B. Une limitation générale et
absolue.
A la question de savoir si l'on peut effectuer de
manière relative et particulière une limite au droit
d'investissement et sa justiciabilité par un acte de Gouvernement, nous
répondons par l'affirmative. Car, l'irrecevabilité opposée
aux requêtes dirigées contre des actes de gouvernement est
fondée sur l'incompétence du juge administratif et du juge
judiciaire143. Après quelques hésitations de la
jurisprudence, qui s'appuyait parfois sur la nature de l'acte, le Conseil
d'Etat a admis, dans l'arrêt GISTI et MRAP, du 23 septembre
1992144, qu'il s'agissait bien d'une incompétence du juge
administratif145. Cette distinction n'est pas procéduralement
neutre. Ainsi, le juge statuant seul peut rejeter des requêtes pour
irrecevabilité manifeste, mais pas pour incompétence
manifeste146. Surtout, incompétence et irrecevabilité,
n'ayant pas le même objet, n'ont pas la même signification.
L'irrecevabilité affecte la requête elle-même, sa
capacité à donner lieu à une décision
juridictionnelle. L'incompétence, suivant Olivier CAYLA, «
disqualifie en effet les actes qui n'apparaissent pas comme imputables
à l'administration et qui, de ce fait, ne sont pas justiciables
devant le juge administratif, uniquement parce qu'il est le juge de
l'administration. Ce qui ne signifie pas que ces actes ne sont pas
contestables du tout, au contraire : la déclaration
d'incompétence "est un signe au requérant qu'il peut s'adresser
ailleurs"147».
D'ailleurs, ça pourrait être, comme l'a soutenu
le Doyen L. Favoreu, un juge constitutionnel148. Cette thèse
trouve principalement à s'appliquer aux actes de gouvernement concernant
les rapports entre le gouvernement et le Parlement, ou plus
généralement, entre les organes constitutionnels de la
République. Ainsi, selon Elise Carpentier, « L'acte de
gouvernement n'est pas insaisissable149». Il constitue en
effet un « acte constitutionnel institutionnel » qui, s'il
est injusticiable devant le juge ordinaire, pourrait trouver, devant la Cour
constitutionnelle chargée des litiges afférant aux pouvoirs
constitutionnels, un juge compétent. Ces actes de gouvernement
n'échappent donc au principe de légalité que pour des
143 J.WASSO MISONA, Contentieux administratif, Goma, U.L.P.G.L,
2014, p23.(inédit).
144 CE 23 septembre 1992, GISTI et MRAP, Rec.
346 ; AJDA 1992, p. 752, concl. D. Kessler.
145 P. SERRAND, « L'irréductible acte de gouvernement
», Dalloz, Paris,2000,p.337.
146 CE avis 29 novembre 1991, M. Landrée,
RFDA 1993, p. 760, concl. H. Legal, cité par CAYLA, art.
préc., p. 15.
147 O.CAYLA, art. préc., p. 15, citant les concl.
Légal, préc. (Souligné dans le texte).
148 L.FAVOREU, op. cit., p. 232.
149 E.CARPENTIER, « L'acte de gouvernement n'est pas
insaisissable », RFDA 2006, p. 661 à 677.
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raisons contingentes, qui tiennent, en R.D.C à la
faible étendue du domaine de compétence de notre juge
constitutionnel, dont les compétences d'attribution ne concernent pas de
manière générale les relations entre les organes
constitutionnels et particuliers se prévalant des droits fondamentaux,
comme ça peut être le cas en Allemagne, par
exemple150.
Pourtant, ce n'est pas simplement l'incompétence
particulière du juge administratif qui est affirmée par la
théorie des actes de gouvernement, c'est bien la compétence de
tout juge. Ainsi, la Cour de cassation italienne l'a affirmé
très nettement dans l'affaire Markovic : « par rapport à
des actes de ce type, aucun juge n'a le pouvoir de contrôler la
façon dont la fonction politique a été
exercée151». L'immunité dont
bénéficient ces actes est donc affirmée de manière
générale et absolue. Or une telle interdiction saurait
difficilement passer pour proportionnée aux buts poursuivis, et ce
d'autant plus qu'il existait, pour aboutir au même résultat
préservant la souveraineté politique des décisions des
autorités publiques sur les voies à suivre pour résoudre
la crise sonnante du Nord-Kivu.
150 Art. 93 (1), de la Loi fondamentale allemande du 23 mai
1949 : « La Cour constitutionnelle fédérale statue : sur
l'interprétation de la présente Loi fondamentale, à
l'occasion de litiges sur l'étendue des droits et obligations d'un
organe fédéral suprême ».
151 Décision du 8 février 2002 (n°8157),
cité par la CEDH, arrêt Markovic, préc., par. 18
(nous soulignons).
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