ANNEXE 39 : ENTRETIEN AVEC YVAN ZAKINE
Yvan
Zakine, magistrat affecté à la DAP de 1962 à 1970 puis
directeur de la DAP de juillet 1981 à avril 1983. Président de
Chambre honoraire à la Cour de cassation et médiateur au Centre
de médiation et d'arbitrage de Paris lors de l'entretien
réalisé le 20 mars 2008 dans son bureau (Paris).
Durée : 3H00.
Ne sont cités ici que des extraits de l'entretien.
Y.Z : Quand je suis rentré dans la magistrature,
en 1962, j'étais tout jeune substitut à Argentan et j'avais envie
de me rapprocher de Paris. Et quand vous avez seulement deux ans d'exercice,
vous devez passer à la Chancellerie. Alors j'ai dit oui pour des raisons
familiales. Et donc j'arrive à la Chancellerie et on me dit :
« Vous êtes affecté à la Direction de
l'Administration pénitentiaire ». Bon. Je ne peux pas dire que
j'ai été enchanté d'une telle affectation et j'ai
été reçu par André Perdriau, qui était
sous-directeur de la détention et qui était magistrat
lui-même. Il m'a reçu en entretien, un homme très amusant
et me dit : « J'imagine que vous n'avez pas été
enchanté d'être affecté à l'Administration
pénitentiaire ». Honnêtement, non. « Je pense
que tous les jeunes magistrats qui arrivent à la Chancellerie, et il
ajoute, comme moi-même d'ailleurs il y a un certain nombre
d'années, vous rêvez sans doute d'une direction plus
noble ». Je lui dis : « Oui ! ».
« Ecoutez, vous faites un an chez nous. Vous vous faites à
cette idée. Dans un an, si vous dites que vous êtes allergique
à la matière, ce que je comprendrais fort bien, je m'arrangerais
pour vous faire affecter ailleurs ». Et il a ajouté
malicieusement : « En revanche, je vous préviens, si vous
me dites que vous restez avec nous, cela voudra dire que vous aurez
attrapé le virus, et je vous préviens, vous l'aurez
jusqu'à la fin de vos jours ! ». Et ça a
été le cas. Je suis resté dans cette direction comme
magistrat de base jusqu'à 1970. Puis je suis passé dans le
cabinet de trois gardes des Sceaux successif où je ne me suis pas
occupé directement des prisons mais indirectement, j'y suis allé
à un moment oùs Simone Veil... Nous avions travaillé
ensemble à la Pénitentiaire. Et donc, bon, je suis parti ensuite
comme vice-président au tribunal où je suis resté jusqu'en
1980, les circonstances ont fait que je suis retourné à la
Chancellerie comme directeur de l'Education surveillé. Puis est
arrivé mai 81. Badinter et nommé garde des Sceaux et, pour
diverses raisons, alors que moi je m'attendais à être
remercié et repartir dans mes pénates, dans le grand
chamboulement de 81, il m'a dit : « Ecoutez, la
Pénitentiaire est dans une période un peu difficile, tendue, elle
est compliquée ». Bon, lui-même d'ailleurs n'a pas
été accueilli à bras ouverts par le personnel
pénitentiaire. Pour eux, c'était l'homme de l'affaire Buffet
Bontemps. Il les avait beaucoup critiqués. Pour sauver la tête de
son client, il a été contraint de charger un petit peu le
personnel pénitentiaire en disant : « S'ils sont devenus
des fauves, des machins, c'est parce qu'on les a ... ». Alors vous
comprenez que l'Administration pénitentiaire était loin
d'être enchantée de voir Robert Badinter arriver comme garde des
Sceaux. Donc, dans une sorte de décision d'apaisement et pour rassurer
le personnel, Badinter m'a demandé de prendre en charge la
Pénitentiaire en juillet 81.
E.F : En 1962, vous étiez affecté
à...
Y.Z : ... au Bureau de la détention, avec une
orientation un peu particulière à partir de 1967 quand Simone
Veil a quitté l'Administration pénitentiaire, j'ai
commencé à travailler au niveau de la gestion médicale.
Les autorisations de sortir, toute la cuisine au quotidien des soins. Et c'est
à cette époque, que nous avions fait la circulaire, ça
avait démarré à Lyon d'ailleurs, sur les Centres
médico-psychologiques régionaux. C'était la cellule
où ça bougeait beaucoup. Intellectuellement parlant. Il y avait
tout un cycle de séances sur le service médical qui avait
été fait à la Société générale
des prisons. Hivert avait créé de facto l'Annexe psychiatrique de
la Santé. Il avait pris sur lui et il avait mis l'Administration devant
le fait accompli. Et ça avait été, avec les lyonnais, ils
étaient un peu en synergie ou en concurrence de bon aloi, chacun voulant
en faire un petit peu plus. Et ils avaient mis l'Administration
pénitentiaire devant le fait accompli. Finalement, ceux qui ont des
troubles psychologiques, parce que la médecine générale
elle était traitée bon an mal an, mais c'était le
côté psychiatrique qui posait de gros problèmes parce que
c'était l'époque où les hôpitaux psychiatriques
commençaient à s'ouvrir sur l'extérieur et où
l'enfermement dans l'hôpital psychiatrique était de moins en moins
pratique et ce qui posait un problème de sécurité majeure
pour les délinquants qui arrivaient en prison. Les psychiatres
étaient de plus en plus réticents à recevoir des
délinquants [...] Déjà l'Administration était
confrontée à cette difficulté. Et puis quand je dis 62,
c'était la fin de ce que pudiquement on appelait les
événements d'Algérie avec sur le territoire les
détenus de l'OAS. Donc on avait des détenus
particulièrement dangereux. Ils avaient très bien perçus
que le seul moyen d'échapper à la prison, c'était de se
faire hospitaliser. Donc on a été confronté en plus
à la nécessité d'organiser en détention des soins.
C'était une population beaucoup plus consciente de ses droits que le
détenu... Bon c'est un peu méchant ce que je vais dire mais le
détenu de base, délinquant, il subit la détention alors
que les autres en faisaient une arme de combat politique, en disant :
« On est malade. Il faut nous soigner. On a des droits ».
Et à l'époque il y avait les généraux putschistes
des barricades, il y avait des gens qui n'étaient pas des détenus
de base comme l'escroc ou le pickpocket, qui eux s'accommodaient des exigences
carcérales. Et là on a vu apparaître des revendications et
des exigences de soins [...] Vous avez deux pôles de problèmes qui
sont consécutifs à la guerre d'Algérie. Vous avez les
problèmes de santé et les problèmes d'éducation.
C'est dans le même temps qu'on a vu se développer en
détention, les études et notamment les études
supérieurs. J'ai le souvenir, pour l'avoir organisé, du premier
centre universitaire en prison pour des détenus OAS qui étaient
en cours d'études à l'université d'Alger et qui avaient
fait le coup de poing des barricades et qui se sont retrouvés à
La Santé. Qu'est ce qu'on fait ? Ces gens là allaient
ressortir. Et c'est pourquoi on avait organisé avec l'Université
de Paris un centre d'examen en détention.
E.F : Concrètement sur la prise en charge
sanitaire...
Y.Z : Ça a commencé avec les
problèmes psychiatriques. Ce sont les premières circulaires [...]
Sur la médecine somatique y avaient toutes les infirmeries. Y avait un
service infirmier permanent dans les gros établissements. Mais dans les
petits établissements, il n'y avait pas de présence permanente. A
la Maison d'arrêt de Guéret, l'infirmière, elle, venait
quand on lui demandait de venir. Dans les gros établissements, on avait
en plus spécialisé des surveillants. Ils faisaient des cours
à l'hôpital de la ville. C'était une qualification certes
rudimentaire mais qui permettait en urgence, lorsqu'on n'arrivait pas à
mettre la main sur le médecin ou l'infirmière, à faire
face... Ils avaient au moins le diplôme de secourisme et on veillait
à ce qu'ils le passent [...] Et puis on a eu la création d'un
poste de Médecin-inspecteur général qui a
été créé par Edmond Michelet qui a
été garde des Sceaux de janvier 59 à août 61. Edmond
Michelet est le premier garde des Sceaux à s'être vraiment
préoccupé de la condition des détenus. C'était un
chrétien social, très engagé, très croyant,
très engagé sur ce plan là. Il a eu l'idée de
créer ce poste. Il s'agissait, d'une part, de contrôler le
fonctionnement, la façon dont étaient dispensés les soins
dans les établissements pénitentiaires et aussi en
arrière-plan, non avoué à l'époque parce qu'on
tâtonnait à peine, de voir comment assurer non seulement la
qualité des soins mais un service permanant médical et Georges
Fully a défendu très vite l'idée que pour avoir un service
médical de qualité, à part certains médecins
apôtres, à cette époque il voyait bien honnêtement
que ce n'était pas leur tasse de thé... Et donc pour avoir une
médecine de qualité, il fallait que ce soit en harmonie ou en
symbiose avec le milieu médical extérieur, et donc ne pas
seulement faire appel à un médecin libéral pour qu'il
vienne faire quelques vacations mais avoir comme dans les hôpitaux... Et
donc Fully a eu l'idée de dire : « Il va falloir signer
des conventions avec les hôpitaux ». Et une des
premières conventions, c'est celle que j'ai été
amené à faire avec l'hôpital Malakoff qui nous avait
détaché le médecin-chef de Fresnes [...]
E.F : Et Fully...
Y.Z : Alors Fully a pris en charge. Alors lui, il
était sur le terrain. Il allait toujours par monts et par veaux d'abord
à mettre en place des services médicaux et infirmiers
cohérents et satisfaisants. Sa vision, c'était d'avoir quelque
chose le mieux possible et capable de dispenser des soins de qualité.
C'était un peu la quadrature du cercle mais il s'y est attaché
avec beaucoup de volonté. Et souvent il me disait :
« Tout ça c'est du rab ». « Du rab par
rapport à ce que je n'ai pas eu. J'ai failli y laisser ma peau dans les
camps donc... ». Il avait une vie très active. Il faisait le
rallye de Monté Carlo, il skiait comme un fou... Et il avait un
côté chaleureux et il a rallié à lui tout un groupe
de médecins, qui pour certains d'entre eux avaient été
prisonniers de guerre, il amené tout un ensemble de médecins. Qui
avaient amenè peu ou prou la privation de liberté à
s'intéresser aux prisons. Il avait lancé l'idée qu'un jour
il faudra que la Santé publique prenne en charge... C'était
l'idée que la prison fait partie de la ville. Ce n'est pas un monde
à part. Les gens qui sont en prison sont des citoyens. A partir du
moment où vous avez supprimé la peine de mort et la
relégation, c'est-à-dire que vous avez à gérer une
masse de détenus sur le territoire, s'est posé avec acuité
le problème de leur santé [...]
E.F : À cette époque-là les
médias étaient assez peu...
Y.Z : Ça n'intéressait personne !
Ça n'intéressait personne ! [...] Un exemple, dans cette
première période. Foyer était garde des Sceaux. Vous savez
un des premiers établissements modernes construit après la guerre
était celui de Muret dont était natif Vincent Auriol, alors
Président de la République. Il avait allé dû voir le
chantier mais c'est tout, et encore ! Par la suite, Foyer était
garde des Sceaux. Ça devait être en 64-65, quand on a ouvert la
Maison d'arrêt de Valencienne qui était le deuxième
établissement moderne. Et Foyer a inauguré l'établissement
pénitentiaire. C'était le premier garde des Sceaux que je voyais
inaugurer un établissement pénitentiaire. Ça ne s'inaugure
pas une prison. Vous inaugurez une école, un foyer, une crèche
mais pas une prison. Electoralement, ça n'est pas porteur. Ça m'a
valu une observation véhémente pour l'avoir dit d'ailleurs !
[...] J'étais à Mont-de-Marsan. On parlait de l'insertion dans la
Cité et donc ça devait être en 82. Je me souviens
c'était un après-midi et il faisait un soleil de plomb. A un
moment, le surveillant chef de la prison me dit : « Oui, bien
sûr il faut insérer la prison dans la Cité... ».
Sous-entendu : c'est un discours de parisien que vous tenez mais bon. Il
me dit : « Vous avez deux minutes là ? On va
sortir ». Alors on sort de la prison, on va au coin de la rue. Il me
dit : « Attendez, on va s'arrêter là »,
au coin de la rue. Et le mur d'enceinte de la prison longeait tout le trottoir
qui était à l'ombre parce que le soleil venait de l'autre
côté. Et en face, le trottoir grillait de soleil. Et il me
dit : « Vous allez voir, regardez ». Y avaient trois
chats à cette heure avec cette chaleur de plomb. Et je vois arriver
à l'angle deux braves dames, deux braves mémères. Elles
arrivent là, je pensais qu'elles allaient continuer, puisqu'elles
étaient à l'ombre et qu'elles allaient continuer à
l'ombre. Non. Arrivées là au coin d'en face, c'était le
mur de la prison qui commençait, elles traversent et elles vont sur
l'autre trottoir, grillé de soleil, jusqu'à dépasser le
mur de la prison pour revenir ensuite à l'ombre. Il m'a dit :
« Voilà ». Pour lui, c'était difficile. Il
avait très bien compris. Pendant des années, je me suis
évertué... les directeurs des établissements
pénitentiaires étaient logés dans la prison. A La
Santé, vous passez le grand portail, vous avez une cour où sont
les logements de fonction. Et ce qu'il faut savoir, c'est que tant que la peine
de mort existait, les exécutions capitales avaient lieu dans cette cour,
et non pas dans la cour intérieure où les détenus auraient
vu. Dans la cour première, sur laquelle donnaient toutes les
fenêtres des personnels... Quand nous sommes allés à
Perpignan que j'ai fait désaffectée en 83. Elle était
installé dans un souvent de soeurs clarisses du 15ème
siècle. Il faut savoir que la règle de l'ordre est de ne jamais
voir directement le soleil. Même le déambulatoire du cloître
est couvert. Alors vous vous imaginez la cellule monacale devenue cellule de
détenu, où il y avait cinq ou six détenus, où vous
trouviez le sceau hygiénique, tout quoi ! Il y avait six bonhommes.
On ne voyait la lumière que par un soupirail. C'était la maison
d'arrêt de Perpignan.
E.F : Cette conviction que la prison devait
être ouverte sur la ville, c'est quelque chose qui vous est apparue
quand ?
Y.Z : Quand je suis arrivé à la
Pénitentiaire au départ, j'étais tel que j'avais
été formé si vous voulez. Les magistrats de ma
génération, c'est-à-dire de l'avant dernier concours avant
la création de l'ENM, une fois devenu magistrat, on avait un stage
pénitentiaire, que j'appelle du tourisme pénitentiaire. Dans
l'euphorie du concours, on avait passé une semaine à Melun qui
était la Centrale pilote où on appliquait le régime
progressif. Quand le directeur de la Pénitentiaire, M. Amor, importe le
régime progressif, il nomme comme directeur M. Guéraud qui
était issu des cadres de l'Education surveillée. C'était
un ancien instituteur qui s'était engagé dans la réforme
de l'enfance en danger. A Melun, c'était un des premiers services
médicaux permanents parce que, par hypothèse, l'organisation du
régime progressif est axé sur non pas la détention mais
sur la sortie de prison. Et pour sortir en bonnes conditions encore faut-il
qu'on l'ait maintenu en bonne condition. Il fallait qu'on ait les conditions de
vie les plus proches possibles de la vie externe [...] Et si vous voulez, cette
première vision que j'avais eu pendant mon stage, en tant que jeune
magistrat, à Melun...ça m'avait amené à
réfléchir à cette question. Et par la suite, quand je suis
arrivé à la Direction de l'Administration pénitentiaire,
je me suis dit : « Pourquoi pas ailleurs ? ». Et
c'est comme ça qu'on a développé le régime
progressif à Ensisheim, à Mulhouse, à Muret. Et le
développement voulu par Badinter de la libération conditionnelle.
Donc de plus en plus le monde pénitentiaire s'est orienté vers la
sortie de prison. Et dans ces établissements à régime
progressif, il y avait un système médical plus
développé. Mais ça allait de pair. Il y avait le
système éducatif et il y avait le système médical.
Y avait un personnel infirmier à demeure et des médecins
vacataires, souvent hospitaliers.
E.F : Et justement au début des années
soixante, au sein de l'Administration pénitentiaire est-ce que cette
idée d'ouverture vers la Santé publique fait consensus ou
ça fait débat ?
Y.Z : [Silence] Alors, au niveau de la Direction de
l'Administration pénitentiaire, il y avait un consensus total. Sous la
double influence de Fully, des directeurs successifs... Au moins
jusqu'à, et y compris, Robert Schmelck. C'étaient pratiquement
tous des magistrats. A partir du moment où on a basculé sur des
directeurs de l'Administration pénitentiaires issus de la
Préfectorale... la vision était différente et je ne leur
jette par la pierre car ils étaient formés à un
impératif premier qui était la sécurité avant tout.
C'était leur formation. Et s'ils ont été choisis. Il y a
toujours des magistrats jusqu'à Raymond Morice. Schmelck était
directeur de l'AP [raconte l'épisode de l'évasion de Robin]
E.F : Le fait qu'il y ait eu plusieurs
évasions suite à des hospitalisations a renforcé
l'idée qu'il fallait améliorer la prise en charge sanitaire des
détenus ?
Y.Z : Oui. Alors, il y avait les deux choses. Ce n'est
pas seulement parce qu'il y avait des évasions, qu'on a voulu les
développer. Il y avait un humanisme élémentaire, plus les
problèmes de sécurité [limitation des collectes de sang
à une fois par an] Quand je dis la qualité des hommes qui
dispensent les soins et à leur compétence, je pense tout
naturellement à la nécessité de faire prendre en charge
sinon dans un premier temps.... On n'a pas réussi, nous n'avions pas
réussi, je n'avais pas réussi, à faire prendre en charge
par la Santé publique l'intégralité du secteur
médical carcéral mais à tout le moins avec la convention
avec l'Hôpital des Baumettes. Ces conventions ont permis, si je puis
dire, d'introduire le virus carcéral dans l'esprit du monde de la
santé publique et de les amener à se dire : « Ben
oui, finalement, dès lors que ces gars-là on va les
récupérer autant les soigner maintenant ».
E.F : Et à partir de la nomination de Raymond
Morice, l'idée de signer des conventions était
exclue ?
Y.Z : Il n'en était pas question. On a des
infirmiers, médecins. Et les détenus, ils n'ont qu'à bien
se tenir. S'ils sont en prison, c'est qu'ils l'ont bien voulu. Encore une fois,
c'était sa conception du service public. Il avait une vision du service
public sécuritaire. Le Corno, c'était pratiquement la même
chose. Mégret était un homme remarquable. C'était un
humaniste jusqu'à la moelle des os, d'un humanisme. Ce fut d'ailleurs le
créateur de l'ouverture du recrutement, ce qui n'était pas
neutre, pour le personnel de direction. Car avant ils étaient issus des
rangs. C'était encore fermé, comme la prison si j'ose dire !
Ils avaient tous été soit surveillants, soit économes,
soit éducateurs. Mais ils étaient issus du concours basique.
L'idée de Mégret était de dire, et c'était
là aussi cette ouverture de la prison vers la Cité :
« C'est inconcevable. La prison doit être comme tous les autres
services publics, c'est-à-dire avoir un concours interne et un concours
externe ». Et on a vu affluer des anciens étudiants de droit
ou de sciences humaines. Avec Morice jamais on aurait eu cela. Dablanc a
été confronté à une période difficile,
c'était Action directe, les Corses donc il avait eu un souci de
sécurité très fort, il sécurisait les
Pénitentiaires de base [...] Nous étions tous, aussi bien dans ma
première que dans ma seconde peine pénitentiaire, nous
étions tous désireux de voir se développer la
qualité des soins dans les prisons. Avec le chef de Bureau qui
était Xavier Nicot et le sous-directeur, Perdriau, on a pris des
risques. Parce que nous avions cette vision humaniste. C'est l'ensemble de la
collectivité qui a à assumer le bien être sociale de tous
les citoyens, y compris de ceux qui sont en prison [...] Ce n'est pas un monde
à part. Ce n'est pas parce qu'il est cloisonné qu'il est à
part dans la Cité. C'était le thème de l'un des colloques
que nous avions fait à la Société des prisons.
E.F : Et justement c'était un terme qui
revenait beaucoup à l'époque celui de
décloisonnement...
Y.Z : Oui le décloisonnement, notamment dans le
domaine médical, consistait à dire que finalement les gens qui
passent l'internat ou qui passent les concours, et bien autrement dit le poste
de médecin-chef de Fresnes est dans les postes ouverts au concours. Pour
que ces médecins n'aient pas le sentiment d'abandonner leurs corps
d'origine, il fallait que la Santé publique dise :
« C'est à nous ». D'ailleurs, c'était
à double sens. Car cette prise en charge par la Santé publique
lui permettait de ne pas avoir des chambres de sécurité pour les
détenus. Ce n'est donc pas seulement de la bienveillance de leur part.
La contrepartie, c'est qu'ils évitent tous les inconvénients
liés à la prise en charge sanitaire des détenus. A
l'époque, le seul centre de consultation en pneumologie c'était
le centre Marie-Lalellongue qui était dans le 13ème
arrondissement, dans la rue de Tolbiac. C'est un établissement qui n'a
pas de cour, c'est un immeuble en pleine ville sur le trottoir. Donc quand il
fallait envoyer un détenu en consultation, je ne sais pas si vous
imaginez les problèmes que ça pouvait créer. Ça
bloquait tout. C'était un calvaire pas possible. Donc la direction de
l'hôpital était plus que réticente à ce qu'un
détenu vienne. Ne parlons pas du jour où il fallait hospitalier
quelqu'un à Marie-Lalelongue. C'était l'apothéose.
E.F : Et vous vous rappelez quand vous avez entendu
parlé pour la première fois de cette notion de
décloisonnement ?
Y.Z : C'était déjà un mot phare des
conversations de Fully. « Il faudra qu'un jour on obtienne le
décloisonnement de la médecine pénitentiaire à
l'égard de la médecine hospitalière ! ». Je
l'entends, je le vois encore marteler ça. C'est-à-dire qu'il
fallait faire prendre en charge [...] J'ai été directeur de la
Pénitentiaire uniquement parce que j'étais un magistrat
connaissant cette administration à un moment où le garde des
Sceaux était un peu... un peu gêné pour se faire admettre.
« Les syndicats vous connaissent, les directeurs vous connaissent,
etc. ». Il avait sondé quelques chefs d'établissements
pour savoir... Et il ne se voyait pas balancer un directeur que personne ne
connaissait. En plus, comme il m'avait dit : « Je ne peux pas me
payer le luxe de prendre un directeur qui a besoin de six mois pour faire
l'état des lieux ». Parce que quand Badinter est devenu garde
des Sceaux, vous savez, ça n'était pas l'euphorie dans le monde
carcéral. Chez les surveillants. Moi j'avais quitté depuis
quelques années mais j'avais gardé des relations avec nombre de
chefs d'établissements que j'avais connus jeunes sous-directeurs et qui
avaient pris du galon. Comme j'avais cette période au cabinet, j'avais
gardé des relations. Ils avaient tous été très
satisfaits quand on avait ouvert le concours aux étudiants et beaucoup
avaient pris du galon. Ce qui n'était pas toujours facile à
gérer. Avant cette ouverture du concours, le personnel, y compris les
directeurs régionaux, était issu de la base, c'est à dire
des gens formés sur une base quasi militaire, qui obéissaient au
doigt et à l'oeil, sans « hésitations ni
murmures » comme disait le règlement militaire à
l'époque. Bon. Ben quand on a eu à certains postes, même
pas de haute responsabilité, des gens issus de l'université, et
bien l'hésitation et le murmure c'est la règle d'or ! Parce
qu'ils estiment que c'est leur devoir de citoyens. L'obéissance aveugle
non. C'est moins facile à gérer pour un directeur
général. Y avait un personnel monolithique, discipliné,
qui n'avait pas d'état d'âme. Vous vous retrouvez avec des gens
réfléchis, intelligents qui vous font part de leurs doutes.
Ça n'est pas seulement au niveau des directeurs qu'on a eu cela. Le
panorama général des surveillants de base était
fondamentalement différent de celui que j'avais découverte en
1962. On était surveillant de père en fils depuis des
générations. Clairvaux, tout le personnel c'était des
cultivateurs du coin qui venaient depuis X générations. A
Fontevrault c'étaient des agriculteurs. Ils avaient encore le foin dans
les sabots quand ils venaient prendre leur service [...] Et vous pouvez plus
facilement faire admettre des réformes, des réformes de fond du
personnel pénitentiaire. Les gens étaient beaucoup plus ouverts.
Notamment les sous-directeurs et les surveillants-chefs qui étaient de
la même origine intellectuelle. Et ça a changé
complètement la vision que les fonctionnaires ont de leur outil de
travail. A partir du moment où vous avez des gens qu
réfléchissent à l'utilité de la prison. En 1962, et
là aussi je ne leur jette pas la pierre, mais pour être
recrutés il fallait connaître les trois opérations et il
fallait faire moins de dix fautes à une dictée. C'était
tout ! A partir du moment où vous avez des gens qui
réfléchissent, qui s'informent, c'est complètement autre
chose. Je crois que ce qu'a pu imposer dans les années 66-67 un homme
comme Raymond Maurice ou Le Corno, ils n'auraient jamais pu le faire
après [...]
E.F : Et justement en juillet 81, vous avez
tenté d'obtenir l'assentiment des syndicats ?
Y.Z : Quand on a mis en gestation la série de
décrets de janvier 83. Ces décrets ne sont pas sortis de ma
tête. Badinter m'avait demandé, je lui ai dit :
« La Pénitentiaire j'ai assez donné » et il
m'a dit : « Ecoutez, y a une série de choses que
j'aimerais bien qu'on puisse mettre en place ». La
télévision, les parloirs rapprochés...Quand il m'a dit
cela. « Ecoutez, c'est dans ma tête ». Moi ça
j'en étais convaincu. Il a une tête tellement bien faite que
j'étais convaincu. Je lui ai dit : « Non, on va d'abord
mettre en place une commission ou un groupe de travail ... Il faut qu'on
recueille l'adhésion ». Parce que c'est facile de torpiller
n'importe quelle réforme pénitentiaire. Il faut que vous ayez un
personnel qui adhère. Précisément, la connaissance que
j'avais de ce personnel faisait que j'étais vraiment dans une relation
de confiance avec certains d'entre eux. J'ai commencé à leur
vendre ma marchandise. On a amené progressivement les gens à
réfléchir. Je n'ai pas voulu m'en tenir qu'aux syndicats.
Même les organisations syndicales je leur avais dit :
« Repérez moi quelques gens de qualité, même
s'ils ne sont pas syndiqués » [...] On a travaillé
d'arrache-pied. Il y a des choses qu'on a laissé de côté
parce qu'il est apparu que les esprits n'étaient pas assez mûrs.
Notamment les visites conjugales. On avait déjà admis le parloir
rapproché [...]
E.F : Et la question médicale, j'imagine, a
été abordé ?
Y.Z : Oui et là aussi, c'est le
décloisonnement. Il y avait des représentants du ministère
de la Santé et ils freinaient des quatre fers. Les gens qu'on nous avait
envoyés. C'était pas gratifiant. Aller à Fresnes ou
à la Santé, c'était pas très gratifiant.
L'inspection, ça a été l'amorce. L'inspection
médicale, c'était un rouage de la direction de l'Administration
pénitentiaire. Une inspection, dans la vision des choses, une vraie
inspection doit être extérieure à l'organigramme de
l'administration qui gère ce service. L'inspection, c'est la vision de
quelqu'un qui est totalement indépendant, totalement indépendant.
Je suis convaincu que ceux qui sont nommés à de telles fonctions
d'inspection sont totalement intellectuellement indépendants. Et je l'ai
vécu avec Fully qui disait : « Non, moi je ne suis pas
d'accord ! ». Le problème, de l'indépendance n'est
pas le regard que se fait l'acteur c'est l'idée que s'en font les
autres. C'était ça le vrai problème d'une
indépendance d'inspection. C'est l'idée que s'en font les autres.
Vous ne m'enlèverez pas l'idée que le gars qui ses bureaux au
sein de la Direction de l'Administration pénitentiaire, qui est
rémunéré par cette même direction, même s'il
est indépendant dans les neuf dixième des cas, le problème
c'est l'idée que s'en font les détenus et les familles de
détenus. Lorsqu'une famille vous accuse de toutes les horreurs et que
tous avez tous les rapports du médecin-inspecteur, ancien modèle,
qui vous dit qu'il n'y pas de problème on vous répond :
« Mais bien sûr, il est de la maison ! ». En
revanche, quand vous avez quelqu'un de totalement extérieur [...]
E.F : Et c'est quelque chose auquel vous étiez
confronté ?
Y.Z : Ah oui. Ou les démarches d'avocats. Fully
avait pris des positions assez rigoureuses. Il avait la vision si j'ose dire
des limites et c'est vrai que certaines fois on lui disait :
« Si vous rentrez dans son jeu, c'est fini parce que vous allez avoir
une épidémie de grève de la faim ». Et c'est
vrai qu'on a jamais eu de pépins parce que beaucoup étaient des
grévistes bidons. Il y en avait un qui était à Fresnes qui
faisait la grève de la faim. Tous les journaux en parlaient.
C'était une affaire financière qui avait dérayé la
chronique. Le juge d'instruction passait son temps à me tanner en me
disant : « Il faut le mettre à
l'hôpital ! ». Il ne voulait surtout pas qu'il y ait un
problème. Moi si je le mettais à l'hôpital, j'en avais 500
derrière à hospitalier. Et puis au troisième jour, le
médecin m'appelle et me dit : « Vous savez votre
gréviste de la faim c'est du bidon, il bouffe ! Le surveillant l'a
surpris l'autre jour en train de bouffer en cachette dans sa cellule. Alors
moi, je vais tout lui retirer ». « Non, vous lui laissez.
Je préfère qu'il reste gréviste de la faim et qu'il ne
nous empoisonne pas la vie avec des problèmes de santé. Laissez
faire et on verra bien ». Ça a duré une quinzaine de
jours, il se portait comme un charme. Son avocat demande une audience :
« Vous savez, c'est épouvantable, il faut absolument le mettre
à l'hôpital ». « Non visiblement tout se
passe bien, on lui prend la tension trois fois par jour et visiblement il est
robuste. Et si jamais il arrive un problème, vous serrez responsable car
vous êtes son avocat et vous n'aurez pas réussi à le
convaincre de cesser de s'afficher comme gréviste de la
faim ». Il a compris. Quelques jours après le directeur en
m'annonçant qu'il avait cessé sa grève de la faim. A
l'époque c'était pas crédible de dire : Mme
Troisier...
E.F : Mais pour Fully, pour les grèves de la
faim qui étaient réelles, quelle était selon vous
l'autonomie des médecins ?
Y.Z : Ils ont marqué incontestablement leur vision
des choses et aucun directeur de l'AP n'a jamais osé aller à
l'encontre d'une prescription médicale [...] C'est vrai que dans
d'autres temps et avec d'autres directeurs, on pouvait dire :
« Attendez un petit peu, on verra bien. Vous savez, il a pris des
risques. S'il doit claquer... ». Alors certains étaient
hostiles. Certains dès le départ. La perfusion, c'est facile
à dire mais le gars qui n'en veut pas il fait la sangler. Sur le plan
des principes c'est pas évident. Et puis ça mobilise un personnel
24 heures sur 24 à côté du bonhomme [...] Y avaient des
gavages mais plus perfide, il y avait cette méthode qu'il avait
découverte au passage dans un établissement où il avait
rencontré un brave surveillant, vous savez de l'ancienne école
qui lui avait dit : « Ah non, moi, les grèves de la faim,
ça me pose pas de problème. Ma méthode, c'est d'arriver
devant la porte de sa cellule, avec un réchaud, une poêle à
frire et des oignons en rondelles ». Authentique. Il avait
poussé des grands cris : « C'est pas
possible ». Fully il essayait de convaincre, c'était
l'apôtre de l'humanisation des prisons. Il avait un peu cette
auréole de son passé. Les gens le connaissaient, le respectaient
beaucoup, les Pénitentiaires le respectaient beaucoup. Il avait
été jeune résistant, jeune déporté. Ils
avaient incontestablement beaucoup de respect pour lui et certains chefs
d'établissements qui étaient de sa génération. Ils
se comprenaient très bien [création de l'ENAP en 68] le
bâtiment de l'école était une excroissance de Fleury qui
devait être le bâtiment des Jeunes détenus. Et au moment de
la fin des travaux, le garde des Sceaux était venu, il avait
visité le complexe carcéral, avec le mur, bien sécurisant
et puis il voit ce bâtiment où il n'y avait qu'un grillage,
symbolique. Et il dit : « C'est quoi ça ? C'est pour
le personnel ? ». On lui répond : « Non,
c'est pour les jeunes détenus ». Mais vous n'y pensez
pas ». C'était à l'époque de l'angoisse de
l'évasion. « Vous allez mettre des détenus ici ?
Pas question ». Donc le local est resté
désaffecté dans un premier temps puis on y a mis l'école
dans ce qui devait être le centre de jeunes détenus de
Fleury-Mérogis.
E.F : Est ce que Fully n'était pas
considéré au sein de l'Administration pénitentiaire comme
étant trop politisé ?
Y.Z : Non. Il était bien gaulliste. Il
était le compagnon de Michelet et c'est ce qui apparaissait en premier.
Il avait été mis là par Michelet, puis il a
été maintenu. Il y avait eu une continuité jusqu'à
la petite inflexion à l'arrivée de Pleven qui n'était pas
de l'UNR. Pleven c'était le mouvement centriste, c'était
l'ouverture de Pompidou. Mais Pleven n'aurait pas touché à Fully
[...] Il a su se faire adopter par les Pénitentiaires et lorsque j'ai
été au cabinet de Pleven il n'a jamais été question
de se séparer de lui. Ni du temps de Beljean. Il était
très écouté. Il était surtout très en
symbiose avec le directeur qui était Schmelck. Ils étaient
très proches, même sur le plan personnel. Ils chassaient ensemble.
Ils étaient très sportifs. Ils allaient tous les deux à la
chasse au sanglier. Fully était très mondain, très
cavaleur.
E.F : Par contre je suis étonné quand
vous dites qu'il était gaulliste...
Y.Z : Il était loin d'être de droite... Il
était un peu de ce qu'on appelait les gaullistes de gauche. Il
était très proche de Brosse qui avait été
ministre des anciens combattants. Il se réclamait du
général de Gaulle mais du général de Gaulles de
Londres, pas le général de Gaulles d'après 58. Fully avait
réussi à se faire entendre dans le monde pénitentiaire et
à être adopté. Quand il disait quelque chose, je n'ai pas
de souvenirs, d'échos de chefs d'établissements s'étant
plaints d'une réflexion entérinée par Fully. Et il savait
garder la distance. Il était vraiment Médecin-inspecteur.
Même avec les confrères alors que son successeur avait un peu
tendance à se substituer au médecin praticien et ce fut un sujet
de frictions entre elle et moi. Elle m'a rendu responsable de son
éviction [...] Je n'avais pas besoin, pour reprendre l'expression de
Badinter, de période d'essai et donc je mesurais quasi
immédiatement la portée des décisions que je pouvais
prendre. D'abord, ça sécurisait les fonctionnaires qui me
faisaient, parce qu'ils m'avaient connu jeune magistrat, une certaine
confiance. Beaucoup s'étaient confiés à moi et cela a
continué même quand j'étais devenu directeur [connaissait
bien Hivert] J'ai été le premier directeur de l'Administration
pénitentiaire à avoir eu cette double casquette en tant que
magistrat de base et directeur [directeur adjoint comme sous-préfet]
Comme j'étais déjà sous Peyrefitte, j'avais
été considéré comme suspect. D'ailleurs dans Le
Figaro, vous aviez un long article du Syndicat de la magistrature qui faisait
le tour du spoil system et qui disait : « Il y en a un,
de l'Educations surveillée, qui prend du galon, qui a
survécu... ». Parce qu'il se trouve que j'ai fait partie du
groupe fondateur du Syndicat de la magistrature. Le syndicat est né dans
les locaux de la Chancellerie. C'est quelque chose qui mijotait. Y a eu
concomitance des périodes avec Mai 68 mais ça mijotait
déjà en 1697. Nous étions un petit groupe qui
réfléchissions à créer une structure, avec Joinet,
Kessous, Favard, Veil. Devenu directeur de l'Administration
pénitentiaire, j'ai eu des entretiens avec les
délégués syndicaux à la Chancellerie parce que
j'étais devenu le Président du conseil d'administration des
directeurs.
E.F : Et vous n'étiez plus syndiqué
à cette époque ?
Y.Z : Pour une raison pénitentiaire et avant que
je sois directeur, d'ailleurs bien avant. Après la création du
syndicat. J'ai pris mes distances parce que j'avais une assemblée
générale au cours de laquelle certains avaient fustigé
l'Administration pénitentiaire. Mais on était encore avec les
post soixante-huitards. Donc « il est interdit
d'interdire », « la prison, c'est le bagne ». Il
y avait eu une motion d'une irresponsabilité totale. Moi, je n'y
étais pas mais j'avais eu écho de l'intervention de Jean Favard
qui avait tenté d'endiguer ce mouvement anti-pénitentiaire. Parce
que c'était un préfet qui était à la tête de
la Pénitentiaire. Donc c'était le diable. Donc, j'ai
envoyé une lettre de démission en disant que je déplorais
la motion qui avait été prise. J'ai pris mes distances
très vite parce que j'ai senti une dérive, on ne se disait pas
gauchiste à l'époque mais j'ai senti que c'était
fomenté [raconte l'émeute à la Santé le jour
où le général Salan incarcéré]
E.F : A part cette motion est ce qu'il y a d'autres
choses avec lesquelles vous étiez en désaccord ?
Y.Z : Ça m'avait fait mesurer le danger de prendre
des décisions sans en mesurer la portée. J'ai dit :
« Aujourd'hui, c'est la Pénitentiaire et demain ça sera
autre chose ». Autrement dit, cette irresponsabilité dans
l'extrémisme m'a choqué et m'a fait percevoir... Et je dois dire
qu'hélas il y a eu ces dérives dans d'autres sujets, dans
d'autres débats, dans d'autres prises de position. Il y a eu
d'excellentes choses. Le syndicat de la magistrature est une excellente chose,
l'idée étant de savoir si on peut en être membre sans
perdre son droit de critique mais je ne voulais pas que... personnellement,
ça me choquait tellement ce gauchisme qui ne disait pas son nom, cet
extrémisme. Je l'ai peut-être été extrémiste
à une époque de ma jeunesse. Ça m'a tellement
choqué que malgré les exhortations de Jean Favard, que tout
ça a été balayé par une déferlante sans
mesurer la portée. C'est ça qui m'a tellement
choqué ! Alors que j'ai gardé des relations personnelles par
exemple avec Louis Joinet ou Rolland Kessous [...] C'est quelqu'un en qui j'ai
une totale confiance alors qu'il était un des jeunes turcs de cette
assemblée. Colcombet, je n'ai jamais eu le moindre problème.
C'était au nombre d'entre eux, ce que l'on appelait à
l'époque le CERES, de la Ligue des droits de l'homme. Avec
incontestablement un projet qui était beaucoup plus politique que
syndical et c'était ça qui m'avait... Le syndicalisme est,
à mon sens, à caractère politique au sens de la
Cité mais pas politicien au sens de Raymond Barre. Je n'ai jamais
été membre d'un parti politique. Les circonstances ont fait que
j'ai été le collaborateur de trois gardes des Sceaux et notamment
de Lecanuet qui était centriste où moment où le CDS. S'il
avait réussi son entreprise, peut-être me serais je orienté
vers son projet qui était de créer une sorte de centre gauche en
France. Il y avait dans cette mouvance des gens comme Simone Veil qui ne se
reconnaissaient ni dans le parti communiste, ni dans le parti socialiste qui
était en perdition à l'époque. En revanche, je
n'étais absolument pas attiré par le RPR. Je l'aurai
peut-être été si j'avais été adulte en 40,
j'aurai probablement été gaulliste mais, en plus, j'étais
en Tunisie à l'époque donc ça nous atteignait
indirectement. Mon père était plutôt de centre gauche.
J'étais attiré par la tentative de Lecanuet qui a fait chou
blanc.
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