B/- En matière de preuve
La marque fondamentale de l'inquisitorialité se
rencontre dans les «pouvoirs d'instruction »243
du juge. Ils lui permettent de découvrir la vérité soit
directement (1), soit indirectement (2).
1) la manifestation directe de la
vérité
Elle est l'oeuvre du juge lui-même, et s'exerce
au regard de l'enquête, de l'audition des parties et de la descente sur
les lieux.
- L'enquête
Elle est « une procédure au moyen de
laquelle sont recueillis les témoignages des personnes
étrangères à l'instance et qui sont invitées
à relater devant le juge ce qu'elles ont vu ou entendu au sujet des
faits litigieux »244. Les Professeurs AUBY et DRAGO la
définissent comme une procédure « destinée
à l'audition des témoignages dans des matières ou la
procédure écrite est insuffisante pour éclairer le juge
»245. Ils pensent également qu'elle
«présente des ressemblances avec l'expertise. En fait, elle est
une expertise à laquelle procède le juge lui-même ou l'un
de ses membres dans des matières dont la technicité ne requiert
pas l'appel à des hommes de l'art »246. Au regard
de ces considérations, la spécificité, mieux la
particularité de l'enquête réside dans les
témoignages recueillis de personnes étrangères à
l'instance. Ainsi, dans l'affaire Société Commerciale
243DENO IX DE SAINT Marc
(R) et LABETOULLE (D), « les pouvoirs d'instruction du uge
administratif »,
op.cit. P.69.
244PERROT, cours
de droit udiciaire privé, Paris, les cours de droit 1972-1973 P.375.
Cité par JACQUOT (II),
"contentieux administratif au Cameroun'' vol2, RCD,
1975 P.122.
245AUBY (JM) et
DRAGO (R), traité de contentieux administratif, op.cit.
P28
246 Idem
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland- 81
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
Africaine c/ Office National de Commercialisation des
Produits de Base247, le juge, de manière précise
ordonne « en la forme ordinaire des enquêtes, l'audition de
M.TSANGA ABANDA Joseph ».
L'enquête est régie par la section 1 du
chapitre I& du titre III de la loi du 29 décembre 2006. Elle peut
être ordonnée à la demande des parties. Toutefois, le juge
pour administrer la vérité, prend l'initiative248. Par
ailleurs la décision qui ordonne l'enquête indique les faits sur
lesquels elle doit porter, si elle aura lieu, devant un juge
désigné ou encore sur commission rogatoire, en audience publique
ou en chambre du conseil.249 Ainsi, cette décision doit
être notifiée aux parties qui ont un délai de cinq(05)
jours pour adresser au greffier la liste des témoins qu'elles
désirent faire entendre.250 Ce délai a
été raccourci, car la loi du 8 décembre 1975 disposait de
trente(30) jours, ce qui pourrait marquer la célérité de
la justice.
Le principe du contradictoire garde sa pertinence. Il
est au coeur de l'enquête. Un procès-verbal dressé par le
greffier est communiqué à l'une des deux parties qui a la
possibilité de discuter les témoignages, l'autre partie dispose
d'un délai de quinze(15) jours pour répliquer251. En
tout état de cause, le juge administratif manifeste la
vérité en diligentant une enquête. C'est également
le cas avec l'audition des parties que l'on a tendance à assimiler
à l'enquête.
- L'audition des partie
L'audition des parties peut être mise en oeuvre
par le juge administratif dans la recherche de la vérité. Elle
est régie par la section III du chapitre I& du titre III de la loi
du 29 décembre 2006.
L'audition des parties est une procédure qui
permet au juge « d'entendre les plaideurs eux-mêmes
»252.
L'interrogatoire des parties a pour finalité de provoquer l'aveu de
l'une d'elles253. La manifestation de la vérité par le
juge, l'amène à ordonner l'audition des parties
247Jugement
n°41/ADD/CS/CA/80-81 du 30 avril 1981, société africaine
commerciale c/Etat du Cameroun
248Article
65(1), loi 2006/022 du 29 décembre 2006
249Ibid, article
(65)
250 Ibid. article 66(1),
251Article
71(2), loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006
252JACQUOT (H),
« le contentieux administratif au Cameroun, op.it, P.123
253DEBBASCH (C)
et RICCI(J), contentieux administratifprécis DALLOZ,
4e édition, 1985 P.530
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland- 82
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
sur son initiative. La décision l'ordonnant
fixe les jours et heures, et est notifiée sans délai aux parties
n'ayant pas comparu à l'audience254.
Les parties peuvent être entendues ensemble ou
séparément.255Elles sont confrontées
lorsqu'elles sont entendues séparément.256 En raison
de la prise en compte du principe contradictoire, afin de permettre au juge
d'obtenir un nouvel indice. Au cours de l'audition, elles ont la
possibilité d'être assistées par leurs
représentants, conseils ou mandataires qui peuvent demander au juge de
poser des questions supplémentaires qu'ils estiment utiles, tout ceci
dans l'optique de permettre au juge d'atteindre son but.
Toutefois, si l'une des parties ne comparait pas ou
comparaissant refuse de répondre, il est prévu que le juge peut
tirer toute conséquence de droit et faire état de l'absence ou du
refus de répondre comme un commencement de preuve par écrit
conformément au droit commun.257
- La descente sur les lieux
La descente sur les lieux est un procédé
de vérification des faits relatés par les parties ou des
informations fournies par elles.258 Le juge y a recours lorsqu'il
veut se rendre compte lui-même d'un fait259. Elle est
prévue à la section 2 du chapitre IV du titre III de la loi du 29
décembre 2006.
La descente sur les lieux doit revêtir une
importance certaine, car le fait à vérifier doit être
déterminant pour l'issue de l'affaire. Alors, il ressort que des
« constatations et
»260
vérifications utiles ne peuvent
être diligentées que si elles contribuent à la
manifestation
de la vérité. Ainsi, dans le jugement
NANA LEVI Lucien261, la descente sur les lieux est apparue comme un
élément indispensable à l'établissement de la
décision du juge.
254Article 77
(2), loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
255 Ibid. article 78(3),
256 Ibid. article 80,
257Article 79 (2), loi
n°2006/022 du 29 décembre 2006
258KAMTO (M), droit
administratif processuel, op.cit. P.66
259JACQUOT (H), op.cit.,
P.123
260Article 72, loi n°
2006/022 du 29 décembre 2006
261Jugement
n°3/CS/CA/76-77 du 29 novembre 1976, NANA LEVI Lucien c/ Etat du
Cameroun
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland- 83
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
La descente sur les lieux prévoit la
constatation d'un fait et l'audition d'un tiers262. Ceci peut se
justifier du fait de la résolution du litige soumis au juge
administratif, c'est sans doute pour cela qu'il précise les parties qui
sont à l'origine de son déplacement ; le jugement NJINE NGANGLEY
Michel263, précise que le juge a ordonné une descente
judiciaire sur les lieux et y a procédé à l'audition des
tiers. L'audition de ces derniers fait penser à l'enquête qui est
une procédure spécialement réservée aux individus
qui ne sont pas parties au procès. Un procès-verbal relatant les
opérations menées et contenant les observations des parties est
dressé, et signé par le président de la juridiction ou le
juge commis, par le greffier et éventuellement les parties et les
témoins264.
Le juge administratif dans cette opération, est
assimilé à un expert en raison des constatations ou des
vérifications qu'il fait. Il est ainsi rémunéré
pour son déplacement et par conséquent, il est tenu de produire
un état des frais et vacations dont la taxation est faite par le
Président de la juridiction ou le juge commis à cet
effet265. En tout état de cause, le juge administratif
apporte directement la vérité en recherchant personnellement les
indices et éléments devant lui permettre d'occuper la place
à lui assignée. Il arrive qu'il ait recours à un
technicien qui peut se substituer à lui pour faire éclater la
vérité.
2) la manifestation indirecte de la
vérité
Le développement des sciences et techniques a
conduit les juridictions en général, et particulièrement
celles administratives, à faire appel très souvent aux experts ou
aux techniciens dans leur domaine précis. C'est ainsi que le droit
administratif processuel camerounais a pris le train en marche de ces mutations
techniques, en offrant la latitude au juge d'administrer même
indirectement la vérité, par le biais des mesures d'instruction
qu'il confie à un technicien266 pour une appréciation
matérielle de certains faits portés à sa connaissance.
Ainsi, le juge a recours à l'expertise et à la
vérification des écritures.
- L'expertise
Il faut noter que l'expertise est
précisée dans la section 5 du chapitre I& du titre III de la
loi du 29 décembre 2006.
262Article 74, loi n°
2006/022 du 29 décembre 2006
263 Jugement 29/CS/CA/79-80 du 31 janvier 1980, NJINE NGANGLEY
Michel c/ Etat du Cameroun
264 Ibid. article 75 (2),
265 Ibid. article 75 (3),
266GOHIN (0), la
contradiction dans la procédure administrative contentieuse, op.cit.
P.259.
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland- 84
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
L'expertise est une mesure d'instruction
décidée par le Tribunal et qui consiste à charger une ou
plusieurs personnes choisies en raison de leurs compétences, de
procéder à des constatations ou à des vérifications
de fait dans le cadre d'une mission définie par le juge
lui-même.267 L'expert n'est pas un juge, et doit seulement
fournir un avis motivé qui ne lie pas le juge. Il est un «
conseiller technique ».268 L'expertise a pour objet de
permettre au juge administratif d'éclairer une question de fait
controversée ou obscure, surtout lorsque cet éclaircissement
appelle des connaissances techniques qu'il ne possède
pas.269
La réalisation de l'expertise appelle la
désignation des personnes n'appartenant pas à la juridiction
administrative et ce, en raison de leurs aptitudes
légales.270 C'est ainsi que dans le jugement JAMES ONOBIONO,
le juge administratif a commis un expert financier agrée et
désigné en tant que tel par arrêté n°009/DAG/MJ
du 10 mai 2000 du Ministre de la justice garde des sceaux portant
désignation des experts dans le ressort de la cour d'appel du littoral
au titre des années judiciaires 1999/2000 et 2000/2001.La
possibilité est offerte aux parties de s'entendre sur le choix des
experts, mais en cas de désaccord entre elles, le juge en désigne
d'office271. Le jugement DANDJIN Esaïe272 est
illustratif à cet effet, le juge a désigné M.WINKOWO NEY I
Emmanuel en qualité d'expert, faute aux parties d'en convenir, car elles
n'arrivaient pas à s'entendre sur le choix de l'expert. Il faut noter
que l'expert désigné peut refuser d'accomplir cette tâche
ou alors être récusé, et dans ce cas le juge le remplace
dans un délai de quinze jours par voie d'ordonnance, d'accords partis,
soit d'office. Dans le jugement KOUOH Emmanuel Christian,273 le juge
a précisé qu' « en cas de refus ou de carence de
l'expert, désigné, il sera procédé à son
remplacement simple par ordonnance du Président de la chambre
administrative à la demande de la partie la plus diligente
».
La décision qui ordonne l'expertise doit fixer
tous les points sur lesquels elle doit porter.274Ce qui sous-entend
que l'expertise ne peut porter « que sur des questions de fait
à
»275
l'exclusion des questions de droit étant
entendu que sa finalité est « d'informer le juge
267AUBY (JM) et DRAGO
(R), traité de contentieux administratif, op.cit., P.20
268Idem.
269CHABANOL
(D), «Expertise », répertoire du contentieux
administratif, P.1.
270DENO IX DE
SAINT Marc (R) et LABETOULLE (D), « les pouvoirs
d'instruction du (JA) » op.cit., P.78 271Article 84
(2), loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
272 Jugement n60/ADD/CS/CA/93-94 du 28 avril 1994,
DANDJINEsaie c/Etat du Cameroun
273Jugement
n° 43/CS/CA/82-83 du 7 avril 1983, KOUOH Emmanuel Christian c/Etat du
Cameroun 274Article 84(3), loi n° 2006/022 du 29
décembre 2006
275DENOIX DE
SAINT Marc (R) et LABETOULLE (D), « les pouvoirs d'instruction du juge
administratif»
op.cit., P.78
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland- 85
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
»276
sur l'appréciation matérielle des faits
et non de trancher un point de droit lorsque le juge
administratif camerounais ordonne une expertise, il
précise généralement les faits sur lesquels elle doit
porter. Dans le jugement MBALLA NLATE, une expertise médicale fut
ordonnée « en vue de déterminer selon la méthode
de la toise, la taille exacte du requérant
»277.
L'expertise est un moyen de manifester la
vérité par le juge administratif de manière indirecte, car
il fonde sa conviction au sujet des faits qu'il soumet à l'expert. Le
juge reste le maitre de l'instruction, il sait ce qu'il recherche, ce qui lui
est utile. En aucun cas, il n'est obligé de suivre l'avis des
experts278. C'est dire que le rapport de l'expert ne le lie
pas279. Les professeurs DEBBASCH et RICCI pensent que « le
juge n'est pas lié par les résultats de l'expertise. Il peut
ordonner une nouvelle expertise qui porte sur les points différents de
la primitive expertise ou une contre-expertise qui consiste à faire
recommencer la primitive expertise »280. L'expertise
permet au juge d'administrer indirectement la vérité pour
établir sa conviction.
- La vérification des écritures
Elle est régie par la section 4 du chapitre 4 du
titre III de la loi du 29 décembre 2006.
L'écrit est dominant et d'un important champ
d'application dans la procédure administrative contentieuse. Il devient
fondamental tout en recherchant la solution à des litiges donnés,
de résoudre le problème de foi à accorder à cet
écrit281. C'est ainsi que « le juge ne s'estimera
pas en mesure d'apprécier lui-même l'authenticité d'un
document ou d'une signature »282. La lecture de la loi du
29 décembre 2006 démontre que la preuve des actes s'effectue
conformément au droit commun démontrant la
pénétration du droit privé dans le droit public. Le juge
administratif a rarement eu recours à cette mesure d'instruction ce qui
a amené le Professeur S IETCHOUA283 à dire qu'
« on ne s'attende pas à des décisions sur la
vérification des écritures dans le contentieux administratif
camerounais, car il n'en existe pas du moins à notre connaissance
», en effet, nous également n'en avons pas
trouvé.
276 DEBBASCH(C) et RICCI (JC), contentieux
administratif, 4e édition op.cit., P.526
277Jugement
n°66/ADD/CS/CA/85-86 du 16 mai 1986, MBALLA NLATE Jean c/Etat du
Cameroun
278AUBY(JM) et DRAGO(R),
Traité de contentieux administratif, op.cit. p. 23.
279KAMTO (M),
Droit administratifprocessuel, op.cit. p. 65
280DEBBASCH (C) et
RICCI (JC), Contentieux administratif, op.cit., p.528
281DEBBASCH (C) et
RICCI (JC), Contentieux administratif, op.cit., p.531
282CHAPUS (R),
Droit administratif, op.cit., p. 806
283S IETCHOUA DJUITCHOKO (C), l'appel dans
le contentieux administratif au Cameroun « contribution
à
l'étude de la juridiction administrative
» th. Aix en Provence, juin 2001, p. 287
Mémoire de DEA Présenté et soutenu par
M~ZAMA MAGA Athanase Roland 86
L'application du principe du contradictoire dans la
procédure administrative contentieuse au Cameroun
La vérification des écritures a une
identité spécifique des autres mesures d'instruction. Au terme de
l'article 83 de la loi du 29 décembre 2006 « si une partie
allègue la fausseté d'un acte sous seing privé, public ou
authentique, elle doit en rapporter la preuve conformément au droit
commun ». Il ressort de cet article, que c'est à la partie qui
allègue la fausseté d'en apporter la preuve.
Au regard du rôle directeur du juge
administratif, il ressort que ce dernier est d'une part, maitre de la
procédure à travers la conduite du procès administratif ;
et d'autre part, qu'il détient des pouvoirs lui permettant
d'établir la vérité. Seulement, il sied d'aborder
dès lors la garantie de l'administré dans les pouvoirs du
juge.
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