L'effectivité du droit des investissements direct étranger au Camerounpar Loïc MESSELA Université Catholique d''Afrique Centrale - Master 2 en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2018 |
CHAPITRE II : LES PESANTEURS NON-JURIDIQUESPar pesanteurs non-juridiques on entend tous les facteurs externes à la législation qui sont de nature à limiter le flux des IDE au Cameroun. Les investisseurs désireux de s'installer prennent en compte le risque pays pour motiver leur choix quant à un éventuel établissement dans le pays hôte. Ainsi, le risque pays analyse l'Etat, les administrations publiques et les entités non-gouvernementales. Il ne suffit pas d'avoir une bonne règlementation pour attirer les investisseurs étrangers. Encore faudrait-il la présence d'institutions capables d'assurer la sauvegarde de leurs avoirs dans le pays en question. Le risque commercial est inhérent à toute activité économique. Le risque politique lui peut influer sur le premier. Les changements imprévus de politiques publiques peuvent avoir de lourdes conséquences sur la viabilité d'un projet. L'Etat hôte de l'investissement doit prémunir l'investisseur contre d'éventuels risques politiques. Dans les lignes suivantes, nous questionnerons le rôle de tous ces facteurs non-juridiques qui ont un impact négatif sur le flux des IDE au Cameroun et par là l'atteinte des objectifs de développement. Nous examinerons tour à tour l'impact du risque politique sur l'attractivité du territoire camerounais (section I). Par la suite, nous examinerons tous les risques sociaux Dans le rapport « Vision 2035 », il était question d'une croissance de 10% entre 2010 et 2020. Or, dans cet intervalle de temps le pays n'a atteint un taux de 5% qu'à 2 reprises. Section I : Le risque politique non-maitriséLes entreprises sont contraintes de prendre en compte le risque inhérent à l'environnement des affaires dans un pays avant de s'y implanter. Cette notion est apparue pour la première fois en 1970, et est réapparue à la suite de la crise économique de 2008. L'agence de notation Standard and Poor's définit ce concept comme : « Tous les risques de nature réglementaire, politique économique, financier, social et environnemental afférents à un pays ». Il s'agit de l'analyse de l'Etat, l'administration publique et des entités non-gouvernementales. D'après un auteur, la corruption est avec l'insécurité politique la raison principale pour les investisseurs de s'abstenir d'un engagement en Afrique234 234 T. VOGL, « La lutte contre la corruption : condition essentielle pour la réussite de l'OHADA », Penant, 2008, www.ohada.com, consulté le 12 novembre 2018 à 12 heures Page 88 Ainsi nous aborderons l'incidence des troubles civils sur l'attractivité du Cameroun (paragraphe 1), puis nous traiterons des limites que constituent la corruption pour l'économie camerounaise (paragraphe 2). Paragraphe 1: l'incidence des troubles civils sur l'attractivité des investisseurs directs étrangers D'après un auteur, lorsque les conditions de sécurité deviennent volatiles, les IDE qui par nature sont des opérations sur le long-terme et comprennent des investissements colossaux peuvent être les cibles d'attaques ou de tout autre comportement arbitraire du fait de cette anarchie235. C'est pourquoi les investisseurs, qui préfèrent préserver leur patrimoine, évitent de s'installer dans les zones de conflits et/ou à risque. Le pays d'accueil devant les prémunir contre les risques non-commerciaux qui pourraient survenir. Les investisseurs sont des observateurs de la scène politique. Car un pays ou un gouvernement stable rime avec des investissements pérennes sur le long terme et un retour sur investissement236. Le Cameroun est en proie à des troubles politiques sur certaines parties de son territoire. Il en est ainsi dans la région de l'Extrême-Nord avec les attaques successives de la secte islamiste « Boko Haram » depuis 2013. Dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, régions qui connaissent des affrontements entre l'armée camerounaise et les sécessionnistes, et enfin dans la région de l'Est. Les crises dans les régions de l'Extrême-Nord et de l'Est semblent être en cours de stabilisation, les deux autres régions sont dans un climat d'insécurité croissante. Cette crise à de lourdes conséquences tant sur le plan humanitaire que sur le plan économique237. Dans ce travail nous nous attarderons cependant sur les conséquences économiques de cette crise. Il convient de rappeler que la région du Sud-Ouest représente à elle seule 45% des recettes en devise du Cameroun238. Cela traduit l'importance qu'a cette région pour l'économie camerounaise. 235 I. SHIHATA, Factors influencing the flow of foreign investment and the relevance of a multilateral investment guarantee scheme, 1987, p. 24 document, consulté le 22 novembre 2018 à 11 heures 25 236 E.P MEMPHIL NDI, « Attractivité économique des investissements directs étrangers en zone CEMAC : harmonisation des instruments juridiques aux règles internationales », thèse de droit, Op cit., p. 250 237 Sur le plan humanitaire notamment, on enregistre de nombreuses pertes en vies humaines, des réfugiées, une grande partie de la population déplacée etc 238 Données recueillis dans le journal Le Quotidien de l'Economie n° 01631 du mercredi 24 octobre 2018 Page 89 Présentations de la situation sécuritaire dans la zone anglophone (A) et conséquences sur l'économie et l'activité des entreprises (B) et éventuellement des propositions de solutions (C)
La crise anglophone a eu des conséquences plus que désastreuses sur l'économie dans ces régions et les performances économiques du Cameroun de manière générale. D'après un rapport du GICAM239, certains secteurs de l'économie camerounaise sont particulièrement affectés par cette crise. Il en est ainsi de la filière agricole ; agro-industrielle ; télécommunications ; commerce et distribution. ? La filière cacao-café enregistre une perte de FCFA 56.000.000.000 (cinquante-six milliards de Franc CFA) ce qui représente 20% de recettes d'exportation. Le Sud-Ouest représente 45% de la production cacaoyère nationale tandis que le Nord-Ouest est le principal producteur de café arabica au Cameroun avec une production s'élevant à 70% de la production nationale. L'entretien des plantations est fortement réduit. De 239 Rapport intitulé : Insécurité dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Conséquences économiques et impact sur l'activité des entreprises, 2018 Page 90 même que la collecte, le négoce et le transport des produits qui est interrompu de ce fait. ? L'activité agro-industrielle est également fortement affectée par cette crise. Les principales sociétés dans ces régions que sont la CDC-Delmonté et PAMOL enregistrent plus d'un milliard de biens détruits et un manque à gagner de douze (12) milliards FCFA. D'après ce même rapport du GICAM, la CDC aura besoin d'au moins quinze milliards de FCFA de financement pour relancer ses activités lorsque la crise aura pris fin. Outre ces deux mastodontes, de nombreuses autres sociétés agro-industrielles présentes dans ces zones se retrouvent affectées, Il en est ainsi des sociétés de distribution de produits phytosanitaires. ? Le secteur des télécommunications a subi des pertes d'un montant de trois cent millions FCFA au titre de préjudice principal, et plus d'un milliard de manque à gagner par mois depuis le début de la crise. La crise anglophone est survenue dans un contexte particulier de convalescence économique. Le déficit budgétaire du Cameroun est passé de 2% du PIB en 2015 à 6.5% en 2016. Et a eu pour conséquence une accumulation de la dette et des arriérés de paiement de l'Etat auprès de leurs créanciers. Pour y faire face, l'Etat camerounais a augmenté la pression fiscale sur les entreprises, a multiplié les prélèvements et a intensifié les contrôles. De ce fait, la baisse des IDE apparait comme une conséquence de l'incapacité du droit des IDE à atteindre ses objectifs dans un tel contexte. Ces deux régions bien que regorgeant de ressources naturelles. Ne pourront plus du fait de cette crise attirer les investisseurs directs étrangers dans les régions. Sachant que les investisseurs qui y étaient installés ne sont plus en mesure de pérenniser leurs activités. L'on se rend donc compte à quel point les affrontements affectent négativement les activités économiques dans cette partie du pays. Tout opérateur économique a à coeur de se prémunir contre les risques de perte ou de détérioration de ses biens. Toutefois, dans les rapports Etat-Investisseur, le premier est censé prémunir le second contre tous risques politiques. Tant que la crise dans cette zone persiste, les conséquences pour l'économie et les investissements directs étrangers ne peuvent être que négatives. C'est pourquoi, il est essentiel pour le gouvernement de prendre des mesures afin de remédier à cela. Page 91 C) Esquisse de proposition de quelques solutions Il est essentiel de stabiliser le contexte sécuritaire dans cette partie du pays de manière à stopper la dégradation de la situation. À cet effet, les entreprises, par le biais du GICAM en appellent à un renforcement des mesures de sécurité notamment via la protection des infrastructures stratégiques, la sécurisation des zones industrielles240, le renforcement de la présence de l'armée pour assurer les escortes militaires et protéger les établissements financiers dans la zone. En ce qui concerne celles des sociétés qui sont toujours actives dans les régions, elles devraient bénéficier d'avantages fiscaux et financiers parmi lesquelles : réparation financière des préjudices subis du fait des troubles civils, accès prioritaire lors des opérations de remboursement de crédits de TVA, des moratoires pour honorer leurs obligations vis-à-vis de l'Etat. Enfin d'autres propositions sont préconisées par le GICAM que l'Etat devra adopter au terme de la crise. Il s'agira : ? De soutenir financièrement les investisseurs dans la reconstruction de leurs infrastructures détruites lors de la crise. Et de reconstruire les infrastructures publiques dans les deux régions ; ? De subventionner les importantes sociétés agroindustrielles de la région en l'occurrence la CDC et PAMOL ; ? D'octroyer des incitations spécifiques pour les investisseurs désireux de s'installer dans ces régions ; |
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