Paragraphe 2 : La protection rigide de certains
arbitres
Le législateur africain a consacré des
dispositions dont l'objet est la surprotection de certains arbitres OHADA,
notamment ceux de la CCJA. Ces dispositions tendent à ériger
l'immunité diplomatique au bénéfice de ces derniers (A) ce
qui selon nous conduit à s'interroger sur la pertinence d'un tel
privilège(B).
A. L'érection de l'immunité diplomatique dans
l'arbitrage CCJA
Organisation internationale dotée d'une
personnalité juridique distincte de celle de ses États membres,
l'OHADA jouit de la capacité ainsi que des privilèges et
immunités reconnus par le droit international public. Par
conséquent, bien que n'étant pas une personne morale
internationale mais une institution de l'organisation, la CCJA
bénéficie des effets de l'immunité diplomatique propre
à l'OHADA. Immunité que le législateur a étendu
à son personnel à savoir les juges et les arbitres de la cour
communautaire348.
Selon l'article 49 alinéa 1 du Traité OHADA,
« (...) les juges de la Cour commune de justice et d'arbitrage ainsi que
les arbitres nommés ou confirmés par cette dernière
jouissent dans l'exercice de leurs fonctions des privilèges et
immunités diplomatiques ». L'idée qui traduit une telle
extension est qu'à l'instar du juge étatique ou supra
étatique, l'arbitre chargé d'une mission juridictionnelle doit
bénéficier d'une protection visant à l'abriter de toute
poursuite judiciaire susceptible d'intervenir après le prononcé
de la sentence. Selon Pierre BOUBOU349, cette protection est la
condition sine qua non de la sérénité qui
convient à un juge. Dès lors en tant que tel, il est
impérieux que l'arbitre dans l'exercice de sa mission
Dans cet article, cet imminent juriste camerounais explique
que de nos jours, l'ordre juridique de l'État n'est plus le seul
véritable ordre juridique ; qu'il existe aussi des ordres juridiques
infra-étatiques ou transnationaux aussi chaque fois que l'on peut
constater l'existence d'un ordre social, il existe un droit spécifique
qui lui correspond. Dans sa démonstration, il poursuit que l'ordre
juridique suppose également un « jus spécifique »
efficace ce qui permet de l'envisager comme étant à la fois un
ordre normatif et un ordre judiciaire. Dès lors l'OHADA étant
constitué d'une communauté humaine à travers le
regroupement des Etats, d'un ordre normatif issue des actes uniformes et d'un
ordre judiciaire par la création de la CCJA qui est la cour
suprême de l'organisation chargé de veiller à la bonne
application et à la bonne interprétation des actes uniformes
constitue un véritable ordre juridique.
348 P-G. POUGOUE, L'arbitrage dans l'espace OHADA,
tiré à part du recueil des cours, Tome 380, 2010, BRILL NIJHOFF,
p. 132.
349 P. BOUBOU, « L'indépendance et
l'impartialité de l'arbitrage dans le droit OHADA »,
op.cit., p.7.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
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juridictionnelle ne soit pas dans un état d'esprit le
conduisant à redouter en permanence des actions initiées par les
plaideurs de mauvaise foi. Il ressort donc que l'immunité diplomatique a
pour conséquence procédurale l'irrecevabilité de toute
action engagée à l'encontre des arbitres CCJA, même en cas
de faute grave ou intentionnelle. L'intensité de ce privilège a
été et continu d'être fortement critiqué par la
doctrine du fait de son caractère peu pertinent.
B. Une immunité peu pertinente
Selon le Professeur Paul-Gérard POUGOUE, l'idée
d'une immunité protégeant les arbitres dans l'exercice de leur
mission juridictionnelle n'est pas en soi mauvaise. Toutefois il ne saurait
s'agir d'une immunité « de forte intensité comme
l'immunité diplomatique », mais plutôt d'une
immunité « classique » destinée à les
protéger des éventuelles actions en responsabilité pour
les sentences qu'ils rendent, les rassurant ainsi que leurs éventuelles
erreurs de jugements ne les conduiront pas devant les prétoires. Ils
pourront donc, dans ces conditions, rendre la justice de manière
sereine350. Dans le même ordre d'idée, le Professeur
Philippe LEBOULANGER351 estime qu'il est choquant et incompatible
avec l'exercice de la justice à laquelle l'arbitrage doit
répondre, de soustraire un arbitre malhonnête ou malveillant de
toute poursuite. Aussi selon lui, si l'on veut que l'arbitrage de la CCJA
remplisse les promesses que ses promoteurs ont placé en lui, il est
souhaitable de supprimer aux arbitres l'immunité diplomatique et qu'en
attendant, la CCJA pourrait demander aux arbitres à nommer de renoncer
au bénéfice de leur immunité diplomatique. Abdou
DIALLO352 pour sa part relevait l'impertinence de la justification
de l'immunité diplomatique des arbitres de la CCJA, en indiquant que si
cette immunité s'appliquait uniquement aux juges, elle serait
justifiée dans la mesure où ces derniers sont des fonctionnaires
d'une organisation internationale. Or, les arbitres sont des personnes
privées choisis et payés par les parties, en vue de
résoudre leur différend.
En tout état de cause, en doctrine, deux raisons que
nous partageons par ailleurs, militent en faveur de la suppression de
l'immunité diplomatique des arbitres CCJA. D'une part, le fait
d'être nommé par l'organisation internationale qu'est l'OHADA
n'enlève en rien que les arbitres de cette Cour sont et demeurent des
personnes privées contractuellement liées aux parties qui les
désignent et les paient pour dire le droit. N'étant donc pas
des
350 P. G. POUGOUE, L'arbitrage dans l'espace OHADA,
Ibid.
351 Ph. LEBOULANGER, « L'arbitrage et l'harmonisation du
droit des affaires en Afrique », Rev. Arb 1999, no 3, pp.577 et s., propos
rapportés par P. BOUBOU, op.cit., p.8.
352 Ab. DIALLO, op.cit., pp. 231-232.
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fonctionnaires de l'organisation, ils ne sauraient profiter
des avantages qui relèvent du statut d'agent diplomatique à
l'instar des juges communautaires.
D'autre part, il peut arriver que l'arbitre CCJA se rende
coupable des manquements intentionnels suffisamment graves qui
préjudicient aux intérêts d'une partie au procès
arbitral ; ce qui pourrait arriver en cas de dissimulation par l'arbitre des
faits ou circonstances de nature à faire douter de son
indépendance ou de son impartialité. Cette situation pourrait
également se réaliser en cas de fraude ou de faute lourde commis
par l'arbitre dans l'exercice de sa mission. Dès lors, vu sous cet
angle, il est amer de constater que la volonté souterraine du
législateur africain est d'éviter, au travers des
immunités diplomatiques, des poursuites aux arbitres qui se livrent
à de tels agissements. Aussi pensons-nous qu'en procédant ainsi,
le législateur communautaire a lui-même érigé une
règle incongrue qui entrave la sécurité judiciaire dans la
procédure arbitrale, par le sacrifice des exigences de qualité de
la justice et de la morale nécessaire à l'arbitrage, à
l'hôtel d'une protection absolue de l'arbitre CCJA. Il est donc
souhaitable que la réforme qui a commencée en 2017 en
matière arbitrale se poursuive par la modification de l'article 49 du
traité OHADA qui consistera en la suppression de l'immunité
diplomatique aux arbitres CCJA ainsi qu'en son remplacement par la limitation
de responsabilité à l'image de celle du règlement
d'arbitrage CCI353.
353 V. art. 41 du règlement d'arbitrage CCI dans sa
version de 2017. Cet article traite de la limitation de responsabilité
et stipule : « Les arbitres, les personnes nommées par le
tribunal arbitral, l'arbitre d'urgence, la Cour et ses membres, la CCI et son
personnel, les comités nationaux et groupes de la CCI et leurs
employés et représentants ne sont responsables envers personne
d'aucun fait, d'aucun acte ou d'aucune omission en relation avec un arbitrage,
sauf dans la mesure ou une telle limitation de responsabilité est
interdite par la loi applicable ».
CONCLUSION DU CHAPITRE I
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activités économiques dans l'espace OHADA
Plusieurs limites normatives édulcorent
l'efficacité de l'arbitrage OHADA. Déjà présentes
dans les anciens textes applicables au plan communautaire, la reforme
opérée en 2017 n'a pas aboutie au traitement de celles
décriées dans le cadre de la présente étude.
En effet, une lecture minutieuse du Traité OHADA, de
l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage et du règlement
d'arbitrage CCJA permet de constater la présence de plusieurs silences
et imprécisions législatifs non justifiés ou encore,
l'ultra protection des arbitres de la CCJA, qui constituent autant de failles
intrinsèques au socle normatif arbitral de l'OHADA. Celles-ci sont ou
peuvent être à l'origine d'interprétations divergentes,
d'incertitudes voire, de blocage de nature à fragiliser les bases de la
sécurité juridique et judiciaire pourtant posées par le
législateur africain. Dès lors, il est souhaitable que soient
poursuivi les reformes normatives commencées en 2017. Seulement, quel
sera l'impact de celles-ci, si rien n'est fait pour améliorer le cadre
pratique de l'arbitrage OHADA qui connait également des dérives
?
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activités économiques dans l'espace OHADA
LES SCORIES D'ORDRE PRATIQUE
CHAPITRE II
Fondamentalement, la justice arbitrale
développée dans l'espace OHADA a pour but de faciliter le
règlement des différends entre partenaires
d'affaires354. Or il arrive souvent que dans la pratique, ils se
heurtent à plusieurs difficultés qui entravent leurs
intérêts qu'ils croyaient sauvegarder en ayant recours à
l'arbitrage de l'organisation. Ces difficultés que nous qualifions de
scories d'ordre pratiques peuvent être classées en deux
catégories à savoir, celles observables à la phase
ante sententiam (section 1) et celles observables à la phase
post sententiam (section 2).
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