Section 1 : Les silences du législateur
africain
L'exégèse des textes et la pratique arbitrale
révèlent que le législateur a, dans certains cas,
opéré le choix de rester silencieux sur bon nombre de questions
essentielles ; ce qui entache ou est susceptible d'entacher l'efficacité
des procédures arbitrales dans l'espace OHADA. Ces silences tiennent
d'une part à certains concepts (Paragraphe 1) et d'autre part à
la règlementation de certaines procédures (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les silences conceptuels
Le législateur africain a fait preuve d'un silence
remarquable et répété au sujet de deux concepts
fondamentaux en droit de l'arbitrage. Il s'agit de l'arbitrabilité (A)
et du juge compétent (B).
301 Ab. DIALLO, op.cit., p. 29. À ce titre ce
dernier précise qu'« En droit international privé, les
règles matérielles se définissent comme des normes ou des
règles dans les quelles, la situation internationale trouve directement
son application ou sa réglementation. Ces règles
matérielles sont l'oeuvre de la jurisprudence ».
302 V. supra.
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A. Sur l'arbitrabilité
Selon l'article 2 AUA : « Toute personne physique ou
morale peut recourir à l'arbitrage sur les droits dont elle a la libre
disposition ». Mais que faut-il entendre par « droits dont a
la libre disposition » ? En effet, le législateur africain n'a
pas défini cette notion. Il s'est contenté d'une formule
générale en laissant le soin à chaque État membre
de déterminer les droits dont les parties ont la libre disposition.
Ainsi, il arrive parfois que le contenu de la notion diverge en fonction des
États. Ce qui pourrait engendrer de sérieuses difficultés
au cas où les parties viendraient tous de l'espace OHADA mais,
d'États différents et dont les législations sont
contradictoires sur ce sujet303. Pour s'en convaincre, il suffit
d'évoquer à titre d'exemple le droit sénégalais
qui, contrairement à d'autres législations voisines, n'autorise
pas de compromettre en matière de contrats administratifs. Le
problème s'était déjà posé dans une affaire
opposant l'État du Sénégal à la
Société Ouest Africaine de Bétons Industriels (SOABI).
Dans cette affaire, L'État du Sénégal
avait signé en application du Code des investissements une convention
d'établissement avec la SOABI (Société Ouest Africaine de
Bétons Industriels) laquelle s'était engagée à
construire entre Dakar et Thiès quinze mille logements sociaux. C'est
bien plus tard que l'État, au motif que cet accord relevait de la
catégorie des contrats administratifs, prit l'initiative de rompre
unilatéralement le contrat. Cette rupture du contrat causait
d'importants préjudices à son partenaire. Ce dernier mit alors en
oeuvre la clause compromissoire que contenait l'accord en question en
sollicitant un arbitrage du centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements304. Le motif qui
justifie la rupture du contrat par l'État sénégalais
témoigne à suffisance que le renvoi opéré par le
législateur africain peut avoir des conséquences
désastreuses pour les investisseurs, étant donné qu'il
peut arriver qu'une sentence arbitrale rendue dans un État partie et
dont l'exécution devrait se poursuivre dans un autre État partie,
se voit refuser l'exéquatur pour contrariété à
l'ordre public, le litige étant inarbitrable dans ledit État.
Nous jugeons donc impertinente cette attitude du législateur qui vise
à garder le
303 M-A NGWE, « Pratique de l'arbitrage OHADA, bilan et
perspectives », in International arbitration and the rule of law,
contribution and conformity, ICCA congres series NO19, General
Editor, Andrea MENAKER with the assistance of the permanent court of
Arbitration Peace Palace, the Hague, p.1011.
304Cour d'Appel de Paris 5 Décembre 1989,
État du Sénégal c/SOABI, Cass.civ. 1ère 11 Juin
1991 SOABI C/État du Sénégal, in Revue Dalloz
1991. IR.183. Cette sentence a été publiée dans la Revue
du CIRDI, Foreign investisment Law Journal, ICSID Review, Volume 6, number 1,
Spring 1991, p.125.
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silence et à laisser à chaque État le
soin de déterminer les litiges arbitrables et ceux qui ne le sont pas,
eu égard au fait que non seulement elle rentre en contradiction avec
l'objectif d'harmonisation recherché, mais aussi qu'elle entrave la
sécurité juridique par le fait qu'un droit peut être acquis
en vertu d'une sentence arbitrale dans un État partie et se voir
refusé dans un autre. Il est donc souhaitable qu'à l'avenir, le
législateur africain fasse preuve de courage en adoptant une formule qui
permettra de déterminer le contenu de la notion de droit disponible. Il
pourrait éventuellement emprunter à la formule utilisée
par le Code de procédure civile camerounais à savoir : «
On ne peut compromettre sur les dons et legs d'aliments, logements et
vêtements ; sur les séparations d'entre mari et femme, divorces,
questions d'état, ni sur aucune des contestations qui seraient sujettes
à communication au ministère public »305.
Une telle initiative aurait le mérite de mettre fin aux divergences
existantes ou susceptibles de l'être dans les États membre de
l'OHADA et par ricochet de renforcer la sécurité juridique
communément voulue par l'organisation et les opérateurs
économiques.
B. Sur le juge compétent
Comme nous l'avons déjà indiqué, le juge
étatique, juge d'appui, est un personnage nécessaire en termes de
garantie de bonne justice. Cependant, s'il est vrai que la question de son
identification ne se pose pas en matière d'arbitrage CCJA306,
tel n'est pas le cas pour les arbitrages traditionnels.
Selon l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage, le juge
appelé à apporter son assistance à l'arbitrage avant,
pendant et après l'instance est « le juge compétent de
l'État partie ». La question qui se pose est donc de savoir
qui est ce juge ? À cette question, le législateur a
répondu par le silence, aussi a-t-il renvoyé sa
détermination à chaque État membre de l'organisation.
Seulement, le renvoi opéré n'a jusqu'à ce jour pas produit
beaucoup d'effets, seul trois États307 ayant
légiféré en la matière. C'est dire que le juge
305 Cf. art 577 du Code de procédure civile
camerounais.
306 Dans l'arbitrage se déroulant sous l'égide
de la CCJA, le juge compétent pour assister le tribunal arbitral est
la CCJA.
307Cameroun (Loi N° 2003/ 009 du 10 Juillet
2003 désignant les juridictions compétentes visées
à l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage et fixant leur mode de
saisine. Cette loi désigne le président du tribunal de
première instance du lieu de l'arbitrage ou le magistrat par lui
délégué comme étant le juge compétent pour
assister le tribunal arbitral à la phase ante sententiam. A la
phase post sententiam, elle désigne la Cour d'appel pour connaitre du
recours en annulation de la sentence arbitrale), Sénégal
(Décret N° 2016-1192 portant désignation de la juridiction
nationale compétente en matière de coopération
étatique dans le cadre de l'arbitrage pris en application de l'Acte
uniforme relatif au droit de l'arbitrage. Ce texte prévoit que le juge
compétent visé
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compétent est pratiquement introuvable dans la plupart
des États de l'OHADA, ce qui constitue un frein à
l'efficacité des procédures arbitrales.
En effet, les difficultés d'identification du juge
compétent ont eu à se présenter dans la zone OHADA. Ce fut
notamment le cas dans l'affaire ayant opposé les époux DELPECH
à la société « SOTACI ».
En l'espèce, les demandeurs soutenaient que le juge
compétent prévu à l'article 25 alinéa 2 de l'acte
uniforme relatif au droit de l'arbitrage n'est rien d'autre que le tribunal de
première instance conformément à l'article 5 du Code
ivoirien de procédure civile308. La Cour répondit en
ces termes :« attendu qu'aux termes de l'article 25 alinéa 2 de
l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage, la sentence arbitrale peut
faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté
devant le juge compétent dans l'État partie ; que l'acte uniforme
sus-indiqué ne précisant pas le ledit juge compétent, il
y'a lieu de se reporter à la loi nationale de l'État-partie
concerné pour déterminer le juge devant lequel le recours en
annulation doit être porté ; qu'aux termes de l'article 44 de la
loi ivoirienne n°93-671 du 09 août 1993 relative à
l'arbitrage l'appel et le recours en annulation sont portés devant la
cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a
été rendue ; qu'en l'espèce la sentence arbitrale ayant
été rendue à Abidjan, c'est bien la cour d'appel d'Abidjan
qui était compétente pour connaître du recours en
annulation ». Dans une autre affaire, en l'occurrence SARCI Sarl
contre ATLANTIQUE TELECOM SA et TELECEL BENIN SA, la SARCI Sarl soutenait
devant la CCJA que le tribunal de première instance de première
classe de Cotonou saisi du recours en annulation de la sentence arbitrale
était incompétent au motif que le recours en annulation d'une
sentence arbitrale revêtue de l'autorité de la chose jugée
relève de la Cour d'appel. Dès lors c'est à tort que le
tribunal saisi s'était déclaré compétent. N'ayant
pas suivi ce raisonnement, la Cour communautaire estima « qu'il est
établi en droit positif béninois qu'aucun texte particulier n'est
intervenu depuis l'entrée en vigueur de l'acte
aux articles 5, 6, 7, 8, 12, 13, alinéa 4 et 14,
alinéa 7 AUA est le président du TGI dans le ressort duquel se
déroule la procédure d'arbitrage. S'agissant du juge visé
à l'article 22, le texte désigne le TGI du lieu de l'arbitrage.
Enfin, le juge visé à l'article 25 est la Cour d'appel du lieu de
l'arbitrage.), Côte d`Ivoire (L'ordonnance n° 2012-158 du 09
Février 2012 déterminant l'intervention des juridictions
nationales dans la procédure arbitrale désigne comme juge
compétent pour apporter son soutien à l'arbitrage, le
Président du TPI du lieu de l'arbitrage, sauf l'hypothèse
particulière du recours aux mesures provisoires ou conservatoires
où c'est le Président du lieu où la mesure provisoire ou
conservatoire est sollicitée peut être le juge étatique
compétent. En matière d'exequatur, il s'agit du Président
du TPI du lieu où l'exequatur est demandé ; en matière
d'annulation il s'agit de la Cour d'appel du ressort du siège de
l'arbitrage).
308Cf. A. FENEON, « C.C.J.A arrêt
n°010/2003 du 19 juin 2003, DELPECH contre SOTACI », in
RTDA, Avril-Juin, 2004, n° 847, pp. 232-233.
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uniforme relatif au droit de l'arbitrage pour
préciser le juge compétent devant lequel doit être
porté le recours en annulation ; que l'Acte uniforme relatif au droit de
l'arbitrage n'ayant pas précisé le juge compétent devant
lequel le recours en annulation doit être porté, il y a lieu de se
reporter à la loi nationale de chaque Etat partie pour cette
détermination ; qu'en République du Bénin, Etat partie, la
loi n°2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire
dispose en son article 49 que « les tribunaux de première instance
sont juges de droit de commun en matière pénale, civile,
commerciale, sociale et administrative »; qu'en conséquence, il
échet de dire que le tribunal de première instance de
première classe de Cotonou est, en l'espèce, le juge
compétent pour connaître du recours en annulation de la sentence
arbitrale du 09 mars 2008 »309. Cette décision de
la Cour est discutable selon Abdou DIALLO car elle affirme d'abord, que
« depuis l'entrée en vigueur de l'acte uniforme au Bénin
aucun texte particulier ne précise le juge compétent en
matière de recours en annulation ». Ensuite, elle confirme la
compétence du tribunal de première classe, en matière de
recours en annulation. Dès lors pour cet auteur, une telle
démarche peut être analysée comme une contradiction des
motifs310. A notre avis, un raisonnement différent aurait
été difficilement envisageable compte tenu de l'absence de texte
particulier désignant le juge compétent au Benin. En tout
état de cause, Ces différentes affaires montrent bien à
quel point le vide juridique relativement au juge compétent peut
être une source d'insécurité judiciaire, car conduisant
à des interprétations erronées de nature à trainer
une procédure arbitrale. Aussi, pour résoudre ce problème,
deux thèses s'affrontent à savoir celle de la réaction des
États retardataires et celle de la prise de ses responsabilités
par le législateur africain.
Pour les tenants de la première thèse, il
revient aux États parties de déterminer le juge
compétent311. Ainsi, tous les États qui n'ont toujours
pas légiférer en la matière devraient
impérativement suivre les pas de ceux qui l'ont déjà
fait312. Ainsi, selon Marie-Andrée NGWE, le conseil des
ministres de l'OHADA pourrait faire des recommandations à ce sujet aux
États membre, les organismes internationaux pourraient également
avoir une influence nécessaire pour inciter ces derniers à
légiférer. Pour cet auteur, deux raisons militent en faveur
309 Cf. CCJA, arrêt n°44/2008, 17 Juillet 2008,
Société africaine de relations commerciales et industrielles dite
SARCI Sarl c/ Atlantique Télécom SA et Télécel
Benin SA, in P-G. POUGOUE, S. S. KUATE TAMEGHE (Dir.), Les grandes
décisions de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA,
L'Harmattan, 2016, pp. 315 et s.
310 Ab. DIALLO, op.cit., p.123.
311 M-A. NGWE, op.cit., pp.1018-1019.
312 J. BELIBI, G. K. DOUAJNI, « Le juge d'appui dans
l'arbitrage OHADA », Revue de l'ERSUMA, numéro
spécial-Novembre/ Décembre 2011, pp.46 et s.
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de l'intervention desdits organismes internationaux à
savoir « d'abord, pour l'amélioration du climat des affaires
dans l'objectif de développement qu'ils poursuivent, ensuite parce que
les projets auxquels ils prennent part en tant que bailleurs de fonds peuvent
voir leur bon déroulement perturbé par un litige que l'arbitrage
permettrait de résoudre ». Elles pourraient donc jouer ce
rôle à travers l'organisation des évènements et
d'actions visant à sensibiliser les législateurs nationaux. Au
plan national, l'auteur pense qu'une action concertée des
opérateurs économiques au travers des organes de défenses,
des corporations telles que les chambre de commerce, les organisations
patronales, les syndicats d'entreprises, serait la bienvenue. Monsieur Denis
Roger SOH FOGNO313 va encore plus loin en proposant qu'en
matière de recours en annulation, les Etats parties retardataires
empruntent au droit camerounais314 en érigeant la cour
d'appel du siège de l'arbitrage en juge du contentieux de
l'annulation.
Pour les tenants de la seconde thèse, il revient au
législateur africain de taire le silence en déterminant
clairement le juge compétent dont il fait référence.
Pierre Meyer pense qu'il s'agit d'une tâche difficile mais qui pourra
être effectuée en fonction du contexte judiciaire des États
parties315.
À notre avis, si la première thèse parait
peu pertinente eu égard de ce qu'elle est fondée soit sur de
simples recommandations qui n'ont aucune force contraignante, soit sur le bon
vouloir des États parties, la seconde semble être la plus à
même de régler la question du juge étatique
compétent pour prêter main force à l'arbitrage dans
l'espace OHADA. Il est donc à notre sens souhaitable que le
législateur africain consacre explicitement ce juge. En matière
d'assistance lors de la constitution du tribunal arbitral, de
nécessité d'une mesure provisoire ou conservatoire, ou enfin
d'exequatur, il pourra s'agir du président de la juridiction de
l'État partie statuant en matière d'urgence ou le magistrat par
lui délégué à cette fin. S'agissant du contentieux
de l'annulation des sentences arbitrales le juge compétent pourra
être la Cour d'appel du siège de l'arbitrage. En tout état
de cause, il revient au législateur de le faire, étant
donné qu'une telle initiative aura le mérite de faciliter
313 D. R. SOH FOGNO, « Le contentieux de l'annulation des
sentences issues de l'arbitrage traditionnel dans l'espace de l'OHADA »,
Rev. Cam. Arb., no23, Oct-Nov-Dec., 2003, p. 9.
314 L'article 4 alinéa 1 de la loi No 2003/
009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions
compétentes visées dans l'Acte uniforme relatif au droit de
l'arbitrage et fixant leur mode saisine dispose que « le juge
compétent visé par les articles 25 et 28 de l'acte uniforme
relatif au droit de l'arbitrage est la Cour d'appel... ».
315 P. MEYER, Droit de l'arbitrage, Bruylant, Coll.
droit uniforme africain, 2002.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
l'identification de ce juge, ainsi que de renforcer
l'efficacité des arbitrages classiques et par ricochet la
sécurité judiciaire dans l'espace OHADA.
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