L'effectivité du droit des investissements direct étranger au Camerounpar Loïc MESSELA Université Catholique d''Afrique Centrale - Master 2 en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2018 |
Paragraphe 1: L'immunité d'exécution des personnes morales de droit publicL'immunité d'exécution est le privilège personnel reconnu à un débiteur, notamment l'Etat et ses démembrements, qui le soustraient à toute mesure d'exécution forcée. Cette dernière est l'exception à la faculté de contrainte que le créancier a sur son débiteur défaillant. Prévue à l'alinéa 1er de l'article 30 de l'AUVE qui dispose : « L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ». L'immunité d'exécution est un sérieux obstacle au recouvrement des créances dans l'espace OHADA car elle permet à une catégorie de personnes d'échapper aux mesures d'exécution forcée (A), toutefois ce principe est assorti d'exceptions (B). A) Le principe de l'immunité d'exécution des personnes morales de droit public L'immunité d'exécution est à distinguer de l'immunité de juridiction. Tandis que la première intervient en aval de la décision de justice, la seconde intervient en amont et empêche la personne qui en bénéfice d'être jugé. (A compléter). L'immunité d'exécution porte sur la personne destinataire de la mesure d'exécution forcé. Le législateur OHADA ne l'ayant pas expressément identifié, il conviendrait de nous étendre sur les bénéficiaires de cette mesure (1). Les biens peuvent également faire l'objet d'une indisponibilité (2). 1) Bénéficiaires de l'immunité d'exécution Comme précisé plus haut, le législateur OHADA ne s'est pas prononcé de façon explicite quant à l'identification précise des bénéficiaires légaux de l'immunité d'exécution. Toutefois, après une interprétation des alinéas 2 et 3 de l'article 30 précité, on remarque l'emploi incident des termes « personnes morales de droit public et entreprises publiques »200. Les personnes morales de droit public ou établissement public sont des personnes morales qui remplissent des missions d'intérêt général. Elles ont un objet non industriel et non 200 A. IBUNO, « L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public à l'épreuve de la pratique en droit OHADA », Revue de l'ERSUMA n°03-septembre 2013, p.80-95, http://revue.ersuma.org, consulté le 12 novembre 2018 à 13 :24 Page 74 commercial. Le législateur camerounais définit cette notion en ces termes : « personne morale de droit public dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, chargée de la gestion d'un service public ou de la réalisation d'une mission spéciale d'intérêt général pour le compte de l'Etat ou d'une Collectivité Territoriale Décentralisée »201. Ces personnes publiques sont soumises à un régime dérogatoire au droit commun. Du point de vue de leur organisation et de leur fonctionnement. Les litiges dont elles font l'objet relèvent de la compétence du juge administratif. Les besoins de continuité de services publics, la comptabilité publique, la souveraineté, l'indépendance de l'Etat par ailleurs sont autant de raisons qui militent en faveur de cette mesure. Cependant, l'investisseur peut à l'occasion de ses activités être amené à exercer une prestation pour le compte d'une personne morale de droit publique. Bien que muni d'un titre exécutoire, ce dernier ne pourra contraindre la personne publique à s'exécuter faute d'exécution volontaire de cette dernière. D'après nous, cet état de fait constitue une solide entorse à la sécurité juridique et par voie de conséquence à l'attractivité économique du territoire camerounais. Outre les établissements publics, les entreprises publiques sont également soumises au bénéfice de cette prérogative. En droit camerounais, une entreprise publique est une : « unité économique dotée d'une autonomie juridique et financière, exerçant une activité industrielle et commerciale, dont le capital social est détenu entièrement ou majoritairement par une personne morale de droit public »202. La CCJA a dans le même ordre d'idée reconnue le bénéfice d'exécution aux entreprises publiques dans un arrêt du 7 juillet 2005203. Un rappel des faits de l'arrêt Azablévi YOVO s'impose. Dans cette espèce, le demandeur au pourvoi, muni d'une décision de la chambre sociale de la cour d'appel de Lomé rendu le 10 juillet 2003, a pratiqué une saisie-attribution des créances sur les comptes de la société TOGO TELECOM pour un montant total de FCFA 118.970.213 (Cent dix-huit mille neuf cent soixante-dix mille deux cent treize Franc). La société défenderesse a assigné les demandeurs par devant le président du tribunal de première instance de Lomé pour obtenir mainlevée de ladite saisie. La juridiction présidentielle a donné une suite favorable à cette demande par ordonnance n°425/03 du 13 août 2003. Le demandeur AZIABLEVI va interjeter appel de cette décision par devant la cour d'appel de Lomé. Celle-ci va dans un arrêt n° 186/03 du 26 septembre 2003 confirmer la décision rendue dans l'ordonnance précitée. Sieur AZIABLEVI va par conséquent former un pourvoi de ladite décision par devant la CCJA. 201 Article 4 de la loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics 202 Cf. Art 3 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques 203 CCJA, arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom Page 75 Le demandeur au pourvoi soutenait que le fait "que les entreprises publiques soient citées dans l'alinéa 2 de l'article 30 de l'acte uniforme sur le V.E ne signifie pas pour autant qu'elles bénéficient automatiquement de l'immunité d'exécution. Que le Togo ayant voulu rendre ses entreprises publiques compétitives les a soustraites au droit public pour les soumettre au droit privé. Et qu'en admettant que la société TOGO Télécom, entreprise publique bénéficie de l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a violé l'article 30. Et au soutien de cet argument il énonçait l'article 2 de la loi togolaise n°90126 du 04 décembre 1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques qui dispose : "les règles du droit privé, notamment celles du droit civil, du droit du travail et du droit commercial, y compris les règles relatives aux contrats et à la faillite sont applicables aux entreprises publiques dans la mesure où il n'y est pas dérogé par la présente loi. Les entreprises publiques sont soumises aux règles du plan comptable national. La règlementation générale sur la comptabilité publique ne leur est pas applicable". Le juge a affirmé que « (...) en considérant que la décision déférée porte sur une matière relevant des domaines indiqués dans ledit Acte [acte uniforme sur les voies d'exécution] qui ne peut recevoir application (...) la société Togo Télécom, en sa qualité d'entreprise publique bénéficie de l'immunité d'exécution conformément à l'article 30 alinéa 1er et 2, dudit Acte uniforme, la cour d'appel de Lomé a fait une saine application de la loi et confirmé à bon droit l'ordonnance querellée »204. Dans cet arrêt, le juge de la CCJA marque son attachement à la lettre de l'article 30 de l'acte uniforme OHADA. Toutefois il convient de rappeler que la CCJA n'a pas qu'une mission de garant de l'application des actes uniformes. Elle a également une mission d'interprétation au titre de l'article 14 alinéa 1er du traité du 17 octobre 1993205. D'après un auteur, la première fonction de la cour est plus déterminante car elle peut conditionner la seconde. Une interprétation stricte des textes est dangereuse car contraire à l'esprit général du droit OHADA206. Le juge s'éloigne de ce fait de l'objectif premier de l'OHADA qui est l'instauration d'un régime de sécurité juridique et judiciaire pour promouvoir le développement et attirer les investissements. En mettant une société publique de droit privé à l'abri de l'exécution forcée, la CCJA ne concourt pas à l'atteinte de cet objectif. 204 CCJA, arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom 205 Qui dispose : « La Cour commune de justice et d'arbitrage assure dans les Etats parties l'interprétation et l'application commune du présent traité, des actes pris pour son application et des actes uniformes » 206 P.E KENFACK, observations sur l'arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom, in P.G POUGOUE et S. KUATE (sous la dir de), « Les grands arrêts de la Cour Commune de Justice et d'arbitrage de l'OHADA », l'Harmattan, 2010, p. 611-619 Page 76 La doctrine est pour le renvoi au droit interne pour la détermination des bénéficiaires de l'immunité d'exécution. 2) L'insaisissabilité des biens L'inaliénabilité des biens du domaine public est un obstacle à l'arbitrage. On remarque donc que, muni d'une sentence mettant en cause un débiteur, le créancier pourrait être tout de même limité. Les protections qui profitent à tous les débiteurs, personnes morales et surtout physiques, concernent une catégorie de biens qui ne peuvent pas faire l'objet de saisie en vue du recouvrement forcé. La réforme des procédures d'exécution ayant abandonné cette question aux droits nationaux des Etats parties, ce pan du droit demeure régi par le Code de procédure civile et commerciale adopté dans la plupart des Etats, par voie législative ou réglementaire207. B) Les dérogations à l'immunité d'exécution Nous avons relevé deux principales dérogations au principe de l'immunité d'exécution des personnes morales de droit public. La première dérogation est d'origine communautaire (1). La seconde relève du droit international (2). 1) La compensation : Une technique empruntée au droit civil L'alinéa 3 de l'article 30 de l'AUVE dispose : « Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu'en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité. » La compensation est un mode d'extinction des obligations. Elle tire sa source du droit civil208. Elle est « l'extinction simultanée de deux obligations de même nature existant entre deux personnes réciproquement créancières et débitrices l'une de l'autre »209. Elle permet d'éteindre deux obligations réciproques. Pour se faire, l'obligation doit remplir quatre conditions : la réciprocité, la fongibilité, la liquidité et l'exigibilité. Pour l'a constaté, la partie qui s'en prévaut doit l'invoquer devant le juge. La compensation est une mode d'extinction des obligations consacré en matière civile. Toutefois dans l'hypothèse où l'une 207 R. DAVAKAN, L'exécution des décisions de la CCJA dans les droits internes, https://www.international-arbitration-attorney.com/wp-content/uploads/arbitrationlawexecution-decisions-ccja-dans-droits-14626.pdf, consulté le 14 novembre 2018 à 10 :14 208 Elle est prévue à l'article 1289 du code civil camerounais. 209 F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil - Les obligations, 10ème édition, Précis Dalloz, 2009, pp. 1371-1389 Page 77 des parties en l'occurrence le débiteur est une personne morale de droit public, cette solution ne pourra pas prospérer. L'Etat et ses démembrements sont exclusivement soumis au droit administratif et à sa procédure, raison pour laquelle, l'investisseur direct étranger créancier de l'Etat ne pourra pas voir sa créance éteinte via ce mode. C'est pourquoi, la renonciation à son immunité par l'Etat nous semble efficace comme solution. 2) La renonciation à l'immunité d'exécution : solution du droit international A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l'immunité d'exécution a vu son domaine réduit avec l'application de la distinction entre biens affectés à une activité jure imperii et ceux affectés à une activité jure gestionis. Pour les premiers l'Etat continue de bénéficier de l'immunité d'exécution. Par contre pour les seconds, elle lui est refusée210. L'Etat hôte peut de manière expresse renoncer au bénéfice de l'immunité d'exécution. C'est la solution qui est le plus souvent retenue en matière arbitrale. Dans le même ordre d'idée, l'Etat qui accepte de compromettre et ainsi d'être attrait devant une juridiction arbitrale vaut présomption de renonciation à l'immunité d'exécution211. Toutefois l'Etat devra préciser lesquelles de ses biens seront sujet à une mesure d'exécution forcée. Seuls les biens destinés à servir des besoins purement privés ou commerciaux de l'Etat seront saisissables212. Les biens affectés aux activités de souveraineté ou de service public demeurent insaisissables. C'est dans cette optique que la jurisprudence française213 dans les arrêts Englander et Clerget, a distingué les biens ou fonds affectés à une activité commerciale de ceux affectés à une activité de service publique. De plus, dans l'affaire Eurodif214, la première chambre civile de la cour de cassation française a affirmé qu'il fallait établir un lien entre le bien de l'Etat et l'activité économique sur laquelle repose la demande en justice. La Cour est revenue sur l'exigence d'une renonciation expresse dans l'arrêt Commismpex c/ République du Congo215. D'après 210 P. LEBOULANGER, « L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public, Revue camerounaise de l'arbitrage », numéro spécial, février 2010, p. 127 211 A. IBUNO, L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public à l'épreuve de la pratique en droit OHADA, p. 91 212 Selon admise par la jurisprudence dans l'arrêt Creighton c/ l'Etat du Qatar rendu le 6 juillet 2000 par la 1er Chambre civile de la Cour de cassation française. Cette dernière avait jugé que lorsque l'Etat renonce à son immunité d'exécution, la condition du lien entre l'activité litigieuse et le bien saisi n'est plus exigée ; le créancier peut saisir tout bien de l'Etat sur le territoire du for, à condition que ce bien ne soit pas affecté à une activité ou à une mission de service public et qu'il appartienne à l'entité débitrice. Voir LEBOULANGER (P), Immunité d'exécution des personnes morales de droit public, revue camerounaise de l'arbitrage n° spécial février 2010, p. 127-135, cité par IBUNO, Op cit. p. 92 213 Cassation. Civile. 1er, 11 février 1969, Affaire Englander C/ Banque d'état Tchécoslovaque. 214 Cassation. Civile. 1er, 14 mars 1984, Affaire Eurodif C/ République Islamique d'Iran 215 Cassation. Civile. 1er, 13 mai 2015, Affaire Commisimpex C/ République du Congo Page 78 elle, la coutume internationale en matière d'immunité d'exécution n'exige pas de renonciation spéciale en plus de celle expresse faite par l'Etat. Dans cette hypothèse, la renonciation faite par l'Etat du bénéfice de cette immunité affecterait l'ensemble des biens de l'Etat. Rendant dès lors saisissables des biens tels que les avoirs bancaires des missions diplomatiques et autres biens affectés au service public par l'Etat216. Cette solution nous semble quelque peu extrême. Elle donne trop de latitude au créancier de la personne publique. Sachant que le service public a une mission d'intérêt général, le privé des biens affectés à l'accomplissement de cette prérogative serait nocif. Non seulement à l'égard de l'administration elle-même mais aussi à l'égard des citoyens de l'Etat. Ceci va à l'encontre du but recherché dans l'attractivité des investissements qui est le développement de l'économie et l'amélioration des conditions de vie des populations. Dans la convention des Nations Unies du 17 janvier 2005 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, il est admis que la conclusion par l'Etat d'une clause compromissoire vaut renonciation à son immunité de juridiction, mais la renonciation à son immunité d'exécution par la souscription d'une clause compromissoire doit faire l'objet d'une déclaration expresse de l'Etat217. Ainsi les parties qui prennent part à une convention d'arbitrage peuvent tout de même saisir le juge de l'urgence pour le voir prononcer une exécution provisoire. L'article 13 alinéa 3 de l'acte uniforme sur le droit de l'arbitrage prévoit à cet effet que : « l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu'à la demande d'une partie, une juridiction, en cas d'urgence reconnue et motivée ou lorsque la mesure devra s'exécuter dans un Etat non partie à l'OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n'impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent ». De plus, l'Etat doit s'inspirer du législateur français et adopter les procédures de « mandatement d'office » ou « mandatement obligatoire »218 216 B. CASTELLANE, Exécution des sentences arbitrales contre les personnes de droit public le point de vue d'une praticienne non africaine, in L'arbitrage en matière commerciale et des investissements en Afrique, G. KENFACK DOUAJNI (sous la dir.) 2017, p. 201 et suivant 217 Cf. art 18 et 19 de la convention des nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens 218 Le mandatement d'office ou obligatoire, mis en place par le législateur français en 1980, est une procédure d'inscription d'une dette au budget de la personne morale débitrice. Elle ne peut être mise en exergue qu'en présence d'une décision de justice passée en force de chose jugée. Le mandatement est dit d'office lorsqu'il s'agit des dettes d'une collectivité territoriale et obligatoire pour les dettes qui incombent à l'Etat Page 79 L'immunité d'exécution est un risque juridique qui peut considérablement freiner l'évolution des relations d'affaires entre les personnes publiques et les tiers. L'investisseur est appelé à contracter avec les personnes publiques au sein de l'Etat hôte. De ce fait, la renonciation à l'Etat de son immunité d'exécution constituera une mesure incitative à l'égard de l'investisseur. Et par conséquent sera de nature à encourager l'investissement direct étranger et surtout à le sécuriser. D'après le juge Antoine OLIVIERA, « les Etats africains signent aisément les clauses compromissoires mais contestent souvent leur validité lorsqu'ils sont attraits devant la CCJA. Les Etats africains sont plus prompts à exécuter les sentences étrangères émanant de la CCI que celles rendues sous l'égide de la CCJA ». Il recommande à cet effet l'abandon par les Etats de leur souveraineté et appliquent correctement les actes uniformes. L'implication effective des Etats parties est la clé du succès continu de l'OHADA219. |
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