B - La difficile mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du Président de la
République
Si le constituant tchadien a pu définir la haute
trahison ayant ôté l'incertitude dans l'esprit de certains
constitutionnalistes en ce qui concerne le contenu de la haute trahison,
195 Article 271 de l'ordonnance régissant la Cour
Suprême.
196 Article 272 de l'ordonnance n°015/PR/2018.
197 CF article 276 de l'ordonnance n°015/PR/2018.
198 Article 278 de l'ordonnance précitée :
« après règlement du dossier, la commission
d'instruction peut :
- Soit dire qu'il n'y a pas lieu à suivre ;
- Soit, si les faits reprochés aux accusés sont
établis, les renvoyer devant la chambre non permanente ».
199 Article 284 de l'ordonnance n°015/PR/2018 : «
si l'accusé est déclaré coupable, il est voté
sur l'application de la peine. Toutefois, après deux (2) votes dans
lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voies, la peine la
plus forte proposée dans le vote sera écartée pour le vote
suivant et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte
jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée à la
majorité absolue des votants ».
200 Article 285 de l'ordonnance citée ci-dessus, «
En cas de condamnation, le Président de la république est
déchu de ses charges et les ministres de leur fonction par la chambre
non permanente ».
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d'autres incertitudes demeurent encore. La première est
en rapport avec les actes accomplis par le Président de la
République dans l'exercice de ses fonctions mais non susceptibles de
constituer le crime de haute trahison ou encore sans lien avéré
avec l'exercice de la fonction. La seconde concerne les actes antérieurs
à la fonction. Ce sont des actes, certes constitutifs de crime ou
délits, commis non pas par le Président de la République,
mais par le futur Président de la République201. Ces
deux catégories d'actes qualifiés de «
détachables » ou d'« antérieurs
» excluent a priori toute compétence de la Cour
Suprême. Le Président agissant en tant qu'individu pourrait-il
être poursuivi à la fin de son mandat devant les juridictions de
droit commun comme c'est le cas de certains pays202 ?
qu'adviendra-t-il en cas du silence des textes203.
Au Tchad, il n'existe pas, à notre connaissance, des
jurisprudences pouvant illustrées les incertitudes concernant les actes
antérieurs à la fonction du Président. Mais la
jurisprudence française peut nous servir ici en ce qui concerne la
responsabilité pénale à l'égard des actes accomplis
pendant le mandat mais en dehors des fonctions ou ceux accomplis avant
l'entrée en fonction du Président. Le problème s'est
posé à l'occasion de la procédure mettant en cause le
Président Jacques CHIRAC à raison de faits antérieurs
à son élection. Dans une décision importante du 22 janvier
1999, le Conseil Constitutionnel français a radicalement exclu toute
possibilité de poursuite devant les tribunaux judiciaires de droit
commun pour les motifs suivants. Le Président bénéficie
d'une immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de ses
fonctions. Et s'agissant des actes commis antérieurement à
l'entrée en fonction ou des actes qui sont détachables de
l'exercice de ses fonctions, le Conseil affirme que la responsabilité
pénale du Président n'est pas possible devant les juridictions de
droit commun. Elle ne peut être engagée que devant la Haute Cour
de justice.
Cette atteinte au principe d'égalité devant la
loi est justifié par la représentation du Président comme
étant le représentant de l'autorité204. Il est
nécessaire d'accorder une protection fonctionnelle au Président
afin de le préserver des poursuites engagées pour des raisons
purement politiques. Mais il faut éviter de faire du Président
une personne intouchable, au-dessus des lois.
201 AIVO Frédéric Joël, « La
responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes
politiques africains d'influence française », op. cit.,
p.14.
202 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la
République, op. cit., p. 33.
203 OURO-BOD Ouro-Gnaou I, « La responsabilité des
titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone
», op. cit., p. 18.
204 Article 84 de la Constitution dispose que « le
Président de la République est le Chef de l'État, Chef du
Gouvernement et de l'administration. A ce titre, il détermine et conduit
la politique de la Nation, il exerce le pouvoir règlementaire
».
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Toutefois, si la responsabilité pénale du Chef
de l'État est prévue par la Constitution, la mise en oeuvre reste
très hypothétique. Il faut tout d'abord questionner
l'indépendance de l'organe en charge de juger le Président de la
République pour haute trahison. La Constitution accorde la
compétence à la Cour Suprême, à travers une Chambre
non permanente205. La Cour, chargée de mettre en oeuvre la
responsabilité du Président paraît être
inféodée au pouvoir politique. Elle constitue un simple
maquillage démocratique selon les propres termes du juriste togolais
Ouro-Gnaou OURO-BODI206. La Chambre chargée de la haute
trahison peut être qualifiée d'une Chambre politique pour
plusieurs raisons. Il s'agit d'une juridiction politique du fait de ses
principaux justiciables, le Chef de l'État et les membres du
Gouvernement qui sont presque des hommes politiques. Il s'agit ensuite d'une
juridiction politique du fait que les infractions qu'elle est appelée
à connaître sont des infractions qui peuvent être
aisément qualifiées de politiques. Elle est enfin de nature
politique du fait de sa composition particulière qui intègre les
hommes politiques, notamment les parlementaires.
Fort de tout cela, la responsabilité pénale du
Président de la République est d'une consécration
constitutionnelle au Tchad mais sa mise en oeuvre est difficile pour des
raisons des immunités présidentielles. S'il doit y avoir une
protection, c'est le Président qui devait être
protégé et non l'individu ordinaire avec ses faiblesses, ses
erreurs et qui devrait répondre de ses actes devant le juge
pénal.
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