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La constitution tchadienne du 04 mai 2018 et la consolidation de l'état de droit.


par Keumaye Tchiakika
Université de Dschang Cameroun - Master 2 en droit public 2020
  

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CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE DANS
LA GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD

Quelle que soit la manière dont on envisage le problème du juge en Afrique, on ne peut éviter de partir d'un constat malheureusement amer : le juge africain et par là même la justice en Afrique, est « en panne »217. Ce constat n'est pas nouveau et a été déjà établi par des nombreux observateurs qui ont cherché, par des remarquables études218, à découvrir les causes de cette panne. Nous avons tendance à croire, de nos jours, que le juge ne bénéficie guère de l'idée que nous faisons habituellement et légitimement d'un organe chargé de dire le droit, de rendre la justice. Le juge, dont la haute mission est de trancher les conflits et protéger les citoyens contre les violations de leurs droits et contre tout arbitraire de la part des pouvoirs publics, est soupçonné d'être dépendant.

L'article 157 alinéa 1 de la Constitution dispose que « la Cour Suprême est la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire, administrative, constitutionnelle et des comptes ». Il ressort de cette formulation que la Cour regroupe des juges constitutionnels, administratifs et judiciaires. Ces trois juges ont pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux des citoyens conformément à l'article 148 de la Constitution219. Leurs attributions législatives montrent, à l'analyse, que leur indépendance apparaît problématique dans la mesure où l'indépendance du juge constitutionnel apparaît contestable (Section 1). Cela s'observe à travers la réduction de l'ex Conseil Constitutionnel en une Chambre au sein de la Cour Suprême. En dehors de l'indépendance incertaine de la juridiction constitutionnelle, il y a également les menaces importantes portées à l'indépendance des autres juges dans la protection des droits fondamentaux (Section 2).

217 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », In les défis des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 1.

218 Voir en particulier, les analyses faites sur la justice en Afrique, in Afrique contemporaine, numéro spécial, 1990 cité par BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p. 1.

219 L'article 148 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours d'Appel, la Haute Cour militaire et les justices de paix. Il est gardien des libertés et de la propriété individuelle. Il veille au respect des droits fondamentaux ».

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SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL TCHADIEN

Le principe de la séparation des pouvoirs, tel que systématisé par MONTESQUIEU220, concerne les trois pouvoirs constitués que sont les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les juridictions constitutionnelles, instances équivalentes, ne peuvent pas s'inscrire, en principe, dans la formulation du principe de la séparation des pouvoirs lorsqu'elles sont situées en dehors de l'ordre judiciaire.

Au Tchad, la juridiction constitutionnelle est un organe situé dans la hiérarchie judiciaire221. Elle bénéficie des garanties statutaires et organiques pour asseoir son indépendance. Mais tout ceci ne suffit pas pour qu'on puisse parler d'une véritable indépendance de la juridiction. Il en faut plus, car la pratique révèle que l'indépendance du juge constitutionnel est tributaire de plusieurs facteurs. Ces facteurs compromettent considérablement l'indépendance de la juridiction qui est, en principe, appelée à être véritablement indépendante dans l'exercice de ses fonctions.

Il n'est plus à rappeler le rôle primordial du juge constitutionnel tchadien dans la garantie des droits fondamentaux des citoyens. Il a montré son audace à travers le contrôle de constitutionnalité des lois et des conventions internationales. Mais à l'analyse des dispositions constitutionnelles et législatives, l'indépendance organique (paragraphe 2) et fonctionnelle (paragraphe 1) de la Chambre constitutionnelle paraissent incertaine.

Paragraphe 1 : L'indépendance fonctionnelle menacée de la Chambre
constitutionnelle

La juridiction constitutionnelle étant une Chambre de la Cour Suprême, cet état de chose ne rend pas compte de l'effectivité de l'autonomie de celle-ci. Ainsi, l'indépendance fonctionnelle de la Chambre constitutionnelle se trouve sérieusement menacée. Son indépendance à l'égard de la Cour est discutable (A) ainsi qu'à l'égard des autres pouvoirs (B).

220 Montesquieu : De l'Esprit des lois précité.

221 Article 157 de la Constitution du 04 mai 2018.

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A - L'indépendance organique discutable de la Chambre à l'égard de la
Cour Suprême

Aux termes de l'article 157 alinéa 8 de la Constitution, « la Cour Suprême comprend cinq chambres : une (1) chambre judiciaire, une (1) chambre administrative, une (1) chambre constitutionnelle, une (1) chambre des comptes et une (1) chambre non permanente ». La Chambre constitutionnelle joue le rôle de la juridiction constitutionnelle. Le statut de la Cour confère une indépendance fonctionnelle à la Chambre constitutionnelle. En effet, l'autonomie de la Chambre constitutionnelle s'entend de la faculté pour cette dernière de s'auto-organiser et de définir la procédure et les règles de son fonctionnement. On distingue traditionnellement trois formes d'autonomie : l'autonomie administrative, financière et normative222 . Ce triptyque permet de mesurer l'étendue de la maîtrise de la Chambre sur les règles de son organisation et de son fonctionnement.

Ainsi que le soulignait le Doyen FAVOREU, l'autonomie administrative s'entend de la nécessité pour une juridiction constitutionnelle de disposer d'une administration interne autonome. Cela suppose donc l'existence d'un siège autonome de l'institution distinct et séparé. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême du Tchad. En effet, la Constitution s'est limitée à donner la composition de la Cour sans toutefois précisé avec exactitude les membres de la Cour qui seront affectés à la Chambre constitutionnelle. L'article 158 de la Constitution dispose que : « la Cour Suprême est composée de quarante-et-trois (43) membres dont un (1) président et quarante-et-deux (42) conseillers ». Cet état des choses n'augure pas une indépendance certaine de la juridiction qui est appelée à être véritablement indépendante. L'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême en son article 259223 permet de se rendre à l'évidence de l'incertitude de l'indépendance la Chambre à l'égard de la Cour. Or, la bonne norme de l'autonomie administrative aurait voulu que c'est le Greffier en chef de la Chambre constitutionnelle qui doit recevoir directement les requêtes.

Le régime des sanctions des membres de la Chambre apparaît comme un élément important dans l'analyse de son indépendance. En principe, dans le souci de protection des

222 FAVOREU Louis, « Théorie générale de la justice constitutionnelle », in FAVOREU Louis et sa suite, Droit constitutionnel, Dalloz, coll. « précis. Droit public. Science politique », 11ème édition, 2008, pp. 254-255 cité dans le rapport de la 2ème conférence mondiale sur la justice constitutionnelle à rio de Janeiro, 2011, p. 2.

223 Article 259 alinéa 3 de l'ordonnance n°015/PR/2018, « les requêtes sont enregistrées dès leur réception par le Greffier en chef de la Cour suprême qui les transmet au Greffier de la chambre constitutionnelle. Il ouvre un dossier pour chaque requête ».

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juges constitutionnels, la loi devrait donner le pouvoir à celle-ci d'organiser sa propre police. De ce fait, les membres doivent tenir informé le Président de ladite Chambre des changements qui peuvent intervenir lors des activités. Elle devrait apprécier elle-même le manquement aux obligations d'un membre. Ainsi, la Chambre pourrait facilement sanctionner l'un de ses membres. En accordant le pouvoir disciplinaire et de police à la Cour, la Chambre se trouve dépendante de celle-ci et elle ne peut exercer efficacement sa mission de garant des droits fondamentaux.

Parler de l'indépendance de la juridiction constitutionnelle c'est parler aussi de son autonomie de fonctionnement, c'est-à-dire l'autonomie de la Chambre quant à la détermination de certains éléments essentiels de son organisation. Cette autonomie d'organisation se manifeste à travers la désignation du Président de la Chambre. Ni la Constitution ni l'ordonnance n°015/PR/2018, n'ont précisé les modalités de désignation du président de la Chambre, mais tout porte à croire que celui-ci serait désigné par le Président de la Cour. Cette position du Président de la Chambre peut considérablement compromettre l'indépendance de la juridiction, surtout à travers les décisions qu'elle va rendre.

En tout, la résurgence de la Chambre constitutionnelle peut constituer un obstacle grave à l'indépendance de la juridiction constitutionnelle. Or, la juridiction constitutionnelle est au coeur de la construction de l'État de droit et donc il faut lui donner une position confortable vis-à-vis des autres pouvoirs pour qu'elle puisse accomplir sa mission en toute impartialité et neutralité.

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