ANNEXE 36 : ENTRETIEN AVEC DANIEL GONIN
Daniel Gonin, psychiatre effectuant des psychothérapies
de groupe en prison depuis 1962 puis exerçant en tant que
généraliste à la M.A de Lyon de 1967 à 1989, membre
du GMPQ. En retraite. Entretiens réalisés les 25/02/2008,
10/03/2008, 26/03/2008. Durées : 2H ; 2H ; 2H.
Ne sont cités ici que des extraits de l'entretien.
E.F : Comment avez-vous été
amené à effectuer des psychographies de groupe en
1962 ?
D.G : Après ma psychiatrie, je cherchais les
différents moyens thérapeutiques et j'ai travaillé
à ce moment là avec Anzieu. C'est un psychanalyste qui avait fait
un organisme qui était le CFAP qui avait fait des formations de groupe
et puis qui avait fait ensuite des groupes de différentes natures, des
groupes thérapeutiques, des groupes d'évaluation diagnostic, de
sensibilisation à la prévention du suicide. Moi, donc, je
m'étais formé là puis j'avais animé des groupes
pendant assez longtemps. On travaillait souvent dans la banlieue parisienne. Et
puis ensuite, j'ai fait différentes formations, dont une formation aux
Etats-Unis avec quelqu'un qui était connu et qui faisait des rencontres
de non-directivité. C'était accepter ce qui se passe dans le
groupe et puis le refléter soit par la répétition d'une
phrase qui sortait de la bouche de quelqu'un, soit de façon plus
ramassée. Après j'ai été à Pao-Alto, un
endroit mondialement connu parce que c'est là que sont nées les
thérapies familiales. Tout ça, c'était centré sur
le groupe.
E.F : À l'époque vous aviez quel
statut ?
D.G : J'étais assistant ici des hôpitaux.
J'avais été interne dans les différents hôpitaux
psychiatriques lyonnais puis ensuite beaucoup au Pavillon
« N » qui était le pavillon d'urgences, où on
faisait de la neurologie, de la psychiatrie et, après, de la
réanimation. Alors, dans le cadre de l'urgence on a reçu des
détenus. Car le premier pavillon d'urgence qui a été fait
en France, avec l'Hôtel Dieu à Paris, a été
créé à [l'hôpital] Edouard Herriot par le Pr Roche
qui était professeur de médecine légale et c'est ce qui a
donné l'aspect médico-légal à l'urgence. Ce qui n'a
pas toujours été repris mais... Pourquoi ? Parce qu'on avait
à faire face à un certain nombre de suicides qui posent des
problèmes médico-légaux, parce qu'on avait affaire
à des toxicomanes qui posent aussi, entres autres, des problèmes
médico-légaux ; qu'on avait affaire à des crises
psychiatriques, donc là aussi avec des questions liées à
l'internement psychiatrique. Après, on a eu tous les problèmes de
mort en réanimation. Quand arrête t'on par exemple de traiter un
coma dépassé ? Là aussi, c'est un problème
médico-légal. On était donc assez bien placé par
rapport aux autres pavillons d'accueil pour traiter les détenus. Et puis
vous savez qu'à la prison, le Pr Colin, avec un praticien hospitalier, a
créé l'Annexe psychiatrique. Ça a été, on
pourrait dire, l'ancêtre de tous les SMPR.
E.F : Vous connaissez les conditions dans lesquelles
il a été amené à s'intéresser à
cela ?
D.G : Le Pr Colin a fait partie du mouvement de
résistance « Témoignage chrétien ».
Diffusion de journaux. C'était en 44. Il a connu Fully qui a
été déporté à dix-sept ans qui était
inspecteur général de l'Administration pénitentiaire.
Colin et lui, et puis moi par la suite, nous avons milité au mouvement
de résistance du FLN. Colin et Fully avaient été
envoyés en mission dans les prisons algériennes pour constater
les exactions. Du coup, ils ont été aussi voir les détenus
FLN ou MNA qui étaient incarcérés à Saint-Paul. Ils
étaient autour de 150 à ce moment là. Ils sont
arrivés en prison au moment du conflit algérien. On ne peut pas
dire qu'ils étaient pour le FLN mais ils n'étaient pas pour ceux
qui maintenaient la présence française en Algérie. Donc il
y a eu aussi des sympathisants ou des amis qui eux sympathisaient ou
protégeaient le FLN. A ce moment là, on a vu, moi je n'y
étais pas, on a vu l'état des prisons, en particulier lyonnaises.
Fully qui était sensibilisé à la détention ne
pouvait pas supporter l'état des prisons à ce moment là.
Et ça a créé un mouvement ici de sympathie avec les
détenus du FLN. Colin a vu l'état dans lequel se trouvaient les
prisons, et en particulier la médecine somatique.
E.F : Et à ce moment là, Fully
n'était pas médecin inspecteur ?
D.G : Non pas encore. Il n'était pas
médecin légiste mais était intéressé par la
médecine légale. Il n'a jamais fait d'autopsie. Il n'a pas eu la
formation que nous avons tous eu, classique. Sa formation a plus
été une formation psycho-sociale, politique aussi. Dans le sens
de la gauche, résistant, voulant une démocratie active. Je ne
crois pas qu'il était dans un parti. Ici, on était du
côté des socialistes. On n'avait pas tous notre carte mais on
était proches. Tous ceux qui sont venus étaient attirés
à la fois par ce qu'on faisait à la prison, à
l'hôpital et à la faculté, et... aussi par les idées
de gauche.
E.F : Et les conditions dans lesquelles le Pr Colin a
créé l'Annexe...
D.G : Il a demandé d'abord à un
médecin de l'hôpital psychiatrique, le Dr Broussole, qui avait des
sympathies avec nous et avec qui on travaillait un peu, s'il ne voulait pas
faire des consultations... Alors on a obtenu de l'Administration, qu'il y ait
des consultations et on peut dire que, petit à petit, ça s'est
construit. Par exemple, après on a demandé à ce que des
surveillants fassent des stages à l'hôpital psychiatrique. Parce
que c'était difficile de sélectionner en somme dans un coin de la
prison les gens qui avaient des troubles avec des surveillants qui ne
connaissaient rien du tout en psychiatrie et avaient du mal, au niveau de la
discipline par exemple, à faire le tri entre ce qui relevait d'un
symptôme psychiatrique et ce qui était de l'ordre de la
protestation. Et puis très vite, il est apparu que les consultations ne
suffisaient pas. En particulier, qu'il y ait une petite unité
médicale, notamment médicamenteuse. Il fallait une distribution.
Comme il n'y avait aucune infirmière formée à la
psychiatrie. Et puis, à ce moment là, les infirmières
psychiatriques étaient formées dans les hôpitaux
psychiatriques [...] Ces surveillants faisaient des stages de trois mois dans
le service de Broussole. Tout cela était très difficile. Tout le
temps bloqué, tout le temps gêné, des contraintes... Ces
gens étaient obstinés. Ils avaient une croyance. C'étaient
des chrétiens de gauche. Ils avaient à la fois une croyance
religieuse et puis une croyance dans la société. Alors, au-dessus
du bâtiment où il y avait l'infirmerie, il y avait le service
psychiatrique. Broussole a fait venir un interne et ça s'est petit
à petit construit comme ça. Et l'administration était bien
sûr pas très contente mais ça ne lui coûtait rien...
parce que c'étaient des services extérieurs. Tout était
pris en charge par l'hôpital. Ça nous a bien servi d'ailleurs
après, parce que l'Annexe psychiatrique s'est développée.
Il y a eu un assistant, des internes qui venaient. Les infirmiers avaient une
blouse blanche et puis petit à petit, l'Annexe a obtenu d'avoir quelques
crédits de l'hôpital pour avoir un secrétariat, une
assistante sociale. Ensuite, c'est là où nous avons fait des
groupes, Mme Buffard étant la première.
E.F : Le fait que des surveillants puissent avoir des
fonctions d'infirmier....
D.G : ...a posé d'énormes problèmes,
en particulier avec les syndicats qui n'ont jamais accepté. Par exemple,
par la suite quand j'ai voulu former un manipulateur pour l'appareil radio, le
syndicat s'y est opposé. Le principe du syndicat, c'était que
tous les surveillants devaient avoir le même rôle, les mêmes
horaires, une espèce d'égalité dans le travail. Et c'est
pour ça que ça a posé beaucoup de problèmes pour
les surveillants qui ont fait leur travail en deux temps. Ça ne rimait
à rien de leur faire faire des horaires comme tous les autres
surveillants. Il fallait être là quand le médecin
était là. Ca a été une grosse difficulté. Et
comme j'avais pris le même cadre pour les surveillants de l'infirmerie,
ça a posé beaucoup de problèmes. Les autres avaient
déjà un peu creusé le sillon. C'étaient des gens
qui aiment ce qu'ils faisaient. Et puis c'était plus intéressant
pour eux au niveau des horaires parce qu'ils ne faisaient pas de nuit. En
général, ils aimaient ça. Ils voyaient le psychiatre, les
experts, etc. Et puis après ils avaient des contacts avec les
infirmières.
E.F : Ils se sentaient plus surveillants ou plus
infirmiers ?
D.G : Ils se sentaient très infirmiers. Ils
savaient les médicaments, comment réagir en cas d'urgence... Ils
savaient des trucs utiles. Il faut bien reconnaître qu'on les formait un
peu sur le tas. Vous comprenez, le problème de la médecine c'est
qu'une prison, c'est une cellule dans un étage, dans un quartier, dans
un bâtiment, dans une prison. C'est une succession de prisons. Donc, la
nuit les effectifs sont réduits et quand vous avez quelqu'un qui a une
douleur, il tape à sa porte, parce qu'il n'y aucun moyen moderne, il n'y
a pas de sonnette, alors il réveille en général son
étage. Le surveillant demande. Il a interdiction d'ouvrir la porte
à ce moment là. Il y a des consignes de sécurité
qui sont importantes. Il faut qu'ils y aillent au moins à trois.
Ensuite, ils vont voir la réalité. Ils vont demander au type ce
qu'il a. Alors l'Administration voulait que le médecin se déplace
aussi. On pouvait pas, étant donné les tarifs qui nous ont
été donnés, c'était impossible d'aller en plus
faire les urgences nocturnes. Donc c'était une association de
médecins de quartiers qui y allait. En plus, on avait plus tard acquis
une ambulance. Quand c'est une urgence qui est du genre un malaise
diabétique, si quelqu'un voit les détenus il peut
répondre, faire quelque chose si on lui dit comment faire par
téléphone. Donc, il y avait toujours quelqu'un qui pouvait avoir
accès aux fichiers médicaux. Autrement dit, dans la
journée aussi, les surveillants dits infirmiers pouvaient intervenir
pour l'urgence mais qui ne nécessitaient pas une extraction. En
général, la nuit, on donnait les clefs de l'infirmerie à
un premier surveillant à qui on disait : « Vous
êtes astreint au secret professionnel ! ».
E.F : Et à ce moment là, la
médecine somatique ça représentait quoi ?
D.G : La médecine somatique au début,
ça représentait pas grand-chose. C'était une
médecine de charité. C'étaient souvent des gens qui
étaient là aussi engagés dans un processus religieux.
C'était quelqu'un qui avait une croyance qui y allait. Ça faisait
un peu pendant à la logique des visiteurs. Ils venaient pour voir,
assister. Ils venaient avec leur propre matériel, leur marteau à
réflexes. Ils distribuaient des médicaments classiques, comme
l'aspirine. Quand je suis arrivé, deux médecins étaient
déjà passés, il y a eu Hochmann qui exerçait en
tant que généraliste, il y avait le Dr Pye qui était aussi
psychiatre. Ce sont des médecins qui ne sont pas restés
très longtemps car tout ce qu'ils faisaient allait contre la discipline.
Ils voulaient des pièces pour être seuls avec leurs malades et la
règle c'était : « Tout voir et tout
entendre ». Ça a fait des clashes et moi, quand je suis
arrivé, on voulait m'imposer, disait-on pour ma sécurité,
la présence d'un surveillant. C'était inadmissible ! J'ai
dit : « Non, non ». Alors, on m'a fait signé un
document m'engageant à accepter d'avoir des gros dégâts. Je
savais que c'était faux mais j'ai tout signé. Je ne vois pas
pourquoi ils me sauteraient dessus. Je venais de l'hôpital psychiatrique,
en plus, donc il y avait bien plus de raisons là bas pour que quelqu'un
vous... Donc il n'y avait aucune raison que... D'autant plus que je savais bien
que ce n'était pas pour moi. C'était pour que rien
n'échappe à l'Administration. J'ai fait ça dès le
début parce que sinon on m'aurait dit : « Mais vous
l'avez bien fait pendant quelques temps, pourquoi.... ». Non. Alors,
dès le début, j'ai demandé un appareil radio. Dès
le début, j'ai demandé un tas d'examens qui ont été
fabriqués. Plutôt que d'acheter un matériel, ils l'ont
fabriqué avec des tubes qu'ils ont soudés. Rien ne pouvait
être acheté dans un magasin pour un atelier médical.
E.F : Parce qu'en 1967, l'infirmerie ça
représentait quoi ?
D.G : Ça représentait deux pièces.
C'était le bâtiment H qui était le plus grand
bâtiment. En face de l'entrée, vous avez le bâtiment H qui
est avec des coursives. A gauche, au début, après les grilles
d'entrée. Il y avait deux pièces. Une pièce pour les
infirmières et une pièce pour le médecin. On avait
enlevé la porte pour qu'on puisse tout entendre. J'avais demandé
qu'on me donne un tensiomètre. Un truc minimaliste mais voilà
quoi ! Et, il n'y avait pas, il n'y avait pas de chambre d'infirmerie.
Alors quand quelqu'un n'allait pas bien, quelqu'un de contagieux par exemple,
on avait mis une cellule qui était destiné à cela mais qui
était à l'autre bout de la prison. Après, j'ai
demandé à avoir plus de place. Par exemple pour faire les soins.
On ne pouvait pas à la fois faire tout ce qui était administratif
et puis faire les piqûres, pansements. Il y avait deux infirmières
qui étaient braves mais qui étaient, elles aussi, dans le ronron
de la prison. Elles n'avaient pas d'exigence. Par exemple, le surveillant
venait, il voyait. Elle ne demandait pas de nouveaux médicaments aussi.
Parce que le problème de la médecine pénitentiaire, c'est
qu'elle était coupée du reste. A part nous, qui venions de
l'extérieur. Mais quand les gens venaient dans une action charitable,
ils n'avaient pas beaucoup d'exigences. Ils payaient de leur personne.
E.F : Et par contre, il y avait des
spécialistes qui venaient ?
D.G : Ce qu'il faut dire, c'est qu'en même temps,
il y avait un souterrain entre les deux prisons. Et, comme les communications
étaient difficiles le temps que les gens passaient par les souterrains,
il y a eu l'installation à Saint-Joseph d'un cabinet médical qui
est toujours resté un petit cabinet médical. C'est là
où était le Dr Mégard, qui lui était
résistant. Il était résistant dans son coin.
Résistant, à la pression de l'institution. Alors que les autres
ont été expulsés. Ils sont tous partis soit
d'eux-mêmes, soit parce qu'on faisait pression sur eux. Il y avait aussi
un couple Vermorel qui a été à Grenoble. Hochmann est
resté comme consultant psychiatrique et il a fait des groupes
d'alcooliques.
E.F : Et les groupes de
psychothérapie ?
D.G : Oui je suis rentré [en prison] parce que
j'avais une expérience de groupes. Je suis arrivé à la
fois parce que je cherchais ma voie, et Colin avec qui je travaillais
déjà comme assistant à l'hôpital, me disait :
« Ça serait bien que vous travaillez en prison ».
J'ai commencé au début avec Mme Buffard. J'étais là
pour voir comment ça se passait.
E.F : Quelles ont été les principales
difficultés ?
D.G : Alors la principale difficulté a
été que les détenus viennent régulièrement.
Alors ça pouvait venir du détenu lui-même. Parce qu'avant
de faire le groupe on rencontrait individuellement les détenus qui
s'étaient présentés. Il expliquait ses motivations. Il
acceptait mais parfois c'était contraignant. Ça venait alors
qu'il avait un parloir. Ça pouvait venir du détenu dont la
structure psychique empêchait l'engagement. Et puis l'Administration
pénitentiaire qui disait : « Oui mais... Il est
dangereux... Donc, on le re-convoque pas, on ne veut pas qu'il y
aille... ». Il y avait le fait aussi que les groupes n'étaient
pas très bien acceptées pour les raisons que je vous disais,
à savoir : « Ça se fait dans le plus grand des
secrets. On ne peut pas les voir, etc. ». Un jour... On avait donc
une pièce, c'était une petite pièce. Et à l'Annexe,
il y avait une pièce un peu plus grande mais le seul problème
c'est que la porte était comme ça [indique la porte, assez
massive de son bureau]. Enfin, plus solide que ça. Et, un jour on a eu
la surprise de voir qu'ils avaient fait régulièrement des trous,
comme pour un timbre, pour entendre et pour voir. Et c'était le groupe
de Mme Buffard. Ça avait été à la fois pittoresque
si vous voulez de trouer la porte, et c'était un signe aussi que
c'était inaccepté. On a réussi à remettre la porte
normalement. Ça a un aspect un peu burlesque tout cela.
E.F : Et l'Administration vous demandait des
résultats ?
D.G : Oui, eux ce qu'ils voulaient en somme c'est que les
agités le soient plus, que les violents le soient plus... En clair, que
nous contribuions à la tranquillité de la prison ! La prison
est contente quand il ne se passe rien ! Quand il n'y pas de mouvements,
pas de cris, rien du tout... C'est l'idéal ! C'est pour cela que le
médicament est très bien vu. Si on écoutait
l'Administration pénitentiaire les psychotropes seraient... on
assommerait tout le monde. C'est l'idéal.
E.F : Et comment ça se
passait concrètement ? Vous aviez des réunions avec la
direction de l'établissement ?
D.G : On avait dû présenter notre projet.
Assurer qu'on avait bien les diplômes. Il fallait qu'on puisse se
référer à des expériences qui avaient
été faites ailleurs. Ensuite, il fallait qu'on ait des
responsabilités. S'il se passait quelque chose avec les détenus.
Il y avait entre sept et dix détenus. Moi, j'avais fait des groupes
thérapeutiques avec des psychotiques, donc bon... Et puis surtout
combien de temps ça durait, quels étaient les résultats
espérés, etc. Et quand on disait que c'était des
résultats sur la structuration de la personne, notamment au niveau de la
loi... Ce qui était embêtant en prison c'est que la loi en prison
n'est jamais respectée. Donc, il fallait les rassurer et donc on les
revoyait régulièrement pour leur dire voilà comment...
Alors bien sûr, on ne leur disait jamais rien de façon
individuelle mais on disait globalement comment ça se passait.
Voilà. « Combien de temps vous pensez continuer
encore ? ». Alors, on était obligé de donner des
délais parce que sinon on savait bien que... Alors que dans les groupes
on peut être moins ric-rac sur les délais.
E.F : Des fois, vous aviez des questions plus
précises sur des détenus ?
D.G : Ah oui, toujours, toujours, toujours !
« Mais lui, qu'est ce que vous en pensez ? Vous comprenez
l'autre jour il a agressé son voisin alors qu'il revenait de son
groupe... ». Alors de façon prudente ils nous disaient :
« Est-ce que vous auriez pu prévoir ? Nous
prévenir ? ». Alors, il m'est arrivé quand
même de dire à certains chefs de bâtiment que je trouvais
que untel était très énervé et qu'il fallait faire
attention, mais attention à lui ou le changer de cellule. Pour donner un
peu de grain à moudre... Mais dans la prudence quand même, jamais
dans le constat d'une aggravation ou de la découverte d'une perversion.
On a eu des directeurs très bien qui d'ailleurs changeaient
l'atmosphère de la prison.
E.F : Vous utilisiez des dossiers
médicaux ?
D.G : Non, avec les groupes je ne faisais aucune fiche.
Je faisais pour moi des résumés des séances. On se
contrôlait les uns les autres, avec Hochman, avec Buffard.
E.F : Vous consultiez par contre le dossier
pénal des détenus ?
D.G : Non, je me suis toujours refusé à les
consulter. Parce que je voulais voir le détenu comme il était.
Parce que le dossier pénal, ça vous fait une espèce
d'obstruction. Y en a qui m'étaient horriblement antipathiques. Quand
ils ont été condamnés pour atteinte sur des enfants...
Mais quand on a un regard préalable, on ne peut plus aller
au-delà. L'alcoolique, le pédophile, le meurtrier à
répétition... c'est des types, on ne va pas pouvoir en sortir
[...] Donc mon principe, d'ailleurs comme pour les expertises, je vois le
minimum de choses avant. Après quand j'ai élaboré des
trucs je peux mieux lire ce qui a été fait.
E.F : Et par contre vous observiez quels effets sur
les gens participant à cette psychothérapie de
groupe ?
D.G : Ben souvent, ce que ça changeait
c'était la vision de leur existence. Ça leur permettait une
critique de leur passé et puis surtout, c'était une interrogation
sur l'avenir. « Qu'est ce que je vais faire ? ».
C'était souvent, ce qui était le rôle, c'était pas
de leur dire qu'ils avaient mal fait mais : « Qu'est ce qu'il
est possible de faire ? ».
E.F : Est-ce que des fois ils vous parlaient de
considérations plus liées à la
détention ?
D.G : Ah oui, au début c'est une protestation.
C'est un temps de protestation tous azimuts. « Ce sont tous des
salops ! La bouffe est dégueulasse ! ». Ce qui n'est
pas vrai mais pas forcément faux. Cela montre bien qu'on est dans un
état de révolte. C'est un temps où une révolte
peut-être entendue ce qui n'est d'habitude jamais le cas en prison. Et
puis vous avez la technique pour le comprendre. Ce qui permet à la fois
de le dire et puis de le dire différemment, avec moins de cris, avec
moins de violence verbale. Et puis dans un groupe, ce qui est
intéressant, c'est qu'il y en a d'autres qui peuvent atténuer le
constat ou qui peuvent avoir un autre regard.
E.F : Vous acceptiez d'en discuter avec
eux ?
D.G : Ah oui, bien sûr ! Ça m'avait
permis de faire l'expérience sur le temps. Parce qu'à
l'époque il n'y avait pas de montres [...] « Vous nous gardez
qu'une heure, etc. ». Je pense que la notion de temps est
extrêmement difficile. Et j'avais fait l'expérience une fois.
J'avais commencé à une heure et j'avais fini à six heures.
Et ils ont constaté que... J'ai fait cette expérience avec eux
qui était essentielle.
E.F : De ces différents aspects de la vie vous
en discutiez après avec la direction de
l'établissement ?
D.G : Oui. Par exemple, pour les douches... Alors,
là les douches, ça a été... ça a
été à partir du groupe et puis à partir des gens.
Et l'Administration disait : « Oui, ils démontent les
pommeaux de douches ! ». C'est vrai qu'il y a du vandalisme en
prison comme ailleurs mais enfin, il y avait aussi des trucs
dégueulasses. En général, les revendications
c'était l'hygiène. Y avaient des quartiers où il y avait
des W.C mais il y a des quartiers où vous aviez des tinettes que vous
alliez vider. En 80, vous vous rendez compte, encore... Un lavabo pour quatre
dans une cellule. L'hygiène, l'alimentation. Puisqu'on parle de
Saint-Paul, c'est qu'on aurait pu dire que tous les services étaient
à Saint-Joseph comme les cuisines et le lavage. Et alors, quand
j'étais médecin de la Pénitentiaire, je devais faire un
rapport sur les cuisines. Et c'étaient des horreurs ! Y avait un
ascenseur dans les cuisines, y avait une telle humidité, que des
champignons poussaient autour de l'ascenseur. C'était ahurissent. Il y
avait des huiles qui venaient se réfugier dans le fond plafonds et il
tombait des gouttes.... Grâce à ces rapports, il y avait de temps
en temps une inspection dont les conclusions étaient les même que
les miennes. Mais en gros, ça faisait pas grand-chose.
E.F : Et vous reportiez certaines revendications du
groupe auprès de la direction de l'établissement ?
D.G : Bien sûr ! Bien sûr !
Puisqu'on en parlait. Je ne citais personne bien sûr. Et comme je faisais
plusieurs groupes, ce n'était pas simplement l'expression de huit ou dix
personnes mais disons d'une trentaine. Donc, c'étaient les soins,
l'hygiène, la nourriture, le bruit, le chauffage. Dans les années
soixante-dix, on avait souvent treize degrés. On ne gelait pas mais
c'était pas beaucoup ! [...] Y a eu quelques améliorations
mais.... C'était impossible. Y avaient des populations de rats dans les
sous-sols. Y avaient des cellules dans les sous-sols de Saint-Paul qui
étaient régulièrement inondées.
E.F : Et quand vous reportiez ces revendications, est
ce que vous n'aviez pas l'impression d'outrepasser votre rôle de
thérapeute ?
D.G : Si, si, j'avais l'impression. Mais je le faisais
quand même. Parce que vous ne pouvez pas rester devant ce truc sans rien
dire! Oui vous avez tout à fait raison. Je n'aurai jamais fait ça
en dehors de la prison. Mais ce qui me donnait une justification, c'est qu'ils
me disaient toujours qu'il fallait qu'il y ait des résultats et je leur
disais : « Voilà ça se passe bien... mais entre
parenthèses j'ai aussi appris que... ». Voilà.
C'était un peu une négociation comme ça. Ce qu'ils
attendaient toujours, c'est que le détenu soit... ils avaient
l'impression que c'était une expression violente qui allait les expurger
de toute leur violence, leur revendication, leur mauvais caractère...
E.F : Et ce n'était pas le cas ?
D.G : [soupir] Non, parce que... vous ne sanctionnez pas.
Il est vrai que la violence prenait une autre forme. Ça prenait une
forme moins violente. Je me rappelle des révoltes à la prison
dans les années soixante-dix. Je me rappelle que certains avaient pu
participer à nos groupes et avaient pu faire des revendications vraiment
syndicales, qui n'étaient pas seulement pour dire les douches etc. mais
pour dire aussi tous les rapports avec les magistrats. C'était la
première fois que les magistrats étaient mis en cause... et avec
juste raison [...] Alors, y a eu des revendications qui ont été
beaucoup plus... élaborées. Plus en rapport avec la vie, pas
seulement carcérale, mais avec la vie de celui qui était mis en
examen. Et donc ils ont pu montrer que la prison leur paraissait une poubelle
dans laquelle il n'y avait pas de communication avec l'extérieur.
E.F : Et vous pensez que la psychothérapie a
pu aider à cela ?
D.G : Ah oui ! Elle permettait d'élaborer.
Ça leur permettait, puisque la finalité au bout d'un moment
n'était plus seulement d'exhaler la violence en eux, c'était
aussi de poursuivre un travail de recherche sur qu'est ce qui n'allait pas.
Donc, ils parlaient de leur famille, du sexe, du fait de ne plus voir leurs
enfants. C'était cela le premier travail du groupe. Ça devenait
une réflexion, une réflexion revendicative mais une
réflexion... Et qui avait beaucoup plus de poids. Moi, j'avais
été frappé par l'élaboration, au moment des
révoltes, de gens qui étaient très... Je me rappelle
j'allais les voir avec [Pierre] Truche et je me souviens d'un matin, on avait
vu un papier et on s'était dit que c'était pas mal.
C'était dans un style qui était tout à fait lisible, qui
pouvait être entendu par un politique, par un Giscard d'Estaing qui
était à côté de la plaque.
E.F : Et au fur et à mesure de la
psychothérapie, au niveau comportemental...
D.G : Ils se respectaient plus les uns les autres par
exemple. On pouvait constater qu'ils se coupaient moins la parole. Ou que
l'intervention qui venait tenait davantage compte de ce qui avait
été dit avant. C'est-à-dire que le propos était
nourrit de ce qu'ils avaient entendu. Et ça, ça changeait assez
vite [...]
E.F : Cette expérience recevait quel accueil
des milieux criminologiques ?
D.G : Ben à ce moment là, on avait une
position dominante en criminologie. Si vous voulez, c'était un de nos
lieux d'exercice clinique. On s'est jamais autorisé à faire des
exposés de cas sans les avoir vus. La majorité sont souvent
démunis d'expérience clinique. Pourquoi on avait fait ces groupes
de psychothérapie ? A cause de notre expérience en
médecine légale, à cause de notre position à
l'urgence, à l'hôpital psychiatrique et à la prison.
C'était quelque chose d'original. On était tous experts. A tel
point qu'on rencontrait souvent les mêmes personnages dans les
différents lieux. On avait souvent un patient de la prison, qu'on
revoyait à l'urgence quand il était sorti, pour un geste
suicidaire par exemple. On pouvait aussi le rencontrer en psychiatrie. Et avec
Colin, nous avions fondé un service pour les migrants. C'était la
même chose après avec tous les services avec le FLN. Dans les
années cinquante, au moment de la guerre d'Algérie, y avait un
gros mouvement migratoire de main d'oeuvre. Y avait le début des
Sonacotra mais ça restait insuffisant. Après, ils se sont
multipliés et il y a eu un foyer important à la Part-Dieu dans
les anciennes casernes du « PP » c'est-à-dire
l'ancien régiment de cavalerie. Ça a son importance parce que
ça occupait un très gros territoire dans ce quartier. Dans la
caserne, ça a été un envahissement progressif et les
autorités ont laissé faire. Et dans les écuries, on
pouvait mettre des lits les uns en face des autres. Au début, on disait
il y avait 1000 à 1500 travailleurs. Et ce que Colin avait vu, c'est que
dans les consultations... l'urgence n'existait pas encore... On voyait dans les
consultations hospitalières des gens avec des tuberculoses, des
blessures par armes blanches et tous ces gens venaient de la Part-Dieu. Et il
s'est dit : « Plutôt que de soigner à
l'hôpital, il faudrait soigner sur place ». Donc, il a
monté une infirmerie et il m'a demandé de faire des
consultations, en plus, comme à la prison. Et on a travaillé dans
ce caravansérail où devaient loger 3000 personnes. On a vu aussi
que dans les foyers Sonacotra, il n'y avait pas de médecins. Donc on a
essaimé comme ça. Et on a eu dans ce service jusqu'à douze
dispensaires. Alors, après, on a été obligé de
partir de la Part-Dieu et on s'est dit qu'il fallait qu'on trouve quelque chose
dans le même quartier. J'ai pris la direction de cette structure qui
était payée directement par la Sécurité sociale. Et
il y a beaucoup de délinquants dans les transplantés et
c'était un quartier uniquement de transplantés. Et qu'est qu'on a
vu ? La délinquance qu'on voyait en prison. Donc, l'urgence,
l'hôpital psychiatrique, la prison et puis le SMSTE. Donc ça
formait un secteur technique, c'est-à-dire un secteur qui n'était
pas défini par un territoire mais par ce qui s'y passait, par une
marginalité et la délinquance, maladie mentale, toxicomanie, etc.
C'étaient des relais. Moi, j'en ai connu beaucoup place du Pont
[à Lyon], je les connais encore, qui me
disaient : « Ah, si vous pouvez aller le visiter à
la prison... ». J'allais à la prison, je le suivais à
l'extérieur. J'ai fait des thérapies de couple à la sortie
par exemple. Vous voyez, c'était un secteur comme ça, qui n'a
jamais été officialisé.
E.F : Vous ressentiez ce besoin de sortir de
l'hôpital ?
D.G : Oui. C'est pour cela que deux associations ont
été créées. L'association pour l'urgence sociale.
Parce qu'on s'est rendu compte que les gens venaient tout le temps. Et puis une
association d'assistance aux adolescents, qui est en fait d'aide pour la
toxicomanie. Puis, plus tard est venu un centre d'accompagnement en alcoologie.
Tout cela, est venu du même endroit, de l'urgence [...] Cette
idée, elle venait d'une constatation globale de gens qui travaillent.
Tout le monde remarquait que c'était une impasse. Un marginal, il est
plus que jamais dans l'urgence. Parce que les gens ne savent pas qu'en faire.
Alors, la plupart des médecins étaient des psychiatres mais on a
quand même étendu à des somaticiens.
E.F : Y avait un lien avec l'association de
criminologie ?
D.G : Oui mais c'était ponctuel. Le groupe de
criminologie, c'était l'urgence, la prison, le SMSTE et un peu
l'hôpital psychiatrique ou certains de l'hôpital psychiatrique. On
était un peu extensifs mais on ne monopolisait que ce qu'on
créait. On a pas créé la prison mais on a
créé toutes ces associations qui n'existaient pas avant. Y
compris l'urgence qui n'existait pas avant.
E.F : Et Georges Fully avait été un
soutien pour vous quand vous avez monté ces groupes de
psychothérapie ?
D.G : Oui mais... Un soutien... Il était en butte
à des tas de choses. Il était le premier au ministère. Il
était exigeant. Jamais, le ministère de la Justice ne pensait
qu'il aurait à s'occuper de la santé. Mais on était tous
du ministère de la Justice et c'est ce à quoi on voulait
échapper. On avait des relations assez amicales avec lui. Moi j'avais un
passé qui était assez proche du sien. Et puis on avait un peu ce
même côté social. Il nous a aidé, incontestablement
mais il avait à fort à faire. Parce que je crois que
c'était vraiment difficile pour lui.
E.F : Et vous aviez participé à ce
congrès de 1963 ?
D.G : J'avais participé au départ à
beaucoup de choses liées à l'Administration pénitentiaire.
Parce qu'on avait de l'expérience et qu'on était plusieurs
à travailler ensemble. On se supportait, je dirais, on entraînait
les autres qui étaient tous seuls et qui avaient des difficultés.
Nous, on était gâtés. Parce qu'on avait un groupe, on
pouvait se référer les uns aux autres. Colin, Broussole ou moi,
on était dans les mêmes actions. Alors, on a soutenu sans le
vouloir beaucoup de médecins qui travaillaient isolément et qui
avaient énormément de mal à résister aux pressions
de l'Administration. On les a soutenu sans même le vouloir. Par exemple,
en publiant. Ou en créant ces congrès de médecine
pénitentiaire. Il faisait partie de nous, Fully, sans vraiment le dire
et on l'a beaucoup soutenu. Et pour la première fois, les
médecins pénitentiaires se sont vus et se sont rencontrés.
Et même ça a été l'occasion de la création du
syndicat des médecins pénitentiaires.
E.F : Et quel était le but de ce premier
congrès ?
D.G : Ben le premier congrès, c'était de se
faire exister. C'est-à-dire que jusqu'à présent il n'y
avait pas la notion de « corps ». Les gens étaient
recrutés individuellement, souvent c'était... Vous aviez quand
vous faites des vacations comme ça, c'était que des vacations
pratiquement. Il n'y avait pas de médecins titulaires. C'étaient
des médecins isolés. Ce qui fait que la médecine
pénitentiaire a commencé à exister du jour où tous
ceux qui exerçaient en milieu pénitentiaire, officiellement, ont
eu la possibilité de se retrouver dans ces congrès. Ça a
permis de confronter nos expériences. Et pourquoi on a été
à la tête de tout ça ? Parce qu'on était un
groupe. Et puis un groupe qui étions universitaires. Moi, j'étais
assistant puis j'étais maître de conférence par la suite.
Colin était passé professeur. Hochmann restait avec nous mais
avait eu un poste de psychiatre à l'hôpital. On pouvait être
mis à la porte de la prison, ça n'aurait pas été
une catastrophe pour nous. Moi, j'étais universitaire et praticien
hospitalier à « P » et « N ».
E.F : Et ça ne vous intéressait pas de
travailler à l'hôpital psychiatrique ?
D.G : Non, ça ne m'intéressait pas de
travailler à l'hôpital psychiatrique. Moi, j'ai toujours vu la
psychiatrie dans la vie. Autrement... C'est pour ça qu'après j'ai
fait de la psychanalyse. Mais, par exemple, on m'avait demandé pourquoi
j'avais pas passé les concours mais ça ne m'intéressait
pas. Il faut dire que c'était avant la sectorisation parce que la
sectorisation, c'était après 68. Donc, c'était encore
l'hôpital fermé, avec des contraintes, avec des infirmiers qui
étaient à part. Alors quand j'ai eu ma spécialisation de
psychiatre, j'y ai été comme interne. J'ai vu à quoi
ça ressemblait. Et je n'aurai pas aimé faire ma carrière
là-bas. Je ne me voyais pas passer ma vie à ça. A la
prison, je ne voulais pas y faire ma carrière non plus. Je faisais
ça dans un but humanitaire. Y avait pas les ONG mais on a quand
même fait un peu un travail d'ONG, notamment par rapport au FLN.
Ça a été un regard sur. On peut pas dire :
« La prison, on les met là-dedans et on s'en occupe
plus ». Et puis en même temps, y avaient des gens qui
étaient des soutiens du FLN et que nous connaissions. A ce moment
là, Colin avait des amis qui étaient avocats et ces amis
étaient pour la plupart de gauche. Ils faisaient beaucoup de choses
ensemble. Ce qui fait que c'était tout un mouvement qui ne disait pas
vraiment son nom mais c'était un mouvement de défense. On l'avait
aussi avertit parce que l'urgence est né à ce moment par des
exigences qui n'étaient pas prises en compte. C'étaient des
blessures, des fractures, tous les traumatismes divers, les suicidants, les
troubles psychiques. Donc y avait un besoin. On était... militants... Je
sais pas si on peut dire ça comme ça, pour être
honnête avec vous, mais y avait quand même une dimension militante
dans ce qu'on faisait.
E.F : Vous avez eu des appartenances syndicales ou
politiques ?
D.G : Non. Je connais tous les responsables du PS mais je
n'ai jamais pris ma carte. Alors quand j'étais jeune, j'étais
à la JEC, enfin, des trucs dans ce goût là. Mais c'est
peut-être le moment le plus engagé. C'était après la
Libération... j'étais opposé aux communistes. J'ai fait
médecine dans cette idée, dans une optique un peu militante. Ce
sont des idées généreuses qu'on a à l'adolescence.
Mais ce qui m'intéressait, c'était plus tout ce qui était
mental, tout ce qui était de l'homme. Alors, la psychiatrie ne m'a
jamais beaucoup intéressé. Elle m'a permis d'aller vers autre
chose. Alors bon, j'ai fait de la psychiatrie dans l'urgence mais... C'est pour
cela que la psychanalyse m'a beaucoup intéressé et notamment
lacanienne parce que j'y ai retrouvé beaucoup de choses modernes,
utiles. Alors, ça c'est fait à la fin... J'ai été
au séminaire de Lacan à partir de 1959 et j'avais
déjà suivi les cours d'Anzieu.
E.F : Y avait une dimension militante pour vous aussi
à travers la psychanalyse ?
D.G : Oui y avait une dimension militante, une
espèce de volonté d'abord de mettre au service du plus grand
nombre et puis ce besoin de sortir d'une espèce d'élitisme. Et
puis également de voir comment pouvait s'articuler l'analyse à
quelque chose de plus humaniste, plus chrétien. C'était quelque
chose qui était plus partagé par Colin mais moins par Hochman.
Mme Buffard était socialiste et très laïque, je dirais. On
était pas tous si vous voulez dans le même bain mais on
était tous dans un humanisme, si ce mot veut dire quelque chose. On
n'avait jamais de fortes oppositions. Autour de ce noyau, beaucoup de gens
gravitaient. Roche était pas opposé. Il avait le sens de nous
protéger grâce à ses appuis nationaux et quand on
était menacé, il nous défendait. Par exemple, si on nous
menaçait de nous retirer l'entrée à la prison. On a eu
comme ça des protections, c'était obligatoire [...] Mme Ezratty
nous a bien soutenue.
SECOND ENTRETIEN
E.F : A un moment dans votre thèse
[consacrée aux groupes de parole] vous parlez de la phase de
maturité et vous évoquez une tentative d'élaboration des
actions collectives notamment une tentative de grève....
D.G : Oui c'était au moment de la prise de
conscience d'un groupe qui pouvait faire quelque chose quoi ! Qui pouvait
faire une revendication d'ensemble pour un intérêt commun... Ce
qui est rare chez les détenus quoi ! Parce que la plupart du temps,
les détenus peuvent beaucoup parler de leurs projets ou bien se prendre
comme complices, mais souvent ce n'est pas une notion de groupe, avec des
personnages à égalité qui défendent un projet de
groupe et non pas un détenu qui impose son idée aux autres.
C'était un vrai progrès. Et puis ça transformait un peu
l'ambiance des cellules, où un des membres du groupe résidait. Y
avait un autre discours, un autre regard sur la détention. C'est pour
ça qu'on a pensé... C'était une sorte de socialisation
possible. Ça combat un peu la désocialisation.
E.F : Et la direction de l'établissement
n'avait pas pris peur quand ils avaient vu émerger une action
collective ?
D.G : Alors oui. Ça a même été
un obstacle. Parce que c'est comme quand il y a eu les révoltes à
Saint-Paul. Ils avaient des revendications du type syndicaliste, ce qui
était très étonnant. Moi, j'y ai vu un progrès
important. Puisqu'il y avait un groupe, une communauté et puis il n'y
avait pas simplement des revendications matérielles mais des
revendications beaucoup plus larges sur le procès, la
considération que les avocats, le juge d'instruction, le service
médical pouvaient avoir pour les détenus. Y avaient des exigences
qui n'auraient pas eu lieu avant. Qui étaient liées à la
dignité humaine. Je ne dis pas que c'était le groupe qui a fait
ça. Mais c'était la conjonction de plusieurs choses.
E.F : Et est-ce que l'existence de ces groupes a
été menacée ?
D.G : Ah oui de façon récurrente. Soit
parce que les détenus n'étaient pas prévenus. Soit parce
que certains ne venaient plus car ils n'étaient plus libres ou parce que
le groupe exaltait leurs revendications. Parce que notre but était de
voir ce qui était possible de faire. Ce n'était pas magique le
groupe. Alors, au bout de quelques séances la surveillance aurait
voulue, mais sincèrement quoi, que l'attitude des détenus soit
changée. Alors pour certains ça commençait très
tôt mais la majorité il fallait plusieurs mois [...]
E.F : Et à l'époque vous avez beaucoup
publié sur cette question...
D.G : Oui parce que nous étions les premiers. Il y
avait le Dr Mathé à Melun. C'étaient des choses proches.
C'était une nouveauté en France. Chacun avait des méthodes
plus ou moins en rapport avec ce qu'il faisait avant. Ça pouvait
être des groupes très classiques ou avec un apport psychanalytique
plus ou moins important. On se réunissait à la
société des prisons qui se réunissait à la chambre
de cassation trois ou quatre fois par an. Il y avait beaucoup de magistrats,
des travailleurs sociaux... Mais il y a beaucoup de magistrats qui
s'intéressaient à qu'est ce qu'on peut faire pour que le
détenu puisse changer. C'est pour ça que la société
des prisons nous soutenait pour les groupes. Alors il y avait le Dr Hivert
qui était membre de cette commission. Je ne pense pas qu'il ait fait des
psychothérapies de groupes. Je ne pense pas. Je crois, mais c'est
toujours... je crois qu'il était moins engagé dans les
thérapies, dans tout ce qui était thérapeutique. Il me
semble comme ça, sans le trahir, qu'il était moins engagé.
Qu'il était plus traditionaliste.
E.F : Parce que son Annexe était l'une des
principales avec Lyon. Il y avait des échanges ?
D.G : On a eu beaucoup de contacts avec La Santé.
On avait des relations avec Antoine Lazarus au niveau de la
société de médecine pénitentiaire. Hivert
était ouvert à beaucoup de choses... Peut-être que... Il
était ouvert à beaucoup de choses, il permettait à ce que
beaucoup d'influences s'expriment comme ça. Mais il était
peut-être moins engagé dans tout ce qui était
psychothérapie. On avait, nous, une forme d'engagement qui était
quasi-politique. Au même moment, on travaillait en psychanalyse.
C'étaient des petites choses à l'époque puisque
c'étaient des vacations. C'est sûr que c'est à La
Santé que s'est préfiguré un service médical. C'est
eux qui ont eu des internes bien avant nous. Ce sont des internes qui n'avaient
pas passé de concours bien entendu. Et c'étaient des
transplantés qui avaient comme bénéfice d'avoir à
la prison un domicile et leur nourriture. Ça a quand même
donné quelque chose de particulier. Alors certains internes ont
continué et sont devenus médecins. Mais ils n'ont fait tout le
temps de leur médecine, ils ont été logés et
nourris à la Santé. Alors, ça donnait quelque chose de
particulier parce qu'ils étaient tout le temps là bas. Ça
donnait à son service une certaine sécurité et
l'Administration était satisfaite de toujours pouvoir avoir quelqu'un
sous la main. On nous a toujours reproché de ne pas intervenir la
nuit.
E.F : Mais il y a eu un système d'internes qui
a été adopté à Lyon ?
D.G : Oui. Ils avaient un peu le statut de l'internat
régional. Ceux qui avaient envie de rester à Lyon, parce que
c'était ce type de motivation, ceux qui avaient une orientation un peu
psychiatrique venaient et on les sélectionnait comme ça quoi. Ils
ne faisaient pas les nuits et ne faisaient qu'une partie de la journée.
Là, c'était autre chose. C'est comme s'ils s'étaient
inscrits à l'internat régional. C'était pas du tout comme
les premiers modèles d'internes à La Santé qui acceptaient
de vivre à la prison. En général, c'est ceux que ça
arrangeait parce qu'ils n'avaient pas de chambre à payer, pas de
nourriture... C'était souvent sans rémunération mais
ça en arrangeait pas mal qui étaient étrangers.
E.F : Le Dr Hivert était quelqu'un pour une
autonomisation de la psychiatrie par rapport à la médecine
somatique ?
D.G : Je crois qu'il était plutôt pour la
séparation. Je crois que moi, aussi, j'étais pour la
séparation. J'ai fait les deux. Si nous avons été dans la
médecine pénitentiaire, c'est parce qu'on pouvait le faire car on
avait un poste à l'extérieur et parce qu'on voulait faire quelque
chose pour les détenus. On voulait que ce soit à la fois une
vraie médecine et à la fois une médecine humaine, qui
tenait compte du malade qui était souffrant dans toutes ses
composantes.
E.F : Et qu'est ce qui justifiait cette
séparation à vous yeux ?
D.G : C'était parce qu'on savait bien qu'il n'y
aurait pas beaucoup de psychiatres qui feraient de la médecine
générale et qu'il n'y aurait pas beaucoup de médecins
généralistes qui pourraient faire de la psychiatrie. Et si on
voulait donner un modèle médical, il fallait reproduire le
modèle médical à l'extérieur, à savoir....
On a aussi un peu reproduit le modèle qu'on était en train
d'établir à l'extérieur, à savoir les services
d'urgence. Le service d'urgence a très vite comporté... En fait
avant même de les ouvrir, on s'est rendu compte que l'urgence ne pourrait
pas se passer de psychiatres. En fait aujourd'hui certains s'en passent mais
c'est s'en passer avec difficulté. Alors, on avait vu que ça
pouvait coexister au sein d'une même institution. Certes avec des
difficultés mais on ne pouvait pas aller l'un sans l'autre. Celui qui
est en petite réanimation, on y va mais avec l'accord de celui qui s'en
occupe sur le plan somatique. Donc on avait à la fois ce modèle
d'une configuration où on pouvait échanger les uns avec les
autres, mais en même temps une séparation. Et puis après,
l'hôpital psychiatrique ayant pris en charge les CMPR, on pouvait
dire : « Ben voilà, y a déjà en prison, un
service public qui est installé ». Puisque les médecins
des hôpitaux psychiatriques gardent leur statut de l'hôpital
psychiatrique.
E.F : Avant que les CMPR existent, y avaient des
liens entre psychiatres ?
D.G : Nous on y allait bénévolement. Les
groupes de psychothérapie collective qu'on a fait, c'était
bénévole. Buffard, elle, avait un statut. C'était l'un des
premiers statuts de psychologue à la prison. Et la direction avait
accepté qu'il y ait une psychologue. C'était une
révolution parce qu'à l'époque, ça va vous
paraître bizarre, mais il n'y avait même pas de psychologue
à l'hôpital. Alors qu'aujourd'hui il y en a dans tous les
services. On ne savait pas cependant comment la rémunérer. Et
finalement, on l'a payé avec l'indice qui correspondait au jardinier.
Parce qu'à Lyon sur le béton on n'en avait pas besoin. Et donc
ça l'amusait d'être considérée comme
jardinière [tires] Autrement personne n'était payé. C'est
bien d'ailleurs ce qui nous a permis de faire des choses. Si on avait dû
attendre d'avoir des subventions. La Société des prisons
participait aux charges mais c'était plus pour les frais que pour la
rémunération des séances.
E.F : Et par contre comment ces groupes de
psychothérapie ont disparu ?
D.G : Ils ont disparu parce qu'on a manqué de
nouveaux psychothérapeutes. Parce que vous faites ça quelques
années, comme je vous le disais gratuitement. C'est pas tellement la
gratuité, mais on a tous acquis des charges d'enseignement ou
hospitalières. Donc, ça devenait de plus en plus difficile. Pour
moi, quand j'ai pris la médecine pénitentiaire, j'ai fini les
groupes et voilà. Et étant donné qu'il n'y jamais vraiment
eu d'officialisation, ça n'a pas créé des postes. Les
psycho, à part Buffard, ne rentraient pas en prison. Il n'y avait pas
encore de SMPR. Donc on a eu des succès d'estime en France comme
à l'étranger. On a donc donné nos résultats au
5ème congrès de criminologie et ça a
été l'acmé et presque la fin. Parce que ça
s'épuise. Surtout en fonction de nos activités respectives [...]
Et puis ça n'a jamais été entériné. Tout ce
qui est psychothérapie n'est pas reconnu en prison. Les SMPR se sont
organisés parce qu'ils sont dans la tradition de ce qui se fait en
psychiatrie. Ils ont donné beaucoup de médicaments, à mon
avis trop [rires] mais à l'hôpital psychiatrique, c'est pareil. A
partir de ce moment là, les médicaments rendent les gens calmes,
silencieux et ça arrange tout le monde. Alors que la
psychothérapie... Parce qu'il n'y pas en prison cette volonté de
faciliter le fonctionnement psychique. J'ai eu des difficultés
inouïes à essayer de faire rentrer un psychanalyste en prison pour
poursuivre une psychothérapie qui avait été
commencée à l'extérieur. Moi, mon credo a toujours
été de dire : « Certes la prison on ne peut pas en
sortir mais tout le monde peut y rentrer ! ».
E.F : Et à ce moment là, j'imagine que
G. Fully devait vous appuyer ?
D.G : Oui. On était pas toujours d'accord avec lui
mais quand il y avait des activités entre guillemets
révolutionnaires pour le milieu carcéral, il était
d'accord. Et puis Fully c'était une révolution de
résistances. On avait, nous aussi, cet esprit là. 62, la guerre
d'Algérie. Personne n'était pour y rester. On était
plutôt pour le FLN avec des partis de gauche qui avaient
été emprisonnés pour soutien au FLN. Et puis
progressivement cet esprit de résistance qui nous animait tous s'est
considérablement émoussé.
E.F : Et quelle était la position de Solange
Troisier à l'égard de ces
psychothérapies ?
D.G : Elle était pas contre mais elle était
ni contre, ni pour... Troisier, si ça flattait son ego c'est bien. On
peut pas dire qu'elle ait été contre. Non. D'ailleurs elle venait
souvent. Ça faisait pour elle un lieu d'action intéressant. Mais
c'était plus politique. C'est plus la même chose que d'y croire et
d'y participer. Elle, elle n'y participait pas. Elle n'avait jamais fait de
choses semblables. Elle a pas été contre. On peut pas dire
qu'elle nous a brimé mais elle a été d'une certaine
façon dans le même sens que Fully mais c'était très
politique. Ce qui a arrêté les choses, c'est le SMPR. Parce
qu'à partir de ce moment là, c'était sous
l'autorité d'un chef de service qui avait autorité sur tout ce
qui se faisait. Ce qui changeait tout. On était pas contre. On n'avait
pas pensé que ce qu'on avait fait ça serait comme l'Annexe mais
on avait pensé que ça pourrait être une inclusion des
services psychiatriques [...] Le recours au médicament, pour moi,
ça n'est que ponctuel. On le voit bien d'ailleurs. Si vous devez prendre
des médicaments toute votre détention, est ce que vous devez
prendre des médicaments à votre libération ? Pour
l'anecdote, lorsqu'au Vinatier, il y avait encore une sorte de ferme qui
était une forme de sociothérapie [...] Y avait la récolte
des choux, les gens étaient prêts de la nature, y avait cette
idée que la nature était bonne. Et les cochons, on avait
remarqué qu'ils dormaient toute la journée. Car on les
nourrissait avec les déchets des cuisines où les malades jetaient
leurs traitements [rires]
E.F : En tant que généraliste, vous
étiez confronté à une demande importante de
médicaments de la part des détenus?
D.G : Oui mais ça dépend comment vous les
recevez. S'ils sentent que vous êtes réticent, non pas pour les
brimer mais parce que vous les considérez autrement, vous avez une autre
considération de l'homme... Alors bien sûr, la détention
n'est pas forcement bonne mais passez sa détention dans un état
semi-comateux n'est pas forcément bon non plus. Alors quand vous
êtes comme ça et que vous prenez du temps à les recevoir et
que vous leur expliquez : « Je peux vous prescrire un
somnifère mais ça va vous aliéner si vous le prenez trop
longtemps ». Ça, ça se gère. Sachant bien quand
même, qu'à partir du moment où il y avait un SMPR, la
plupart des prescriptions étaient effectuées par eux. Moi en
médecine, j'avais plutôt des gens qui.... Leur délit est un
symptôme. C'est parce que leur délit est une socio-pathie... En
partie du moins. Mais je limitais beaucoup les prescriptions. Comme je le
faisais en même temps en urgence.
E.F : Et il vous arrivait de refuser les demandes de
psychotropes ?
D.G : Ah oui. On retrouve ces demandes ailleurs par la
suite. Les psychotropes majeurs, les neuroleptiques majeurs... Ah non, bien
sûr. Mais bon à mon sens, c'est le médecin qui en
décide avec l'accord du malade mais c'est pas le patient qui en
décide, avec l'accord du médecin. On avait des réunions
entre généralistes avec les infirmières et puis les gens
du SMPR. Il faut dire qu'on est toujours à peu près entendu avec
les médecins [Hésitant]. Ce qui était un peu gênant,
c'était notre ancienneté en prison, ce qui nous rendait
peut-être un peu plus orgueilleux. On s'y connaissait mieux qu'eux. Et
puis ils étaient un peu les héritiers de ce qu'on avait fait donc
c'était pas toujours simple... C'était des jalousies qui
étaient larvées mais qui étaient pas toujours simples.
Finalement, à la prison on avait pas simplement une relation
médecins généralistes, en plus j'étais un faux
médecin généraliste, et psychiatres mais il y avait un
truc ancien... Alors ça c'est organisé mais ça n'a pas
toujours été facile.
E.F : Parce que concrètement, ça c'est
traduit par quoi la création du CMPR ?
D.G : Ça c'est traduit par un changement de
personnel. C'est Colin qui avait choisi parmi les médecins des
hôpitaux psychiatriques, le Dr Lamothe qui était à Bourg
qui voulait venir à Lyon. Et c'est Colin qui lui a demandé. Il
est venu à partir des CMPR. Tous ceux qui étaient là avant
n'étaient pas payés pour cela. Et puis, il est apparu des
infirmières psychiatriques, plus les surveillants... Donc y a eu toute
organisation. En plus l'Administration leur a fournit les locaux mais tout le
reste était de l'hôpital psychiatrique. La matériel, le
secrétariat, tout ça était fourni par l'hôpital
psychiatrique. Il a fallu que Lamothe et son équipe fasse son trou parce
qu'à la fois ils participent de l'hôpital et ils n'y sont pas
beaucoup. Donc il a fallu qu'ils arrivent à se faire reconnaître
dans cette sorte de spécialité qu'ils n'ont pas pris comme une
surspécialisté. C'était toujours de la psychiatrie mais
dans un milieu particulier.
E.F : Si j'ai bien compris, ce n'était pas
pour vous une spécialité ?
D.G : Non. Non. Il y a eu la politique de secteur. La
sectorisation a permis de sortir de l'hôpital psychiatrique. Il y a eu
beaucoup de choses comme ça. En même temps d'ailleurs, les
psychiatres voulaient venir dans les services d'urgence. C'est là
où avec nous ça n'a pas très bien marché. Parce
qu'on était là, on était installé. Et nous, nous
étions payés par les hospices civiles, nous ne dépendions
pas du tout de l'hôpital psychiatrique. En leur disant tout de même
que l'urgence psychiatrique était une spécialité. Tout
ça pour vous dire que l'Annexe psychiatrique n'est pas apparue comme
quelque chose d'exorbitant du fait de ce mouvement de sectorisation qui a fait
qu'un grand nombre, je ne dirais pas tous, il y a eu un mouvement
d'extériorisation. Ce qui fait que celui qui avait un service à
l'extérieur n'apparaissait pas... La seule chose c'est que ça
n'était pas sectorisé.
E.F : Et vous, en tant que médecin
généraliste quels pouvaient être les points de
désaccord que vous pouviez avoir avec les psychiatres du
CMPR ?
D.G : Ben c'était en gros, la thérapie que
je supportais mal... Enfin aussi importante. Je pense qu'il y avait surdosage
à cause de la condition pénitentiaire. Sur ça, on
n'était pas d'accord. Parce que je trouvais... Surtout je recevais des
gens qui étaient traités par le CMPR et je voyais qu'avant
c'était un peu moins. Et puis je constatais des troubles dus à
ces excès. Et puis je pensais qu'on ratait des choses. J'avais aussi ce
passé des groupes, donc voilà ! A la fois, je trouvais que
c'était une avancée mais que j'avais espérée que
ça aurait fait évoluer la prison. Je peux dire que ça a
rien changé. J'espérais que ça humaniserait plus la
prison. Alors ça n'a pas été seulement le fait de ceux qui
sont venus, c'est aussi qu'ils ont été littéralement
assaillis par la demande, par le nombre de malades à suivre. Et puis par
une psychiatrisation de la prison. [...]
E.F : Au niveau de la préservation du secret
médical, le CMPR...
D.G : Pour eux c'était plus simple. Et puis c'est
par comme la médecine générale parce que pour eux, il n'y
pas d'urgence. Tandis que pour la médecine générale, on
peut nous dire : « Oui mais si on a besoin, il faut qu'on sache
tout sur lui ! ». C'étaient pour des tas de raisons comme
ça. En fait, il ne peut pas y avoir de secret pour les autorités
pénitentiaires. Il faut que tout soit connu tout le temps. C'est un des
principes, contre lequel j'ai résisté bien évidemment. Je
crois que la psychiatrie avait moins de raisons que le secret soit pas
respecté. Là, l'avantage à Lyon c'est qu'on était
un groupe.
E.F : Et c'était quelle forme de
résistance ?
D.G : Ou le secret a été le plus difficile
a respecté, ça a été avec Barbie. Ça a
été très difficile. Bon, Barbie a sans doute
été le personnage le plus marqué. Donc tout ce qui
était de lui, ce qui était dans son dossier médical
attirait. Ça pouvait se vendre... Donc, je m'étais dis que si je
le laissais parmi les dossiers des autres, on allait pouvoir forcer une serrure
ou avoir une clé... Et comme on me disait en même temps qu'il
fallait le suivre la nuit, parce qu'il fallait absolument le garder en vie...
J'ai passé une convention avec la direction qui faisait que son dossier
était placé dans un carré avec une vitre. Ce qui faisait
qu'on devait casser la vitre si on devait y avoir accès en urgence, ce
qui serait justifié par un médecin de SOS Médecins.... Ce
qui fait qu'on n'a jamais cassé la vitre ! Je vous dis ça
parce que ça schématise bien la place du secret médical en
prison. Alors pour la nuit on avait élaboré un système
mais si quelque chose s'ébruitait. On leur faisait signer un papier
comme quoi ils étaient, en tant qu'auxiliaires de santé, soumis
au secret professionnel. Ce qui est exact. Souvent c'étaient des gars
célèbres. C'était pas pour savoir. C'était pour
vendre aux journalistes. Mais c'est un problème qui est
intéressant qui montre bien que quand vous êtes détenu,
vous n'avez plus rien à vous.
E.F : Et au niveau de l'épidémie de
VIH, ça a dû prendre une dimension...
D.G : Alors là, c'était justifié
pour la protection des surveillants. Y a eu des peurs incroyables. A tel
point... Y a eu des gendarmes qui devaient emmener en Cour d'assises un
détenu. Ils n'ont jamais voulu. A tel point que j'ai organisé des
conférences et des films où on voit le virus au microscope
électronique. Souvent je venais ou quelqu'un de l'infirmerie pour venir
répondre aux questions. Puis par la suite qu'un du service du Pr Trepos
est venu à la prison. Ça a été assez bien parce
qu'on a pris leur demande en considération. On a d'autant moins
rigolé qu'on était pas sûr de savoir comment ça se
passait. Ce qui m'avait permis de demander des préservatifs et ça
a été des réactions du genre :
« Comment ! Vous pouvez penser qu'il y a de
l'homosexualité dans la prison ! » [...] Alors ça
a été aigu parce que ça ouvrait sur les pratiques et sur
les abus sexuels entre détenus. Ce qui fait que j'ai eu des
préservatifs par des laboratoires et par des associations de lutte
contre le VIH. Ça a été extrêmement difficile.
C'était pourtant une lutte.
E.F : Et par contre en cas d'agression d'un
surveillant par un détenu...
D.G : Ah oui c'était souvent ça. Alors,
c'est vrai que pour le surveillant c'est extrêmement angoissant [baisse
la voix] Il vous donnait un coup de fourchette. C'était une petite
blessure mais... Alors bon avec analyses, attendre trois mois... ça a
été très très difficile. Ça a
été une période très difficile le VIH [...] Et
puis, il a fallu les traiter. A un moment où on avait pas de
trithérapie. C'était l'interféron. Il a fallu s'accorder
avec les laboratoires. Alors c'était aussi pratique parce que ça
permettait de savoir mais on a eu aucune, aucune subvention pour faire des
études. Oui ça permettait aux laboratoires de savoir. Par exemple
avec l'Interféron, ça leur permettait de savoir quels
étaient les résultats. C'était intéressant mais les
laboratoires voulaient savoir leur efficacité. Or, on avait aucun moyen
de faire puisque tout argent nous était refusé. Alors les
laboratoires voulaient bien payer mais ils disaient : « Il faut
que ce soit quelqu'un de chez nous qui y aille ». Et le
résultat, c'est que je me suis entendu... avec un laboratoire d'ici,
pour qu'ils analysent. Mais on a fait ça dans la plus grande
irrégularité. C'est-à-dire qu'on a fait des
prélèvements sanguins, etc. Qu'on a envoyés au labo... ce
qui était quand même. Donc on a été obligé de
faire des analyses qui intéressaient les laboratoires universitaires
parce que ça leur permettait de publier et la prison c'était
quand même l'essentiel parce qu'on voyait quand même beaucoup de
détenus, de par leur vie antérieure, leur toxicomanie
notamment... On risquait de trouver plus de VIH qu'ailleurs.
E.F : Mais ces traitement vous étaient
offerts ?
D.G : C'étaient des traitements qui nous
étaient offerts. Mais c'était pas gratuitement. C'était
offert pour l'expérimentation. Alors, c'était pas une
expérimentation qui risquait de mettre la santé de l'individu. Au
pire, ça risque de ne rien faire. Et au départ, ça a
été comme ça. Mais il fallait que nous sachions, si
ça modifiait quelque chose. C'était très tôt tout
cela. Parce que ça a été un problème aigu.
C'était inimaginable [...]
E.F : Ça se manifestait comment dans
l'atmosphère de la détention ?
D.G : C'était devenu une crainte pour tout le
monde. C'était en santé que c'était le moins aigu parce
qu'on avait quand même tous été dans des
conférences. Moi, j'ai été très vite chez les
infectiologues à quoi ça ressemblait. Ça nous a permis
d'informer les infirmières et puis ça nous a servi à
rassurer les surveillants qui étaient toujours là à nous
demander. Et là vient le problème du secret : est ce qu'on
peut ne pas dire ceux qui sont atteints du VIH ? Difficile. Et le
directeur avait affaire à des mouvements syndicalistes disant :
« On ne peut pas y aller si on ne sait pas ! ». Alors,
il y a eu des compromis. Mais ça a été une grosse attitude
qui était bien plus importante en prison qu'à l'extérieur.
Parce que les conditions de vie et les moeurs favorisaient la transmission.
Heureusement, ça ne s'est pas passé comme ça. Y a eu moins
de cas qu'on pensait. Quand on demandait un médicament qui
n'était pas autorisé, si on justifiait bien, l'administration
acceptait. On peut pas dire que la prison ait refusé les
médicaments. Ce qu'ils ont refusé, au début, c'est la
détection, les tests de dépistage parce que ça faisait
beaucoup d'argent. En plus, y avait la question de savoir si on pouvait imposer
le test. Parce que quand on leur demandait presque tous refusaient. On se
disait quand même que ça pouvait faire courir de gros risques.
Mais ça soulevait de gros problèmes éthiques [...]
E.F : Et ces premiers cas, est ce que ces
détenus ont été isolés ?
D.G : La majorité a été
isolée au départ. Seulement la prison a toujours manqué de
places. Alors ça devenait des problèmes un peu difficile parce
que ça faisait qu'on concentrait un peu les autres détenus. Donc
ça a quand même posé beaucoup de problèmes
justement. Ça a duré quelques mois. Tant qu'il n'y en a pas eu
trop. Mais encore une fois on pensait qu'il y allait en avoir beaucoup plus.
Les laboratoires nous disaient : « Vous allez être le lieu
idéal pour l'étudier puisque vous avez forcément des
toxicomanes ». Alors, notre connaissance à l'urgence nous a
bien aidé aussi. C'était une période très...
pionnière quoi. C'est pour ça quand on parle du sang
contaminé, moi je me dis quand même qu'on ne savait pas bien. Moi,
j'avais comme politique d'être extrême, ne sachant pas, il valait
mieux isoler, il valait mieux se servir d'instruments qui ne seraient que pour
eux. C'est pour ça que ça faisait un peu médecine de
brousse. Et puis avec une administration qui avait de la peine à suivre.
On avait un dépistage de la syphilis, on avait des vacations
d'infirmières pour ça, alors qu'on en trouver un cas qui le plus
souvent était archi-connu. Tandis qu'on ne pouvait pas avoir un
dépistage systématique, ou tout au moins en faire un certain
nombre. Parce que rien n'était prévu. Et là c'était
vraiment la prison qui rame. Parce que quand elle devait s'adapter.
E.F : Vous vous rappelez quand les dépistages
ont été proposés ?
D.G : Ben ils ont été proposés au
moins trois ans après. C'était le service du Pr Trépos. Il
s'occupait des hépatites et donc il avait tous les toxicomanes. Donc il
s'est occupé des gens qui avaient le VIH. Donc est venu quelqu'un qui
s'occupait des détenus. Il ne dépendait pas de la
Pénitentiaire ce qui était positif. Il s'y connaissait plus que
nous, il avait avec lui un service hospitalier qui était celui qui s'y
connaissait le mieux. Et puis il pouvait répondre à nos besoins
de traitement. Le Dr Barlet avait beaucoup oeuvré avec les laboratoires.
Mais c'était toujours dans cette espèce d'expérimentation.
E.F : Et ça n'a pas été trop
difficile d'obtenir l'intervention de son service ?
D.G : Non, ça, ça a été
plutôt facile. Parce que ça les dédouanait. A partir de ce
moment là, ça ne relevait plus de l'Administration
pénitentiaire. Le service du Dr Trépos est intervenu facilement
aussi. Ça les intéressait. A tel point que celui qui venait s'est
intéressé à la médecine pénitentiaire un
peu. Il dirige maintenant le service de médecine pénitentiaire de
Lyon Sud. Par ce biais là, il est rentré en prison, il a
continué à avoir des liens avec le service de médecine
pénitentiaire et il a pris la suite de Barlet. Son expérience
était très centré sur l'infectiologie mais comme le
service de médecine pénitentiaire est un service de
médecine... Bien qu'on ait voulu en faire plus que ça !
Barlet était aussi psychiatre donc ça nous apparaissait de voir
les gens qui ont des troubles en même temps. Ou quelles sont les
conséquences d'une maladie grave en prison. C'est un trouble, ça,
qui est difficile. Donc il nous semblait plus intéressant qu'il y ait un
côté psychiatrique. Et moi, je n'ai pas été
enthousiaste quand il a pris la suite de Barlet. Mais on ne pouvait plus
trouver de psychiatre acceptant de faire de la médecine
générale. Mais on aurait aimé qu'il ait une composante
plus « psy » [...]
E.F : Et au niveau du service du Pr Trepos, vous me
disiez qu'il avait été assez favorable ?
D.G : Oui parce qu'à ce moment là on
pensait que le milieu pénitentiaire serait un milieu infecté.
Trépos qui est spécialiste de tous ces trucs a été
conduit... Il était dans tout ce qui était hépatites, et
il a été conduit à s'intéresser au VIH et donc
logiquement, c'est nous qui avons été le trouver bien sûr
c'est pas lui qui... On lui en a parlé et il été un peu
comme nous. Mais je vous dis bien on a sans doute extrapolé, ça
n'a pas été aussi grave qu'on pouvait le penser. Parce qu'au
début ça s'est traduit par de l'affolement. Les détenus ne
voulaient plus intervenir. On leur disait : « Ils sont
peut-être contagieux mais on ne peut pas le détecter. Même
s'ils sont négatifs aujourd'hui, ils seront peut-être positifs
dans trois mois ». Donc à l'époque c'était
intolérable.
E.F : À l'époque vous parliez de
contagion ?
D.G : Ben oui. « Il sont contagieux. Il ne faut
surtout pas les approcher » [...] Souvent quand même quand y
avait un risque pour... Ben on disait : « Y a un risque pour le
surveillant ! » [baisse le ton] On était bien
obligé. On pouvait pas.... A partir du moment... Votre secret est
levé à partir du moment où ça concerne quelqu'un
d'autre. Si c'était simplement pour savoir qu'un tel est
contaminé. Tandis que si vous faites courir un risque à quelqu'un
d'autre... Personne ne vous soutiendrait dans la défense du secret
médical. Le secret doit toujours profiter à celui qui en est
porteur et à ceux qui en auraient les conséquences. Moi dans les
expertises, j'en ai quand même beaucoup vu qui avaient le VIH parce
qu'ils avaient des rapports sexuels sans protection... Ils ont contaminé
toute une série de femmes. J'ai eu toute une série de cas comme
cela. Alors l'expertise, vous savez, elle est partielle mais tout ce qui
peut... Même si ça concerne autre chose. Là, quand vous
voyez que quelqu'un n'a aucun contrôle de lui et qu'il s'en fout, vous le
mettez, même si ça n'a aucun rapport avec ce pourquoi il est
condamnable. Le secret médical il faut s'en servir de façon
intelligente. Ce n'est pas un secret dans l'absolu.
TROISIEME ENTRETIEN
E.F : Vous m'aviez parlé du passé du Dr
Fully et vous m'aviez dit que vous aviez des points communs ?
D.G : On avait des points communs parce que, comme je
vous le disais, pendant la guerre j'avais fait des liaisons comme ça
mais je n'ai jamais été arrêté. On avait des
idées communes. Il avait des idées de gauche et ce qui se
manifestait assez nettement quand le FLN a pris du poids en Algérie et
c'est pour ça qu'il avait milité, enfin d'une façon...
sans provocations, il avait essayé de défendre les droits de
l'homme pendant le FLN. Je crois que Marcel Colin était un
chrétien militant. Il avait toujours milité aussi dans les
associations étudiantes, pendant sa médecine, il avait
gardé des liens avec d'autres étudiants en droit en particulier.
Je sais qu'il a beaucoup participé à la distribution de ce
journal qui n'était pas autorisé [Témoignage
Chrétien] [...] Fully était un gaulliste de gauche. Il
était gaulliste et dans le fond, il aurait était gaulliste
même pour l'Algérie. Il était persuadé que
l'indépendance était nécessaire et de toute façon
inévitable. Fully était gaulliste parce qu'il était
résistant. Il aurait en effet être pu FTP ou communiste. Moi,
j'étais peu gaulliste par rapport à lui mais bon [...]
E.F : On avait commencé à parler du
premier congrès de 1963 où était apparue cette idée
de médecine pénitentiaire ?
D.G : Oui parce que la médecine
pénitentiaire, c'était une médecine qui n'était pas
connue. Elle n'était pas connue des médecins en particulier.
C'était souvent des individualités qui faisaient des actions
charitables, qui étaient parfois chrétiens. Ça faisait
partie de la visite aux prisons. La plupart du temps, c'était gratuit.
C'était une tradition soit familiale, soit dans un groupement
idéologique ou religieux. On peut dire que c'est au moment où il
y a eu tous ces emprisonnements après la guerre... Il y a eu des
réflexions importantes des médecins et magistrats qui
étaient entrés en prison [...] Amor a beaucoup dit ce que
c'était la prison, ce que c'était que l'enfermement, qu'on ne
pouvait pas récupérer des criminels en les traitant comme
ça. Y a eu tout un rapport sur les conditions et matérielle et
morales des prisons. Et notamment au niveau de la prise en charge
médicale. Pendant la guerre ça a été lamentable.
Les médecins signaient souvent des certificats de décès.
Et ça a révélé cet état. Il a fallu quinze
ans ou dix ans pour que ça se révèle, que des gens dans la
hiérarchie judiciaire ont pu faire connaître leur lutte.
E.F : Et en 63 ?
D.G : Alors en 63, déjà il y a quelqu'un
qui avait été nommé au ministère pour s'occuper...
Parce qu'avant c'étaient des contrats locaux. Vous étiez
engagé par la prison mais si vous aviez dit travailler pour le
ministère de la Justice, ça aurait paru abusif pratiquement. Et
vous étiez forcément isolé dans la prison. Ce qu'il y a de
particulier, c'est qu'il y avait un peu dans toutes les grandes villes un
médecin sur ce mode là, avec des statuts différents.
Certains avaient des indemnités, certains avaient de l'importance. Il y
avait des contrats entre prisons et hôpital par exemple. Il y avait une
diversité des situations médicales très importante et,
surtout, aucune connaissance des uns des autres. Personne... Moi, ce qui
m'avait frappé, en 63, j'avais pas encore exercé en tant que
médecin pénitentiaire, mais ce qui m'avait frappé c'est
que personne ne s'était bien intéressé au travail de
l'autre. Y a toujours eu un travail individualisé. Y avaient toujours
des réticences à passer ses dossiers médicaux à
d'autres. On était très individualiste. Alors en 63, ça a
été un début. Mais on a vu qu'il y a des gens qui
existaient et qui étaient archi-contents de trouver qu'il y en avait
d'autres qui existaient, auxquels ils n'avaient jamais pensé, et surtout
quand on a exposé nos situations... Alors, c'était pas
scientifique. C'était du genre, je m'en rappellerai toujours :
« Moi j'ai pas une pièce où je peux examiner quelqu'un
parce que je suis obligé d'ouvrir la porte pour que la table d'examen
puisse être mise ». Il avait les pieds dans le couloir [Rires]
C'était des trucs comme ça. Et puis beaucoup disaient :
« Comment les examiner alors qu'on a un surveillant à
côté de soi ». etc., etc. Alors ça montrait aussi
des non-exigences de la part de médecins qui acceptaient cette
médiocrité pénitentiaire. Le mobilier qui était
lamentable. Ils acceptaient aussi de distribuer un peu d'aspirine. Les
revendications étaient quand même peu importantes [...]
E.F : Et ils vous semblaient résignés
ces médecins ?
D.G : Résignés... J'ai eu l'impression
qu'à ce moment là, ils pouvaient être un peu dans la
révolte. Parce qu'ils en voyaient d'autres qui étaient comme
ça et qui disaient : « C'est plus
possible ! ». Si à Lyon on a été à
la pointe, c'est parce qu'on avait nos offices ailleurs et qu'en même
temps on était un groupe. Et puis, surtout, on faisait de la
médecine légale. Alors vous avez toutes sortes de
spécialités dans la médecine légale, vous avez de
la médecine interne, anatomopathologiste et vous avez des psychiatres.
Et à Lyon, ce qui a beaucoup aidé notre dynamique, c'est que
pendant très longtemps, il y a eu une articulation entre la
médecine légale et la médecine du travail. La
médecine légale au 19ème siècle
était liée à la psychiatrie puis la médecine du
travail est née et elle a pris de l'importance et elle est devenue une
spécialité plus recherchée que la médecine
légale. Et il y avait deux élèves qui étaient
possiblement professeurs de médecine légale et de médecine
du travail, puis on a séparé les deux chaires et le Professeur
Roche qui espérait avoir la chaire de médecine du travail n'a eu
que la médecine légale. Et il a, à ce moment là,
pris ça à bras le corps en disant : « On va faire
revivre la médecine légale ! ». La médecine
légale, il l'a non seulement fait revivre à Lyon mais aussi au
niveau national. Il a ressuscité la Société de
médecine légale, il a fait des élèves. Ce sont des
choses un peu...commerciales. Et puis surtout ce qui a été
fondamental, au moins ici et un peu ailleurs, c'est qu'il s'est dit que pour
que la médecine légale soit vivante, il ne pouvait pas rester
uniquement dans l'institut de médecine légale qui est
réputé... faire des autopsies quoi ! Donc c'est une
médecine de la mort ! Lui, était pour sortir tandis que
d'autres étaient pour rester, notamment à Lille il y en avait un
qui défendait cette idée que la médecine légale se
fait dans l'Institut médico-légal. Alors que Roche disait :
« Mais les expertises se font de plus en plus sur le
vivant ». Et surtout ce qu'il est apparu, c'est qu'il y avait
beaucoup de problèmes médico-légaux. Et ces
problèmes se voyaient où ? Et bien chez les gens qui
venaient en urgence en particulier. Et c'est comme ça qu'est venue
l'idée d'appuyer l'urgence qui existait mais... A Lyon par exemple
c'était la porte « A » d'Edouard Herriot,
c'était la porte d'entrée. On appelle ça la
« porte » d'ailleurs. Et il y avait de tout. Aussi bien les
urgences chirurgicales, la psychiatrie, la médecine interne. Tout
était là. J'y avais un peu participé. C'était une
médecine quasi-militaire ! Vous choisissiez vos patients !
« Ça c'est pour moi ! » Y avait tout un travail
qui était fait. Donc le premier service d'urgence a été
fait au pavillon « P » à l'Hôtel Dieu, ils
avaient moins cette approche mais ils l'ont pris un peu. Et ça a
donné une vie particulière à la médecine
légale. Mais très vite aussi Roche a insisté sur l'urgence
psychiatrique parce qu'il y avait, comme Colin par exemple, des gens qui
étaient de formation psychiatrique et il s'est rendu compte qu'on
recevait beaucoup de malades psychiatriques. C'étaient toux ceux qui
déliraient pour la première fois. C'était aussi, bien
sûr, le suicide. Et puis c'était le moment de l'éclosion de
la drogue [...] Ça aussi, ça demandait à la fois des
réanimateurs et des psychiatres pour accéder à leurs
problèmes. Et tout ça, ça constituait en plus des
délits et la police nous les emmenait. Et tout ça a fait une
médecine légale vivante. Et Roche, en plus, disait :
« Comment on va faire une expertise si on est isolé ? Il
faut qu'on soit proche de l'hôpital ». Et l'avantage d'Edouard
Herriot, c'est qu'il y avait tout ce qu'il pouvait y avoir à
l'hôpital à ce moment là. Il y avait un plateau technique
extrêmement développé. Ce qui fait qu'il disait :
« On ne peut être médecin légiste que si l'on est
à la fois au sein d'une structure qui nous reconnaisse dans nos
compétences, mais aussi dans nos grades universitaires et donc qu'on
soit praticien hospitalier ». On pourrait dire qu'il a, à
Lyon, intégré la médecine pénitentiaire parce que
tous ceux qui allaient en prison étaient passés par-là.
Colin avait beaucoup recruté. Mais Roche n'avait pas scindé la
médecine pénitentiaire du reste. Il voyait la médecine
pénitentiaire comme une expansion, comme une antenne de l'urgence
médicale, au sens de « vous voyez, au final, les mêmes
gens ». Et je pense qu'on a bénéficié de ce
dynamisme.
E.F : Et Georges Fully avait un peu la même
conception de la médecine pénitentiaire ?
D.G : Oui [hésitant] mais il en a fait très
vite quelque chose d'un peu à part. Il en a fait quelque chose d'un peu
à part. Et puis surtout, c'est pas une crique, mais il voulait marquer
son travail. C'est logique. Il a bénéficié de notre appui.
C'est nous qui contactions les médecins. En même temps s'est
constitué un syndicat des médecins pénitentiaire autour de
plusieurs médecins parisiens. Alors, eux, ils étaient plus
concernés. C'étaient des praticiens qui se sentaient plus
engagés dans la médecine pénitentiaire. Alors il y a eu
tout un travail administratif pour que les médecins soient
recrutés par le ministère, qu'ils soient payés sur le
même tarif. Le but de ce syndicat était de se structurer, d'avoir
des exigences dans la qualité, la spécialisation des
médecins. On pensait déjà à faire une
spécialité de médecine pénitentiaire. Dans ce
syndicat, ça a plutôt été des parisiens. Parce que
c'était à Paris que ça se passait. Y avait Fresnes, la
Santé. Après y a eu Fleury-Mérogis. Ils voulaient qu'on
soit plus représentatif. Parce que jusqu'à présent
c'étaient tous ceux qui avaient bien voulu y être. Il fallait
être docteur en médecine mais après il n'y avait pas de
spécificité. Et le syndicat disait : « Il faut
monter la qualité pour être payé en fonction de notre
spécialité ». Et on veut un statut. On voulait
être reconnu comme une spécialité avec un statut reconnu
par le ministère. Peut être pas un recrutement sur titres.
Plutôt que ce soit un concours [...] Donc c'était une
espèce de valorisation de la profession. C'est pour ça qu'on
essayait à ce moment là d'organiser des congrès, de faire
des publications, pour souligner le sérieux de notre truc. Et on a
intégré dans le Syndicat les médecins mais aussi les
pharmaciens des prisons. C'étaient des médecins d'officine qui
avaient une succursale [...] Il y avait eu une idée ici parce que Roche
était un type qui aimait beaucoup les publications et il a lancé
plusieurs revues. Une revue de droit médical, de criminologie et puis il
avait fait une sorte de maison d'édition pour éditer les gens du
groupe. Il était favorable à ce qu'on publie des articles sur les
prisons mais il n'a jamais été question de faire une revue
spécifiquement là-dessus. Roche fédérait un peu au
niveau de la France.
E.F : Et cette ouverture de la médecine
légale, c'était, j'imagine, en prévision de la
réforme des études médicale ?
D.G : Il a beaucoup travaillé dans la
spécialisation. Ce qu'il y avait d'intéressant c'est que la
médecine légale ouvrait à l'hôpital. Nous, on
était tous praticiens hospitaliers parce qu'on avait tous
été avant cette réforme mais ce qui pouvait être
intéressant pour ceux qui arrivaient en médecine légale,
c'est qu'ils pouvaient avoir un poste de praticien hospitalier. Ou chefs de
clinique ou assistants. Il y avait toute une filière pour la
spécialisation. Alors le problème a été de savoir
où on mettait la médecine légale. On a dit :
« Il faut garder la spécialité de base ».
Parce que tous les médecins légistes avaient une première
spécialisation. On n'est dit qu'on ne pouvait faire de la
médecine légale qu'une sur-spécialisation.
C'est-à-dire qu'on va faire un ans ou deux après les quatre ans
de psychiatrie, d'anatomopathologie. Autrement dit, on a gardé cet
esprit là. On ne pensait pas faire une médecine légale
juste après la fac de médecine. C'est très dur
d'être médecin légiste sans avoir une
spécialité. Vous voyez bien que pour accepter de faire un an ou
deux en plus de ces autres années, il faut être motivé et
il fallait bien aussi qu'on puisse avoir des postes hospitaliers.
C'est-à-dire qu'on voulait intégrer la médecine
légale dans la médecine tout court. C'était pas une
médecine à part et surtout pas une médecine des morts. La
philosophie c'était quand même de rester dans la médecine
active parce que vous ne pouvez pas être médecin sans suivre le
progrès !
E.F : J'imagine que là où il n'y a pas
eu ce dispositif, la médecine légale a été plus
affaiblie...
D.G : Oui, ils ont eu beaucoup de difficulté. A
partir du moment aussi où les magistrats se sont rendus compte qu'il
pouvait y avait un modèle dynamique. Ce que Roche a aussi beaucoup fait,
ce qu'on ne faisait pas partout, c'est les liens avec les magistrats. Pas
seulement des causettes comme ça. Par exemple, Roche faisait
régulièrement des journées de médecine
légale. Pour attirer un peu les magistrats, on les faisait en Provence,
parce que c'est pas loin. On invitait les magistrats et on les invitait
à parler. Et on vivait ensemble pendant deux trois jours. Et ça
structurait, ça faisait des liens avec les magistrats. C'étaient
les chefs de cour, parquet général, souvent les premiers
présidents. Y a toujours eu des juges d'instruction. Y a toujours eu des
Présidents d'Assises. Et ça créait des liens et
c'était d'autant plus intéressant que les magistrats bougent
beaucoup. Ils se retrouvent dans toute la France et ça diffusait un peu
nos idées. C'est comme ça que j'ai bien connu Truche qui est
devenu premier président de la Cour de Cassation. Mais ce n'est qu'un
exemple parmi tant d'autres. Lyon, en plus, étant une grande ville,
ça nous a permit de diffuser l'importance de la médecine
légale et aussi de la médecine pénitentiaire dont il
était souvent question durant ces congrès. Y avait la peine de
mort, les effets de la peine. Souvent y avait une demi-journée sur la
médecine pénitentiaire. Ça a été très
dynamique [...] On avait beaucoup infiltré la médecine
pénitentiaire dans l'enseignement criminologique. L'école des
commissaires venait une fois par semaine pour une formation en criminologie
clinique et pendant très longtemps les commissaires de police venaient.
Vous voyez, on a toujours été comme ça, dans d'autres
instances judiciaires. Il y avait aussi des journées
italo-franco-suisses de médecine légale qui regroupaient ce qui
était francophone et ça se faisait chaque année. On
sollicitait un peu les gens qui avaient les mêmes idées que nous.
Et puis il y avait des journées de criminologie italo-canadiennes qu'on
faisait tous les deux ans. Et puis l'équipe lyonnaise s'est inscrite
dans beaucoup de congrès. On avait un effort de diffusion de ce qu'on
faisait ici.
E.F : Et le professeur Roche avait aussi des
relations au niveau national avec la Chancellerie ?
D.G : Oui beaucoup. Beaucoup avec la Chancellerie. Il
était d'ailleurs souvent consulté. Et il avait des relations
internationales aussi. Par exemple, il avait des grandes relations avec le
responsable de l'unité de médecine légale de New-York qui
venait beaucoup ici. Il aimait beaucoup faire des liens. Il invitait par
exemple beaucoup chez lui. Il avait une grosse villa sur le bord du parc de la
Tête d'or. C'était un gros truc et, par exemple, il invitait
beaucoup de monde le soir entre 7 et 10H. C'était souvent des gens
différents. C'était une sorte de cocktail où des gens
prenaient la parole. C'était relativement peu mondain. Il faisait
beaucoup parler par exemple les gens des assurances, du genre AXA, Le Gan.
Parfois, il s'en servait pour mettre ça dans une revue. C'était
souvent local mais parfois c'était un peu plus que local.
E.F : La médecine pénitentiaire pour
lui c'était une autre sur-spécialisation ?
D.G : Il pensait que ça serait difficile d'en
faire une spécialité. Et moi aussi ! Je pensais que
ça ne devait pas ... Au début, tout au début, il y avait
l'idée que ça devait être une spécialité. On
se découvrait. On ne se connaissait pas et on se découvrait. Mais
après pour moi, pour moi, et c'est ce qui est arrivé, c'est que
la médecine et toute la médecine, avec ses composantes modernes,
rentre dans les prisons. Je ne voyais pas pourquoi ça serait une
spécialisation. Médecine pénitentiaire ?
Pourquoi ? Pour moi ça devait être un service public dans la
prison, de même que l'hôpital psychiatrique avait mis en place les
SMPR.
E.F : Mais en termes de rattachement universitaire,
vous aviez une certaine conception, médecine légale ou
urgentiste ?
D.G : Plutôt une conception de médecine
légale. Il se trouve que l'urgence, on peut l'assurer mais ce qui
m'apparaissait important, c'est qu'il y ait une compétence
médico-légale. Parce qu'il y a quand même des situations
médicales qui ont des liens étroits avec ce qui a
été fait, les délits, les condamnations. Y a des gens qui
décompensent parce qu'ils ont eu six ans de prison ! S'ils avaient
eu six mois ils n'auraient pas décompensé. Y a quand même
quelque chose qui relève de la médecine légale, du
délit ou des crimes. Faut que vous sachiez aussi ce que vos clients
risquent. Il faut quand même connaître le système des
prisons. Il faut aussi s'assurer que le juge d'instruction ne fasse pas
n'importe quoi, il ne tient souvent pas compte de la médecine
pénitentiaire. Je me rappelle avoir eu beaucoup de difficulté
à faire opérer un type qui avait une rétine qui se
décollait. J'avais obtenu, parce que c'est une chirurgie très
précise... Là aussi, l'intérêt c'est que
j'étais à l'hôpital. J'avais été les voir,
leur expliquer. J'avais obtenu ça et quelques jours auparavant,
hop ! On me dit qu'il a été transféré parce
que le juge... C'est absolument impossible ! Il faut connaître, se
faire connaître des magistrats. Il faut pouvoir collaborer pour que les
magistrats n'aient pas seulement l'impression que vous leur mettez des
bâtons dans les roues mais que vous faites un travail médical qui
est un travail aussi judiciaire.
E.F : Et avec les magistrats au quotidien vous aviez
des relations très fréquentes ?
D.G : Assez fréquentes mais surtout
circonstancielles. Par exemple, à propos d'un malade comme ça ou
par exemple, il m'est arrivé au niveau des mineurs... Ils étaient
à Saint Paul dans un service qui était quand même
très.... Parce que le travail du médecin pénitentiaire,
c'était aussi d'aller faire des inspections... Les fils étaient
dénudés, les cuvettes de WC étaient cassées.
C'était des trucs où on pouvait se faire mal et comme ils se
battent parfois. Quand j'avais vu ça quoi, j'avais été au
parquet pour leur dire de venir et ils m'avaient accompagné. C'est des
trucs comme ça. C'était souvent sur des cas individuels. Il m'est
arrivé très souvent d'écrire au juge d'instruction pour
leur dire d'aller le voir, en leur disant qu'untel était susceptible de
se tuer quoi ! Ils me connaissaient, au moins, les magistrats.
J'étais pas aimé de tout le monde mais j'étais connu [...]
[un peu plus tard, au sujet des congrès]
E.F : Et la question de la dilution était un
sujet de controverse ?
D.G : Ah, ça a été LA [Insiste
fortement] question ! Y a eu d'ailleurs, je crois à Dijon, une
pharmacienne de l'Hôpital de Fresnes qui a fait un test. Ça
m'avait frappé. Par exemple, elle disait les gélules flottent. Et
elle disait, c'est une aberration de mélanger tout ça. On
écrasait des dragées dont justement l'entourage était fait
pour que ça ne s'ouvre pas à ce moment, que ça s'ouvre
dans l'intestin. Les gélules, pareil. Les fioles, ça a
été la grande bataille parce que ça annulait les
propriétés médicamenteuses ! [...] Ceux qui
étaient diabétiques et insulinodépendants, ils avaient
leur piqûre. On ne les autorisait pas à se la faire. Il fallait
qu'ils viennent à l'infirmerie. Alors bon, d'accord. Mais ceux qui sont
diabétiques non insulinodépendants avec des sulfamides
hypoglycémiants, bon, c'était distribué à n'importe
quelle heure. Or, il faut que ça soit distribué en rapport avec
votre alimentation sinon ça n'a pas de sens. Par exemple, si c'est
distribué trop tôt, vous allez augmenter l'hypoglycémie
avec un risque de coma ! Enfin des trucs comme ça. En plus il n'y
avait aucun respect de la posologie. Pour eux, c'était matin et soir.
Ça ne pouvait pas être trois fois par jour. Alors souvent on
négociait au cas par cas. Ça prenait un temps fou ! On
épuisait une énergie folle. Après, j'étais prudent.
Les régimes par exemple, c'était ahurissant. Je comprends que
certains régimes spécifiques soient difficiles mais par exemple
quand vous décidez un régime sans sel. On peut faire des
pâtes sans sel. Parce qu'en général y avaient plusieurs
régimes sans sel dans la prison. On pouvait faire une casserole à
part. Et ben non ! Alors les diabétiques calculaient leurs doses et
j'avais demandé au diabétologue de me faire des menus, simples,
ça n'a jamais été possible. Il fallait peser alors on ma
disait : « Vous imaginez ». S'il y avait eu 700 types
à peser, je comprendrais mais il y en avait quatre ou cinq au maximum.
« On n'a pas de balance ! ». C'était pas
prévu ! C'est pour vous dire, c'est que des trucs comme ça.
Il fallait être menaçant : « Bon ben, coma
glycémique et bien voilà ! ». Quand vous
êtes hypo, ben ça va bien, vous lui donnez du sucre mais quand
vous êtes hyper... Qu'est ce que vous faites ? Là, ça
marchait mais c'était épuisant. Et vous pouvez difficilement
abandonner parce que vous vous dites : « Ben s'il y a un
problème, c'est moi qui ait tort ». Parce qu'en cas de
problème, c'est simple pour le directeur de dire : « Ben
le médecin n'a rien vu, le médecin n'a pas fait son
travail ».
E.F : Vous avez peur que votre responsabilité
médicale soit impliquée ?
D.G : Oui. Par exemple, les morts subites à la
prison, je n'ai jamais signé de certificats de
décès ! Parce que je me disais : « C'est trop
facile ! On va te dire que tu n'as pas fait ton boulot. Tu n'as pas vu un
cardiaque. Tu as négligé un diabétique, etc ».
Donc à chaque fois je téléphonais au SAMU en leur
demandant de faire le certificat de décès. Beaucoup faisaient
comme moi. Mais il y en a qui se sont fait avoir comme ça. Le
problème, c'est de faire de la médecine pénitentiaire
comme on fait à l'extérieur. Pareil, pour les suicides. Jamais je
n'ai... De toute façon si je signais un certificat de
décès, je le mettais en mort violente. Parce que de toute
façon quand il y avait une urgence, il m'est arrivé de signer
comme ça et je signais mort médico-légale. Ça s'est
appelé mort naturelle ou mort médico légale quand on veut
savoir que ce que c'est. Ça veut dire que quelque chose est suspect.
L'important c'est que cette mort on ne pouvait pas en prendre la
responsabilité comme une mort qui ne posait pas de problème
judiciaire [...] Et les suicides, jamais je n'ai signé un mort naturel.
Et puis surtout je voulais qu'il y ait des enquêtes [...]
E.F : Et quelle était la position de Fully au
sujet des fioles ?
D.G : Il était très ambigu. Les fioles,
c'était un principe de sécurité. Alors il disait
[souffle] : « Si on a des suicides, ce sera
pire ! ». C'était très difficile parce qu'on
n'avait pas le personnel à disposition. Sa position a été
ambiguë. Je comprenais que ce soit ambigu. Parce qu'il disait :
« Ça sert quand même ! ». Il était
pas contre, il était pas pour [...] Il était souvent en porte
à faux... mais il avait une représentativité quoi !
Il avait ce statut du déporté ! Il avait cette
honorabilité là et on était encore pas très loin
des témoins de la guerre. Ça a beaucoup joué.
C'était quelqu'un qui était écouté et je crois que
sa position plus nuancée que j'aurais voulu... Je crois que
c'était très difficile quand même pour lui. Si on m'avait
proposé son poste, je ne l'aurai jamais accepté. Je crois qu'il
voulait être utile. C'est un type qui aimait le risque [...]
E.F : Fully et Troisier étaient assez
différents en terme de personnalité ?
D.G : Ah oui, elle a une personnalité très
narcissique. C'est moins qu'on puisse dire. Je ne dirai pas qu'elle faisait
rien mais elle aimait quand il y avait un peu de flonflon autour d'elle. Elle
avait ses têtes. Mais elle a fait des choses. Moi, je l'ai toujours senti
dans le risque d'être utilisée. Si vous aviez compris ses besoins
narcissiques [...] Je pense que c'était un peu politique. Elle
était quand même très engagée. C'est comme souvent,
c'est monté en épingle et après vous ne pouvez plus vous
en sortir. Mais, elle, je crois, qu'elle a été abusée.
C'est une conviction [...]
E.F : Est-ce qu'il y avait des internes qui
participaient aux congrès ?
D.G : Alors dans les premiers congrès, il n'y
avait pas d'internes. Y en a qui y venaient après, de plus en plus.
Certains étaient très virulents. Ce qui était
intéressant c'est que ça renouvelait la sève des
contestataires. On s'affadit forcément dans une lutte qu'on pense sans
grands espoirs. Parce que le changement en prison a tellement été
lent, qu'on ne l'a jamais bien vu. Alors que les internes qui
découvraient l'univers carcéral, ça faisait un choc. La
plupart du temps, ils ont été plutôt revendicateurs et nous
trouvant insuffisamment protestataires [...]
E.F : Cette période de révolte, au
début des années soixante-dix, vous l'avez vécue
comment?
D.G : Ben moi, j'étais assez satisfait qu'il y ait
des révoltes. Non pas pour la violence que ça a
déclenché. J'avais aussi assez peur pour les détenus quand
je les voyais sur les toits. Mais j'étais satisfait parce que je
trouvais quand même qu'il y avait une conscience collective de
l'injustice. Ce n'était pas sur un fait en plus, de discipline,
c'était sur... Les revendications n'étaient pas ponctuelles,
c'était dans une conscience qu'ils étaient des hommes et qu'on ne
pouvait pas les traiter comme ça. Les juges d'instruction les mettaient
en détention et ne les revoyaient pas pendant plus de six mois. Entre
parenthèses, c'est incroyable. Je pensais que c'était une prise
de conscience et ce n'étaient pas des revendications faciles de
quelqu'un qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. C'était une
revendication pour une vraie justice et ça j'avais beaucoup
apprécié. Il y a eu à Toul aussi. Je me souviens de ce
discours. Ça m'avait beaucoup intéressé parce que ce
n'était pas tellement fréquent. Là j'avais appris des
choses avec elle. Je n'avais pas la même expérience. Dans chaque
congrès on apprenait des choses. Chaque prison pouvait avoir son propre
règlement et c'est le directeur qui faisait le règlement.
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