B. Le juge administratif et l'exercice du droit
d'investissement privé comme droit
fondamental
Le rôle de la juridiction administrative dans la protection
des droits et libertés, relève de ce « miracle » du
droit administratif mis en lumière par le professeur Prosper
Weil66.
Sans doute, ni les origines, ni les missions premières
du juge administratif, ne garantissaient pas le droit d'investissement
privé ou de la liberté d'entreprendre, comme il peut paraitre
ainsi. Mais, très vite, l'indépendance du Conseil d'Etat,
statuant au contentieux s'est imposée. Elle a été
définitivement consacrée, sous l'inspiration en particulier de
Gambetta, par la loi du 24 mai 1872, qui ancre le Conseil d'Etat dans les
institutions
64 V.BERGER., Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, Paris, 4ème
édition, Dalloz, 1994.p.69.
65 CJCE 4 févr. 1959, Friedrich Stork et
Cie c. Haute Autorité de la CECA, 1/58, Rec. CJCE 43,
concl. M. Lagrange. C'est en effet une société allemande,
spécialisée dans le négoce des matières
minières, qui forma un recours en annulation contre la décision
de la Haute autorité de la CECA du 27 nov. 1957 ; elle y
considérait que la réorganisation de la vente du charbon de la
Rhur n'était pas contraire aux dispositions du traité CECA. Or,
l'entreprise allemande Stork considérait à l'inverse que «
La Haute Autorité n'a pas non plus respecté certains droits
fondamentaux qui sont protégés dans presque toutes les
constitutions des États membres et qui viennent limiter l'application du
traité. C'est ainsi notamment que les articles 2 et 12 de la loi
fondamentale de la République fédérale accordent à
chaque citoyen, le droit inviolable de développer librement sa
personnalité et d'exercer sa protection sans entraves. »
66 P.WEIL, Les conséquences de l'annulation
d'un acte administratif pour excès de pouvoir, Paris, Université
de droit Paris II Panthéon-Assas, 1952.p.302. Thèse de doctorat
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républicaines. L'un des premiers apports de sa
jurisprudence est de garantir le juste équilibre entre les exigences de
l'ordre public et la protection des droits fondamentaux en l'occurrence, le
droit d'investissement privé. Cette conciliation, se fait selon l'esprit
exprimé par le commissaire du gouvernement Corneille, dans ses
conclusions sur l'arrêt Baldy du 17 août 1917 : « Pour
déterminer l'étendue du pouvoir de police dans un cas
particulier, il faut tout de suite se rappeler que les pouvoirs de police sont
toujours des restrictions aux libertés des particuliers », que le
point de départ de notre droit public est dans l'ensemble, les
libertés des citoyens.
S'il faut admettre cet avis de Corneille67, selon
lequel l'exercice des pouvoirs publics s'exprime toujours en des restrictions
des libertés des particuliers, dont les sociétés
commerciales, mais quel serait essentiellement le rôle du juge
administratif vis-à-vis des libertés publiques en violation?
? Le rôle protecteur du juge administratif
En droit français, le juge administratif est un
protecteur privilégié des libertés publiques, parce qu'au
fil de la jurisprudence du haut Conseil, il semble qu'une liberté soit
« fondamentale » au sens de l'article L.521-2 du code de justice
administrative, lorsque, d'une part, elle est prévue par une
règle de valeur supra réglementaire invocable et que son objet
est suffisamment important pour justifier l'application de la protection
juridictionnelle prévue par l'article L.521-268 dont la
liberté d'entreprendre.
A cet égard, il convient de préciser que les
normes devant prévoir la liberté fondamentale ;
l'hypothèse a, manifestement, déjà été
appliquée par le Conseil d'Etat et a l'avantage d'une part, de permettre
au juge administratif de « se différencier des autres
juges
67 La formule est du conseiller
d'Etat Boudet, cité par Corneille, in concl. sur CE 6-8-1915,
Delmotte, Senmartin (deux arrêts), S. 1916, III, 9. On peut
considérer qu'en de telles circonstances, c'est l'encadrement (notamment
dans le temps) d'une telle suspension qui fera office de garantie des droits
fondamentaux. Cité par Julien RAYNAUD., in Les atteintes aux droits
fondamentaux dans les actes juridiques privés, s.l, U.L, 2001, p.111.
68 Tels sont les critères
dégagés par Guillaume GLENARD, in « Les critères
d'identification d'une liberté fondamentale au sens de l'article
L.521-12 du code de justice administrative », AJDA, 2003,
p.2008., p.2009, sur la base des conclusions des commissaires de
gouvernement Pascale FOMBEUR (conclusions sur l'arrêt Robert
Casanovas, 28 février 2001, AJDA 2001, p.971 ;
RFDA, 2001, p.399.) et Isabelle DE SILVA (conclusions sur CE, 30
octobre 2001, Mme Tliba, RFDA, 2002, p.324.).
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»69 et, d'autre part, « de tenir compte de
l'évolution de la société et de faire en
conséquence évoluer le niveau de la protection juridique
» puisque « Si la Constitution et les conventions
internationales peuvent parfois jouer un rôle précurseur, cela
n'est pas toujours le cas. Elles ne font bien souvent que consacrer
juridiquement un état de fait qui, en raison de la rigidité des
règles d'élaboration ou de révision de ces normes,
implique un décalage dans le temps entre la réalité
sociale et le droit. »70. En effet, il a su assujettir
l'action de l'administration à son contrôle de
légalité. Le principe de l'indépendance de la juridiction
administrative a été érigé par le Conseil
constitutionnel français, en principe fondamental et reconnu par les
lois de la République (décision 22 juillet 1980)71.
Ainsi, pour préserver l'ordre public, l'administration
est amenée à restreindre l'exercice des libertés
publiques. Mais notons cependant qu'en droit comparé, elle agit sous le
contrôle du juge administratif, qui est ainsi amené à jouer
un rôle crucial en matière de protection des libertés. Au
fil du temps, le C.E français a étendu son contrôle de
légalité sur un nombre croissant d'actes administratifs. Mais il
a admis qu'un simple intérêt à agir, suffit,
c'est-à-dire que sans même qu'un droit soit lésé,
permettrait de déclarer le recours pour excès de pouvoir
recevable. Or, pour ce qui est de la Société Kivu market SPRL, le
droit d'exercer le commerce dont elle détenait le permis d'exploitation,
a été violé, en ce sens que le parquet
général du Nord-Kivu, en poursuivant l'auteur de l'atteinte
à la sureté intérieure de l'Etat, a pris la mesure
conservatoire, étant un acte administratif portant sur le scellage de la
société, était constitutif de voie de fait, parce qu'elle
pèche contre le principe fondamental selon lequel, la
responsabilité pénale est individuelle, et ainsi, compte tenu du
fait que la Société commerciale, Kivu market jouit d'une
personnalité juridique distincte de ses membres fondateurs ou
associés, une distinction entre elle et ses associés, serait de
loin importante, pour ne pas entraver la liberté d'entreprendre et
poursuivre Mr BILALI pénalement, même si l'entreprise pourrait
être civilement responsable. Puis que, si nous apprécions le fait
suivant la théorie des actes détachables, telle
qu'élucidée par le Professeur WASSO MISONA, l'atteinte à
la sureté intérieure de l'Etat commise par le Sieur BILALI, est
une faute personnelle et non une faute de service72, car financer le
m23, n'a rien à voir avec l'activité de la société,
étant celle de vente des marchandises dans la ville de
Goma73.
69 E. SALES, « Vers l'émergence d'un droit
administratif des libertés fondamentales ? », s.l, RDP,
n°1, 2004, p. 223.
70 G.GLENARD,
op. Cit. , pp.2009 et 2016.
71 Ibidem.
72 J. WASSO MISONA, Droit
administratif, Goma, U.L.P.L, 2012, p.138. (inédit).
73 Il sied d'élucider la
faute personnelle découlant de la théorie des actes
détachables. Par faute personnelle, il faut en comprendre une faute
imputable à la personne même de l'agent, par opposition de la
faute de service. Et
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De ce fait, si le corps des associés organisés
en assemblée générale, saisissait le juge administratif,
peut-être, ce dernier constaterait la voie de fait, et pourrait annuler
la mesure. Comme ce fut le cas en droit français, où le juge
administratif avait requalifié le fait, en mesure de police
administrative, pour pouvoir le contrôler, un arrêté du
préfet fondé sur l'article 10 du code d'instruction criminelle
(C.E 24 juin 1960 Société Frompot). Il a déclaré
que le recours pour excès de pouvoir, était ouvert même
sans texte, contre tout acte administratif (C.E. 1 février 1950,
Ministre de l'agriculture contre Dame Lamotte). L'intensité du
contrôle, varie toutefois selon la liberté qui fait l'objet d'une
restriction dont la liberté d'entreprendre.
Lorsqu'une profession industrielle et commerciale s'exerce sur
la voie publique, les limitations imposées par l'autorité de
police seront examinées moins strictement que si la liberté
d'aller et de venir était en cause74.
De plus, depuis la loi du 30 juin 2000, relative au
référé devant les juridictions administratives le juge
administratif dispose de 3 procédures de référé, un
référé suspension, une liberté et un conservatoire,
ce qui permet au juge de suspendre l'exécution d'une décision. Le
référé liberté permet la sauvegarde d'une
liberté fondamentale, notamment qualifié par le CE, celle d'aller
et de venir, liberté d'entreprendre, liberté personnelle, droit
d'asile75,...
Quid de la responsabilité de l'Etat congolais pour
atteinte notoire à l'exercice du droit d'investissement privé par
ses préposés ?
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