SECTION II. Des théories justificatives de
l'immunité du diplomate
Restant dans la même philosophie de mettre le droit
diplomatique face au droit international pénal, la présente
section vient faire assoir une confrontation ou une relation entre « les
fondements théoriques des
immunités»181diplomatiques avec quelques principes ou
notions en rapport avec la répression internationale des crimes
graves.
« Trois théories principales ont été
avancées pour justifier la reconnaissance des immunités
»182 : la théorie
d'extraterritorialité183, la théorie de la
représentativité184 et la théorie de la
nécessité de la fonction185. Conjointement et
successivement, nous rattacherons ou nous opposerons, dans l'étude de
ces théories, de la première à la dernière, la
notion de la souveraineté territoriale186 d'un Etat, la
notion de la responsabilité pénale individuelle187 et
la notion des actes détachables de la fonction diplomatique.
§1. Théorie d'extraterritorialité face
à la souveraineté territoriale de l'Etat accréditaire
Il est connu, « le territoire est l'espace
géographique terrestre, maritime et aérien délimité
par les frontières d'un Etat »188. En droit
international, « le respect de l'intégrité territoriale
constitue un grand principe »189faisant que « le
territoire national, valeur souvent sacralisée, ne peut pas être
violé »190. Ce qui fait que les Etats doivent
s'abstenir, « dans leurs relations internationales, de recourir à
la menace ou à l'emploi de la force (...) contre
l'intégrité territoriale (...) de tout Etat »191.
Peu vite, on peut apercevoir que vont ensemble les notions de « la
souveraineté, (de) l'intégrité territoriale et (de)
l'indépendance »192 d'un Etat, puisque ce doit
être en toute indépendance qu'un Etat exerce sa toute
souveraineté sur tout son territoire.
Contre toute cette logique, pourtant l'Etat
accréditaire « détient la souveraineté sur son propre
territoire, souveraineté dont découle pour lui un pouvoir de
181 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.29
182 Ibidem
183 Ibidem
184 Article 3 §1, Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques de 1961
185 Préambule §4, Idem
186 Article 2 §4, Charte des Nations Unies de 1945
187 Article 25, Statut de Rome
188 Marc de Montpellier, Introduction au droit international
public, Collège universitaire français de
l'université d'Etat de Moscou, mars 2012, p. 19
189 Ibidem
190 Ibidem
191 Article 2 §4, Charte des Nations Unies de 1945
192 Article 3 b), Acte constitutif de l'Union Afrique de 2000
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juridiction à l'égard des faits qui se
produisent sur son sol et des personnes qui y sont présentes
»193, de petits espaces peuvent être
considérés comme être en dehors de la souveraineté
de cet Etat, quoique se trouvant sur son territoire, car voici que « les
locaux de la mission (diplomatique) sont inviolables. Il n'est pas permis aux
agents de l'État accréditaire d'y pénétrer, sauf
avec le consentement du chef de la mission »194. Plus encore,
« l'État accréditaire a l'obligation spéciale de
prendre toutes mesures appropriées afin d'empêcher que les locaux
de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission
troublée ou sa dignité amoindrie »195. On
constate, en fait, que « la souveraineté (d'un Etat) n'est plus
aperçue aujourd'hui comme un pouvoir absolu. La
généralité de la compétence territoriale doit
fléchir devant toutes les obligations internationales quelle qu'en soit
la source »196 comme « l'immunité (se
révèle) comme une exception à la compétence «
totale et absolue » que l'Etat du for était en principe
habilité à exercer sur son propre territoire
»197.
« En vertu de la théorie de
l'extraterritorialité, l'agent diplomatique est considéré
comme n'ayant pas quitté le territoire de son propre Etat et comme se
trouvant, en conséquence, en dehors du territoire de l'Etat
accréditaire bien qu'il y exerce ses fonctions. (Et) les locaux de la
mission (diplomatique) sont traités de la même façon
»198. En pareille conception ou en telle perception des choses,
les juridictions de l'Etat accréditaire, pour elles-mêmes, en
vertu de la compétence universelle199, ou pour le compte de
la CPI dans le cadre de «la coopération internationale et
assistance judiciaire »200, ne sauraient intervenir pour
poursuivre un diplomate qui est considéré comme se trouvant dans
l'Etat accréditant.
Mais avant tout, il faut peut-être dénoncer que
« la théorie d'extraterritorialité également connue
sous le nom de l'exterritorialité se base sur une fiction
»201 puisque, dans le concret, on ne peut pas affirmer que la
superficie du territoire de l'Etat accréditaire est diminuée des
espaces où sont installés les hôtels diplomatiques. Il
193 CIJ, arrêt du 3 février
2012, affaire relative aux immunités juridictionnelles de
l'Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), par. 57
194 Article 22 §1, Convention de
Vienne de 1961
195 Article 22 §2, Idem
196 KADONY NGUWAY, op.cit., p.
212
197 LORNA McGregor, Immunité c.
responsabilité : Etude de la relation entre l'immunité des Etats
et la responsabilité pour torture et autres graves crimes
internationaux, Londres, The Redress Trust, 2005, p. 12
198 Patrick DALLIER et Alain PELLET,
op.cit., p. 748
199 E. HERVE ASCENCIO et Alain PELLET,
op.cit. p. 627
200 Article 86, Statut de Rome de
1998
201 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 79
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peut être tout simplement accepté, encore avec
hésitation, que « si les représentants des Etats ne sont pas
assujettis à la législation de l'Etat territorial, c'est parce
qu'ils sont considérés comme se trouvant juridiquement en dehors
du territoire dudit Etat ; (et) ils ne s'y trouveraient que sur le plan
physique et matériel »202. Même à ce
niveau, il n'est pas à dire que prétendre, territorialement
parlant, que l'hôtel diplomatique ne se trouve pas sur le territoire de
l'Etat accréditaire dans lequel il est installé, et où il
fonctionne. Mais quoiqu'il en soit, les agents de l'Etat accréditaire ne
peuvent pas pénétrer dans les locaux de la mission diplomatique
sans «autorisation» du chef de la mission203même
dans le but d'arrêter un présumé auteur des crimes graves.
L'exception à cette «autorisation» préalable du Chef de
la mission diplomatique est à trouver dans la compétence de la
Cour pénale internationale dans le cadre de la coopération de
l'Etat accréditaire avec cette cour.
Mais, même cette exception ne pourrait être
totalement opérationnelle même si l'hôtel diplomatique est
considéré comme se trouvant sur le territoire de l'Etat
accréditaire car, dans cette hypothèse, c'est plutôt
à ce dernier que la CPI devrait adresser une demande de
coopération. En effet, tel qu'il sera considéré que
l'hôtel diplomatique est sur le territoire de l'Etat accréditaire
ou de l'Etat accréditant, telle sera aussi établie la
compétence territoriale de la CPI car, en fait, la Cour pénale
internationale peut exercer sa compétence si est partie au Statut de
Rome ou a accepté la compétence de la CPI « l'État
sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a
été commis à bord d'un navire ou d'un aéronef,
l'État du pavillon ou l'État d'immatriculation
»204.
Comme il apparait que cette notion
d'extraterritorialité semble compliquer ou rendre difficile l'ouverture
des poursuites, ou les poursuites elles-mêmes, puisque la personne
à poursuivre, ou le lieu où cette personne se trouve seraient
couverts d'inviolabilité205 sur base de la Convention de
Vienne de 1961 ou sur toute autre source de droit international ; toutes ces
difficultés que poserait l'impasse dans la réflexion à
propos de la fiction qu'installe la théorie d'exterritorialité ne
constituent point d'obstacle pour les poursuites engagées par la CPI
parce que « les immunités ou règles de procédure
spéciales (...), en vertu du droit interne ou du droit international,
n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence
»206.
202 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 79
203 Article 22, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
204 Article 12 §2, Statut de Rome de la
Cour pénale internationale
205 Articles 22 et 29, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
206 Article 27 §2, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
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En effet, si la théorie d'extraterritorialité a
pris existence c'était pour « justifier la nécessité
de reconnaître des privilèges et immunités à
certaines catégories de personnes »207 ; or, on le sait,
toute théorie, qui s'arrogerait le culo de justifier des
immunités devant la justice, est inopérante devant la CPI dans sa
« mission de juger le génocide, les crimes contre
l'humanité, les crimes de guerre, et l'agression »208.
Mais bien « l'immunité empêche ou entrave l'exercice par
l'État de sa juridiction, en particulier de sa compétence
judiciaire et répressive »209.
Telle se veut être la chute de notre étude,
parallèlement au droit international pénal ou au droit
international public, sur « la «théorie de
l'extraterritorialité» (qui crée) une fiction juridique
selon laquelle les locaux d'une mission diplomatique ou les locaux
temporairement occupés par un souverain dans un pays étranger
étaient considérés comme des appendices du territoire de
l'État d'envoi »210. Mais cette fiction ne pourrait
être opposable à la CPI aussi longtemps qu'elle s'inscrira dans la
bataille de faire reconnaitre la non-poursuite de certains individus en vertu
des immunités211, puisque, devant la CPI, le sort des
privilèges et immunités est connu.
Parlant aussi de cette théorie en confrontation avec
les Statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et
pour le Rwanda, il est préalable que les compétences
territoriales de ces juridictions soient connues. En fait, « le tribunal
international (pour l'ex-Yougoslavie) est habilité à juger les
personnes présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis
1991 »212. Et « le tribunal international pour le Rwanda
est habilité à juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises
sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés
responsables de telles violations commises sur le territoire d'États
voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994
»213.
Sans vouloir nier l'existence de la Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques sur laquelle prend fondement juridique la
théorie d'extraterritorialité, il peut
207 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 78
208 NYABIRUNGU Mwene SONGA, Droit
international pénal, Kin., DES, 2013, p. 8
209 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit. p.
19
210 Idem, p. 22
211 Confédération
Suisse-Département des affaires étrangères (DFAE),
op.cit., p. 30
212 Article 1er, Statut du tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie de 1993
213 Article 1er, Statut du tribunal
pénal international pour le Rwanda de 1994
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être tout humblement dit que les deux tribunaux
internationaux ne sont pas parties214 à cette Convention.
D'où, toute théorie qui viendrait faire considérer que
sont en dehors les locaux diplomatiques215, pourtant se trouvant
géographiquement sur les territoires ciblés dans les statuts de
ces tribunaux pénaux internationaux, est loin d'être
invoquée devant ces juridictions pour soulever l'exception de leur
incompétence. Sinon, ces Statuts en auraient fait mention.
A côté de cela, sans épouser cette
fiction, non plus, sans renier les immunités diplomatiques, il faut
peut-être souligner, en compendium, que l' « inviolabilité
qui s'étend (...) à la résidence du chef de la mission et
à la demeure privée des agents diplomatiques n'implique aucune
extraterritorialité nonobstant l'attachement prêté par une
certaine doctrine à cette fiction. En conséquence, la loi de
l'Etat accréditaire est en principe pleinement applicable dans les lieux
occupés par l'hôtel diplomatique, les activités qui s'y
déroulent ne pouvant être réputées accomplies en
territoire étranger.»216 Bref, les locaux diplomatiques
restent sur le territoire de l'Etat accréditaire même s'« il
n'est pas permis aux agents de l'État accréditaire d'y
pénétrer »217, « à moins que le chef
de mission n'ait donné son consentement»218.
D'ailleurs, il faut noter aussi que «
l'inviolabilité dont jouit la mission diplomatique lui a permis
d'accorder l'asile diplomatique (mais) la légalité de cette
pratique est (...) contestée (...) considérant qu'elle constitue
un abus de privilège »219.
Que dire aussi de la théorie représentative ?
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