Section 3 : Le renfort du juge public, facteur
d'efficacité de l'arbitrage
OHADA
C'est un truisme que la sécurité judiciaire
s'accommode mal à l'inefficacité de la justice. Une
efficacité amplement recherchée en matière arbitrale
où, la prégnance de la volonté des parties pourrait dans
certains cas entrainer des effets pervers. C'est pourquoi le législateur
africain a érigé le juge public en juge de renfort dans
l'arbitrage étant entendu, qu'« il y a pas de bon arbitrage
sans bon juge »279. De cette thèse, il ressort que
l'efficacité de l'arbitrage dépend en grande partie de la
qualité du juge qui y intervient. Mais de quel juge s'agit-il ? Il
s'agit d'un juge biface qui intervient parfois comme « juge d'appui
», parfois
279 J. P. ANCEL, « Le contrôle de la
sentence », in L'OHADA et les perspectives de l'arbitrage en
Afrique, Op.cit., p. 189.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
comme « juge de contrôle ». C'est un
assistant technique280 à l'arbitrage qui se distingue selon
que l'on soit dans l'arbitrage traditionnel (Paragraphe 1) ou dans l'arbitrage
spécifique CCJA (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le renfort du juge public dans
l'arbitrage traditionnel
L'arbitrage traditionnel dans l'espace OHADA est
constitué d'une part de l'arbitrage ad hoc(A) et des arbitrages
rendus par les institutions internes281(B).
A. Le juge public dans l'arbitrage ad hoc
Dans l'arbitrage ad hoc, le juge public n'est nul autre que le
juge étatique qui apporte son soutien à l'arbitrage. L'AUA lui
confère des compétences d'attribution qui lui permettent
d'intervenir avant, pendant et après l'instance arbitrale. Avant
l'instance, le juge étatique peut intervenir lors de la constitution du
tribunal arbitral. Ainsi, l'AUA prévoit que les parties peuvent choisir
un arbitre ou un collège constitué de trois arbitres. Dans la
première hypothèse, l'arbitre unique est désigné
d'après la commune volonté des parties et à défaut
par le juge compétent de l'État partie. Dans la seconde
hypothèse, chaque partie nomme un arbitre et les deux arbitres ainsi
nommés désignent le troisième arbitre. Si une partie ne
procède pas à la désignation d'un arbitre dans un
délai de trente (30) jours suivant la date de réception d'une
demande à cette fin émanant de l'autre partie, ou si les deux
arbitres ne s'accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un
délais de trente jours suivant leur désignation, ce dernier sera
désigné par la juridiction compétente de l'État
partie. Lorsque les parties ont prévu la désignation de deux
arbitres, le tribunal arbitral est complété par un
troisième arbitre choisi d'un commun accord par les parties, à
défaut par les arbitres choisis et en cas de désaccord de ces
derniers, par la juridiction compétente de l'Etat partie. En tout
état de cause, la désignation par le juge étatique ne
pourra se faire que sur demande de la partie la plus diligente282.
Le juge étatique intervient également en cas d'urgence reconnue
et motivée pour prononcer des mesures provisoires et conservatoires
lorsque le tribunal arbitral n'est pas encore constitué, à
condition pour lui de ne pas statuer au fond du litige283. Cette
règle a déjà
280 L'expression est de Ph. FOUCHARD in « La
coopération du président du tribunal de grande instance à
l'arbitrage », RCV. Arbitrage, 1985, p.9.
281 Centre d'arbitrage du GICAM (CAG), Centre national
d'arbitrage (CNA), Centre d'arbitrage de Côte d'ivoire (CACI) etc.
282 Art 6 NAUA.
283 Art 13 al.4 NAUA.
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activités économiques dans l'espace OHADA
été rappelée par le juge camerounais en
ces termes : « Conformément à l'article 13 de l'acte
uniforme relatif au droit de l'arbitrage, l'existence d'une convention
d'arbitrage ne fait pas obstacle à la compétence du juge
étatique, en l'espèce le juge des référés,
pour prendre des mesures conservatoires lorsqu'il y a urgence et que cette
mesure (...) ne préjudicie pas au fond »284. Il
ressort donc qu'avant l'instance arbitrale, le juge étatique peut
intervenir soit pour vaincre tout blocage susceptible de paralyser la
constitution du tribunal arbitral, soit pour sauvegarder les
intérêts des parties relativement à l'administration ou la
conservation des preuves, au maintien des relations des parties pendant le
cours de la procédure et enfin à la préservation d'une
situation de fait ou de droit donnée285.
Pendant l'instance arbitrale, dès lors que les parties
n'ont pas réglé la procédure de remplacement de l'arbitre
récusé, réputé incapable,
décédé ou démissionnaire et au cas où le
tribunal arbitral ne parvient pas à régler ces incidents de
procédure, la solution sera apportée par le juge compétent
de l'État partie à la demande de la partie la plus
diligente286. Ce dernier pourra également, en cours
d'instance, autoriser les mesures provisoires ou conservatoires. Toutefois, sa
compétence à ce niveau est concurrente avec celle de l'arbitre.
Ainsi, la partie qui sollicite lesdites mesures dispose du choix d'adresser sa
requête soit au juge étatique, soit au tribunal arbitral.
Cependant, il est avantageux de saisir le juge étatique eu égard
de ce que contrairement aux sentences arbitrales qui nécessites pour
leur exécution l'exéquatur du fait de l'absence d'impérium
octroyé à l'arbitre, les décisions du juge étatique
font l'objet d'une exécution rapide, ce qui favorise une meilleure
sauvegarde des intérêts du demandeur. Le juge étatique peut
également proroger le délai légal ou conventionnel de
l'arbitrage à la demande de l'une des parties ou du tribunal
arbitral287.
Après l'instance arbitrale, le juge étatique
intervient pour accorder l'exéquatur288, autoriser
l'exécution forcée, interpréter ou rectifier les erreurs
matérielles qui affectent la
284 Cour d'appel du Littoral, Arrêt no 092/
REF du 09 Mai 2007, Aff. TENE Job c/ PENGHOUA Emmanuel et KAMKEN
François, in répertoire OHADA, jurisprudence et bibliographie,
2006-2010, p. 25.
285 P. BERNADI, « Les pouvoirs de l'arbitre »in
Mesures conservatoires et provisoires en matière d'arbitrage
international, publication CCI no 519, p.24. V. ég. G.
K. DOUAJNI, « Les mesures provisoires et conservatoires dans l'arbitrage
OHADA », Rev. Cam. Arb., no8, Janvier- Février- Mars
2000, pp.3-s.
286 Art 6.al.3 NAUA.
287 Art 12 al.2 NAUA.
288 Art.30 et s. NAUA.
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sentence si le tribunal ne peut plus être
réuni289 ou pour connaitre du recours en annulation de la
sentence290.
B. Le juge public dans l'arbitrage institutionnel
interne
L'arbitrage institutionnel interne est celui qui se
déroule sous l'égide des organismes d'arbitrages existants
à l'intérieur des États. Le droit OHADA de l'arbitrage
autorise les parties à s'en remettre à de tels organismes pour le
règlement de leurs différends. Seulement, le choix d'un organisme
d'arbitrage emporte obligation pour les parties de se soumettre à son
règlement d'arbitrage291. En effet, dans l'arbitrage
institutionnel interne, la présence du juge étatique n'est pas
aussi intense que dans l'arbitrage ad hoc. Dans ce type d'arbitrage,
le juge étatique saisi par une partie pourra intervenir pour accorder
les mesures provisoires ou conservatoires sans qu'une telle action ne remette
en cause la convention d'arbitrage292. L'intervention du juge
étatique est également nécessaire à défaut
d'exécution spontanée pour accorder l'exequatur à la
sentence arbitrale rendue par l'institution d'arbitrage.
En somme, on peut retenir que le renfort du juge
étatique est un facteur d'efficacité de l'arbitrage traditionnel
dans l'espace OHADA.
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