B - Le statut contestable des juges
constitutionnels
Dans tous les pays, il y a un minimum de règles
destinées à assurer aux juges constitutionnels une
indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ces règles
sont relatives à la durée du mandat, l'inamovibilité des
fonctions et la révocabilité. Toute ces règles sont
organisées par la Constitution ou une loi organique.
Au Tchad, l'article 158 alinéa 6 de la Constitution
dispose que « les membres de la Cour Suprême sont
désignés pour un mandat de sept (7) ans renouvelable ».
En effet, malgré cette affirmation, l'effectivité de
l'indépendance et de l'impartialité du juge constitutionnel peut
toujours être douteuse au regard notamment de la durée de son
mandat associée à son caractère renouvelable. On peut
penser que les juges désignés, dans l'espoir de rechercher
à renouveler leur mandat, seront tentés d'adopter des
comportements partisans vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi,
l'indépendance serait sans doute mieux garantie si le mandat des juges
était non renouvelable quitte à ce qu'il soit plus
long240. De plus, la meilleure protection du juge constitutionnel
à l'égard du pouvoir politique résulterait d'une garantie
d'irrévocabilité doublant la garantie
d'inamovibilité241. Ainsi, l'irrévocabilité de
la juridiction constitutionnelle dans son ensemble comme dans ses composantes
individuelles serait
opposable aux pouvoirs publics, en l'occurrence aux
autorités de nomination242. L'inamovibilité ne
constituerait pas une garantie d'indépendance du juge
constitutionnel.
240 C'est notamment le cas du mandat des membres de la cour de
justice internationale qui est de neuf (9) ans non renouvelable. C'est en ce
sens également qu'il avait été proposé, en droit
communautaire européen, d'allonger la durée du mandat des membres
de la cour pour une période de douze (12) ans non renouvelable.
241 AIVO Joël, Le juge constitutionnel et
l'État de droit en Afrique. L'exemple du modèle
béninois, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 143 et ss.
242 La force et la pertinence de cette argumentation
résident dans la différence conceptuelle entre
l'irrévocabilité et l'inamovibilité. La première
signifie que le juge constitutionnel ne peut faire l'objet d'une interruption
de ses fonctions en cours de mandat et la seconde signifie qu'il ne peut faire
l'objet de mutation à d'autres fonctions ou responsabilités en
cours de mandat. Ces deux notions se recoupent mais ne se confondent pas. Voir
CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et l'effet Becket », in
renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de FAVOREU
Louis, op. cit., pp. 83-94.
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La question de la révocabilité des juges
constitutionnels est loin d'être claire qu'elle y paraît. Sont-ils
révocables ? Et si oui, par qui ? le constituant a évoqué
l'inamovibilité243 mais c'est simplement que l'on
présume qu'ils sont irrévocables pendant l'exercice de leur
mandat. Comme en France244, au Tchad, aucun article de la
Constitution et de l'ordonnance portant attribution, organisation,
fonctionnement et règles de procédure devant la Cour
Suprême ne prévoit l'irrévocabilité des juges
constitutionnels. C'est au regard des pratiques constitutionnelles dans
certains pays d'Afrique noire francophone, notamment le Cameroun245
qu'on déduit l'irrévocabilité des juges constitutionnels
tchadiens.
Au regard de tout ceci, le mandat long et non renouvelable est
envisageable pour une bonne justice constitutionnelle dans un pays comme le
Tchad. Le mandat long et non renouvelable est un élément
essentiel pour deux raisons : d'abord elle permet aux juges constitutionnels de
travailler sereinement dans la durée et ainsi de forger des techniques
de travail acceptables par tous. Enfin, elle permet aux juges d'être
à l'abri des invectives du responsable ou du camp politique auquel ils
doivent leurs nominations. Le fait que le mandat soit non renouvelable est
indispensable pour que les juges ne cherchent pas à plaire à ceux
qui les ont désignés. Ce non renouvèlement du mandat se
présente comme un gage d'indépendance par rapport à
l'autorité de nomination. Le Professeur KAMTO notait en ce sens,
à propos d'une organisation, que « la non
rééligibilité des juges devrait conforter leur
indépendance dans la mesure où elle les libère des
contraintes voire des compromissions qu'aurait pu dicter à un juge en
fin de mandat une campagne pour sa réélection
»246.
Si le juge constitutionnel tchadien est limité dans son
rôle de garantie des droits fondamentaux, les autres juges ne sont pas du
reste.
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