Première partie :
LE MECANISME DE FORMATION DU CAUTIONNEMENT
BANCAIRE EN DROIT IVOIRIEN
En pratique, le mécanisme du cautionnement bancaire est
simple : un client X de banque décide par exemple de soumissionner
à un appel d'offre de l'Etat de Côte d'Ivoire. Pour garantie de
son offre il contacte sa banque Y pour que cette dernière se porte
caution pour lui. La banque accepte. Un contrat de cautionnement bancaire va
alors liés l'Etat de Côte d'Ivoire et la banque Y qui
répondra en cas de défaillance du client X.
Tout cela est encadré par un ensemble de règles
que nous analyserons dans les deux chapitres constituant cette première
partie. Dans le premier, nous évoquerons les règles de fond,
quand le deuxième s'articulera autour des règles de forme.
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CHAPITRE 1 : LES REGLES DE FOND AUXQUELLES DOIT OBEIR
LE CAUTIONNEMENT BANCAIRE
Le cautionnement bancaire est un contrat. Pour être
valable il se doit donc d'obéir aux exigences de formation du contrat.
Exigences contenues à la fois dans le code civil et l'AURS.
Naturellement le non-respect de ces exigences légales entrainera la
nullité, sanction des conditions de formation du contrat.
Ces règles de formation sont reparties en deux grands
groupes. D'un côté les règles de fond et de l'autre les
règles de forme. Dans cette partie il s'agira uniquement des
règles de fond. Règles qui régissent le contenu du contrat
de cautionnement bancaire.
Pour que le contrat soit formé, il faut que les parties
(la banque et le créancier) expriment leurs consentements (règles
de forme). Mais pour pouvoir exprimer ce consentement, il est impérieux
que les parties elles-mêmes « soient en règle »
vis-à-vis de la loi (règles de fond). Elles sont donc soumises
à des conditions. À cela s'ajoutent les règles, auxquelles
doit obéir l'obligation à laquelle s'engage la banque-caution.
Section 1 : Les exigences légales tenant
à la banque-caution et au
créancier- bénéficiaire, parties au contrat de
cautionnement bancaire
La banque-caution est la partie qui s'engage à
exécuter l'obligation du débiteur principal, son client. Pour
s'engager, elle doit satisfaire à deux conditions édictées
à la fois par le code civil et par l'AURS. Au moment de donner son
acceptation, la banque doit non seulement en avoir le pouvoir mais elle doit
également être solvable.
Paragraphe 1 : Le pouvoir de la banque-caution et la
condition de solvabilité
La banque est une personne morale, c'est-à-dire un
groupement doté de la personnalité juridique, donc titulaire,
lui-même, de droits et d'obligations. Tout
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comme une personne physique, une personne morale peut
contracter. Cependant, la banque ne peut se porter caution que si elle remplit
plusieurs conditions22.
Il s'agit des conditions de pouvoir et de
solvabilité.
A. Le pouvoir de se porter caution-bancaire
« Le cautionnement23 est un acte grave, qui
peut conduire la caution à la ruine, à la suite de celle du
débiteur principal »24. D'où la
nécessité de protéger la caution même lorsqu'il
s'agit d'une personne morale. Lorsqu'une personne s'engage dans un
cautionnement pour le compte d'autrui elle doit en avoir reçu le
pouvoir.
Nous l'avons signifié tantôt, la banque fait
partie de la catégorie des personnes morales. Elle est donc une
entité abstraite qui ne peut agir que par le biais de personnes
physiques légalement mandatées à cet effet.
Elle a beau avoir une personnalité juridique et un
patrimoine propres, quand il s'agit d'agir elle a besoin de
représentants légaux.
Il convient donc de faire la distinction entre les actes de la
banque et ceux de ses représentants.
Pour tout ce qui est transaction, la banque donne pouvoir
à un ou plusieurs de ses représentants.
Le contrat de cautionnement est alors souscrit par son
représentant, mais seule la personne morale est engagée.
En Côte d'Ivoire toutes les banques sont
constituées sous forme de société anonyme selon la loi
bancaire25. Cela a une incidence sur les règles de
formation.
22 LEGEAIS(D), Sûretés et
Garanties du Crédit, LGDJ, 9e éd., 2013, 107, p.90.
23 Le cautionnement bancaire tout autant.
24 AYNES(L), CROCQ(P), les
Sûretés, la Publicité Foncière, 2e éd,
Defrenos, 2006, 372 p.
25Loi n°90-589 portant
règlementation bancaire en son article 20 : « Les banques
doivent être constituées sous forme de société.
Elles peuvent exceptionnellement revêtir la forme d'autres personnes
morales.
Celles qui ont leur siège social en Côte
d'Ivoire doivent être constituées sous forme de
sociétés anonymes à capital fixe (...) ».
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Il convient de souligner que le droit des
sociétés26 encadre de façon rigoureuse les
pouvoirs des représentants de société surtout les
sociétés anonymes.
Et ce dans un souci de protection de la société
elle-même, des associés ou actionnaires et aussi des tiers qui
entrent en relation avec elles.
Le cautionnement bancaire est l'un de ces rapports
contractuels qui engage le patrimoine de la société et pour
lequel pouvoir est donné aux dirigeants de la banque. Cet engagement
pouvant être préjudiciable à cette dernière, il est
posé des balises pour encadrer le pouvoir des dirigeants (ou
représentants). Ces balises sont tirées d'abord des règles
communes à toutes les sociétés et ensuite de celles
particulières aux sociétés anonymes.
Pour toutes les sociétés, la première
balise est que Le cautionnement doit entrer dans l'objet social. La seconde,
est qu'il doit être conforme à l'intérêt social.
? La conformité du cautionnement bancaire
à l'objet et à l'intérêt social de la
banque.
La conformité du cautionnement bancaire à
l'objet social de la banque :
L'objet social s'entend de l'activité exercée
par la banque et qui figure dans les statuts de celle-ci. Selon l'Acte Uniforme
Révisé sur les Sociétés Commerciales et les
Groupements d'Intérêts Économiques : « Toute
société a un objet social qui est constitué par
l'activité qu'elle entreprend et qui doit être
déterminée et décrite dans ses statuts
»27.
L'objet social des banques en Côte d'Ivoire est
défini par la loi sur la réglementation bancaire en son article
3. Et elle stipule que : « Sont considérées
comme banques, les entreprises qui font profession habituelle de recevoir des
fonds dont il peut être disposé par chèques ou virement et
qu'elles emploient, pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui, en
opérations de crédit ou de placement ».
La banque en Côte d'Ivoire a donc deux activités
principales : La réception de fonds du public et les opérations
de crédit et/ou de placement.
26 Droit essentiellement constitué par
l'Acte Uniforme Révisé relatif au Droit des
Sociétés Commerciales et du Groupement d'Intérêt
Économique (AURSC-GIE), adopté le 30.01.2014 à Ouagadougou
(Burkina Faso), publié dans le JO OHADA n° spécial du
04.02.2014.
27 Article 19 de l'AURS-GIE
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L'article 5 de la loi suscitée définit
l'opération de crédit comme suit : « Sont
considérées comme opérations de crédit, les
opérations de prêt, d'escompte, de prise en pension, d'acquisition
de créances, de garantie, de financement, de ventes à
crédit et de crédit-bail ».
Cette définition prend alors en compte le cautionnement
bancaire car au sens de l'article 5 sus-énoncé il est une
opération de crédit. Il entre parfaitement dans l'objet social de
la banque.
Par ailleurs, une précision s'impose. Le
représentant de la banque doit prendre des engagements qui entrent dans
l'objet social de son établissement. C'est le principe de la
spécialité. À la vue de ce qui a été dit
plus haut, le cautionnement bancaire entre dans l'objet social.
Cela dit, pour une société ayant « un objet
nécessairement onéreux, seul un cautionnement
intéressé peut entrer dans l'objet social »28.
Le cautionnement bancaire doit donc être
intéressé (onéreux) pour entrer dans l'objet social.
Si le dirigeant de la banque passe un cautionnement qui n'est
pas conforme à l'objet social de la banque, on est dans un cas de
non-conformité.
Quelle est dans ce cas, la sanction qu'encourt un tel
cautionnement ?
La non-conformité à l'objet social peut
être analysée comme un cas de dépassement de pouvoir de la
part du dirigeant social.
Dans cette hypothèse, l'AURSC-GIE sanctionne l'acte
passé par le dirigeant. En l'occurrence le cautionnement donné
par la banque.
Selon l'Acte Uniforme, les engagements pris par les dirigeants
de sociétés et qui dépassent leurs pouvoirs sont
frappés d'inopposabilité. Cette sanction ne joue qu'au profit des
tiers de bonne foi. Ainsi dans le cautionnement bancaire, s'il y'a
non-conformité de l'engagement du dirigeant avec l'objet de la banque,
cet engagement est inopposable au créancier de bonne foi.
28 HONARAT(J) cité par AYNES(L),
Société et Cautionnement, Defrenois, 1982.
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Ce dernier pourra, quant à lui, s'en prévaloir
s'il estime avoir été lésé. Il devra alors prouver
sa bonne foi.
Il convient de faire remarquer que l'engagement du dirigeant
en l'espèce n'est pas purement et simplement annulé mais il est
frappé d'inopposabilité.
Ce qui veut dire que, même quand le cautionnement
bancaire souscrit outrepasse les pouvoirs des dirigeants pour
non-conformité à l'objet social, il continue de subsister dans le
seul intérêt du créancier de bonne foi. Le frapper de
nullité aurait des conséquences désastreuses pour le
créancier de bonne foi d'autant plus que l'acte serait
rétroactivement anéanti. Le dirigeant fautif, quant à lui,
subira des sanctions de la part de sa banque. Il engagera sa
responsabilité.
En plus de sa conformité avec l'objet social, le
cautionnement bancaire doit aussi correspondre à l'intérêt
social de la banque.
La conformité du cautionnement bancaire à
l'intérêt social de la banque :
Selon le professeur Legeais, « l'intérêt
social peut être assimilé à l'intérêt des
actionnaires majoritaires ou de l'entreprise »29.
Tout cautionnement doit être conforme à
l'intérêt social de la société (ici la banque),
alors même qu'il a été consenti à l'unanimité
des associés30.
Autant il est avantageux pour le débiteur principal et
le créancier, autant il doit l'être pour la banque et tous les
actionnaires.
Un cautionnement bancaire souscrit dans l'intérêt
exclusif des dirigeants sociaux, d'un associé ou de toute autre personne
tierce à la société, n'entre pas dans
l'intérêt social. D'où l'interdiction de certaines formes
de cautionnement par l'acte uniforme sur les sociétés.
Des règles spéciales ont été
édictées pour régir les sociétés anonymes
sur ce point.
? Les règles spécifiques aux
Sociétés Anonymes (S.A.) :
Il résulte des articles 449 et 506 de l'Acte Uniforme
Révisé sur les Sociétés Commerciales
(AURSC-GIE)31 que tout engagement d'un dirigeant de la S.A se
29 LEGEAIS(D), Op Cit., 121, p.99
30 LEGEAIS(D), Op Cit., 121, p.98-99
31 Article 449 alinéa 7 de l'AURS-GIE
: « les cautionnements, avals, garanties autonomes et autres garanties
donnés, sans autorisation, pour des engagements pris par des tiers sont
nuls ».
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rapportant à un cautionnement doit être
préalablement autorisé par l'instance suprême de la
société.
L'AURSC-GIE fait la distinction entre les S.A avec Conseil
d'Administration et les S.A avec Administrateur Général.
Lorsque la banque est une S.A avec Administrateur
Général, tout cautionnement bancaire doit être
autorisé de façon expresse par cet organe suprême. Dans le
cas d'une banque avec Conseil d'Administration le cautionnement est soumis
à l'autorisation préalable du conseil. Cette autorisation
préalable peut résulter soit d'un mandat général,
soit d'un mandat spécial.
Conséquence le cautionnement fait par la S.A avec
Conseil d'Administration ou avec Administrateur Générale en
faveur de ses dirigeants et un certain nombre de personnes est interdit. Cette
règle est contenue dans l'alinéa 1er de l'article 450
AURSC-GIE en ces termes : « À peine de nullité
de la convention, il est interdit aux administrateurs, aux directeurs
généraux et aux directeurs généraux adjoints ainsi
qu'à leurs conjoints, ascendants ou descendants et autres personnes
interposées, de contracter, sous quelque forme que ce
soit, des emprunts auprès de la société, de se faire
consentir par elle un découvert en compte-courant, ou autrement, ainsi
que de se faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements
envers les tiers ».
Toutefois, précisons que cette interdiction ne
s'applique pas aux établissements bancaires ou financiers, à
condition qu'il s'agisse d'opérations courantes conclues à des
conditions normales32. Le cautionnement bancaire rentrant dans le
cadre des opérations courantes de la banque, cette interdiction
s'applique.
Elle ne s'applique, pas non plus, aux personnes morales
membres du Conseil d'Administration.
Il ne suffit pas seulement que celui qui s'engage au nom et
pour le compte de la banque ait le pouvoir de le faire. Il faut aussi que la
banque présente toutes les garanties de sa solvabilité.
Article 506 : « les cautionnements, avals, garanties
autonomes, -garanties autonomes et autres garanties donnés dans des
sociétés autres que celles exploitant des établissements
de crédit, de microfinance ou d'assurance caution dument
agréés par l'administrateur général ou
l'administrateur général adjoint ne sont opposables à la
société que s'ils ont été autorisés
préalablement par l'assemblée générale ordinaire,
soit d'une manière générale, soit d'une manière
spéciale »
32 ANOUKAHA(F), CISSE-NIANG(A), ISSA-SAYEGH(J),
OHADA : sûretés, bruyant Bruxelles, 2002, p.22.
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La conformité du cautionnement bancaire à
l'intérêt social accroit donc le contrôle de la banque quant
aux engagements passés par ses dirigeants. Les interdictions dont nous
avons parlé plus haut en sont une illustration.
Le dirigeant de la banque ou son représentant
légal, pour s'engager doit avoir le pouvoir de le faire. Pouvoir
conféré par un mandant et qui est contrôlé par la
banque. Cela dit, la banque ne peut s'engager que si elle est solvable.
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