B. Portée du principe de la
responsabilité de l'Etat en droit public
A l'origine, il y a l'irresponsabilité: le propre des
pouvoirs publics est de ne pas être tenu de réparer les dommages
qu'ils causent, car ils sont l'incarnation de la souveraineté de
l'État86. Tout au plus admettait-on la responsabilité
des collectivités locales pour leurs activités administratives.
Mais, peut-être parce que l'administration a toujours été
très présente dans la société congolaise, le juge
administratif congolais peut admettre comme son homologue français que
l'État, ou du moins son administration, répare les dommages
causés par lui au moins dans les cas les plus graves.
La responsabilité qui peut incomber à
l'État, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des
personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie
par les principes qui sont établis dans le code civil, comme ce serait
pour les rapports de particuliers à particuliers. Cette
responsabilité n'est ni générale, ni absolue; elle a ses
règles spéciales qui varient selon les services et la
nécessité de concilier les droits de l'État avec les
droits privés. Il devait revenir principalement au juge administratif de
développer alors un droit de la responsabilité de l'État
qui soit distinct du droit civil. Dans un premier temps, il n'acceptera
d'engager la responsabilité de l'Etat, que si le service avait commis
une faute lourde ou s'il avait porté une atteinte grave au droit de
propriété (en l'occurrence, le fonds de commerce pour la
société Kivu market). Mais, dans un deuxième temps, il
devait élargir considérablement la responsabilité de
l'État, soit en exigeant seulement une faute simple, soit en
présumant la faute, voire même en n'exigeant pas qu'une faute ait
pu être commise. Le droit public de la responsabilité devint ainsi
au milieu du siècle dernier un droit aussi favorable à la victime
que le droit civil qui avait fait pourtant de grands progrès de son
côté.
85 Lorsque le ministère public a
clôturé l'instruction pré juridictionnelle, il a le droit
d'apprécier s'il y a opportunité d'exercer les poursuites ou de
s'abstenir (M.NKONGOLO TSHILENGU, Droit judiciaire congolais, éd. du
service de documentation et d'étude du ministère de la justice et
garde de sceaux, Kin, 2003, p.64). En effet, il y a plusieurs causes qui
peuvent amener l'officier du ministère public à s'abstenir
notamment pour insuffisance des charges (classement sans suite, non-lieu), pour
peu de gravité de l'infraction étant donné que le
magistrat ne peut pas s'attacher à des futilités, pour raison
d'Etat, dans le cas où la poursuite causera plus de danger à
l'ordre public qu'une abstention de poursuite. Cependant, le ministère
public ne peut jamais décider de s'abstenir de poursuivre pour des
raisons personnelles, tribales ou partisanes. Il n'a pas ce pouvoir
(S.J.QUIRINI, Comment fonctionne la justice en R.D.C, éd. CEPAS,
s.l,s.d, p.36.) Le magistrat du parquet (O.M.P) transmet le dossier
dûment inventorié ainsi que les objets saisis au tribunal
compétent territorialement, matériellement et rationne personae.
Il conserve le dossier administratif. Le dossier est transmis au tribunal avec
une « requête », c'est-à-dire, d'une demande de fixation
de la date d'audience.
86 M. FROMONT, La responsabilité de l'Etat en
droit français, Paris, s.é., s.d, p.2.
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Cependant, la notion de protection de la
propriété privée dont pourrait se prévaloir la
Société, c'est le fonds de commerce qui constitue
élément capital du principe de la liberté d'entreprendre
pour la Société Kivu passant au contraire à
l'arrière-plan. De surcroît, même si le problème
n'est pas complètement nouveau en droit positif congolais, le centre
d'intérêt s'est quelque peu déplacé: alors que,
pendant longtemps, l'essentiel des questions à résoudre
concernait la question de la réparation des dommages accidentels
causé par des actes matériels de l'Administration, aujourd'hui
les principales difficultés concernent la responsabilité de
l'Etat pour les actes juridiques émis non seulement par le pouvoir
exécutif, mais encore par les autres pouvoirs, dont le pouvoir
judiciaire, le pouvoir législatif et même le pouvoir diplomatique,
par exemple les actes de Gouvernement qui attentent dans une certaine mesure
l'exercice d'un droit fondamental compte tenu de contexte ou de
paramètre sécuritaire du pays et cela uniquement pour raison
d'Etat. C'est précisément ce souci de mettre la lumière
sur ces nouveaux problèmes qui nous amène à
présenter les solutions du droit français en abordant
successivement la responsabilité de l'Etat du fait de ses actes
matériels et la responsabilité de l'État du fait de ses
actes juridiques, même si parfois, la frontière entre ces deux
catégories d'actes est incertaine.
Après avoir présenté la portée
extensive des garanties accordées à l'exercice du droit
d'investissement privé, équivalant de la liberté
d'entreprendre du droit français, bien qu'il n'est pas un droit
intangible c'est-à-dire, susceptible de dérogeabilité,
mais protégé en tant que droit fondamental par l'autorité
judiciaire. Voyons maintenant, en quoi peut se poser la nécessité
de restreindre l'exercice du droit d'investissement privé en droit
positif congolais, par voie de mesure préventive du Ministère
public, sans pour autant engager la responsabilité de l'Etat
congolais.
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