique actuelle au Tchad, surtout dans le
fonctionnement du système judiciaire, le juge constitutionnel parait
résister peu aux pressions politiques venant du pouvoir exécutif
qui estime qu'il peut tout faire. En plus, les raisons avancées par le
comité des réformes nous semblent peu convaincantes lorsqu'il
justifie l'entrée de la juridiction constitutionnelle, qui était
un organe indépendant, sous l'ordre judiciaire par la raréfaction
des ressources. C'était peut-être dans le souci de mieux
maîtriser le juge constitutionnel par le pouvoir exécutif que le
constituant avait pensé opérer cette réforme qui est venue
détruire l'architecture de l'État de droit au Tchad. Rappelons
que les articles 161 et suivants de l'ancienne Constitution faisaient du
Conseil Constitutionnel à la fois le juge de la
constitutionnalité des lois, le responsable du contentieux des
élections nationales et l'organe
225 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du
juge constitutionnel africain », Revue Africaine des Sciences
Juridiques et Politiques, Dakar, 2015, p. 15.
226 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et
les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p.
4.
227 Article 148 de la Constitution, « le pouvoir
judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir
législatif ».
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régulateur du fonctionnement des institutions. C'est
devant lui que le Président prêtait serment. Même si pendant
ses deux décennies d'existence, le Conseil Constitutionnel n'a pas
réussi à marquer la vie politique et administrative du pays de
son emprunte et ne s'est pas montré audacieux dans ses décisions,
il faut noter que c'est après un long débat au sein des instances
de la CNS de 1993 qu'il avait décidé d'imposer un Conseil
Constitutionnel, à côté de la Cour Suprême, pour
« répondre à l'importance des enjeux de la construction
de l'État de droit » dans le pays228.
Élément indispensable de contre-pouvoir, la
juridiction constitutionnelle ne doit pas être dépendante dans un
pays où la population a véritablement besoin de la protection
juridictionnelle de ses droits et libertés fondamentaux.
Conféré la matière constitutionnelle à la Cour
Suprême comme l'a fait le constituant tchadien dans la Constitution de
2018 constitue un handicap important dans la perspective de la consolidation de
l'État de droit. Il ne suffit pas d'avoir une juridiction
constitutionnelle, mais rendre autonome et indépendante celle-ci sera un
idéal qu'il faut chercher à atteindre.
La Chambre constitutionnelle n'est pas seulement
fonctionnellement dépendante mais son indépendance organique
reste également à interroger.
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