ANNEXE 38 : ENTRETIEN AVEC JEAN FAVARD
Favard Jean, magistrat à la DAP de 1970 à 1975
puis Conseiller technique du ministre de la Justice de 1981 à 1986.
Président de la fondation d'Aguesseau. Entretien réalisé
le 10 janvier 2008 au siège de la fondation d'Aguesseau (Paris).
Durée : 3H00.
Ne sont cités ici que des extraits choisis.
J.F : Quand je suis arrivé au ministère en
tant que conseiller technique et que je leur ai demandé les projets
qu'ils avaient [l'Administration pénitentiaire] en matière de
santé... Il n'y avait rien ! Et j'ai conservé le projet de
note qui avait été fait par l'Administratrion... Je l'ai
conservé pour l'histoire parce que... C'était nul ! Y avait
rien ! Je veux dire par là que l'Administration
pénitentiaire n'avait pas l'ombre d'une idée sur la question. Et
vous verriez la note et celle qui fut signée par le ministre
après que je l'ai corrigée... Ce sont deux choses
complètement différentes ! Dans un cas, on mégotaille
je ne sais pas quoi... toujours en interne ! Et dans l'autre, c'est
l'ouverture complète ! C'est le processus de décloisonnement
qui est entamé. Et après l'Administration a suivi mais au
début il n'y avait rien. Moi, je n'avais pas non plus en tête un
projet spécialement défini mais tout de même l'idée
de départ c'était d'ouvrir, c'est ce qu'on a appelé le
décloisonnement. Alors, médecine pénitentiaire, je n'aime
pas ce terme parce qu'il n'y a pas de médecine pénitentiaire.
C'est avant qu'il y avait une médecine pénitentiaire, avec des
médecins pénitentiaires, avec des cours de médecine
pénitentiaire. Quand on prononce ces mots, d'une certaine
manière, on revient à l'autarcie d'avant. Et nous, tout ce qu'on
a essayé de faire, c'est de décloisonner, décloisonner au
point de vue culture, décloisonner au point de vue travail,
décloisonner au point de vue médecine. C'était un bon truc
pour aller chercher de l'argent dans les autres ministères. Puisqu'on
nous en donnait pas autrement. Mais en même temps, un processus plus en
accord avec les règles européennes qui commençaient
à s'instaurer et, d'autre part, aussi, un processus de réforme
qui a duré. Parce que vous voyez ça a commencé en 1982 et
ça s'achève en 1994. Et donc si vous voulez, quand on regarde
aujourd'hui avec un peu de recul... Je l'explique dans mon livre.
C'est-à-dire que le processus on l'a commencé par la question de
l'inspection. L'idée étant qu'on s'inspecte pas soi-même.
Donc une inspection intérieure n'est pas une vraie inspection. C'est
quelque chose qui permet de lever le voile sur plein de trucs.
E.F : Et qu'est ce qui vous a fait arriver à
cette idée ?
J.F : Ben Mme Troisier justement. Parce que elle,
c'était la perversion totale... elle était
médecin-inspecteur [...] Elle était copine avec Mme Messmer. Elle
a été imposée. C'était une politique. Si vous
voulez, d'un mal il fait faire un bien et il y a quand même très
très longtemps qu'il y avait des discussions sur la
nécessité d'avoir une inspection interne. C'est vrai qu'un seul
inspecteur pour 180 établissements pénitentiaires, plus des
médecins recrutés par l'AP, plus le fait que l'Etat ne vous
donnait aucun autre moyen. On vous donne des surveillants, on vous donne de
quoi nourrir les détenus mais dès qu'il s'agit d'autre chose, de
sport, de médecine... Quand il fallait racler les tiroirs, c'est
toujours là-dessus que ça se raclait si vous voulez. Donc y avait
un problème de simple financement, et même d'autarcie avec le
vieillissement des médecins pénitentiaires toute leur vie. On
s'était accommodé d'un système qui ne fonctionnait plus du
tout [...] Et puis en 81 quand on arrive, l'idée c'est quand même
de moderniser le système. On s'aperçoit qu'à Fresnes et
aux Baumettes qu'au point de vue médical c'était n'importe
quoi ! Quand j'arrive en 81, Troisier vient me voir [fait une
légère pause] Alors ça, je vous le dis pour que vous le
compreniez mais j'ai rien d'écrit. C'est parole contre parole. Je peux
vous dire qu'elle est venue me voir. Elle m'a expliqué que bon... elle
était gaulliste de gauche... On pouvait s'entendre en quelque sorte.
Bon, moi, je suis pas politique. Si j'arrivais avec Badinter, c'est bien
sûr que j'étais plutôt à gauche mais je vivais pas ce
truc comme quelque chose de politique. Donc déjà, elle
était décalée par rapport à ça. Moi je m'en
foutais qu'elle soit gaulliste de gauche ou de droite ! Si elle faisait
bien son travail, le problème n'était pas là... Et alors,
au bout d'un petit moment, y avait des grévistes de la faim et elle me
dit : « Qu'est ce qu'on fait avec les grévistes de la
faim ? Quelle est votre politique en matière de grève
de la faim ». Alors moi je lui réponds qu'il y a l'article 390 qui
dit que dans ils sont en danger, le médecin décide.
« Oui d'accord, mais qu'est ce qu'on fait ? On fait comme pour
les irlandais, on les laisse mourir ? ». J'étais
horrifié ! « Mais Mme Troisier, c'est une question
médicale, c'est au médecin de trancher ».
« Oui mais vous, qu'est ce que vous en pensez ? ».
Inutile de dire que je ne me sentais pas de lui donner une instruction pour lui
dire vous les laissez mourir ou pas... Pour moi il existait le Code qu'elle
n'avait qu'à appliquer ! C'est pour dire la distance abyssale qui
nous séparait ! Donc ça a amené une réflexion
sur l'urgence de résoudre la question de l'inspection et puis
finalement, sans besoin de réfléchir beaucoup on s'est dit il y a
une inspection pour les hôpitaux, l'IGAS... Pourquoi on se faisait pas
inspecter par l'IGAS ? Alors évidemment, ça postulait qu'on
fasse disparaître le poste de Médecin-inspecteur de Mme Troisier.
Du coup, ça réglait aussi ce problème. Mais on ne l'a pas
fait pour ça ! C'était, si vous voulez, d'une pierre deux
coups. On n'avait plus besoin de médecin inspecteur. Alors elle, elle a
interprété ça comme elle a voulu :
« Pourquoi on me vire ? » [...] On vivait sur un
système où on n'inspectait rien. C'était couvert par le
médecin inspecteur qui disait tout va bien ! [...] Elle est devenue
professeur par un décret du 12 mai 81 malgré l'opposition du
ministre de l'époque car elle bénéficiait d'une
protection... Ce qui lui avait permis d'avoir une chaire de médecine
pénitentiaire. D'abord ça lui faisait double traitement. Et puis
elle touchait deux indemnités de résidence. Je lui ai
enlevé sa deuxième indemnité et elle l'a pris très
mal. Elle travaillait à temps plein pour l'administration et elle
était en même temps professeur. Alors là, ça
n'allait pas ! Je suis allé la voir et elle m'a dit qu'elle avait
une convention en béton... Vous savez, je suis juriste et même les
conventions en béton... D'ailleurs même le béton, ça
peut sauter ! J'ai regardé la convention, elle pouvait être
dénoncée dans un délai de truc et voilà ! Mais
si vous voulez, on ne l'aurait pas fait que pour ça, parce que sinon...
L'idée c'était quand même qu'on n'avait pas d'inspection,
que c'était trop dangereux pour un seul et c'était l'idée
d'aller vers le système hospitalier. C'était une mesure
courageuse qui n'a pas été critiquée parce que quand vous
êtes votre propre inspecteur, vous ne trouvez rien... Tous les vieux
sommiers qui sont dans votre jardin, si vous ne les toucher pas, vous ne voyez
que les tulipes ! Vous, vous arrivez après... Et c'est là
qu'on a eu des ennuis ! Vous arrivez après et vous dites :
« Vous pouvez tout fouiller ! ». Alors là, on
trouve tout ! Non seulement ce que vous avez mis mais également ce
que les autres y ont mis avant. Et tout le monde dit :
« Regardez comme c'est le bordel avec eux, avec nous c'était
pas comme ça ! ». Donc, nous, on a dû subir
ça...
E.F : Ça n'est pas quelque chose qui faisait
peur à l'Administration pénitentiaire ?
J.F : Ah ben si, si forcément ! Mais on a
assumé. Vous avez des coups on en a reçus. Ça
n'était pas commode, surtout au début. Après entre 83 et
86, ça s'est arrangé... Mais au début, vous aviez ceux de
droite qui trouvaient que le monde s'écroulait... l'horreur, le laxisme,
le rousseauisme, c'est le bazar. Et la gauche qui trouve que vous ne faites
rien. On n'avait aucun allié ! Rien du tout ! Donc là
il y avait deux choses. On va confier l'inspection à l'IGAS.. Elle va
trouver pleins de trucs mais bon tant pis on va essayer de... Et on va coller
à tout ce qu'elle nous dit comme du papier à musique. Et puis on
va lui demander de mener une réflexion pour nous définir les
voies et moyens du décloisonnement. Ce sont les termes de la lettre de
saisine. L'IGAS nous a proposé la disparition des Baumettes et la
transformation de Fresnes comme hôpital. C'était terminé au
début 85. Et on a lancé un peu l'idée qu'il fallait des
conventions avec l'hôpital proche de la prison.
E.F : À cette époque là, il
n'était pas question de transférer toute la
santé ?
J.F : Mais au début on pouvait pas. Tout ça
c'était nouveau. C'était le décloisonnement. On a
laissé les murs mais on a transformé complètement
l'intérieur. C'est ce qu'on a appelé le décloisonnement...
appliqué aussi en terme de culture, de santé. C'est un truc qu'on
a déroulé et comme on est resté suffisamment longtemps
pour bien l'installer [...] On s'est habitué à plutôt
employer ce terme de décloisonnement. De là à vous dire
après qu'on a théorisé tout ça... Je ne sais pas
d'où vient ce terme mais c'est celui qui nous a paru le plus apte
à faire comprendre ce qu'on voulait. C'est-à-dire la culture, la
santé, le sport ne s'arrêtent pas à la porte des prisons...
C'est à dire au lieu d'avoir une prison autarcique, on fait rentrer la
société en disant : « Tous les ministères,
culture, sport, santé, éducation, doivent renter en prison parce
qu'ils ont une responsabilité ». Parce que la
société ne s'arrête pas à la porte des prisons.
C'est ça, qu'on appelle le décloisonnement. Il y a deux parties
en cause : moi, je gère les détenus. C'est une dialectique
entre celui qui gère et celui dont c'est la responsabilité. Alors
quelque fois, certains m'ont dit : « Vous avez trouvé un
truc pour fouiller dans la poche des autres. Pour piquer l'argent des
autres ». Alors, c'est assez vrai. Mais je répondais
toujours : « Les autres ont une responsabilité. Leur
politique ne doit pas s'arrêter là. On avait tort avant de ne pas
leur demander ». Et puis la collaboration est fructueuse.
E.F : Vous pensez que les différents
ministères étaient aussi responsables de la prise en charge des
détenus ?
J.F : Alors ce qui est sûr, c'est qu'au
début ils n'étaient pas demandeurs ! Ils n'étaient
pas demandeurs ! Pour eux ça représentait des
difficultés supplémentaires. Mais ils ne pouvaient pas refuser.
Ils ne pouvaient pas dire : « Je suis désolé,
ça n'est pas dans mon secteur ! ». Vous êtes
ministre des sports. Je viens vous dire : « Il y a du sport en
prison ». Donc je suppose que vous avez une politique du sport...
C'était imparable ! Ils étaient obligés de dire
oui... Bon avec plus ou moins de... Lang, par exemple, il était à
fond donc ça allait plus vite qu'avec d'autres. Mais c'était
finalement imparable comme argument. On a mis plus ou moins de temps pour
signer des conventions mais ça a fini par se faire [...] Mais à
notre époque, les psys n'entraient pas en prison. Ils vous
disaient : « Moi je ne peux pas traiter quelqu'un en
prison ». Ça n'était pas dans leur culture de venir en
prison. Les CMPR c'était quand même des petites structures. Et ils
n'étaient pas bien intégrés dans la prison. C'était
un personnage étranger. Ils étaient très faibles. Et il y
avait très peu de psy. C'étaient surtout des infirmiers.
Après la suppression de l'inspection, on a mis en place sur proposition
de l'IGAS, ce système aux Baumettes et à Fresnes. On a mis en
place tout ce que nous a demandé l'IGAS et on leur a été
très reconnaissant car ça a été très utile
quand il y a eu les premiers affolements avec l'histoire du sida. Ça a
commencé vers août 85. On ne savait rien. Moi j'avais une culture
pénitentiaire mais le sida... personne ne savait ce que c'était.
On parlait beaucoup à ce moment là de porteurs sains. Alors
porteurs sains, c'était un peu rassurant. Et puis après on vous
disait : « Il y en a 7 à 10% qui seront
malades ». Personnellement, je ne savais pas quoi répondre.
C'était pas très affolant dit comme ça... Il y avait des
surveillants qui voulaient des masques. Heureusement qu'on avait
déjà des liens avec l'IGAS qui nous a dit :
« Attention, pas de panique. Il faut faire ça,
etc. ». On a même demandé à l'IGAS d'aller
expliquer dans les structures ce qu'il en était. Parce que si nous, on
avait dit : « Circulez, y a rien... », ça
aurait été un peu suspect. Moi je pensais qu'il fallait dire la
vérité et il était hors de question de mentir sur ces
sujets parce que si c'était la mort contagieuse, ça aurait
été une bombe. Du coup heureusement, l'IGAS était
là. Ils sont venus expliquer dans les différentes prisons ce que
c'était. Donc on a eu le bénéfice immédiat du
décloisonnement. Sinon, on ne s'en serait pas sorti. Le Dr Espinoza nous
a alerté assez rapidement là dessus. Comme il était dans
la structure pénitentiaire, on a dit : « Il vaut mieux
qu'il y ait des envoyés spéciaux de l'hôpital ».
[...] C'était horrible ! Horrible ! Vous
savez, les grâces par exemple. Il y avait des grâces avant qu'on
arrive et pourtant personne n'a jamais critiqué les grâces avant
qu'on arrive. Et dès qu'on est arrivé, on a fait une grâce
un peu plus large... Et là, c'était horrible ! Et dès
qu'on arrêtait quelqu'un c'était un "Badinter" comme on les
appelait. On n'a jamais dit les "Giscard". Et pourtant après une petit
grâce de Giscard, y en a un qui est sorti et qui est allé tuer sa
femme. Personne n'a dit c'est un "Giscard" ! Donc la presse de gauche
trouvait qu'on n'en faisait pas assez et la presse de droite nous cartonnait
à fond. Donc fallait qu'on prenne toutes les précautions. On
n'avait pas le droit à l'erreur. Avec les syndicats, c'était
l'horreur ! Pour vous dire, la CGT était présidé par
quelqu'un qui appelait à voter Giscard d'Estaing. Parce que les
centrales syndicales ne s'intéressaient pas au problème des
prisons... J'ai donc pris des contacts pour que les syndicats correspondent
à quelque chose. Avec le risque, ce qui est arrivé, que la CGT
vraie et nouvelle commence à nous cartonner. Mais ça, c'est le
jeu ! Je préférais ça à un faux syndicat. Moi
qui étais syndiqué à la magistrature, j'étais
horrifié de voir ce syndicalisme qui se faisait acheter. Ceci dit c'est
vrai que pour avoir la paix, il y avait une tradition de l'AP... C'est plus
tranquille d'avoir des syndicats qui n'en font pas trop. D'ailleurs, ils ont
fait une grève le 10 mai 1982 et moi je me suis dit qu'ils faisaient une
connerie car ils ne pouvaient pas mieux monter que c'était une
grève politique. A partir de 83, j'avais emmené dans le magma la
vraie CGT qui nous cartonnait mais qui les cartonnait aussi et puis, en plus,
j'avais repris la main sur les commissions paritaires où il y avait
toujours un consensus... C'était toujours 100%. Donc ils viraient ceux
qui ne leur plaisaient pas et officiellement c'était le garde des Sceaux
qui prenait la décision. Et un jour, une décision m'a
semblée assez injuste et j'ai dit au directeur de l'Administration
pénitentiaire : « Non là, il ne faut pas
révoquer ce type ! ». Il me dit : « Ah
mais les syndicats... ». Les syndicats ont râlé et ont
dit qu'ils ne siégeraient pas la fois suivante et je leur ai
répondu que s'ils ne venaient pas on déciderait sans eux.
Après ça a commencé à se tasser... Après
entre 83 et 86, c'était moins dur...
E.F : Par rapport à ce rapport de force,
l'arrivée de la COSYPE ?
J.F : Ah mais la COSYPE, c'est antérieur. Ils
avaient mené une réflexion avant. J'avais vu leur brochure que je
trouvais très bien. Moi, j'étais au syndicat de la magistrature
et ça correspondait aux réflexions de l'époque. Sauf que
les magistrats qui étaient au Syndicat à l'époque et qui
travaillaient au sein de l'Administration pénitentiaire étaient
plus... tenaient plus compte... On était quelque fois en discordance...
Parce que la COSYPE c'était plus politique que raisonnablement
gestionnaire [...] Y avaient beaucoup de choses avec lesquelles j'étais
d'accord. Personne ne nous demandait de supprimer l'inspection. Ce
système auquel on était habitué. Il existait une
inspection pour la santé. Je crois que c'est moi qui avais trouvé
le texte. L'IGAS qui inspecte tous les hôpitaux. C'était
très simple comme solution. Du coup on avait plus besoin de Mme
Troisier. Je me rappelle avoir trouvé ce texte qui parlait de l'IGAS
[Interruption]
E.F : Et le premier directeur, Yvan Zakine, qu'est ce
qu'il en pensait de ce décloisonnement ?
J.F : Avec Zakine, et c'est après... Il a
sauté parce qu'après la réforme de 83, le ministre
souhaitait qu'on continue de progresser. Il voulait qu'on renouvelle. A
l'époque la question c'était posé. Il avait
été question de me nommer mais mon analyse était la
suivante. Ils me connaissaient et à peine je serai assis dans le
fauteuil, les syndicats, ils me manqueraient pas ! Donc je n'aurai pas eu
le temps d'agir. Alors qu'un autre directeur, ils ne le connaissaient pas et
disons qu'il a dix mois environ pour s'imposer. A fortiori si c'est
une femme. Dans un endroit macho... Ça les a déstabilisés
encore un peu plus. Donc je lui ai dit que s'il me nommait la bataille
commencerait à l'instant même. Je me sentais plus utile à
ses côtés.
E.F : Et Myriam Ezratty, c'est quelqu'un qui
était plus proche de cette idée de
décloisonnement ?
J.F : Ah oui ! Et puis elle avait cette culture de
santé ! L'inspection était supprimée. Elle
était très engagée à ce niveau là.
E.F : Quand avez-vous adhéré au
Syndicat de magistrature ?
J.F : Dès le début. En 68. J'ai
adhéré en 68 Lors de la création. J'étais un des
tous premiers. Dans la première vague. Je suis très
individualiste. Je n'ai jamais appartenu à un parti et je n'aime pas
être embrigadé mais là, pour le Syndicat de la
magistrature... J'étais jeune magistrat et je ressentais la
nécessité d'avoir une structure de défense. C'était
une hiérarchie très lourde. C'était extrêmement
pesant... Tout en gardant mon quant à moi. Pour moi, c'est par parce que
je suis dans un syndicat qui par exemple décide un mouvement de
grève avec le quel je ne suis pas d'accord... J'ai toujours fait passer
mes fonctions de magistrat avant. L'appareil... Je ne veux pas savoir... Et
l'appareil là dessus ne peut pas s'imposer. Mais en revanche, j'avais
bien mesuré déjà à l'époque que l'individu
tout seul ne peut rien faire. Et puis le Syndicat était quand même
à l'époque plus exaltant qu'il ne l'est aujourd'hui. Enfin,
aujourd'hui je me suis retiré. A l'époque, il n'y avait que des
coups à recevoir. C'était bien avant 81 et on était
qualifié de juge rouge. Je peux vous dire que c'était pas bon
pour les notes ! [Rires] Et d'ailleurs quand j'ai écrit mon premier
livre, Le labyrinthe pénitentiaire, y avait Peyrefitte
encore... Y'avait marqué sur la bande [de couverture]
« Sécurité, liberté, point
d'interrogation ». Le livre est sorti le 2 février 81. Je
n'avais pas la moindre idée de ce qui allait m'arriver par la suite.
Parce que quand il est sorti, Giscard était donné comme gagnant.
Voilà ! Donc c'était un truc où j'égratignais,
je critiquais.... C'était pas un pamphlet mais bon... Donc,
c'était pas bon pour ma future carrière. Et puis dans les deux
mois qui ont suivi, on a commencé à dire : « Ah
mais Giscard, c'est pas sûr ! Ça sera peut-être
Mitterrand... ». C'était tout à fait inattendu. Et je
pensais encore moins devenir conseiller technique. Sans ce livre, je ne serai
sûrement pas devenu conseiller technique. Je ne connaissais pas Badinter
mais quelqu'un lui a dit : « Il connaît les
prisons » et lui a parlé de mon livre. Et Badinter m'a
dit : « Ben, vous savez ce qu'il faut faire ! ».
J'avais un état de réflexion qui faisait que je pouvais aider.
Par ailleurs, je connaissais très bien les personnels, les
détails... [...] Moi je pouvais l'alerter : « On peut
faire ci, on peut faire ça ». Et on était en parfaite
symbiose.
E.F : Lors de votre adhésion au Syndicat de la
magistrature, vous occupiez quelle fonction ?
J.F : J'étais juge à Saverne. Je n'ai pas
pu être présent lors de la création car c'était le
jour de la naissance de ma fille... Mais après j'ai milité
pendant presque toute ma vie professionnelle. Ça a été une
époque... mais là j'étais dans une catégorie
particulière... Je n'étais pas le seul, nous étions
quelques uns... qui travaillions à l'Administration pénitentiaire
et nous étions un peu suspects d'être un peu des jaunes, un peu
complaisants avec l'Administration pénitentiaire. On était
dedans, on connaissait quelles étaient les difficultés et donc
nous n'étions pas toujours d'accord dans les débats. On trouvait
qu'ils exagéraient un peu. Des motions un peu trop infondées,
etc. Et du coup, on était dans une position très inconfortable
puisque vis-à-vis de la direction on était des rouges et
vis-à-vis des rouges on était des jaunes ! [Rires] Donc ce
ne sont pas des couleurs très agréables à porter. Moi de
tout façon, même si c'est mes amis, je refuse de rentrer dans un
système doctrinaire. La vérité c'est plus important que le
pouvoir. Si mon ami dit quelque chose qui n'est pas exact, je dis :
« Désolé mais ce n'est pas exact ! ».
E.F : Qu'est ce que avait pu vous choquer...
J.F : Par exemple pour les permissions de sortie. Y avait
Bloch, Etienne Bloch. Il était juge d'application des peines. Je
trouvais qu'il y avait des choses... On était d'accord sur la plupart
des choses. Mais lui, par exemple, lui, il considérait qu'il fallait
détruire la prison, qu'il fallait... Et ho ! Il n'examinait
même pas les dossiers et ses avis pour les libérations
conditionnelles étaient systématiques. Je trouvais ça
exagéré. Quand on doit libérer Lucien Léger,
j'estime qu'on y regarde à deux fois, même si je suis au Syndicat.
Et puis c'est facile de mettre l'avis favorable tout le temps. D'abord,
ça choquait énormément les Pénitentiaires. Ils se
disaient qu'est ce que c'est que ça un juge qui regarde pas le
dossier ? Et puis c'est beaucoup plus crevant de pas regarder le dossier.
C'est beaucoup plus crevant de vous taper tout le dossier et de se
demander : « Alors, qu'est ce que je fais ? Est-ce que
c'est une menace pour l'ordre public ? ». Donc on avait des
discordances ! Et c'était pareil pour les permissions de sortie. Il
voulait faire voter une motion au Syndicat disant que le directeur avait
donné des ordres au juge d'application des peines. Et ho !
C'était quand même pas ça. Bon, il y avait des nuances
à apporter. Moi, je me suis levé, j'ai dit que c'était pas
comme ça que ça c'était passé. J'ai donné
mon témoignage. Parfois, on s'est disputé sur des questions de ce
genre. On s'est jamais battu ! D'une certaine manière en 81, quand
les choses sont arrivées, on a eu tendance à prendre des jaunes
plutôt que des rouges. Ça dépend. On a pris aussi des
rouges. Mais après ceux qui étaient jaunes étaient pas si
mauvais. Et beaucoup de rouges sont devenus roses. Moi j'ai le sentiment que je
n'ai pas changé à travers les siècles, si je puis dire, et
ce que j'étais avant je le suis toujours. Je suis quelqu'un
d'individualiste mais je comprenais tout à fait. J'adhérais
complètement à la nécessité de mettre de l'air
dans... D'ailleurs 68, j'avais 34 ans, j'étais plus un gamin mais
heureusement qu'il y a eu 68. Avec tous les excès qu'il y a pu avoir.
« On interdit d'interdire ». C'était en même
temps n'importe quoi mais il fallait voir comme c'était avant. Les
filles ne pouvaient pas aller voir les garçons dans les dortoirs. Donc
68, quand ça débouche sur n'importe quoi, sur le désordre,
je suis pas d'accord parce que je suis un homme d'ordre. Et par contre,
heureusement qu'il y a eu ça, parce qu'on étouffait.
C'était un monde absolument étouffant...
E.F : Au niveau de la magistrature
aussi ?
J.F : Ah ben oui. Alors, là ! Ça a
fait du bien ! Ah, oui. C'était trop conventionnel, fermé.
C'était irrespirable, irrespirable ! Alors dire que tout a
été arrangé... Non et puis certains sont devenus des
caciques. N'empêche que moi, je pense que ça a été
une étape cruciale mais après on peut pas rester dans un
état anarchique. Il faut tout faire sauter mais il faut reconstruire
quelque chose. Y a des moments où ça devient tellement
irrespirable que vous n'avez pas d'autres solutions. Il faut que ça
saute. Comme un bouchon de champagne. Mais il ne faut pas faire que ça.
Moi je suis pour arracher les arbres, surtout s'ils sont morts, mais si on
arrache les arbres il faut en planter deux ou trois tout de suite.
E.F : Etienne Bloch, il était juge
d'application des peines et donc il connaissait quand même la prison de
l'intérieur...
J.F : Oui, oui. Mais si vous voulez, moi je trouvais
qu'il radicalisait trop les positions et c'était pas bon pour finalement
faire comprendre... Je parle de lui dans le Labyrinthe [son
livre] pour regretter qu'il ait été évincé par le
directeur de l'époque. Là, j'étais pas d'accord ! Je
l'ai soutenu là ! Mais, si vous voulez, moi je trouve qu'une
attitude trop sectaire, qui n'était pas celle des magistrats,
était vouée à l'échec. Car une institution ne
pourra jamais accepter... On peut choisir de ne plus accepter l'institution
mais dans ce cas là on n'a plus aucune influence. Moi je trouvais qu'il
était un peu radical en donnant un avis positif systématique
parce que c'était quand même un peu irresponsable. Et puis
finalement, le résultat de tout cela, c'est que l'Administration... Ils
sont pas fous ! Dans ces moments là, soit ils vous virent... Parce
qu'à ce moment là, c'était l'Administration
pénitentiaire qui donnait son accord pour qu'un juge d'application des
peines soit nommé pour trois ans et donc y avait la
possibilité... Et je me rappelle très bien voir M. Lecorno
revenir en disant... Parce qu'au Conseil supérieur de la magistrature,
à l'époque, il n'y avait même pas d'élus [du SM]...
Rien du tout ! Je me rappelle de son expression. Il est arrivé en
disant : « C'est passé comme une lettre à la
poste ! ». On expédie un juge comme ça. Mais c'est
passé comme une lettre à la poste d'autant plus facilement que
Bloch avait cette attitude. D'autre part, si on voulait pas libérer un
bonhomme, c'était très simple. Il était à Poissy,
et bien on l'envoyait à Clairvaux ou ailleurs et c'était un autre
juge. Donc, si vous voulez, en termes de résultats... Bloch pouvait dire
ce qu'il voulait ! Et alors ?
E.F : Et sa position était plutôt
minoritaire ou majoritaire ?
J.F : Il était pas majoritaire parce que justement
il est allé un peu trop loin... Mais quand même, il était
écouté ! Quand il y avait des motions. D'abord, il
écrivait bien ! Il était intelligent. Il avait de
l'influence. Les gens l'aiment bien. Il avait une personnalité.
C'était amusant parce que dans Le labyrinthe je cite un passage
d'un article qu'il avait écrit et qui venait à l'appui. Et
voilà que je reçois une lettre de lui : « C'est
scandaleux ! Je n'ai jamais écrit une lettre pareille ! Je
vais saisir les instances syndicales ! ». Mais moi, quand
j'écris quelque chose, je le vérifie dix fois. Donc je lui ai
envoyé une photocopie de l'article et il m'a envoyé une lettre
gentille pour s'excuser. En fait, il ne s'en souvenait pas.
E.F : Et au sein du Syndicat de la magistrature, est
ce que beaucoup de magistrats se sentaient impliqués sur la question des
prisons ?
J.F : Oui, il y a eu beaucoup d'intérêt sur
les prisons. Les premiers congrès, il y avait toujours des motions sur
les prisons. C'était une période agitée aussi. Nous, nous
vivions au milieu de tout ça. Je dis nous, Mme Petit, Jean Pierre
Dinthillac, Philippe Chemithe et moi. Nous, nous étions tous dans la
fournaise, si vous voulez. Mais beaucoup d'autres magistrats
s'intéressaient à la question des prisons. Ça a peut
être commencé à déraper. Il y a eu un
intérêt jusqu'à... Après 81, c'était un peu
différent. Parce que beaucoup de syndiqués, ou jaunes ou rouges,
sont rentrés dans les cabinets. Ça a affaibli un peu le syndicat
qui avait une attitude moins critique. Des dérapages y en avaient eu un
peu avant. Soit vous êtes extérieur et vous critiquez tout d'une
manière extrêmement virulente, soit vous êtes à
l'intérieur et vous essayez de comprendre et d'être un peu plus
objectif. [Passage sur l'OIP]. Je n'aime pas le discours de connivence ni le
discours trop critique qui ne tient pas compte de la réalité. Et
au Syndicat, c'est un peu ce qu'il s'est passé.
E.F : Est-ce que je peux savoir les conditions dans
lesquelles vous êtes arrivé en poste à l'Administration
pénitentiaire ?
J.F : Par hasard. J'étais à Saverne. Petit
ville de 6000 habitants. Ben au bout de cinq ans vous avez vu pratiquement
défiler tous les gens en divorce, en conflit... C'est quelque chose qui
finit par être pesant. Donc il venait d'y avoir une réforme qui
faisait de moi un juge à la suite, c'est-à-dire sans poste
réel. Je me suis dit que c'était une bonne occasion pour pouvoir
partir et j'ai fait une demande et avec mon épouse nous avons
demandé tout un tas de poste Marseille, Nice, Aix en Provence... Y avait
dix postes comme ça. Il me restait un poste à mettre. Je savais
plus trop quoi mettre et nous avons mis Versailles que je pensais n'avoir
aucune chance d'avoir. Et un matin au Journal officiel, j'ai vu que
j'étais désigné pour deux ans délégué
au ministère central de la Justice. J'étais furieux. Donc je me
suis rendu à l'Administration centrale pour savoir quel allait
être mon sort. Et on m'a dit : « Vous avez mis
Versailles et cela a été interprété comme un
désir de venir à Paris ». Et on m'a dit que
j'étais affecté à la Direction des affaires criminelles et
des grâces avec Arpaillange. Très bien. On me montre mon bureau.
C'était en décembre 69. Il y avait les congés de
Noël. Quand je reviens le 5 ou 6 janvier : « N'allez pas
dans votre bureau ! Attendez, il s'est passé quelque
chose ». Et qu'est ce qu'il s'était passé ? Il
s'était passé que le Directeur de l'Administration
pénitentiaire de l'époque, qui s'appelait Monsieur Le Corno, qui
était un préfet, avait râlé auprès du Conseil
d'administration de l'administration centrale. Soit disant, on lui donnait pas
les bons magistrats. C'est comme ça qu'on a été une
fournée à arriver à l'Administration pénitentiaire.
Je ne connaissais pas du tout le monde des prisons et dès 1971, on s'est
retrouvé dans le bateau ivre. C'est le hasard qui m'y a conduit mais un
hasard heureux ! Et puis après ça m'a
intéressé.
E.F : Et votre appartenance au Syndicat de la
magistrature n'a pas été gênante ?
J.F : Ben, ils nous ont pris quand même mais
ça a été... Ils nous ont pris quand même ! On
nous a pris mais on se méfiait un peu de nous. J'étais au Bureau
de la détention, c'est-à-dire qu'on affectait les détenus.
On s'occupait des affectations, des transfèrements. Je suis resté
jusqu'en 75 mais vers la fin de 73, le chef du bureau qui était
magistrat, j'étais son adjoint... Et d'ailleurs c'est pour vous
montrer... Il n'était pas question que je sois désigné
chef de Bureau... Louche ! Donc on a été cherché
quelqu'un pour être chef de Bureau. On aurait pu en trouver plein qui
étaient aussi bons que moi... Mais celui-là, il était
nul ! Et il a fallu que je lui apprenne le boulot. Un an plus tard il est
parti car il était décidément incapable et c'est à
ce moment là que le directeur de l'Administration pénitentiaire
qui venait de changer... C'était Maigret. Et là, il m'a
proposé de devenir chef de Bureau et je lui ai dit que si on me l'avait
proposé avant, je l'aurai accepté, mais là, ça
n'était pas contre lui... Pour les réformes, je voulais bien
rester une année mais seulement faire fonction. Il s'est
accommodé de la situation et il ne voulait plus me laisser partir. Et au
bout d'un an, j'ai demandé à partir. Un samedi matin, j'ai vu au
JO que j'étais nommé juge au tribunal de Paris. J'ai fait mes
classes de 75 à 81. C'est là où j'ai écrit mon
bouquin. Mes fonctions de juge étaient pour moi... Juge au siège.
Je n'ai jamais été au parquet sauf en Algérie, mais
là c'était très spécial, où j'étais
substitut du procureur. Juge au siège pour moi c'était
très important. Mais je n'avais d'ailleurs pas envisagé de
revenir à l'Administration pénitentiaire.
E.F : Vous parliez des mouvements dans les
prisons...Qu'est ce que vous en pensiez ?
J.F : C'était comme un bateau qui coulait. Mais
vous savez quand vous êtes au milieu de la tempête...
C'était terrifiant ! L'affaire de Clairvaux. Même Le Corno
qui était quelqu'un toujours... « Qu'ils y viennent ! On
verra ! ». Je l'ai revu au petit matin de Clairvaux quand il est
rentré... Il avait vécu des moments terribles ! Je suis
allé voir la Maison centrale de Nîmes après une mutinerie,
on aurait dit un bombardement. Un détenu s'était jeté dans
les flammes... C'était quand même des choses vraiment... Jusqu'au
milieu 74, c'était explosions, volcans et tout. C'est seulement en 75
que c'est devenu un peu moins... [...]
E.F : Le discours de Le Corno était de dire
qu'il y avait des éléments subversifs extérieurs qui
attisent les révoltes...
J.F : Oui bien sûr et il était farouchement
opposé à l'entrée de la presse. Alors la presse par
exemple, quand elle rentrait, on découpait les articles. Et après
coup, je me suis rendu compte que c'était complètement idiot
parce que ça alimentait l'imaginaire des détenus. Parce que plus
on découpait de choses dans la presse et plus ils pensaient qu'il se
déroulait. Vous vous rendez compte on a assassiné ! Le feu
prend quand tout est inflammable... Et c'est inflammable pour toutes sortes
d'autres causes. Le Corno il ne pensait qu'à une chose, c'était
ajouter des grilles partout... Moyennant quoi, Clairvaux on s'était
rendu compte que toutes les gilles n'étaient pas fermées ou que
même fleur pouvait exploser. S'ils veulent tout faire sauter, ils peuvent
toujours. Lui, il avait la pensée classique d'un préfet :
« On va rétablir l'ordre ! ». Moi, j'en avais
conclu qu'il valait mieux satisfaire ce qu'on pouvait satisfaire. Et qu'il ne
fallait pas tarder d'intervenir. Il ne fallait même pas les laisser
monter sur la toiture.
E.F : À cette époque là, vous
avez découvert les conditions de détention ?
J.F : Y avait des cages à poule encore...
C'étaient des dortoirs... C'est des machins grillagés.
C'était quand même des conditions de détention...
C'était la vieille taule. On se rendait compte quand même qu'il y
avait des conditions de détention effroyables. C'étaient souvent
des taudis [...]
E.F : Et c'est à ce moment que des
associations comme le GIP interviennent. Vous en pensiez quoi ?
J.F : Ben c'était un peu comme le Syndicat. De ce
que je savais c'était souvent tourné... vers l'excessif.
J'étais plutôt tourné dans leur sens mais je pensais que
c'était un peu excessif et pas assez proche de la réalité.
C'était trop polémique pour moi. Mais en même temps,
j'étais plutôt de ce côté. Mais mes réflexions
ont toujours été strictement individuelles. J'ai souvent
rencontré Lazarus que j'aime bien. Mais il y a des choses que je
n'aimais pas et que je n'apprécie toujours pas aujourd'hui. Par exemple,
je n'aime pas qu'on dise : « CRS, SS ». Parce que
quand j'ai été gamin, j'ai connu la guerre. Bon, j'aime pas les
CRS mais ce ne sont pas des SS. J'aime bien qu'on fasse les distinctions. Et
par exemple, Lazarus, qui est un homme charmant et délicieux,
véhiculait par exemple la notion de torture blanche. Et pour moi c'est
pareil. C'est comme « CRS, SS ». Ça finit par
être linéaire. Alors que j'étais tout aussi opposé
que lui à cela... Mais ça finit par banaliser la vraie
torture ! [...]
E.F : Et la phrase de Giscard, « La peine
c'est la détention », c'est quelque chose qui était
important pour vous ?
J.F : Oui ça c'était un geste courageux
ça ! Moi j'ai trouvé que c'était un geste courageux
et ça m'a bien plu ça. Et pourtant, j'étais pas
Giscardien ! Ceci dit, la suite, parce que j'étais là, les
réformes, c'était pas le serrage de main...
E.F : Et Hélène Dorlhac de Borne,
c'était quelque chose d'important pour vous ?
J.F : C'était bien quand même qu'il y avait
un secrétaire d'Etat à la condition pénitentiaire car
ça reconnaissait la condition pénitentiaire... Elle avait son
style. Des robes un peu grandes pour aller visiter des prisons de mecs.
Après on a fait dans la mixité mais à l'époque,
c'était pas ça... C'était bien ça ! Elle est
pas restée jusqu'au bout. Ça a été liquidé
dans la deuxième partie du septennat. La fin était moins
glorieuse. Cette poignée de main, je lui ai vraiment mis à son
[Giscard] crédit.
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