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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 37 : ENTRETIEN AVEC PIERRE ESPINOZA

Pierre Espinoza, chef de service de l'Unité de soins intensifs de l'Hôpital de Fresnes de janvier 1983 à septembre 1991. Médecin à l'Hôpital Européen Georges Pompidou lors des entretiens réalisés les 16 mai, 31 mai 2006 et 22 avril 2008 dans son bureau (Paris). Durées : 1h45, 2h00 et 1h50.

Ne sont cités ici que des extraits d'entretien.

E.F : Alors, déjà j'aurai voulu que vous m'expliquiez comment vous êtes devenu chef de service de l'unité de soins intensifs de Fresnes en 1983?

P.E : Moi, en fait je suis médecin. Ma spécialité initiale c'est d'être gastroentérologue mais aussi médecin interniste. J'avais fait un internat très classique de médecine interne. Mais dans mes études il y a quelque chose de particulier c'est que j'ai fait beaucoup de remplacements de médecine générale en France, deux trois ans d'exercice. Et donc je me suis intéressé au malade dans son milieu de vie. Et pendant quasiment dix ans j'ai été médecin de garde en banlieue parce que l'internat n'était pas suffisant pour me permettre de vivre. Donc je faisais des gardes en banlieue parisienne avec ma petite sacoche ce qui m'a permis la nuit les week-ends, trois ou quatre fois par mois pendant dix ans de pénétrer dans les cités de banlieue. D'être à trois heures du matin dans des coins un peu durs et d'avoir ce regard sur les gens dans leur lieu de vie. Moi ça a été tout à fait par hasard, un beau matin d'octobre 82. Mon patron m'appelle et me dit : « Voilà je sais que vous avez envie de rester à l'hôpital et en région parisienne. Je viens de recevoir une lettre de la Chancellerie qui cherche un médecin pour l'hôpital de Fresnes... ». Tiens ! La prison, moi je n'avais jamais eu d'idée personnelle d'aller travailler en milieu pénitentiaire mais pourquoi pas ? Après tout, j'ai travaillé en banlieue alors pourquoi pas là bas... Je me suis renseigné mais je me suis aperçu que c'était un sujet compliqué puisqu'on ne m'a pas permis d'aller à l'hôpital de Fresnes voir comment c'était. On m'a d'abord convoqué à la Chancellerie. Moi, je me suis trouvé face à un politique quasiment me disant : « On a du mal à trouver un médecin pour l'hôpital de Fresnes parce qu'on a de gros problèmes. Y a des morts de façon chronique. Y a des articles dans Libé, Le Monde sur des problèmes avec des morts. Donc on cherche un médecin qui puisse mettre de l'ordre là bas ». C'était la question de la Chancellerie. Moi je n'en avais pas entendu parler. Alors je décide d'aller voir et je découvre un hôpital ou plutôt une prison hôpital. Une prison-hôpital. J'ai regardé, j'ai réfléchi et je me suis dit pourquoi pas ? C'est comme ça que je suis rentré à l'hôpital de Fresnes mais je n'avais pas de vocation à travailler en milieu pénitentiaire. Ce n'est pas un poste que j'ai recherché. Il est arrivé comme ça par un circuit lambda, un circuit universitaire. Alors je suis parti en mission. Parce que j'ai dit : « Oui, j'y avais » mais à une condition, c'est que, moi, je ne suis pas médecin chef dans un bureau. Moi je suis médecin. J'ai besoin d'avoir... Je suis médecin avant tout donc il me faut un service dans lequel je dois pouvoir exercer mon métier. Donc on est tombé d'accord que je prenne la tête du service des admissions et du service des soins intensifs, disons des urgences. Par rapport aux problèmes posés à l'époque c'était une façon de filtrer tous les entrants et d'autre part avoir les malades les plus graves. J'ai pris mes fonctions le 17 janvier 1983. [...] Mon chef de service était doyen de la faculté de Bicêtre et c'est par ce biais là que j'avais reçu la lettre émanant de la chancellerie. Lettre que recevaient les dix doyens de la région parisienne. Quand je suis arrivé, j'ai essayé de comprendre ce qu'il se passait. Il m'a fallu trois mois pour tirer des conclusions. Il y avait des morts c'est-à-dire que depuis plusieurs années il y avait des articles et le père Huguenard criait contre certains médecins. Le problème c'était un chirurgien vieillissant pas du tout adapté au milieu carcéral avec des corps étrangers difficiles à gérer. Une anesthésiste complètement folle. Je me suis rendu compte de ce qui se passait le 1er avril. Il y avait un détenu qui avait été opéré 48 heures avant et qui avait de la fièvre. Je décide de ne pas y aller. Et le 2 avril au matin, le malade est mort ! Pan ! Je regarde le dossier et je vois qu'il y avait des fautes. Il avait 40 de fièvre la veille et aucune disposition n'avait été prise. Ce n'est pas pour l'anecdote que je vous raconte cela mais pour comprendre comment la médecine était à l'écart. Et quand j'en ai parlé au chirurgien et à l'anesthésiste, ils étaient en train de s'égueuler. Il a fallu trois semaines pour que... Pour que cela se reproduise. Un malade avait été opéré. Il avait 40 de fièvre et je dis au chirurgien : « Il y a un problème et il faut l'hospitaliser ». Et il me dit qu'il n'en est pas question. Je lui ai interdit d'opérer parce que sa femme était morte dans la nuit ! Le malade a été dirigé vers l'Hôtel-Dieu et on a évité une mort supplémentaire. J'étais passé à minuit à l'Hôtel-Dieu et le malade n'avait pas encore été opéré parce qu'on faisait des pressions sur le chirurgien pour qu'on opère pas le malade. Alors, j'ai fait des contre-pressions en disant au chef de clinique que si on n'opérait pas ce malade il mourrait et il en porterait la responsabilité. Derrière j'ai fait un rapport à Mme Ezratty en lui disant les choses et qu'il fallait qu'elle mette en route une mission de l'IGAS pour prendre des mesures et si c'était nécessaire de suspendre le chirurgien et l'anesthésiste. Ce milieu fonctionnait depuis des années en autarcie avec le ministère de la Justice. En clair, c'est par copinage qu'on a nommé ce chirurgien et je crois qu'il n'avait pas les compétences. C'était un milieu trop difficile pour lui. Ça n'était pas lui rendre service. J'ai été très attentif par la suite aux conditions de recrutement des gens qui venaient travailler en milieu pénitentiaire. Je suis très prudent par rapport aux gens qui ont une vocation à travailler en milieu pénitentiaire. Je pense qu'il faut être prudent en essayant de savoir un peu quelle est l'appétence des gens pour travailler en milieu pénitentiaire. Le rapport de l'IGAS c'est mai juin et les décisions ont été prises seulement au mois d'octobre. Il a fallu attendre trois à quatre mois. Et pendant toute cette période là, il ne fallait pas qu'il y ai de problèmes et donc les malades étaient dirigés. Donc il y avait le rapport sur la chirurgie qui était confidentiel et le rapport sur l'hôpital de façon très générale, qui lui était diffusé à grande échelle. Ce chirurgien était quelqu'un de diplômé mais c'était surtout quelqu'un doté d'un grand orgueil ce qui fait que lorsqu'il se trompait on ne pouvait pas le lui dire ! Il était à quelques années de la retraite et j'avais pensé qu'il fallait trouver un moyen de préserver sa dignité. Il fallait trouver une porte de sortie quoi ! [...] Je suis parti au bout de presque dix ans. Pourquoi ? Parce je pense que c'est important de partir ! Je crois c'est un milieu dont il faut savoir partir. Je crois que c'est bien de bouger. Déjà les médecins ne bougent pas assez. Et le milieu carcéral étant tellement dur, c'est bien de bouger.

E.F : Et quand on vous a proposé ce poste, qu'elles auraient été pour vous les autres possibilités ?

P.E : Ben moi je voulais m'installer en cabinet libéral. Je ne voulais pas simplement être interniste parce que pour gagner sa vie c'était un peu dur. Et je le faisais en tant que gastroentérologue et j'avais déjà vu les endroits où il serait possible de m'installer. C'était dans le champ de mes réflexions. Donc en septembre 1982 j'avais commencé à regarder à Boulogne, je voulais faire une année de plus en clinique pour avoir le titre d'ancien chef de clinique et puis je m'installais à Boulogne.

E.F : Et vous n'avez pas regretter le fait de quitter l'Assistance publique ?

P.E : C'est difficile d'avoir des postes de titulaire à l'APHP quand même ! Déjà pour l'internat on était trois milles à passer le concours et trois cents à réussir. Après quand on est interne, pour devenir chef de clinique c'est un rapport de un à dix. Donc vous savez ça ne laisse pas beaucoup de marges. Déjà j'avais eu la chance d'être interne puis chef de clinique donc continuer en secteur hospitalier c'était exclu. Parce qu'entre chef de clinique et praticien hospitalier, y a toujours un rapport de un à dix ! Donc c'était exclu ! Et puis là, poum ! Tant mieux ! Voilà ! Je crois que je suis content car aujourd'hui si j'étais en cabinet libéral ma vie serait plus compliquée...

E.F : Et par contre vous étiez sous la tutelle de l'Administration pénitentiaire ?

P.E : Ça ne me gênait pas parce que l'Administration pénitentiaire a toujours été... Quand j'étais à Bicêtre ou à l'Hôtel-Dieu j'étais déjà en contact avec l'administration [hospitalière] qui pouvait choisir de me donner mes outils pour travailler ou ne pas me les donner. Mais d'une certaine façon il n'y avait pas d'interférence entre l'administration et ma pratique de soin. Je ne me suis jamais senti sous la houlette d'une autorité administrative quelle qu'elle soit. J'ai eu durant ces années des conversations avec Louis René qui était le président de l'Ordre des médecins. Il était très attentif à tout ce qui se déroulait dans le monde pénitentiaire et quand à un certain moment il y a eu des pressions assez fortes, j'ai pris ses conseils. Et nous nous étions mis d'accord pour que j'intervienne d'une façon particulière pour garder toujours mon indépendance et mon autonomie. Ce qui fait que dans mes décisions médicales je me suis toujours senti indépendant. C'était mon ex-patron, le professeur Etienne, qui m'avait envoyé vers lui. Il venait de prendre la présidence de l'Ordre des médecins et quand les affaires de Fresnes se sont finies, je me suis trouvée à trente-quatre ans titularisé dans la fonction de chef de service et de coordinateur et dans la position quasi-officielle de médecin conseil auprès de la Chancellerie pour les établissements pénitentiaires de la France entière. A trente-quatre ans se retrouver là, c'est à la fois passionnant et compliqué. Et c'est pour ça que j'avais besoin de conseils. Je me rappelle d'un patient qui était dialysé et qui faisait la grève de la dialyse pour que son procès soit révisé. Cet homme était à la Pitié et il est mort quelque temps après. J'ai été confronté à cela alors que je n'étais pas du tout compétent en matière d'insuffisance chronique. A partir de ça on a monté une unité de dialyse à l'Hôpital de Fresnes. Je me souviens d'un garçon qui arrive à l'hôpital et qui était tout étonné qu'on ait le matériel. Il voulait être libéré. C'était un petit délinquant mais il avait l'impunité de sa dialyse. Ça a été infernal. Il y a des jours où il refusait sa dialyse. Il était hyper manipulateur. Alors ça pose la question de savoir si on doit laisser quelqu'un en insuffisance rénale en détention ? Il y avait sans cesse des questions sur l'organisation de la santé en prison. Et moi à l'époque, j'ai dû apprendre un métier, celui de médecin de prison. Alors je me suis rendu pour travailler au quartier des prisons de Fresnes. Pace qu'il n'y avait personne au quartier des prisons de Fresnes. A l'époque, en 84, je suis un peu plus baigné dans le fonctionnement de l'hôpital de Fresnes. En septembre pendant trois jours je m'enferme dans mon bureau et je rédige un rapport pour dire que tant qu'on envisage pas un statut à cette structure ça n'irait pas. Il y avait un nombre d'amalgames entre l'administration hospitalière qui est identique à l'Administration pénitentiaire. Entre trois ou quatre statuts d'infirmières très différents, des médecins pour la plupart à temps très partiel. J'ai par exemple réussi à faire arrêter de travailler un urologue qui était fou. Un beau matin il vient me voir. Il était dans une déchéance physique majeur. Totalement alcoolisé. Un jour un malade arrive pour une épidémie. Je lui donne des antibiotiques et l'urologue évoque une ablation des testicules. Le détenu me dit : « Moi je suis arménien, l'urologue il est arménien et donc je lui fais confiance ». Je ne suis pas arménien. Je suis allé expliquer cela à mon interne. Et il me dit : « Ben j'ai votre solution ! Je suis arménien » [rires]. Il est allé voir le malade qui n'a pas été opéré. On a réussi quelque temps après à mettre cet urologue en arrêt maladie. Donc il s'agissait de voir ce qu'on pouvait changer. Mais moi je me disais que je ne pouvais pas travailler à l'hôpital sans voir ce qu'il se passait en prison. Donc je suis allé au Grand quartier où il n'y avait personne. Il y avait deux médecins qui étaient employés à mi-temps. Il y en a un qui était chef de service en même temps à l'hôpital de Montfermeil. Comment pouvait il en même temps être médecin à Fresnes et chef de service à Montfermeil ? Ben c'est simple il arrivait le vendredi à 10h30 et il repartait à 11h30 et le reste du temps il était pas là. Le second médecin, il était davantage là mais il était incompétent. Aller là bas, ça me permettait de voir comment ça se passait et de voir notamment qu'on opérait des détenus qui étaient soignés par une médecine totalement abracadabrante. Les courriers des détenus étaient reçus par un détenu qu'on appelait un classé. Et j'ai écrit un rapport sur les prisons de Fresnes. Voyant que ça ne se passait pas bien, la Chancellerie a licencié un des deux médecins et il s'est avéré que ces médecins ont porté plainte et ont gagné car la Chancellerie n'avait pas respecté le déroulement du licenciement. Ils ont été réaffecté avec deux ans de salaire ! Alors y avait des détenus qui avaient accès aux dossiers médicaux. Ils faisaient également la réception des courriers des détenus voulant voir un médecin. Des surveillants étaient bombardés du jour au lendemain infirmier surveillant. C'était totalement illégal pour eux de faire des injections ou de distribuer des médicaments. C'était une multiplicité de dysfonctionnements. Il y avait par exemple la question des médicaments sur lesquels il y a eu un rapport qui a été fait en 1984 mais qui n'a pas été diffusé à l'époque. Il était vraiment explosif parce qu'il montrait bien que dans certaines prisons il y avait des surveillants qui avaient le contrôle de la pharmacie. Dans les petits établissements notamment vous aviez le directeur et les surveillants qui avaient la clef de la pharmacie donc l'administration de médicaments psychotropes étaient entre leurs mains [...] Le problème c'est que le directeur de l'Hôpital de Fresnes a à la fois une casquette de directeur d'hôpital et de directeur de prison. Par exemple une fois j'ai gueulé en 84 parce qu'on avait depuis plusieurs semaines un détenu terroriste qui n'avait rien à faire à l'Hôpital et alors qu'on manquait de lits. Je l'ai dit au directeur qui m'a répondu : « Non, moi, je veux le garder ici parce que la Chancellerie m'a dit qu'il devait rester ».  Parce que c'était cet établissement qui pouvait donner le meilleur confort possible pour cet homme! On préfère le garder. Donc vous voyez cette interférence entre la Pénitentiaire et le médical ! Parce que la Pénitentiaire n'aime pas les médias. En 85, j'avais été sollicité par le CTS de Versailles sur les dons du sang et puis j'avais fait des stages sur le sida. Et puis j'avais pas mal de patients qui avaient des ganglions donc j'avais l'oreille attirée. Je commençais à flairer le truc. Et depuis octobre 1984, je pensais faire des études et je me disais qu'on manquait de personnel. J'avais deux étudiants prêts à faire une thèse mais j'hésitais car on manquait de personnel. Tous mes freins ont sauté au mois de mars quand j'ai appris qu'un des infirmiers du Grand quartier était tombé malade et qu'il ne restait plus qu'un seul infirmier. Moi j'ai fonctionné très scientifique et pas du tout vers les médias parce que j'aurai pu faire la « une » des médias. C'est pour ça quand les choses ont explosé en 85 dans les médias... Moi j'ai la conviction intime que le transfert de la médecine pénitentiaire, l'une des raisons, l'une des raisons c'est l'épidémie de VIH. Les politiques ont pris cette décision je crois suite aux révélations des contaminations en prison. Je crois que Kouchner a pris cette décision quand on s'est rendu compte que on a pu aller à un tel niveau d'effets pervers liés à l'enfermement. La privation de liberté, ça n'est pas la privation de toutes les libertés. Je crois que c'est dangereux de laisser des milieux exclus. C'est dangereux pour l'ensemble de la société. Ma vision en tant que médecin est de dire qu'on créé une situation de dangerosité pour le monde extérieur. Mais le sida n'était qu'un des aspects de la boîte à Pandore de la prison. Dans les années 84 j'ai été confronté au problème de la grève de la faim. Moi ça m'interpellait vivement les grèves de la faim. L'une de mes premières grèves de la faim médiatique ça a été les basques. Très compliquée à gérer car il y avait la dangerosité. On avait huit basques. Comme j'étais au service des soins intensifs, je voyais les plus atteints. Avec les basques on était confronté au fait qu'ils faisaient la grève de la faim et la grève de la soif. Alors huit jours. Onze jours. Seize jours [adopte un ton de plus en plus grave et dubitatif] Au mois de juin ! Il fait chaud [rires] Moi j'étais dans une position très particulière. J'avais mis une stratégie très particulière qui était qu'aucun médecin ne puisse être pris comme cible. Parce qu'on avait une famille. Par exemple pour Action directe je ne voulais pas qu'on puisse comprendre que j'étais le pilote médical de la grève de la faim d'Action directe. Et sur les basques ça a été mon premier contact médiatique. Ou plutôt ma première alerte médiatique. Alors à un moment j'ai pu solutionner le problème de la grève en perfusionant un détenu contre sa volonté mais avec son accord. On a allongé son bras, l'infirmière a tenu son bras. Et dans cette grève de la soif, à un moment vient de la BBC une info disait qu'un des médecins avait déclaré que c'était pas vrai que les détenus faisaient la grève de la soif. Et moi quand je suis retourné voir les grévistes ils m'ont dit que j'étais un salaud parce que j'avais parlé à la BBC. Et là je me suis rendu compte que si je prenais la parole médiatique c'était risqué. Mais moi j'avais rien fait. C'était un des internes du service de médecine qui avait répondu à la BBC. Je me suis rendu compte de... Auparavant je n'avais pas de relations médiatiques.

E.F : Et il y avait eu l'intervention du Dr Benezech justement...

P.E : Petit un, il s'est fait plaisir en parlant. Petit deux, il est psychiatre. Petit trois, il y avait plein d'autres gens qui été aptes à en parler. Juin 85. Moi j'avais fait des études en février, mars, avril. Il y avait à ce moment une tension extrêmement forte liée à la surpopulation. Il y avait des éléments de panique forts [...] En 84 on m'avait demandé d'aller faire une mission aux Baumettes et ce qu'on avait vu était dantesque car c'était vétuste. On était là bas pour regarder le bloc opératoire. Y avait la salle de garde, le couloir et le bloc opératoire. C'était complètement fou. On avait été très bien accueilli. C'était pas du tout dans une atmosphère de suspicion. Je pense qu'ils n'étaient pas contents peut être qu'un médecin de l'hôpital de Fresnes vienne voir comment ils travaillaient.

SECOND ENTRETIEN

E.F : Au cours de l'entretien vous m'expliquiez que ça ne vous gênait pas d'être médecin de l'Administration pénitentiaire ?

P.E : Ça vous étonne ? Y a peut être quelque chose qui est lié à mon histoire. Je suis né en Algérie, je suis parti à Toulouse. J'ai quitté Toulouse au bout de six mois. J'ai quitté Perpignan au bout de trois ans. J'ai quitté Thiet. J'ai quitté Orly et j'habite Boulogne. Vous voyez le fait de bouger est quelque chose d'un peu historique dans mon parcours. C'est la même chose dans mon cursus médical. J'ai fait de la médecine interne et de la gastroentérologie et donc je suis passé dans diverses spécialités, la neurologie, la réanimation, l'ORL, la cardiologie, l'hématologie... J'ai fait aussi beaucoup de remplacements en France. J'ai pris le costume du généraliste à Paris, dans le 17ème, en banlieue parisienne, en Normandie. J'ai eu une vie très diversifiée. J'ai plutôt le goût du changement. Mais simplement pour le désir d'avoir une variété d'exercice. Donc l'idée du milieu pénitentiaire c'était une ouverture quelque part. Une ouverture dans un monde fermé. Alors le problème c'est que le fait d'aller travailler en prison nous a coupé d'un certain nombre d'amis. C'est-à-dire qu'à titre personnel, il y a des gens qu'on a plus revus à partir du moment que j'ai commencé à travailler en prison. D'une certaine manière nous avons vécu par cette mutation professionnelle, une fermeture, un rejet d'un certain nombre de gens, parfois des proches, qui n'ont pas bien vécu cette mutation. C'était très explicitement par rapport à ça. On avait des amis de la famille et notamment les parrains, marraines de nos enfants qui ont disparu de la scène. Ils étaient avocats pour tout dire donc c'est peut être une explication. Mais il y a aussi des amis médecins qu'on a plus revus donc on voit bien que la prison est quelque chose de particulier. Ça c'est fait sans que j'en parle beaucoup. Mais ces coupures se sont faites à partir du fait que j'aille travailler à Fresnes. Moi, la position sur l'hôpital de Fresnes m'a permis de nouer un réseau relationnel très important. D'une part j'ai conservé des liens avec un certain nombre de gens que je connaissais bien en cardiologie, gastro. Et puis comme on envoyait de l'Hôpital de Fresnes des gens dans divers services spécialisés ça m'a permis de nouer des liens. J'ai plutôt développé un réseau. Et puis on avait des malades intéressants qui étaient bien sélectionnés donc en principe les services étaient assez preneurs. Quand j'ai quitté Fresnes j'avais développé un réseau relationnel à Cochin, à Bichat, à la Pitié, à Boussicout, à Broussais, à Bicêtre. Des liens professionnels assez forts. J'ai pu recruter comme ça certains médecins qui sont venus travailler par ces réseaux. Mais le but c'était plus d'avoir un contact avec son collègue afin que le transfert se fasse sans difficultés. Ça facilitait toute l'hospitalisation. Quand la compétence est là et qu'elle est reconnue toute le monde l'accepte. Y a pas de notion de médecin pénitentiaire. Pendant plusieurs années j'étais le seul médecin temps plein. J'ai écrit quelques phrases [sort un cahier ou une feuille]. 83-86, si j'avais à mettre un mot ou une phrase, pour moi je dirais hôpital prison ou prison hôpital. J'accroche à cette période là, ce questionnement là. Quand on pose cette question il faut intégrer que l'Hôpital de Fresnes n'est pas déconnecté des autres prisons et du reste de la médecine pénitentiaire. Alors après y a eu une deuxième période, 85-90, que j'ai appelé le sida ou l'irruption du dehors. Car je crois que le sida a joué ce rôle de révélateur qui a soulève tout un ensemble de problèmes. Le sida a joué ce rôle au point à tel point qu'on a soulevé toutes les questions.

E.F : Et cette période de 83 à 86 correspond à quelque chose de précis ?

P.E : Oui ça correspond à la loi qui a permis l'érection de l'Hôpital de Fresnes en établissement hospitalier. A un moment, je me suis enfermé dans mon bureau pour faire un rapport. Ce rapport j'ai mis une semaine pour l'écrire. Ma vie quotidienne en tant que médecin était alors complètement invivable. Je me confrontais à toutes les difficultés institutionnelles de la prison hôpital. En un an j'ai compris à quel point c'était compliqué. Il fallait là vraiment un changement structurel. J'ai écrit ce rapport que j'ai envoyé au directeur de l'Administration pénitentiaire et au Garde des sceaux. Et je pense que ce fut un élément fort de cette loi. C'était une loi fourre tout de fin d'année. Et ma position c'était aussi d'être membre du comité Santé Justice, j'ai été aussi quasiment conseiller technique. Alors pas de façon officielle car je n'avais pas de bureau à la Chancellerie mais j'ai été sollicité pour tous les problèmes. Pour les problèmes individuels de patients. J'étais sollicité pour donner un avis sur un dossier et on me demandait de prendre un malade à l'Hôpital de Fresnes et j'étais sollicité sur tout un ensemble de problèmes structurels. Je vais vous donner deux trois exemples. La transsexualité. Y avait un patient transsexuel qui se faisait des automutilations sexuelles pour être opéré. J'ai pris en charge ce dossier, j'étais en liaison avec des patrons urologues, psychiatres, endocrinologues. J'ai été dans la négociation pour que ce patient puisse changer son état civil et se faire opérer. Quand il y a eu la grève des basques en 84, quand il y a eu Action directe j'ai été aussi au milieu du système. Quand l'Administration pénitentiaire a voulu créer un quartier pour transsexuels j'ai été à Auxerre pour étudier cette question. Lorsqu'il y a eu l'installation du quartier des nourrices de Fleury-Mérogis j'ai aussi été sollicité. Il a eu aussi la question des médicaments et de la dilution des médicaments. Ma base stratégique était l'Hôpital mais pendant toute cette période, j'avais un peu un rôle de conseiller auprès de l'Administration. Kergoyan a été recruté en tant que généraliste à la prison de Fresnes et j'ai pris alors plus de distance par rapport à la prison. Il y avait des circulaires qui prévoyaient que normalement pour des raisons économiques, pour ne pas avoir à payer l'admission dans les hôpitaux publics, toutes les admissions devaient se faire à l'Hôpital de Fresnes. Donc il y avait une procédure d'admission mais qui était très lourde. C'es à dire que le médecin devait rédiger une demande d'admission qu'il remettait à son directeur, qui était envoyée au bureau de l'individualisation à l'administration pénitentiaire, qui allait ensuite au directeur de l'Hôpital de Fresnes et qui mettait ensuite communiqué. Résultat des courses il fallait entre un et deux mois. Si c'était pas urgent c'est concevable. Mais un malade, s'il n'est pas traité au bout de quinze jours ça peut devenir urgent. Donc ce circuit des propositions d'admission, on a eu des réunions pour la transformer. Pendant cette période j'ai aussi été membre du Comité Santé Justice. Le comité a été monté en 84 et j'ai été désigné pour y participer et ce comité se réunissait à une fréquence assez élevée pendant tout le temps de Mme Ezratty puis d'une manière plus lâche. Dans ce comité, pendant toute cette période, je crois que ça a commencé à être plus effiloché à partir de 1986. Parce que c'est la cohabitation. Et ce ne fut pas sans conséquences. Mme Ezratty est quelqu'un qui avait été au côté de Simone Veil et qui connaissait très bien la santé. Il est clair qu'elle avait une culture de santé. Pendant toute cette période de 83 à 87, il y a vraiment eu une ouverture sur les problèmes sanitaires. Tout a été mis sur la table. Les problèmes de pharmacie, de SMPR. Tous les grands thèmes ont été discutés et débattus avec des représentant de la Chancellerie, de l'Administration pénitentiaire, du Ministère de la Santé, avec Yvette, moi-même et un médecin inspecteur de Fleury-Mérogis. Et au cours de ces réunions des décisions étaient prises sous la forme de circulaires. Donc ma position de conseiller technique, elle était à la fois parce que j'étais temps plein et très souvent on me téléphonait pour me demander un avis sur un patient, pour toute demande d'admission, pour tous les aspects organisationnels. J'ai été dans un certain nombre d'établissements pénitentiaires comme à Clairvaux ou aux Baumettes. J'étais vraiment persuadé qu'il ne fallait pas être déconnecté du milieu pénitentiaire parce que les patients venaient de là. De la même manière quand on travaille à la campagne mieux vaut connaître la culture du paysan. Et le Comité santé justice c'était un élément fort pur mieux connaître cette culture.

E.F : Il y avait d'autres médecins pénitentiaires à part vous qui intervenaient dans ce comité ?

P.E : Il y avait Yvette une infirmière mais de mémoire je n'ai pas l'impression. C'était plutôt des administratifs. Médecin départemental, directeur de tel service. Les seuls gens de terrain c'était Yvette, moi, et un psychiatre. Peut être celui de Lyon.

E.F : Comment se déroulaient ces réunions ?

P.E : Ben écoutez les premières réunions se sont déroulées dans le salon du Grade des sceaux. Chez Badinter. Donc c'était plutôt [rires] Les premières réunions Badinter était là. Ensuite ça s'est déroulé à l'Administration pénitentiaire. C'était des réunions très libres car il y avait un ordre du jour mais la parole était très libre. C'étaient des réunions qui étaient à dominante sanitaire. Toujours dans l'esprit : « Comment peut on améliorer la prise en charge sanitaire des détenus ? ». Même si on n'oubliait pas la prison. On n'oubliait pas le fait que c'était des détenus et qu'il fallait considérer l'aspect sécuritaire mais le primo novens c'était quand même les soins. Il y avait dans ce comité des partenaires comme la Croix Rouge donc dans la négociation si on avait besoin de plus d'infirmières on pouvait en discuter. En prison, il y avait plusieurs types d'infirmières. La Croix Rouge, c'était une soupape de sécurité. C'est à dire que c'est compliqué de créer un poste dans l'Administration pénitentiaire. En revanche c'est plus facile de rembourser ses dettes. Donc au niveau infirmier y avait une ouverture possible. Au niveau médical c'était très compliqué car comment recruter des généralistes en les payant 67 francs de l'heure. Y avait là un problème statutaire impossible à régler. Et l'Administration pénitentiaire se réfugiait derrière des contraintes budgétaires. Au niveau de l'Hôpital de Fresnes on avait réussi à obtenir six postes de médecin temps plein qui ont été transférés en douze postes mi-temps. On en a donné un aux Baumettes et un au Quartier des prisons de Fresnes. Ça ne servait à rien de tout mettre dans l'Hôpital de Fresnes et ne rien mettre à côté. Ne serait ce que par ce que les malades sortant de l'Hôpital de Fresnes allaient passer un deux trois mois à la prison de Fresnes.

E.F : Justement pour ces recrutements, quels étaient les critères importants ?

P.E : Pour moi c'étaient des critères de compétence. Savoir faire et personnalité aussi. Quand quelqu'un veut venir travailler en prison pour faire des bonnes actions, moi je suis méfiant. Donc c'était plutôt le savoir faire médical. Je dirai que mon profil de poste c'est qu'il n'est pas question de prendre un médecin très compétent mais très caractériel. Il faut avoir je pense un savoir faire relationnel. Je ne suis pas sûr que tous les recrutements que j'ai faits aient été bons. Avec le recul, je me suis rendu compte des erreurs que j'ai pu faire. J'avais été très content car en 84 j'avais pu obtenir que des postes d'internes soient mis au choix de la région. C'est à dire qu'on puisse recruter. Ce qui donnait quand même quelque part un mouvement neuf. Un peu quelque chose de neuf. J'avais été en tant que médecin chef confronté à une grève d'internes qui protestaient par rapport à leurs horaires de travail. C'est vrai qu'ils étaient assez mal payés mais j'avais agi pour qu'on ait un organigramme, un planning. On a toujours vécu dans « les internes sont des internes pour l'Hôpital et la prison ». On a pendant longtemps vécu dans cette ambiguïté. Et le statut des praticiens hospitaliers qui était à mi temps favorisait le fait que certains médecins ne viennent qu'en fin de journée. En 83, 84, 85 y a un statut des médecins atypique, les vacataires ne sont pas payés chers mais si on ne vient qu'une fois par semaine ça fait quand même déjà beaucoup. Y avait une stomatologue qui devait faire très bien son travail mais elle était mi temps stomato sur Fresnes et elle habitait Nice. Et donc elle venait une fois par semaine en étant à mi temps. Avec une bénédiction de l'Administration pénitentiaire historique. Alors je me suis mêlé de ces choses là en disant qu'on ne pouvait pas vouloir améliorer la qualité des soins et en même temps accepter cela ! En même temps, je travaillais pour qu'on ait des infirmières hospitalières et ça a marché puisqu'on a attiré à l'époque plein de jeunes infirmières de l'APHP. On a structuré aussi l'équipe au point de vue de la chirurgie. Structurer aussi l'organisation des soins parce que les soins intensifs ont ouvert après la grève de la faim des basques en 84. Des équipements ont été achetés. On a mis en place une salle de réveil. Ces trois années ont été de travail intense. On a eu le recrutement d'une dizaine de postes, un biologiste, un cardiologue, un radiologue... Pendant ce temps là on a participé à des réunions sur un vieux projet de construction d'un nouvel hôpital. Donc la période 83-86 ça a été la remise en ordre de l'Hôpital. On a organisé des consultations centralisées ce qui a conduit à expulser le cardiologue qui vivait dans un... Il s'était installé au second étage. Il était vraiment dans son royaume. On a remis les choses en place en disant que les consultations n'étaient pas sa propriété. Il était tellement propriétaire des lieux qu'il partait avec les clefs du cadenas du chariot de réanimation quand il rentrait chez lui [rires] C'était quelqu'un qui était là depuis quelques années et tout le monde l'avait laissé faire comme ça. Il était aussi médecin chef de la salle des femmes. Donc j'ai dis qu'il fallait qu'une personne soit responsable de chaque secteur. C'était une époque où nous n'avions pas les clefs. Donc les soins étaient sous contrôle de l'accès par les clefs. Avec à l'intérieur de ce système des poches où les gens s'étaient organisés selon leur propres critères. La congrégation religieuse gérait par exemple la cardio, la pneumo et une partie de la consultation et les soins des femmes en totalité. Avec sous leurs ordres des infirmières pénitentiaire ou assistance publique. Dans la salle PRL c'est là qu'aboutissaient les femmes avec une grossesse diagnostiquée. Alors vous imaginez... Les désirs d'interruption de grosse qui arrivent dans la salle PRL, qui est sous la direction de religieuses, qui doivent solliciter l'obstétricien pour faire une intervention. C'était dantesque ! Alors l'obstétricien disait : « Oui, c'est dépassé, le terme est dépassé mais enfin elles sont pas tellement pressées... Si elles avaient agi un peu plus vite ! » Alors on va faire une IVG illégale à l'Hôpital de Fresnes ? C'est pas possible ! Et les clefs, c'est un point très important. Parce que la nuit entre le médecin et le malade il y a comme intermédiaire un surveillant qui doit être appelé. S'il est déjà à l'autre bout de l'Hôpital, on l'attend. Même si le détenu est en arrêt cardiaque ! Moi j'avais obtenu des cellules spéciales où le personnel soignant de garde avait les clefs pour que dans chaque service on ait trois cellules où l'infirmier de nuit puisse intervenir sans le surveillant. C'était toute une période de réflexion sur comment organiser les soins en tenant compte des impératifs pénitentiaires. Il fallait tenir compte de toutes les règles de sécurité même si elles pouvaient sembler absurdes. Je me souviens d'un patient qui était tétraplégique qui était un grand proxénète. On a incarcéré un patient qui était une planche végétative. Il n'avait aucun mouvement des bras et des jambes. Il n'était pas du tout autonome dans sa vie quotidienne. Et il était incarcéré comme détenu particulièrement dangereux [passage sur le handicap] La question de l'insuline par exemple. Est-ce qu'on peut laisser un malade détenu faire son insuline. La réponse c'était non car il peut tenter de se suicider. Mais pour conserver son insuline, il fallait qu'il ait un réfrigérateur. Donc on revenait sur la question de la vie quotidienne en milieu pénitentiaire. Il n'était pas possible d'envisager que tous les diabétiques insulinodépendants soient hospitalisés à l'Hôpital de Fresnes.

E.F : Par rapport à ces contraintes pénitentiaires est ce que vous avez envisagé à un moment de démissionner ?

P.E :J'y ai pensé à la fin de l'année 84 quand j'ai écrit mon rapport car je me suis dit que je ne pouvais pas continuer. Moi la clinique c'était service des admissions, service des soins intensifs, la consultations de gastroentérologie, je recevais des patients de médecine. Mon bureau dans ma fonction de coordinateur. Plus le comité santé justice. Plus le téléphone qui sonnait. Des fois à peine je raccrochais pour aller voir un patient, le téléphone sonnait : « Allo, y a un gréviste de la faim.. ». Je raccroche et on me dit alors d'aller au service des admissions. Je m'étais alors dit que je ne pouvais pas continuer tout seul. J'ai eu un deuxième coup de blues fin 86. Le sida avait commencé à émerger. J'ai démissionné du Comité santé justice en disant que je n'avais pas obtenu les renforts de moyens. Là j'ai baissé le pied et ça s'est passé au moment où il y a eu la cohabitation. Et l'Hôpital de Fresnes est devenu établissement hospitalier public et on a mis en place une commission consultative à laquelle j'ai décidé de ne pas me présenter. Ce d'autant que je pense que je n'aurai pas été élu par mes collègues de l'Hôpital de Fresnes parce que j'avais trop bougé l'organisation intérieure et ça a dérangé les habitudes. Donc je me suis redéployé sur une activité de temps plein de médecin au service des soins intensifs. Donc je me suis concentré sur l'activité clinique d'autant plus que ça a été la période sida. Entre 86 et 88 j'ai quitté une fonction de médecin, du Comité santé justice, pour me recentrer sur les activités cliniques et sur la recherche. Le sida a commencé pour moi en 84, l'activité a commencé à croître à la fin de l'année 85 et en quatre ans je suis vraiment devenu spécialiste du sida. C'est une pathologie que j'ai découverte dans le sens où je ne suis pas infectiologue. Mais étant interniste, je me suis impliqué dan le sida parce que dans le service des admissions et des soins intensifs j'ai été confronté à la prise en charge des malades du sida. Et puis j'ai commencé à faire des études dès 85 sur la prévalence du VIH chez les toxicomanes puis le dépistage systématique des entrants. J'ai fait aussi deux contrats de recherche avec le DGS sur le risque de contamination et l'autre sur les seringues. Donc c'était la période recherche.

E.F : Vous demandiez l'accord de l'Administration pénitentiaire pour faire ces études?

P.E : Oui bien sûr. J'ai informé l'Administration que j'allais faire des recherches sur le sida. J'ai fait les travaux sur les dons du sang à la prison de Fresnes. Le CTS m'avait envoyé un ou deux courriers me sollicitant sur le sida post transfusionnel. Et je me suis dit qu'on était vraiment à risques avec la toxicomanie. J'ai fait ces études en mars-avril-mai, fin mai et fin juin j'ai fait les études sur les dons du sang. Et là on était parfaitement au clair sur les risques concernant les transfusion et j'ai donné toutes ces informations par courrier auprès du directeur de l'AP, de la Chancellerie et du CTS. Toute cela est parti par chauffeur. On était quand même dans l'ambiance où quelques mois plus tôt l'infirmerie de la prison de Fresnes avait brûlé. Il y avait une tension extrêmement forte et donc on regardait à deux fois non pas sur les mesures à prendre, il s'agissait d'arrêter les dons du sang, mais sur la façon dont on le faisait. L'Administration pénitentiaire était d'accord pour arrêter mais elle ne disait rien. C'est là où il y a eu un silence, ce silence je dirais. Toutes les consignes ont été données par téléphone. Dans une administration qui est d'habitude très militaire, Mme Ezratty craignait qu'il y ait des violences et paniques en prison donc on a dit on va contacter les prisons par téléphone pour arrêter les dons du sang. Le problème c'est qu'il n'y a pas eu véritablement de message fort passé par le ministère de la Santé vers les centres de transfusion. On avait prouvé que les collectes étaient dangereuses et économiquement non valides. Donc le message c'était « arrêt complet ». Et le CTS de Créteil me disait : « Pour nous c'est embêtant, on a besoin de sang et vous avez 250 donneurs et c'est important ! ». Et ça c'est des propos qui datent d'avril ou de juin et après ils se sont arrêtés. Je me souviens une fois que le Comité santé justice s'est réuni en septembre, on a tiré le bilan en disant que le message d'arrêt des collectes avait été passé vers l'ensemble des structures. Le problème c'est qu'il aurait fallu s'assurer de l'effectivité de cette circulaire orale. Mais le problème c'est que comme on passait d'un sujet à un autre on avait pas le temps de s'apercevoir quelle était l'effectivité de ce problème. On est passé à autre chose. En 86 la cohabitation s'est instaurée et j'ai été envoyé en temps que spécialiste du sida à l'OMS. J'avais organisé un colloque en 86 à la Pitié sur le sida en prison. Médecins du monde a fait à ce moment en septembre 86 un colloque sur le sida et ils m'ont demandé. J'ai écrit mon intervention une demi heure avant car je ne savais pas quoi raconter. Je suis revenu avec les recommandations de l'OMS et donc j'ai organisé mon intervention de la façon suivante : L'OMS dit, deux point une phrase. « En France on applique pas ça ! » L'OMS dit [ceci]. « En France on fait ça » ! [rires] Alors y avait Dinthillac qui faisait des bonds. Il était là pour représenter l'Administration pénitentiaire et il m'a dit : «  Mais c'est scandaleux ! ». Il est resté pendant longtemps au bureau de l'individualisation. Je suis rentré dans cette période dans le sida à plein pot. J'ai soigné environ 300 sidas et 1000 ou 2000 séropositifs. Donc ça a été une période clinique très forte. Quand le DAP a organisé en décembre 1987, un colloque organisé avec Solange Troisier qui m'a dit à cette occasion : « Vous m'avez volé le sida en prison ! ». J'avais pris une casquette technique de spécialiste du sida en prison. Le contenu de son rapport s'appuyant sur plein de choses écrites, elle était assez liée aussi avec Alain Pompidou qui était conseiller au ministère de la Santé. C'est un moment où il y a eu des liens forts avec les hôpitaux. Arrive la cohabitation. On est moins dans une réforme sanitaire des prisons. On est plus dans les prisons privées. Et à ce moment là le niveau d'action quant à une réforme du système sanitaire baisse, il est plus orienté vers une privatisation du système de santé. Le Comité santé justice baisse en réflexion. Et à ce moment là y a la division sida de la DHOS qui arrive. Dans la période d'émergence du sida, le principal interlocuteur c'était quand même la mission sida avec Gabriel Bez. Moi je me souviens de m'être battu pour une harmonisation des protocoles thérapeutiques dans les prisons. Ça veut dire qu'on s'est battu pour avoir le rétrovir et l'AZT et l'Administration pénitentiaire freinait des quatre fers. Et le coup de boutoir du sida a été de dire qu'il fallait créer des antennes CISIH dans les établissements pénitentiaires. Ce qui a fait qu'on a vu Gastaud à Marseille, Dellamonica à Nice, Armangaud à toulouse. J'avais ces correspondants là. On demandait dans les villes principales aux chefs de service de mettre des moyens à disposition en termes médical [...] Le problème est que quand vous êtes dans une organisation, soit vous adhérez à l'organisation soit vous en sortez. Si vous gueulez vous en sortez. Je me rappelle très bien d'un généraliste qui s'était mis en opposition justement contre l'organisation et au bout de trois mois il est parti. Il est parti parce que quand il arrivait il lui fallait une demi-heure pour rentrer mais il fallait sortir il lui fallait aussi une demi-heure. Vous avez le système entre le médecin et ses patients. Alors quand on vit en conflit avec le système vous ne pouvez pas tenir. Alors on peut manifester son indépendance avec autorité et calme ce que j'ai fait à l'Hôpital de Fresnes. Mais à l'Hôpital de Fresnes j'avais une position privilégiée parce que j'avais un bureau, j'avais un téléphone, j'avais une compétence reconnue... On pouvait pas m'emmerder si ce n'est le directeur. Un soir le directeur m'arrête à la porte alors que j'étais en train de partir et me dit : « Est ce que vous pouvez rentrer parce qu'un détenu va être libéré mais la Chancellerie ne peut pas signer et il ne sortira pas avant lundi. Donc est ce que vous pouvez me faire un certificat disant qu'il sera encore vivant lundi ? ». Je lui ai dit que je ne remplirai jamais son certificat ! C'était absurde ! Ils avaient la trouille car ils ne pouvaient pas avoir la signature du garde des sceaux avant lundi et ils voulaient se couvrir. [...] Et en 87 on a réussi à obtenir d'avoir un budget spécifique pour l'Hôpital de Fresnes. C'est à dire qu'on sortait du carcan d'être sous l'emprise financière du budget de la prison. Pendant des lustres le budget était géré par le directeur. Donc j'allais voir le directeur de la prison. Il gérait tout le budget. A un moment le directeur de la prison voulait prendre une partie de notre budget pour refaire deux miradors. On a gueulé ! Ils l'ont fait quand même. Mais ça a bougé. On a quand même refait la salle de réveil. Ça a changé les choses [évoque les fins de vie]

TROISIEME ENTRETIEN

P.E : À l'intérieur du système pénitentiaire, toutes les pathologies sont plus fréquentes qu'à l'extérieur de la prison. En tant que médecin, j'ai analyse ma fonction à l'intérieur du système en fonction du système. Donc les décisions que j'ai pu prendre en tant que médecin ou en tant que responsable du service, je les ai prises après avoir vraiment réfléchi au rôle du médecin dans l'institution pénitentiaire. Ce qui fait que je me retrouvais parfaitement en phase avec la pensée d'un médecin dans une prison quelle qu'elle soit. Pourquoi j'ai adopté cette attitude ? Parce que j'ai fait beaucoup de remplacements dans des petits villages, dans des villes moyennes, dans des banlieues. Ce qui fait que la manière dont on prend en charge la santé est fonction de l'endroit où l'on se trouve. On ne prend pas en charge un malade de la même façon que l'on se trouve à Bourg en Bresse ou à l'Hôtel Dieu de Paris. Et c'était quelque chose que je ne retrouvais pas forcément à l'hôpital de Fresnes où les médecins étaient là un peu dans une position de piédestal : « Je suis médecin hospitalier, je suis médecin hospitalier, quoi !». Ce qui fait que quand je suis arrivé en 1982, j'ai milité fortement pour que l'on passe au statut hospitalier. Et c'est vrai que ce statut hospitalier leur a presque donné des galons ce qui fait que leur pensée n'était pas toujours connectée avec les besoins. Il y avait quand même un fossé. Et le fait de leur avoir attribué un statut hospitalier ça les a conforté. De mon point de vue on ne pouvait pas travailler en prison sans se connecter aux besoins réels des différents établissements. En clair, si je renvoie un handicapé physique paraplégique dans une prison qui ne peut pas accepter de fauteuil roulant et qui n'est pas adapté... Il n'est pas concevable qu'on ne tienne pas compte de ça. Idem pour le diabétique ou l'infarctus du myocarde. Il faut bien prendre en compte les procédures administratives aussi. Il y a une circulaire sur la procédure d'admission à l'Hôpital de Fresnes. Il y a une circulaire qui dit la manière dont un malade peut être amené à Fresnes. C'est une circulaire très administrative qui voyageait dans les circuits administratifs avec les lenteurs administratives classiques. Ce qui fait que le malade pouvait très bien repartir de l'hôpital de Fresnes quand la procédure d'admission arrivait via le courrier. En fait il s'agissait d'une régularisation. Souvent elle arrivait en même temps que le patient. C'était une procédure complètement obsolète [...]

E.F : Alors moi ce qui m'intéresse c'est l'APSEP qui me semble être un moment important...

P.E : Alors l'APSEP, c'est une association. Et pourquoi est ce que j'ai créé cette association. L'idée était, j'étais en prison dans un poste officiel et quand on veut faire avancer une organisation on est confronté à des problèmes de moyens. Les moyens donnés sur l'hôpital de Fresnes étaient des moyens hospitaliers mais il y avait peu de moyens pour faire avancer la réflexion sur la santé en prison. Donc l'idée a été de réunir quelques médecins pour réfléchir et faire des propositions. Alors cette association a été le support qui a notamment permis de faire plusieurs études. Une première étude sur le dépistage du sida en prison, une autre étude sur la prévalence en milieu pénitentiaire qui avait été faite en envoyant une lettre à l'ensemble des médecins pénitentiaires de France qui a permis de sortit un premier chiffre de prévalence de séropositivité qui était de 6%. Donc pour moi cette association a été un support, c'est-à-dire un moyen pour sortir des données chiffrées, des propositions et des suggestions. J'avais obtenu deux contrats de recherche financés par la DGS. Un premier contrat sur l'échange des seringues pour savoir si la mise en vente libre de seringues avait changé quelque chose sur les toxicomanes, l'idée étant que ceux qu'on voit en prison sont les plus marginalisés. J'ai fait cette étude en 86-87 à la prison de Fresnes. J'ai fait une autre étude sur le risque de contamination en milieu carcéral. L'émergence du sida en prison pour moi en prison ça a été en 84. Pourquoi ? J'avais été à un staff chez mon ancien patron à Bicêtre où un interne avait présenté un cas de contamination VIH chez un toxicomane qui avait des ganglions et moi je me retrouvais à Fresnes avec plein de toxicomanes avec des ganglions ! Pendant six mois j'avais mis deux étudiants sur des thèses, la première a porté sur la séroprévalence chez les toxicomanes et la deuxième a porté sur la séroprévalence chez les entrants en prison. Ces deux thèses se sont déroulés en 1985 avec les moyens du bord, c'est-à-dire que les prélèvements sanguins étaient effectués par les infirmiers, M Gaudel et M. Marty. Tous les prélèvements ont été traités par le CNTS. Il y avait très peu de cas de sida car mon premier cas de sida proprement dit je l'ai trouvé au mois de mai juin 1985 chez un toxicomane américain. C'était un problème je me suis rendu compte qui concernait très peu l'Hôpital de Fresnes mais beaucoup les établissements pénitentiaires où il y avait beaucoup de séropositifs. J'ai alors commencé à effectuer des travaux sur la prison de Fresnes. C'est comme ça que j'ai créé cette association qui était pour moi un support me permettant d'avoir de l'argent qui me permettait de faire des travaux de recherche.

E.F : Parce que l'Administration pénitentiaire ne pouvait pas vous financer ces travaux ?

P.E : Non, c'était totalement impossible pour deux raisons. Déjà parce qu'il y avait très peu de moyens en personnels infirmier à la prison de Fresnes. On galérait... j me souviens par exemple qu'un hiver je faisais ma consultation et il faisait tellement froid que je m'étais débrouillé pour acheter un petit radiateur électrique pour la consultation. Parce qu'il faisait tellement froid que ça devenait gênant de dire « Déshabillez vous » au patient alors qu'il y avait un peu au dessus de zéro. Et lorsque je suis revenu la semaine suivante on m'a dit que l'administration avait retiré le radiateur. Pourquoi ? Alors, déjà parce qu'il y avait de la dioxine dans le transformateur de la prison et comme de plus les détenus trafiquent l'électricité on supprime tout e qui peut mettre une pression forte sur le circuit électrique de peur que ça fasse exploser le transformateur de la prison. Alors imaginez si je pouvais demander au directeur des crédits pour faire des recherches ! [rires] En plus, il n'y avait pas de secrétaire médical. Il y avait des surveillants avec des blouses blanches. Il y avait des détenus et moi je me suis demandé à un moment s'il fallait continuer à travailler dans ce système là. Je me suis dit que de toute façon si je n'y étais pas, il y aurait eu quelqu'un d'autre et que de toute façon même en gueulant, le système était tellement vérolé de l'intérieur. Engrangé dans des habitudes qu'on ne change pas comme ça. Le vrai problème était le changement de tutelle. La première fois que j'ai proposé dans un rapport la mise sous tutelle de l'Hôpital de Fresnes du ministère de la Santé, c'était à la fin des années 85. ça s'est passé par un rapport qui est monté tout là haut, là haut. Je pensais la même chose pour la prison de Fresnes mais c'était beaucoup plus compliqué parce que les détenus dans la prison ne sont pas des malades. Sauf, qu'ils sont dix fois plus malades que la population générale. Il n'y avait pas de levier suffisamment fort à ce moment là pour pouvoir enclencher un transfert de tutelle des infirmeries des prisons.

E.F : Cette question avait été évoquée au sein de l'APSP ?

P.E : ça avait été évoqué mais à ce moment là, on était encore à des années lumières. C'est-à-dire qu'on était essentiellement dans l'analyse de la situation. L'APSP a vraiment permis de dresser cette analyse. J'ai obtenu des crédits du ministère de la santé pour effectuer ces travaux de santé publique. Mon sentiment était qu'il fallait apporter une clarté sur cette question de la santé en prison pour pouvoir aller plus loin. La première étape a été de faire ces travaux pour pouvoir dire la réalité. Parce que c'est en disant la réalité qu'on pouvait aller plus loin. Donc 85 les premières études. 86, des crédits qui arrivent et j'ai pu recruter un médecin qui a réalisé une étude sur le dépistage du VIH en prison et on a pu analysé les risques de contamination en milieu carcéral. Nanti de toutes ces études, j'ai pu réaliser un colloque à la Pitié en février 86. Ce colloque a pu s'organiser parce que l'APSP existait. Il y a eu un financement de l'AP mais j'avais un secrétariat, j'avais un petit local en dehors de la prison où on avait pu mettre des médecins qui travaillaient. Le but était de présenter un tableau descriptif de la santé en prison. Donc deux rapports ont été fait. Un rapport sur les toxicomanes en prison, avec l'évolution depuis la vente libre de seringues, et un autre rapport sur la contamination en milieu carcéral. On avait monté un petit questionnaire qu'on avait mis dans une urne sur les comportements sexuels des détenus. Tout ceci a fait l'objet de communications lors du congrès mondial du sida à Montréal. Peut-être que le plus important c'est ce rapport qui a été fait à la suite de deux jours de travail en janvier 88. Cette note de synthèse décrivait les caractéristiques de l'organisation des soins en prison. Tous ces documents ont été diffusés auprès des établissements et auprès des ministères de la Justice et la Santé. Je dois dire qu'après les années Ezratty qui ont été des années d'analyse et de remise en forme de l'organisation sanitaire en prison. Le comité santé justice proposait des mesures correctrices. Le ministère de la Santé intervenait en tant qu'instance de contrôle mais jamais en termes de responsabilité. A chaque fois qu'on parlait de transfert de tutelle... ça levait les bras au ciel du côté du ministère de la Santé qui disait : « Mais comment, on ne va pas prendre en charge cette population où il y a a plein d'étrangers... ça va écouter tellement cher à la Sécurité sociale que cela est exclu ». ça c'était des débats qu'on entendait pendant les années Ezratty. Il y a eu des séances où la Sécurité sociale était invitée. Elle était soit absente physiquement, soit absente... présente virtuellement ! [Rires]

E.F : Mais il y a avait des gens plus ouverts si je puis dire au ministère de la Santé ?

P.E : Alors ce qu'il faut voir c'est qu'il y avait un certain nombre de choses qui étaient tellement dysfonctionnantes qu'elles ont été stoppées. C'est par exemple l'histoire des lunettes ou des dents. Les médicaments et l'accès des surveillants aux médicaments, c'était des déclarations d'intention. Malgré nos demandes, il est clair que ça continuait à se faire. Si je raisonne par rapport au directeur pénitentiaire. Zakine ne s'est pas tellement préoccupé des questions de santé dans les prisons mais il s'est préoccupé des problèmes médiatiques qu'il y avait à l'Hôpital de Fresnes avec certaines morts. Bon. Je me souviens très bien quand je suis retourné le voir pour lui demander un certain nombre de choses. Mme Ezratty s'est intéressé beaucoup plus au problème de la santé dans les prisons ce qui fait qu'elle a résolue un certain nombre de problèmes, notamment à travers le Comité santé justice. Sachant que le vecteur de ces décisions était un magistrat qui était quand même très pénitentiaire. Je pense qu'il obéissait aux ordres qu'il recevait mais il était avant tout d'obédience pénitentiaire ce qui fait que ça a eu un effet de frein sur les mesures que Mme Ezratty pouvait proposer. Ça a eu un effet de frein. Concrètement, comment voulez vous qu'un magistrat du ministère de la Justice écrive une lettre sur l'éducation pour la santé alors qu'il ne connaît rien à l'éducation pour la santé. C'est gentil mais... Et comment voulez vous qu'il écrive une procédure concernant l'admission des détenus à l'Hôpital de Fresnes qui soit en phase avec la réalité. Il fallait déjà lui apprendre la médecine avant de... Il a fini par avoir une teinture médicale mais... je vais faire une comparaison mais quand vous êtes à l'Hôpital de Fresnes et que vous avez un surveillant avec une blouse blanche et qui la veille était surveillant, quand vous avez un détenu qui a une blouse marron et qui est un classé et qui est au milieu des dossiers et qui peut tout manipuler... comment voulez que ça fonctionne convenablement ? De la même manière, au ministère de la Justice ce qu'on a fait c'est qu'on a mis un magistrat à qui on a mis une blouse blanche et qui devait ainsi le gestionnaire des problèmes de santé. Donc vous avez conscience qu'il n'avait pas véritablement une culture sanitaire, qu'il écrivait en consultant le ministère de la Santé mais on était quand même dans une attitude frénatrice. Il n'y avait pas vraiment toujours une prise en compte des aspects concrets. Mon sentiment est qu'il y a eu la cohabitation en 86 et il y a eu aussi la transformation de l'Hôpital de Fresnes en hôpital public. Je suis sorti du rôle de médecin directeur et le président de la CME a été élu. Je considérais qu'il fallait que les médecins soient indépendants et qu'ils aient un statut hospitalier, ne serait ce que pour ne pas avoir de pressions administratives dans la prise en charge des patients. Et comme j'avais cette indépendance, on n'a pas pu me virer. Parce que cohabitation, on aurait pu dire : « Espinoza, viré ». Je suis resté chef de service et je suis rentré dans les études sur le sida [...] Après le départ d'Ezratty les choses ont été plus évanescentes. Son successeur était fade sur la question de la santé en prison. Donc celui qui portait cette question là c'était Dinthillac. Je suis parti au congrès de l'OMS en novembre 87 à Genève sur proposition de Jean-Pierre Dinthillac. Bonnelle n'était pas investi. Je me souviens avoir aussi rencontré le fils Pompidou qui était conseiller technique au ministère de la Santé et qui m'avait demandé s'il ne fallait pas mettre de l'eau de Javel pour que les détenus trempent leur sexe dans l'eau de Javel [Rires] J'avais trouvé cela grotesque ! Il ne connaissait rien et il était conseiller technique. Il y a eu aussi un rapport de Solange Troisier qui s'est retrouvée investie de cette mission sur le sida. Il ya eu un colloque à Fleury où elle a présenté les conclusions de son rapport. J'y étais, je l'avais rencontré et elle m'avait dit que je lui avais volé le sida. Elle avait mal vécu d'être éjecté de cette fonction de médecin inspecteur. C'est aussi la période où ont émergé les premiers traitements. C'est aussi la période où s'est posée la question de l'application de ces traitements en milieu carcéral. L'Hôpital de Fresnes n'est que la partie immergée de l'iceberg. Quand on parle de 6% de séropositifs en prison, c'était fait avec les moyens du bord. C'étaient pas des moyens officiels du ministère de la Justice, ni du ministère de la Santé. C'étaient des contrats de recherche qui me permettaient de faire quelques recherches épidémiologiques. Mais c'était pas une commande officielle du ministère de la Santé. J'avais contacté les gens de l'INSERM d'ailleurs en leur disant : « Vous deviez venir travailler avec nous parce qu'il y a de vrais problèmes sanitaires en milieu carcéral ». Mais c'était pas du tout dans l'esprit des gens du ministère de venir travailler en prison à l'époque. Les seules études INSERM menées en prison concernaient la toxicomanie. Pour moi cette période était une période de démonstration et d'analyse afin de démontrer à la fois le poids sanitaire qui incombait au ministère de la Justice et l'énormité de ces questions, avec l'idée un peu paradoxale... D'une part, est-ce que les détenus ont accès aux soins ? J'avais mis un étudiant en thèse, le Dr Lamour, un médecin du COMED, un service qui s'occupe des migrants en situation irrégulière à Bicêtre, et Veisse. Ils ont été tous les deux internes résidents. C'est ça qui était intéressant. Le fait d'avoir mis l'hôpital de Fresnes dans le système public fait que nous avons reçu des internes. Ce n'était pas des gens qui venaient travailler en prison mais c'étaient des gens qui voulaient choisir un stage et comme il y avait la possibilité de venir à l'Hôpital de Fresnes, on venait en prison comme on aurait pu aller dans n'importe quel autre hôpital. Et ce sont des gens qui ont fait leur thèse à l'Hôpital de Fresnes. Et l'irruption dans la prison de ces gens extérieurs est quelque chose de très important dans la période 86-90. Parce que ça a apporté du sang neuf, ça a permis de décloisonner l'hôpital, ça a bousculé l'administration parce que les gens choisissaient le jeudi et ils venaient travailler le lundi alors qu'avant il fallait au moins un ou deux mois pour recruter quelqu'un. Donc ça bousculait les procédures administratives. Lamour avait compté le nombre de consultations par détenu et il s'était rendu compte qu'il y avait un nombre de consultations très importante. Ce qui signifiait que les gens qui ne consultaient pas de médecin à l'extérieur allaient prendre en charge leur maladie une fois arrivés en prison. Il y avait un accès au soin quelque part. Même si les soins étaient moins bons qu'à l'extérieur, certains avaient recours au système médical en prison alors qu'ils ne le faisaient pas à l'intérieur. Alors après il y avait un système pervers. C'était des détenus classés en blouse marron qui organisaient la consultation du médecin. Donc c'est le détenu classé qui a le pouvoir de mettre cette demande là dans une consultation ou alors de déchirer la lettre et de la mettre à la poubelle.

E.F : Je suis surpris parce que je pensais que c'était les infirmières qui faisaient ce tri ?

P.E : Pas du tout. A un moment on s'est retrouvé avec trois infirmiers. Il y avait deux infirmiers. Un surveillant qui avait passé don diplôme d'Etat et une infirmière pénitentiaire qui est tombée malade. Il y avait un autre infirmier pénitentiaire qui s'est cassé la patte. Il ne restait donc plus que cet infirmier et moi. On s'est retrouvé tous seuls. Dans la vie de la prison, l'accès au soin était un accès filtré par des détenus en blouse blanche. C'était la réalité classique des années quatre-vingt [...] Tout cela se passait sous contrôle du directeur qui regardait par exemple qui était mis classé. Parce que dans le passé il y avait eu des histoires. Il y avait un détenu qui avait posé une demande de grâce médicale en utilisant la copie d'un dossier médical d'un autre patient. De plus on interdisait au médecin, quand un détenu était extrait pour l'Hôpital, de donner le jour et l'heure. Sauf que c'était écrit dans les dossiers médicaux qui étaient dans les mains des détenus ! C'était aberrant ! Après j'avais obtenu en 85 qu'il y ait des postes d'infirmiers dans le cadre d'une convention avec l'assistance publique. Il y a eu aussi plus d'infirmières Croix-Rouge.

E.F : Et comme médecins il y avait qui au Grand quartier ?

P.E : Quand je suis arrivé, il y avait deux médecins qui étaient Schmidt et Hindermayer qui ont été virés tous les deux pour défaut de présence. Effectivement ils étaient temps plein. Hindermayer venait deux matinées par semaine, en arrivant à 10h30 et en partant à 11h30 et on peut le comprendre parce qu'il était médecin chef de service à Montreuil. L'administration pénitentiaire n'avait pas respecté la loi. Donc deux ans après ils ont été réintégrés en recevant un rappel de solde et quand ils sont arrivés ils ont démissionné [rires]. Ils sont partis avec leur pactole. L'un est parti mais l'autre est resté parce qu'il était tellement mauvais. Et pendant toute cette période il n'y avait personne. Jean Kergoyan est devenu médecin-chef et Jacqueline Tuffelli est arrivée peu de temps après. Quand Jacqueline Tuffelli est arrivée on avait déjà un peu émergé. On avait déjà une ou deux infirmières dans chaque infirmerie. On avait aussi des locaux un petit peu mieux aménagés. Il y a quand même eu des petites choses qui avaient été faites. On était quand même plus dans le marasme de 82-84 [...] ça a évolué avec l'arrivée de médecins vacataires CISIH. Il y a eu des choses qui ont été faites au sujet des détenus handicapés physiques. Des aménagements ont été réalisés. Ce qui ne bougeait pas c'était le séjour des détenus sortants au Grand quartier des prisons de Fresnes. Le plus important ça a été les détenus handicapés physiques et la prise en charge du sida. Peut-être aussi la pharmacie et le laboratoire. Parce qu'à l'érection de l'hôpital public, non seulement il y a eu un nouveau statut mais il y a eu aussi des postes. C'est-à-dire que sept postes temps plein ont été enfin créés. Ce qui témoignait d'une volonté de renforcement de l'hôpital. J'ai milité alors pour que ces postes soient transformés en postes mi-temps, sachant que pendant des années j'ai été médecin temps plein mais j'étais coordinateur. La question qui se posait c'est est ce qu'on peut être médecin temps plein derrière les barreaux ? [...] Blacraquin n'était pas un mauvais médecin mais je pense qu'il avait beaucoup trop de trucs au dessus de sa tête. Il ne m'a pas donné le sentiment d'être un mauvais médecin mais il était très féru de son autorité. Ce qui fait que les relations entre Balcraquin et paraison n'ont pas toujours été très bonnes. C'est-à-dire qu'à partir d'un certain moment, il pouvait y avoir des détenus qui faisaient balle de ping-pong entre Fleury-Mérogis et l'Hôpital de Fresnes. Ça veut dire que parce que le docteur machin n'aime pas le dicteur truc il va renvoyer le patient.

E.F : Et donc selon vous c'est pour cela que l'Administration a voulu se débarrasser de lui ?

P.E : L'administration devait sûrement avoir sur lui aussi des dossiers un petit peu... En 85, quand j'ai fait stopper les dons du sang à l'Hôpital de Fresnes. J'ai informé Blacraquin en lui disant il faut arrêter les dons du sang. Je l'ai à la fois informé oralement, par écrit... donc il le savait. Euh... je ne suis pas sûr que ce soit lui qui ait pris la décision de stopper. Je ne suis pas sûr que ce fut arrêté tout de suite. Alors qu'il avait l'autorité pour le faire. Mais il était un peu mou quand même. Je crois que si vous mettez... Il fallait être solide, il fallait être solide pour diriger Fleury-Mérogis ! Si vous mettez quelqu'un comme ça... [...] Xavier Emmanuelli avait beaucoup de relations publiques, des liens fort avec la Pitié. Il avait quand même des bases à l'extérieur qui lui permettaient d'avoir à l'intérieur une présence. Non seulement une présence médicale avec une autorité médicale supérieure à celle de Balcraquin. Des relations à l'extérieur pour faire hospitalier les malades qu'il voulait. Je pense qu'il était appuyé par le ministère de la Justice mais pas directement. Par ricochet si je puis dire. Il n' pas été conseiller là-haut, là-haut. Mais je pense qu'il connaissait des gens qui pouvaient agir là-haut, là-haut. On avait organisé une formation sur le sida avec lui au sein de la Croix-Rouge française. C'est sûr qu'on pouvait travailler plus facilement avec Xavier Emmanuelli qu'avec Balcraquin. Il a été dans sa lignée de carrière. Il s'est forgé une opinion sur le milieu carcéral mais il n'y a pas pris son véritable envol [...]

E.F : Pour cette tribune dans le Monde vous aviez demandé l'autorisation à l'Administration Pénitentiaire ?

P.E : Non, non et quand j'ai écrit, quand je suis revenu du congrès de l'OMS, j'ai participé à un congrès de médecin du Monde où j'ai dit ce que l'OMS devait faire. J'ai pas demandé l'autorisation de M. Dinthillhac qui était dans la salle. J'ai pas arrêté de dire ce que je pensais. Il avait pas apprécié mon intervention du tout parce que lui il était Administration pénitentiaire. Mais c'était la règle du jeu. A partir du moment où l'on est indépendant on dit ce que l'on pense.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault