B. Des actes relevant de la compétence
exécutive.
Parmi les justifications à la théorie de l'acte
de gouvernement figure celle tirée de ce que les actes de gouvernement
relèveraient d'une fonction de l'Etat différente de la fonction
administrative dont le juge peut seule connaître. Ainsi, à
côté de l'activité administrative de l'exécutif, il
existerait une autre fonction, fonction gouvernementale, dont les actes
échapperaient au juge administratif en vertu de ce que « le
juge administratif n'est que le juge de l'administration et ne peut
connaître d'actes ou d'activités extérieures à
l'administration126».
C'est Laferrière qui, le premier, a donné de
cette distinction une définition : selon lui, « Administrer,
c'est assurer l'application journalière des lois, veiller aux rapports
des citoyens avec l'administration et des diverses administrations entre elles.
Gouverner, c'est pourvoir aux besoins de la société tout
entière, veiller à l'observation de sa constitution, au
fonctionnement des grands pouvoirs publics, aux rapports de l'Etat avec des
puissances étrangères, à la sécurité
intérieure et extérieure127». Rappelant la
distinction des actes d'autorité et des actes de gestion,
abandonnée depuis longtemps par la jurisprudence, le
critérium de différenciation des actes de gouvernement
et des actes d'administration, tel qu'énoncé, paraît bien
difficile à mettre en oeuvre objectivement. La considération de
la nature politique de l'acte et de ses motivations n'est pas très
loin.
.
Raymond Carré de Malberg, et à sa suite le
Professeur René Capitant, ont adopté un critère
différent. Pour Carré de Malberg, « la fonction
administrative se caractérise et doit
125 Pour Paul Duez, « les actes de gouvernement
soustraits à l'emprise du juge n'ont pas un contenu juridique
différent des actes soumis au contrôle juridictionnel. L'acte
qualifié acte de gouvernement ne répugne pas par sa nature
juridique à ce contrôle » in P.DUEZ, Les actes de
gouvernement, Dalloz, Paris, 2006, p. 23).
126 CHAPUS, op. cit., p. 86.
127 E.LAFERRIÈRE, Traité de la
juridiction administrative et des recours contentieux, t. II,
Berger-Levrault, Paris, 2° éd., 1896, p. 32, cité par
CHALVIDAN, « Doctrine et acte de gouvernement », AJDA, 1982,
p. 8.
40
être définie par sa subordination à la
loi».128 Ainsi, « toutes les fois que
l'autorité administrative agit en vertu de pouvoirs légaux, il
n'existe aucune raison, quelque larges et discrétionnaires que soient
ces pouvoirs, de faire intervenir la notion d'acte de
gouvernement129». Au contraire, lorsque les
autorités exécutives agissent sur le fondement d'une habilitation
directe de la Constitution, elles se trouvent placées dans le domaine de
l'action gouvernementale et leurs actes échappent au contentieux
strictement administratif130.
C'est une telle conception qu'a retenue la Cour de Cassation
italienne dans l'affaire Markovic. Ainsi, dans sa décision du 8
février 2002, par laquelle elle constatait le défaut de
juridiction du juge italien, elle énonçait que « le
choix d'une ligne de conduite des hostilités fait partie des actes de
gouvernement. Ce sont des actes qui constituent la manifestation d'une fonction
politique, et leur attribution à un organe constitutionnel est
prévue dans la Constitution : fonction qui de par sa nature est telle
que l'on ne peut faire valoir, par rapport à celle-ci, une situation
d'intérêt protégé, de sorte que les actes par
lesquels elle se manifeste ont ou n'ont pas un contenu
déterminé131».
Il existerait donc deux fonctions, l'une administrative,
l'autre gouvernementale ou politique, dont seraient simultanément
chargées les mêmes autorités agissant par la voie d'actes
juridiques de forme identique. René Capitant, pourtant, rejettera cette
thèse que Charles Eisenmann nomme « quadrialiste ».
En effet, selon l'éminent auteur, une telle fonction gouvernementale,
fonction d'orientation et de direction, devrait soit être répartie
entre les trois fonctions classiques de l'Etat, législative,
exécutive et juridictionnelle, car elle est applicable à ces
trois types d'activités, soit, si elle est confiée à un
seul de ces principaux organes constitutionnels, elle « aboutirait
à mettre à la tête de l'Etat une sorte de dictature
incompatible avec toute forme de séparation des
pouvoirs132».
René Capitant considère dès lors que
l'immunité juridictionnelle des actes de gouvernement se justifie par le
fait, non pas qu'ils relèvent d'une fonction gouvernementale distincte
de la fonction administrative, mais directement de la fonction
législative elle-même. Ce sont les actes par lesquels
l'exécutif prend part à la fonction d'édiction de la loi,
qu'il s'agisse des actes relatifs aux rapports du gouvernement avec le
Parlement, des actes diplomatiques ou du décret de grâce et de
sécurité publique. Il s'agit là d'un acte qui
relève des rapports entre organes constitutionnels, fortement lié
à des préoccupations d'ordre
128 CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la
théorie générale de l'Etat, tome I, Dalloz, Paris,
2004, p. 523.
129 R.CAPITANT, De la nature des actes de gouvernement »,
Dalloz, Paris, 1964, p. 111
130 Ibid., p. 526.
131 Arrêt CEDH Markovic contre Italie, par. 18.
132 Ibid, p. 110.
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politique, mais qui ne s'inscrit à aucun moment dans un
processus de législation à proprement parler. Ou encore, dans le
domaine diplomatique, il est difficile de rattacher l'ensemble de ces actes
à un traité : par exemple, le refus des autorités
diplomatiques ou consulaires d'appuyer des réclamations
présentées par des ressortissants français
lésés auprès des gouvernements étrangers, qu'il y
ait simple abstention ou diligence insuffisante, ne constitue pas un acte
entrant dans le processus de conclusion d'une convention internationale.
Rejetant la conception extensive de l'acte administratif adoptée par les
détracteurs de l'acte de gouvernement133, René
Capitant fait preuve, au contraire, d'une conception extensive de la notion de
législation.
En outre, le rattachement des actes de gouvernement à
la fonction législative, même si on l'acceptait, ne pourrait pas
justifier l'immunité totale de juridiction dont ils
bénéficient devant le juge administratif. En effet, qualifier un
acte d'acte de gouvernement revient à le préserver de tout
contentieux, qu'il s'agisse de l'examen de sa légalité comme de
la reconnaissance de son caractère éventuellement dommageable au
titre de la responsabilité de l'Etat.
Enfin, le Tribunal des Conflits a affirmé, dans une
décision Vincent du 15 février 1890134 que
l'acte de gouvernement ne saurait en aucun cas servir de couverture à
une illégalité flagrante. Un acte de gouvernement n'est donc
injustifiable qu'autant qu'il n'est pas manifestement illégal : c'est
là porter un jugement sur le fond, proche du contrôle de l'erreur
manifeste, en vue de rejeter au titre de l'irrecevabilité.
L'ensemble de ces éléments nous conduit à
conclure que l'acte de gouvernement ne se présente point, sur le fond
comme sur la forme, comme un acte différent des autres actes
administratifs que contrôle le juge135. La seule
différence tient au contexte politique qui entoure l'acte et justifie
dans une certaine mesure la réserve du juge. Il existe donc bien un
droit à défendre pour les requérants. Mais ce droit n'est
pas ainsi absolu, bien que le prévoit l'article 19 de la Constitution
congolaise. Des limitations restent possibles de la part de l'Etat.
133 « La doctrine professe de l'acte administratif une
définition large, trop large, qui ne correspond ni à la
réalité des choses, ni à la jurisprudence »
(CAPITANT, préc., p. 106).
134 Rec. C.E., p. 183. Cité par AUVRET-FINCK,
préc., p. 142-143 ; et par MIGNON, « L'amenuisement de l'emprise de
la théorie des actes de gouvernement : progrès nécessaire
du concept de légalité », Revue Administrative,
1951, p. 44.
135 L.FAVOREU, Du déni de justice en droit public
français, op. cit., p. 170 s., spécialement. p. 232
s. : « Sous-section 2 : L'explication proposée : les actes dits
de gouvernement, actes justiciables par nature, injustifiables par accident
». Aussi, du même auteur, « Pour en finir avec la «
théorie » des actes de gouvernement », in Mélanges
en l'honneur de Pierre Pactet, Dalloz, Paris, 2003, p. 611 : « On
constate, en réalité, pour peu que l'on connaisse les
systèmes de justice constitutionnelle des pays voisins, que la «
nature » des actes considérés ne fait nullement obstacle
à leur justiciabilité ».
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