République
L'article 103 de la Constitution dispose que « le
Gouvernement est composé du Président de la République et
des ministres ». Cela signifie que le Président est aussi
membre du Gouvernement.
Les systèmes politiques africains ont toujours
été marqués par la prééminence du Chef de
l'État sur toutes les autres institutions. Cette
prééminence était absolue sous le monopartisme : le
Président de la République, Chef de l'État, Chef du
Gouvernement exerçait constitutionnellement et pratiquement un pouvoir
suprême, exclusif et incontestable188.
184 AVRIL Pierre, « Pouvoir et responsabilité »,
op. cit., p. 9.
185 GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, Lexique des termes
juridiques, op. cit., p. 510.
186 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la
République, Dalloz, Paris, 2002, p. 31.
187 Le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Sénégal,
etc.
188 ONDO Telesphore, La responsabilité introuvable
du Chef de d'État africain : analyse comparée de la contestation
du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone. (Les exemples
camerounais, gabonais, tchadien et togolais), Thèse Doctorat,
Université de Reims Champagne-Ardenne, 2005, p. 53.
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Si dans les pays d'Afrique noire francophone, de
manière générale, la responsabilité politique du
Chef de l'État est quasiment introuvable, le constituant tchadien n'est
pas resté en marge de la consécration constitutionnelle de
l'irresponsabilité politique du Président de la
République. Le constituant tchadien, dans la Constitution de la
4ème République, a consacré la
responsabilité pénale du Président de la République
(A) même si cette responsabilité reste incertaine dans sa mise en
oeuvre (B).
A - La responsabilité pénale
consacrée du Président de la République
Le régime juridique qui protège, dans les
systèmes démocratiques en Afrique, les dirigeants politiques,
notamment chef d'État et Ministre, est fait des règles
constitutionnelles et législatives tangibles mais peu complètes,
peu précises et par conséquent, objets d'interprétation et
parfois des vives polémiques189. Mais au Tchad, le
constituant a bâti la responsabilité du Président de la
République sur le principe traditionnel et universel de deux
immunités distinctes, l'irresponsabilité et
l'inviolabilité qui impliquent cependant sa responsabilité
pénale pour haute trahison. L'article 83 de la Constitution tchadienne,
reprenant l'article 68 de la Constitution française190,
dispose que : « le Président de la République n'est
responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
haute trahison telle que prévue à l'article 157 ». Cela
signifie que le Président n'est ni politiquement ni pénalement
responsable dans l'exercice de ses fonctions, sauf en cas de haute trahison.
Cette irresponsabilité est perpétuelle, car elle continue
même après l'expiration du mandat.
Si cette formulation laconique, répandue dans les
textes constitutionnels de certains pays africains191, fait
apparaitre les incertitudes que les constitutionnalistes et politistes ainsi
qu'acteurs politiques se sont évertués à clarifier, il
n'en demeure pas moins dans la Constitution tchadienne du 04 mai 2018.
Afin de remédier aux incertitudes
précitées, le constituant tchadien a apporté des
précisions en ce qui concerne le contenu de la haute trahison. Ainsi,
aux termes de l'article
189 AÏVO Frédéric Joël, « La
responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes
politiques africains d'influence française », op. cit.,
p.12.
190 L'article 68 dispose que : « le Président
de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice
de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ».
191 Voir article 101 de la Constitution
sénégalaise du 22 janvier 2001 ; Article 138 de la Constitution
Burkinabé du 02 juin 1991 ; Article 136 de la Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 ; Article 109 de la Constitution
ivoirienne du 01 août 2000 ; Article 118 de la Constitution
nigérienne du 18 juillet 1999 ; Article 78 de la Constitution gabonaise
du 26 mars 1991 et enfin l'Article 95 de la Constitution malienne du 25
février 1992.
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157 al 6 de la Constitution, « constitue un crime de
haute trahison, tout acte portant atteinte à la forme
républicaine, à l'unicité et à la
laïcité de l'État, à la souveraineté, à
l'indépendance et à l'intégrité du territoire
national ». L'alinéa 7 du même article de poursuivre que
: « sont assimilés à la haute trahison, les violations
graves et caractérisées des droits de l'Homme, le trafic de
drogues et l'introduction des déchets toxiques ou dangereux en vue de
leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national
». Dans sa forme primaire et d'un point de vue juridique, il ressort
de l'examen des textes192 que la haute trahison est l'ancêtre
des chefs d'accusation par lesquels monarques, puis présidents de la
République et enfin membres du Gouvernement furent soumis à la
justice des hommes. Initialement dans la haute trahison, il y a l'idée
d'entrave, par le fait du souverain, monarque ou Président de la
République, au fonctionnement régulier de l'État. Á
cette première compréhension de la haute trahison, s'est
substitué à partir de 1946, le principe que le Chef de
l'État devrait pouvoir aussi répondre des infractions
pénales commises dans l'exercice de ses fonctions. Mais, ces
premières approches ne rendent pas totalement compte du cheminement qui
fut celui de la notion de haute trahison à travers le temps et les
régimes193. D'abord, elle a été nettement
détachée de la responsabilité politique. Ensuite, la haute
trahison a progressivement été érigée comme le
principal support du mécanisme de mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du Président.
La Constitution tchadienne, s'inspirant largement de la
Constitution française du 04 octobre 1958, a fait de la notion de haute
trahison, le motif majeur, sinon exclusif, pour lequel, le Président de
la République peut voir sa responsabilité pénale
engagée devant la Cour Suprême.
En effet, en ce qui concerne la juridiction compétente,
c'est la Cour Suprême qui est chargée de juger le Chef de
l'État pour la haute trahison. L'article 157 al 5 de la Constitution
dispose que « la Cour Suprême est également
compétente pour juger le Président de la République et les
membres du Gouvernement ainsi que leurs complices en cas de haute trahison
». Une Chambre non permanente, représentant la Haute Cour de
justice dans la Constitution de 1996, au sein de la Cour Suprême est
compétente pour connaître de la haute trahison. Elle est
composée de sept (7) députés et de quatre (4) magistrats
de la Cour Suprême élus par leurs pairs194.
192 Ces textes peuvent être
consultés dans l'ouvrage du professeur Maurice DUVERGER. Il s'agit
d'abord de la Constitution française du 05 fructidor an III (22
août 1795), in Maurice DUVERGER, Constitution et documents
politiques, op. cit., pp. 129-134.
193 AIVO Frédéric Joël,
« La responsabilité pénale des gouvernants dans les
régimes politiques africains d'influence française »,
op. cit., p.13.
194 Article 157 alinéa 7
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La procédure de mise en accusation du Président
de la République est organisée par l'ordonnance
n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et
règles de procédure devant la Cour Suprême. L'article 271
de l'ordonnance dispose que : « la mise en accusation du
Président de la République et des membres du Gouvernement est
votée, au scrutin secret, à la majorité des deux tiers
(2/3) des membres de l'Assemblée Nationale »195. En
cas de mise en accusation, le Président de la République et les
membres du Gouvernement sont suspendus de leur fonction196. Le
Président de l'AN, après adoption de la mise en accusation,
communique sans délai la résolution au Procureur
Général près la Cour Suprême. Le Procureur
Général accuse réception et déclenche l'action
publique en notifiant la mise en accusation au Président de la Chambre
non permanente et au Président de la commission d'instruction. La
commission d'instruction n'est saisie qu'à l'égard des seules
personnes visées dans l'accusation197. Lorsqu'elle estime la
procédure complète, la commission peut décider de la suite
du dossier198. La Chambre non-permanente, après clôture
des débats, statue à la culpabilité par un vote suivant
certaines conditions199 et prononce la sentence200.
De tout ce qui précède, la responsabilité
pénale du Chef de l'État est constitutionnellement
consacrée dans la Constitution au Tchad. Cette consécration de la
responsabilité pénale du Président de la République
est un signe important dans un système qui se veut démocratique.
Elle caractérise également l'État de droit car celle-ci
apparait comme l'un des éléments de l'État de droit.
Néanmoins, la mise en oeuvre de la responsabilité pénale
du Chef de l'État semble être une entreprise difficile à
réaliser dans la pratique.
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