Paragraphe 2 : La portée du contrôle de
constitutionnalité
CONAC Gérard affirmait que : « la
suprématie constitutionnelle est le trait le plus évident des
régimes qui ont réussi à se consolider
»95. Le respect du principe de la hiérarchie des
normes se trouve être le principal enjeu de la mise en oeuvre de
l'État de droit. Le contrôle de constitutionnalité est
apparu comme nécessaire ou du moins utile à la consolidation de
l'État de droit. Dans son ouvrage classique, HAURIOU Maurice expliquait
l'importance qu'il fallait accorder au principe de la soumission de
l'État au droit. Pour lui, ce principe contribue à la
réalisation de l'État de droit, car la rédaction d'un
statut constitutionnel entraîne la distinction des lois
constitutionnelles et des lois ordinaires, la subordination de ces
dernières et, par-là, la subordination du droit gouvernemental au
statut96. Aujourd'hui, le contrôle de
93 VERDUSSEN Marc, « Les douze juges, la
légitimité de la justice constitutionnelle », Bruxelles,
Édition Labor, 2004, p. 11. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE, «
Contrôle de constitutionnalité des lois au Tchad »,
op. cit., p. 13.
94 AIVO Frédéric Joël, «
Contribution à l'étude de la garantie juridictionnelle des droits
fondamentaux : retour sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle au
Bénin », Afrilex, 2010, p.7.
95 CONAC Gérard, « portrait du Chef de
l'État », Pouvoir, 1983, N°25, p.125.
96 HAURIOU Maurice, Principe de droit
public, 2ème édition, 1916, Paris, Sirey, p.165.
Cité par DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans la
construction de l'État de droit au Sénégal,
Mémoire de maîtrise, Université GASTON Berger de
Saint-Louis, 2007, p. 44.
27
constitutionnalité est devenu le critérium des
démocraties modernes au même titre que la séparation des
pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme des partis
politiques et la liberté d'expression97.
Ainsi, le contrôle de constitutionnalité
participe de la garantie des droits fondamentaux (A) et à l'ajustement
de l'ordre juridique interne (B).
A - La garantie des droits fondamentaux
La fonction essentielle du juge constitutionnel est la
protection des droits fondamentaux contre le législateur ; essentielle,
non seulement par l'intérêt qu'elle présente pour les
citoyens mais aussi pour la réalisation de l'État de
droit98.
Si, dans d'autres pays comme le Bénin, on ne peut pas
nier les prérogatives de la Cour Constitutionnelle béninoise en
matière de la protection des droits fondamentaux99, il en va
autrement pour le Tchad. Ni la Constitution ni l'ordonnance n°015/PR/2018
donnent expressément attribution au juge constitutionnel tchadien le
droit de protéger les droits fondamentaux des citoyens consacrés
constitutionnellement. La Chambre constitutionnelle, dans sa décision
n°003/CS/CC/2018100, s'est déclarée
incompétente pour statuer sur la censure des réseaux sociaux par
l'État tchadien (liberté d'expression et d'opinion). Toutefois,
quoiqu'on dise sur cette grossièreté, la Constitution tchadienne
aborde la question dans sa globalité et en donne compétence
à la haute juridiction de contrôler la constitutionnalité
des lois avant leur promulgation. Cette technique de contrôle permet de
vérifier que la loi votée est conforme à la Constitution
et donc ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de l'homme. De même
lorsque l'inconstitutionnalité échappe à la loupe du juge
constitutionnel, elle pourra être rattrapée sur le terrain de son
application par le procédé du contrôle a
97 DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans
la construction de l'État de droit au Sénégal,
op. cit. ; p. 45.
98 ROUSSILLON Henry, Le Conseil
Constitutionnel, Dalloz, 6ème édition, 2008, p.
51.
99 Ainsi que le rappelle chaque fois la Cour
Constitutionnelle béninoise, selon l'article 3 al.3 de la Constitution,
« toute loi, tout texte règlementaire et tout acte
administratif contraire à ces dispositions sont non avenus. En
conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour
Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés
inconstitutionnels ». C'est à la suite de ce texte que
l'article 117 al. 1 tiret 1.3 dispose qu'elle : « statue
obligatoirement sur la constitutionnalité des lois et des actes
règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de
la personne humaine et aux libertés publiques et, en
général, sur la violation des droits de la personne humaine
»
100 La chambre constitutionnelle de la Cour Suprême
s'est déclarée, dans sa décision du 11 décembre
2018, incompétente à statuer sur la censure des réseaux
sociaux par l'État tchadien. Elle a rendu sa décision suite
à sa saisine par une requête introduite par des organisations de
la société civile pour atteinte aux libertés d'opinion et
d'expression (article 28 de la constitution). Cette requête de la
société civile tchadienne reçue au greffe le 27 novembre
2018, visait à mettre un terme au préjudices liées aux
libertés d'opinion et d'expression, droits constitutionnels
prévus et protégés.
28
posteriori reconnu aux citoyens et consacré
par l'article 61 de l'ordonnance n°015/PR/2018 précitée.
Le contrôle de constitutionnalité des lois se
trouve au coeur de la matière des droits et libertés des
individus. D'après FAVOREU Louis, « ce contrôle, quelles
que soient la forme ou la procédure utilisée, est peu fait pour
donner satisfaction directement aux individus. Sa justification et donc sa
légitimité, consiste surtout à remplir un certain nombre
de fonctions à caractère général absolument
indispensable pour le fonctionnement des institutions dans un État
moderne et assurer la promotion et la protection des droits fondamentaux
»101.
Au regard de cette conception, les juges constitutionnels
africains, à l'instar des juges constitutionnels américains et
européens, rendent des décisions assez importantes visant
à protéger les droits fondamentaux de l'homme. Mais au Tchad en
particulier, le juge constitutionnel n'a rendu aucune décision
spécifique, à notre connaissance, en matière de protection
des droits fondamentaux. Néanmoins, sa décision
n°010/CC/SG/2014 sur la requête du député KEBZABO
Saleh et 28 autres relative au projet de loi portant code pastoral en
République du Tchad est importante bien des égards. Cette
décision est transversale car elle concerne non seulement
l'inconstitutionnalité dudit code, mais elle intègre
également le principe d'égalité des citoyens devant la
loi102 et la sacralisation de la propriété
privée103. Dans cette affaire, les requérants
demandent au CC de déclarer non conforme à la Constitution la loi
portant code pastoral en République du Tchad votée à l'AN
le 11 novembre 2014 au motif que « la loi portant code pastoral
consacre la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi, le
principe de l'inviolabilité de la propriété privée
consacré par l'article 41(ancien) de la Constitution est violé...
». Après avoir jugé la requête recevable, le CC
constate la violation de la Constitution et déclare anticonstitutionnel
le projet de loi portant code pastoral en République du Tchad. Par
l'exercice de ce contrôle de constitutionnalité, le juge
constitutionnel était amené à apporter la précision
sur la portée de certains droits constitutionnellement consacrés,
en particulier le principe d'égalité, le principe de
l'inviolabilité de la propriété privée et le droit
de fixer librement son domicile ou sa résidence en un lieu quelconque du
territoire national reconnu aux tchadiens. Certaines de ces libertés
font partie des conventions ratifiées par le Tchad. Ces conventions font
partie du bloc de
101 FAVOREU Louis, Cours constitutionnelles, Coll. Que
sais-je ?, Paris, PUF, 1992, p.27.
102 L'article 13 de la Constitution dispose que « Les
tchadiens de deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Ils sont égaux devant la loi ».
103 Article 45 de la Constitution : « la
propriété privée est inviolable et sacrée. Nul ne
peut être déposséder que pour cause d'utilité
publique dument constatée et moyennant une juste et préalable
indemnisation ».
29
constitutionnalité. Il s'agit de la Déclaration
Universelle de Droits de l'Homme et la Charte Africaine des Droits de l'Homme
et du Peuple
Le contrôle de constitutionnalité ne participe
pas seulement de la préservation des droits fondamentaux des citoyens
mais, il concourt également à l'ajustement de l'ordre juridique
interne.
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