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L' apport de l'arbitrage à  la sécurisation des activités économiques dans l'espace OHADA


par BIKOI Jacques delor
Université de Yaoundé 2 - Master professionnel en Droit privé/option Droit, pratiques juridiques et judiciaires  2016
  

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Section 1 : Les silences du législateur africain

L'exégèse des textes et la pratique arbitrale révèlent que le législateur a, dans certains cas, opéré le choix de rester silencieux sur bon nombre de questions essentielles ; ce qui entache ou est susceptible d'entacher l'efficacité des procédures arbitrales dans l'espace OHADA. Ces silences tiennent d'une part à certains concepts (Paragraphe 1) et d'autre part à la règlementation de certaines procédures (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les silences conceptuels

Le législateur africain a fait preuve d'un silence remarquable et répété au sujet de deux concepts fondamentaux en droit de l'arbitrage. Il s'agit de l'arbitrabilité (A) et du juge compétent (B).

301 Ab. DIALLO, op.cit., p. 29. À ce titre ce dernier précise qu'« En droit international privé, les règles matérielles se définissent comme des normes ou des règles dans les quelles, la situation internationale trouve directement son application ou sa réglementation. Ces règles matérielles sont l'oeuvre de la jurisprudence ».

302 V. supra.

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A. Sur l'arbitrabilité

Selon l'article 2 AUA : « Toute personne physique ou morale peut recourir à l'arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition ». Mais que faut-il entendre par « droits dont a la libre disposition » ? En effet, le législateur africain n'a pas défini cette notion. Il s'est contenté d'une formule générale en laissant le soin à chaque État membre de déterminer les droits dont les parties ont la libre disposition. Ainsi, il arrive parfois que le contenu de la notion diverge en fonction des États. Ce qui pourrait engendrer de sérieuses difficultés au cas où les parties viendraient tous de l'espace OHADA mais, d'États différents et dont les législations sont contradictoires sur ce sujet303. Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer à titre d'exemple le droit sénégalais qui, contrairement à d'autres législations voisines, n'autorise pas de compromettre en matière de contrats administratifs. Le problème s'était déjà posé dans une affaire opposant l'État du Sénégal à la Société Ouest Africaine de Bétons Industriels (SOABI).

Dans cette affaire, L'État du Sénégal avait signé en application du Code des investissements une convention d'établissement avec la SOABI (Société Ouest Africaine de Bétons Industriels) laquelle s'était engagée à construire entre Dakar et Thiès quinze mille logements sociaux. C'est bien plus tard que l'État, au motif que cet accord relevait de la catégorie des contrats administratifs, prit l'initiative de rompre unilatéralement le contrat. Cette rupture du contrat causait d'importants préjudices à son partenaire. Ce dernier mit alors en oeuvre la clause compromissoire que contenait l'accord en question en sollicitant un arbitrage du centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements304. Le motif qui justifie la rupture du contrat par l'État sénégalais témoigne à suffisance que le renvoi opéré par le législateur africain peut avoir des conséquences désastreuses pour les investisseurs, étant donné qu'il peut arriver qu'une sentence arbitrale rendue dans un État partie et dont l'exécution devrait se poursuivre dans un autre État partie, se voit refuser l'exéquatur pour contrariété à l'ordre public, le litige étant inarbitrable dans ledit État. Nous jugeons donc impertinente cette attitude du législateur qui vise à garder le

303 M-A NGWE, « Pratique de l'arbitrage OHADA, bilan et perspectives », in International arbitration and the rule of law, contribution and conformity, ICCA congres series NO19, General Editor, Andrea MENAKER with the assistance of the permanent court of Arbitration Peace Palace, the Hague, p.1011.

304Cour d'Appel de Paris 5 Décembre 1989, État du Sénégal c/SOABI, Cass.civ. 1ère 11 Juin 1991 SOABI C/État du Sénégal, in Revue Dalloz 1991. IR.183. Cette sentence a été publiée dans la Revue du CIRDI, Foreign investisment Law Journal, ICSID Review, Volume 6, number 1, Spring 1991, p.125.

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silence et à laisser à chaque État le soin de déterminer les litiges arbitrables et ceux qui ne le sont pas, eu égard au fait que non seulement elle rentre en contradiction avec l'objectif d'harmonisation recherché, mais aussi qu'elle entrave la sécurité juridique par le fait qu'un droit peut être acquis en vertu d'une sentence arbitrale dans un État partie et se voir refusé dans un autre. Il est donc souhaitable qu'à l'avenir, le législateur africain fasse preuve de courage en adoptant une formule qui permettra de déterminer le contenu de la notion de droit disponible. Il pourrait éventuellement emprunter à la formule utilisée par le Code de procédure civile camerounais à savoir : « On ne peut compromettre sur les dons et legs d'aliments, logements et vêtements ; sur les séparations d'entre mari et femme, divorces, questions d'état, ni sur aucune des contestations qui seraient sujettes à communication au ministère public »305. Une telle initiative aurait le mérite de mettre fin aux divergences existantes ou susceptibles de l'être dans les États membre de l'OHADA et par ricochet de renforcer la sécurité juridique communément voulue par l'organisation et les opérateurs économiques.

B. Sur le juge compétent

Comme nous l'avons déjà indiqué, le juge étatique, juge d'appui, est un personnage nécessaire en termes de garantie de bonne justice. Cependant, s'il est vrai que la question de son identification ne se pose pas en matière d'arbitrage CCJA306, tel n'est pas le cas pour les arbitrages traditionnels.

Selon l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage, le juge appelé à apporter son assistance à l'arbitrage avant, pendant et après l'instance est « le juge compétent de l'État partie ». La question qui se pose est donc de savoir qui est ce juge ? À cette question, le législateur a répondu par le silence, aussi a-t-il renvoyé sa détermination à chaque État membre de l'organisation. Seulement, le renvoi opéré n'a jusqu'à ce jour pas produit beaucoup d'effets, seul trois États307 ayant légiféré en la matière. C'est dire que le juge

305 Cf. art 577 du Code de procédure civile camerounais.

306 Dans l'arbitrage se déroulant sous l'égide de la CCJA, le juge compétent pour assister le tribunal arbitral est

la CCJA.

307Cameroun (Loi N° 2003/ 009 du 10 Juillet 2003 désignant les juridictions compétentes visées à l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage et fixant leur mode de saisine. Cette loi désigne le président du tribunal de première instance du lieu de l'arbitrage ou le magistrat par lui délégué comme étant le juge compétent pour assister le tribunal arbitral à la phase ante sententiam. A la phase post sententiam, elle désigne la Cour d'appel pour connaitre du recours en annulation de la sentence arbitrale), Sénégal (Décret N° 2016-1192 portant désignation de la juridiction nationale compétente en matière de coopération étatique dans le cadre de l'arbitrage pris en application de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage. Ce texte prévoit que le juge compétent visé

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compétent est pratiquement introuvable dans la plupart des États de l'OHADA, ce qui constitue un frein à l'efficacité des procédures arbitrales.

En effet, les difficultés d'identification du juge compétent ont eu à se présenter dans la zone OHADA. Ce fut notamment le cas dans l'affaire ayant opposé les époux DELPECH à la société « SOTACI ».

En l'espèce, les demandeurs soutenaient que le juge compétent prévu à l'article 25 alinéa 2 de l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage n'est rien d'autre que le tribunal de première instance conformément à l'article 5 du Code ivoirien de procédure civile308. La Cour répondit en ces termes :« attendu qu'aux termes de l'article 25 alinéa 2 de l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage, la sentence arbitrale peut faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l'État partie ; que l'acte uniforme sus-indiqué ne précisant pas le ledit juge compétent, il y'a lieu de se reporter à la loi nationale de l'État-partie concerné pour déterminer le juge devant lequel le recours en annulation doit être porté ; qu'aux termes de l'article 44 de la loi ivoirienne n°93-671 du 09 août 1993 relative à l'arbitrage l'appel et le recours en annulation sont portés devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a été rendue ; qu'en l'espèce la sentence arbitrale ayant été rendue à Abidjan, c'est bien la cour d'appel d'Abidjan qui était compétente pour connaître du recours en annulation ». Dans une autre affaire, en l'occurrence SARCI Sarl contre ATLANTIQUE TELECOM SA et TELECEL BENIN SA, la SARCI Sarl soutenait devant la CCJA que le tribunal de première instance de première classe de Cotonou saisi du recours en annulation de la sentence arbitrale était incompétent au motif que le recours en annulation d'une sentence arbitrale revêtue de l'autorité de la chose jugée relève de la Cour d'appel. Dès lors c'est à tort que le tribunal saisi s'était déclaré compétent. N'ayant pas suivi ce raisonnement, la Cour communautaire estima « qu'il est établi en droit positif béninois qu'aucun texte particulier n'est intervenu depuis l'entrée en vigueur de l'acte

aux articles 5, 6, 7, 8, 12, 13, alinéa 4 et 14, alinéa 7 AUA est le président du TGI dans le ressort duquel se déroule la procédure d'arbitrage. S'agissant du juge visé à l'article 22, le texte désigne le TGI du lieu de l'arbitrage. Enfin, le juge visé à l'article 25 est la Cour d'appel du lieu de l'arbitrage.), Côte d`Ivoire (L'ordonnance n° 2012-158 du 09 Février 2012 déterminant l'intervention des juridictions nationales dans la procédure arbitrale désigne comme juge compétent pour apporter son soutien à l'arbitrage, le Président du TPI du lieu de l'arbitrage, sauf l'hypothèse particulière du recours aux mesures provisoires ou conservatoires où c'est le Président du lieu où la mesure provisoire ou conservatoire est sollicitée peut être le juge étatique compétent. En matière d'exequatur, il s'agit du Président du TPI du lieu où l'exequatur est demandé ; en matière d'annulation il s'agit de la Cour d'appel du ressort du siège de l'arbitrage).

308Cf. A. FENEON, « C.C.J.A arrêt n°010/2003 du 19 juin 2003, DELPECH contre SOTACI », in RTDA, Avril-Juin, 2004, n° 847, pp. 232-233.

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uniforme relatif au droit de l'arbitrage pour préciser le juge compétent devant lequel doit être porté le recours en annulation ; que l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage n'ayant pas précisé le juge compétent devant lequel le recours en annulation doit être porté, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de chaque Etat partie pour cette détermination ; qu'en République du Bénin, Etat partie, la loi n°2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire dispose en son article 49 que « les tribunaux de première instance sont juges de droit de commun en matière pénale, civile, commerciale, sociale et administrative »; qu'en conséquence, il échet de dire que le tribunal de première instance de première classe de Cotonou est, en l'espèce, le juge compétent pour connaître du recours en annulation de la sentence arbitrale du 09 mars 2008 »309. Cette décision de la Cour est discutable selon Abdou DIALLO car elle affirme d'abord, que « depuis l'entrée en vigueur de l'acte uniforme au Bénin aucun texte particulier ne précise le juge compétent en matière de recours en annulation ». Ensuite, elle confirme la compétence du tribunal de première classe, en matière de recours en annulation. Dès lors pour cet auteur, une telle démarche peut être analysée comme une contradiction des motifs310. A notre avis, un raisonnement différent aurait été difficilement envisageable compte tenu de l'absence de texte particulier désignant le juge compétent au Benin. En tout état de cause, Ces différentes affaires montrent bien à quel point le vide juridique relativement au juge compétent peut être une source d'insécurité judiciaire, car conduisant à des interprétations erronées de nature à trainer une procédure arbitrale. Aussi, pour résoudre ce problème, deux thèses s'affrontent à savoir celle de la réaction des États retardataires et celle de la prise de ses responsabilités par le législateur africain.

Pour les tenants de la première thèse, il revient aux États parties de déterminer le juge compétent311. Ainsi, tous les États qui n'ont toujours pas légiférer en la matière devraient impérativement suivre les pas de ceux qui l'ont déjà fait312. Ainsi, selon Marie-Andrée NGWE, le conseil des ministres de l'OHADA pourrait faire des recommandations à ce sujet aux États membre, les organismes internationaux pourraient également avoir une influence nécessaire pour inciter ces derniers à légiférer. Pour cet auteur, deux raisons militent en faveur

309 Cf. CCJA, arrêt n°44/2008, 17 Juillet 2008, Société africaine de relations commerciales et industrielles dite SARCI Sarl c/ Atlantique Télécom SA et Télécel Benin SA, in P-G. POUGOUE, S. S. KUATE TAMEGHE (Dir.), Les grandes décisions de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA, L'Harmattan, 2016, pp. 315 et s.

310 Ab. DIALLO, op.cit., p.123.

311 M-A. NGWE, op.cit., pp.1018-1019.

312 J. BELIBI, G. K. DOUAJNI, « Le juge d'appui dans l'arbitrage OHADA », Revue de l'ERSUMA, numéro spécial-Novembre/ Décembre 2011, pp.46 et s.

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de l'intervention desdits organismes internationaux à savoir « d'abord, pour l'amélioration du climat des affaires dans l'objectif de développement qu'ils poursuivent, ensuite parce que les projets auxquels ils prennent part en tant que bailleurs de fonds peuvent voir leur bon déroulement perturbé par un litige que l'arbitrage permettrait de résoudre ». Elles pourraient donc jouer ce rôle à travers l'organisation des évènements et d'actions visant à sensibiliser les législateurs nationaux. Au plan national, l'auteur pense qu'une action concertée des opérateurs économiques au travers des organes de défenses, des corporations telles que les chambre de commerce, les organisations patronales, les syndicats d'entreprises, serait la bienvenue. Monsieur Denis Roger SOH FOGNO313 va encore plus loin en proposant qu'en matière de recours en annulation, les Etats parties retardataires empruntent au droit camerounais314 en érigeant la cour d'appel du siège de l'arbitrage en juge du contentieux de l'annulation.

Pour les tenants de la seconde thèse, il revient au législateur africain de taire le silence en déterminant clairement le juge compétent dont il fait référence. Pierre Meyer pense qu'il s'agit d'une tâche difficile mais qui pourra être effectuée en fonction du contexte judiciaire des États parties315.

À notre avis, si la première thèse parait peu pertinente eu égard de ce qu'elle est fondée soit sur de simples recommandations qui n'ont aucune force contraignante, soit sur le bon vouloir des États parties, la seconde semble être la plus à même de régler la question du juge étatique compétent pour prêter main force à l'arbitrage dans l'espace OHADA. Il est donc à notre sens souhaitable que le législateur africain consacre explicitement ce juge. En matière d'assistance lors de la constitution du tribunal arbitral, de nécessité d'une mesure provisoire ou conservatoire, ou enfin d'exequatur, il pourra s'agir du président de la juridiction de l'État partie statuant en matière d'urgence ou le magistrat par lui délégué à cette fin. S'agissant du contentieux de l'annulation des sentences arbitrales le juge compétent pourra être la Cour d'appel du siège de l'arbitrage. En tout état de cause, il revient au législateur de le faire, étant donné qu'une telle initiative aura le mérite de faciliter

313 D. R. SOH FOGNO, « Le contentieux de l'annulation des sentences issues de l'arbitrage traditionnel dans l'espace de l'OHADA », Rev. Cam. Arb., no23, Oct-Nov-Dec., 2003, p. 9.

314 L'article 4 alinéa 1 de la loi No 2003/ 009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées dans l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage et fixant leur mode saisine dispose que « le juge compétent visé par les articles 25 et 28 de l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage est la Cour d'appel... ».

315 P. MEYER, Droit de l'arbitrage, Bruylant, Coll. droit uniforme africain, 2002.

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l'identification de ce juge, ainsi que de renforcer l'efficacité des arbitrages classiques et par ricochet la sécurité judiciaire dans l'espace OHADA.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard