§3. Devant les juridictions nationales
On le sait, la Cour pénale internationale « est
complémentaire des juridictions pénales nationales
»138dans la répression des crimes internationaux
relevant de sa compétence139. Cette répression revient
donc d'abord aux juridictions nationales ; mais, dans le cas d'un Etat
accréditaire ou de tout autre Etat placé dans les obligations de
l'Etat accréditaire, quand bien-même partie au Statut de Rome, la
poursuite d'un diplomate accusé des crimes graves est une violation
« de l'immunité de la juridiction pénale de l'Etat
accréditaire »140 dont jouit l'agent diplomatique. De
cette immunité, on ne peut que retenir que « la personne de l'agent
diplomatique est inviolable, (et que) il ne peut être soumis à
aucune forme d'arrestation ou de détention»141cette
immunité étant absolue142. Cela est pareil pour tout
Etat autre que l'Etat accréditaire « si l'agent diplomatique
traverse le territoire ou se trouve sur le territoire d'un État tiers,
qui lui a accordé un visa de passeport au cas où ce visa est
requis, pour aller assumer ses fonctions ou rejoindre son poste, ou pour
rentrer dans son pays, l'État tiers lui accordera l'inviolabilité
et toutes autres immunités nécessaires pour permettre son passage
ou son retour»143.
Mais si tel est l'état des choses dans l'Etat
accréditaire ou dans un Etat tiers, qu'on retienne, par contre,
que « l'immunité de juridiction d'un agent diplomatique dans
l'État accréditaire ne saurait exempter cet agent de la
juridiction de l'État accréditant »144. Mais cela
n'exclut pas qu'un agent diplomatique puisse être couvert des
immunités ou privilèges par le droit national devant les
juridictions internes.
Cela étant le régime des immunités du
diplomate devant les institutions de l'Etat accréditaire ou l'Etat
tiers, serions-nous tenté de vouloir savoir comment se comporterait
cet Etat pour répondre à son « obligation (...) de
coopérer »145avec la Cour
136 Articles 2 - 5, Statut du tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie de 1993 ; articles 2 - 4,
Statut du tribunal pénal international pour le Rwanda de 1994
137 E. ASCENSIO HERVE et Alain PELLET,
op.cit., p. 191
138 Article 31 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
139 Article 5, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
140 Article 31 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
141 Article 29, Idem
142 Patrick DALLIER et Alain PELLET,
op.cit., p. 752
143 Article 40 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
144 Article 31 §4, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
145 Article 86, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
17
pénale internationale « dans les enquêtes et
les poursuites »146quand celui-ci a accepté la
compétence de la Cour pénale internationale147, ou est
partie au statut de Rome148.
A notre humble avis, l'immunité du diplomate, en raison
du défaut de pertinence de la qualité officielle149,
ne joue pas lorsque c'est la Cour pénale internationale qui poursuit le
bénéficiaire d'immunité. Dans cette perspective, il peut
être déduit que lorsque la Cour pénale internationale
adresse une demande de coopération150 à
l'Etat accréditaire, celui-ci est en devoir de coopérer «
pleinement avec (elle) dans les enquêtes et poursuites
»151 de l'agent diplomatique. En effet, l'Etat
accréditaire n'agit pas pour son compte ou pour ses juridictions devant
lesquelles le diplomate étranger jouirait des immunités. Par
contre, il agit entant que main de la Cour pénale internationale qui
poursuit.
Dans la même philosophie, l'Etat accréditaire
« peut déférer au Procureur (de la Cour pénale
internationale) une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant
de la compétence de la cour paraissent avoir été commis,
et prier le procureur d'enquêter sur cette situation en vue de
déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient
être accusées de ces crimes».152 Malheureusement
ou heureusement, cette possibilité de renvoi d'une situation à la
Cour par un Etat vient être rendue impossible parce que «
l'État qui procède au renvoi indique autant que possible les
circonstances pertinentes de l'affaire et produit les pièces à
l'appui dont il dispose »153et pourtant l'Etat
accréditaire ne peut pas ouvrir une quelconque enquête s'il s'agit
de la personne de l'agent diplomatique qui serait accusée. L'Etat
accréditaire ne pourrait donc pas fournir ces pièces vu qu'il ne
peut ouvrir aucune enquête ou aucune poursuite contre un diplomate. C'est
cela qui a obligé en juin 2014, par exemple, la France à
détruire les informations récoltées des enquêtes
faites sur un jeune congolais de 14 ans accusé d'attouchements sexuels
dès qu'elle se rendit compte que c'est un fils d'un diplomate
congolais.
Revenant à parler de la coopération des Etats
avec la cour pénale internationale, coopérer avec cette
dernière ne semble pas être aussi aisé qu'on peut dire
146 Article 86, Statut de Rome de la Cour
pénale internationale
147 Articles 12 et 13, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
148 Préambule §1er,
Statut de Rome de la cour pénale internationale
149 Article 27, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
150 Article 87, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
151 Article 86, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
152 Article 14 §1, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
153 Article 14 §2, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
18
facilement que « les Etats coopèrent pleinement
avec la Cour... »154, surtout lorsqu'il s'agit d'arrêter
et remettre à la Cour un bénéficiaire de l'immunité
de juridiction pénale étrangère.
On se souviendra, par exemple, qu'il avait été
vociféré que les autorités de la RDC avaient «
l'obligation d'arrêter le Président soudanais recherché par
la CPI »155. Mais cela était avant que « le 9 avril
2014, la Chambre préliminaire II a décidé que la
République démocratique du Congo n'a pas respecté son
obligation de coopérer pleinement avec la Cour en ne procédant
pas à l'arrestation et à la remise d'Omar Al Bashir à la
Cour, lors de sa visite en RDC les 26 et 27 février 2014
»156 au sommet du Marché commun de l'Afrique orientale
et australe (CEMAC) »157. Dans la même affaire, un peu
avant, « le 13 décembre 2011, la Chambre préliminaire I a
décidé que la République du Malawi n'a pas respecté
les demandes de coopération de la Cour concernant l'arrestation et la
remise d'Omar Hassan Ahmad Al Bashir lors de sa visite du 14 octobre 2011
»158. La chambre préliminaire regretta avec la
même douleur le comportement affiché par « la
République du Tchad »159de n'avoir pas
arrêté Al Bashir le 7 et 8 aout 2011. Le même comportement
d'indifférence à la demande la CPI a été celui,
très récemment, de l'Afrique du Sud lors du Sommet de l'Union
africaine en mi-juin 2015.
A propos de « Uhuru Muigai Kenyatta »160,
Président du Kenya poursuivi par la CPI, on ne saurait évoquer la
question que soulèverait une quelconque immunité d'un Chef
puisqu'il a répondu volontiers à l'invitation de la CPI. Aussi ne
saurait-on pas dire que son propre Etat l'y a déféré,
comme l'a imaginé la Chambre II de la CPI qu'un Etat pouvait remettre
à la Cour ses propres protégés car voici qu'elle
s'était plaint « que la République du Soudan n'a pas
coopéré avec la Cour (...) aux fins de l'arrestation et de la
remise d'Omar Al Bashir à la Cour »161.
154 Article 86, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
155 La Coalition pour la cour pénale
internationale, La République démocratique du Congo doit
arrêter el-Béchir, Communiqué pour diffusion
immédiate, 25 février 2014, p. 1
156 La Cour pénale internationale,
Fiche d'information sur l'affaire Situation au Darfour (Soudan), le
Procureur c. Omar Hassan Al Bashir, 26 mars 2015, p. 3
157 La Coalition pour la cour pénale
internationale
158 Ibidem
159 Ibidem
160 CPI, Fiche d'information sur
l'affaire Situation en République du Kenya, le Procureur c. Uhuru
Muigai Kenyatta, 13 mars 2015, p. 2
161 CPI, Fiche d'information sur
l'affaire Situation au Darfour (Soudan), le Procureur c. Omar Hassan Al
Bashir, 26 mars 2015, p. 3
19
En gros, mentionnons que « les relations de la Cour
pénale internationale (CPI) avec certains gouvernements africains et
l'Union africaine (UA) se sont heurtées à des défis accrus
»162 alors que, juridiquement, les Etats sont en devoir de
coopérer avec la CPI163dans les enquêtes et poursuites
contre un Chef d'Etat ou un agent diplomatique puisque « la qualité
officielle »164 d'une personne ne peut « empêcher
à la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de
cette personne »165. Mais il faut dénoncer que cela
jouerait à la faveur de « compromettre les relations amicales entre
nations »166. Ce qui entraverait donc aux « buts des
Nations Unies »167, voire aux « objectifs de l'Union
(Africaine) »168« compatibles avec les buts et les
principes des Nations Unies »169, s'il peut être
osé d'imaginer l'arrestation du Président soudanais
el-Béchir par un Etat africain, ou celle d'un diplomate de n'importe
quel Etat par tout autre Etat. A la limite, le voudrions-nous, l'Etat du
for170 peut déclarer simplement un agent de l'Etat
étranger persona non grata171, au lieu de le
déférer à la CPI172.
Car en effet, pas facile à se tenir entre les
obligations naturelles des relations étatiques africaines et les
obligations internationales juridiques de coopération avec la CPI,
« la tension entre l'Union africaine (UA) et la CPI en est arrivée
à un point tel que le 11 octobre 2013, les dirigeants africains se sont
réunis à Addis-Abeba, en sommet extraordinaire, pour discuter
d'un éventuel retrait collectif du Statut de Rome créant
la CPI »173. En tout, on a impression d'être en
présence d'un conflit entre l'Union Africaine et la CPI, vu que se
nourrit « l'impression que la CPI ne vis(e) que les Africains
»174. L'Afrique a choisi de « défendre les
positions africaines communes sur les questions
162 Human Rights Watch, L'Afrique et la CPI,
Memorandum for the Twelfth Session of the International Criminal Court
Assembly of States Parties, Novembre 2013, p. 1
163 Article 86, Statut de Rome, op.cit.
164 Article 27 §1, op.cit.
165 Article 27 §2, Idem
166 Article 14, Charte des Nations Unies de 1945
167 Article 1er, Idem
168 Article 3, Acte constitutif de l'Union Africaine de juillet
2000
169 Article 52 §1, Charte des Nations Unies de 1945
170 Nicolas ANGELET, « le droit des relations
diplomatiques et consulaires dans la pratique régente du conseil de
sécurité », in Revue belge de droit international,
Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 172 ; CIJ, Arrêt du 20 juillet 2012,
Affaire relative aux questions concernant l'obligation de poursuivre ou
d'extrader (Belgique c. Sénégal), par. 120
171 Article 9 §1, Convention de Vienne de 1961 ; article
23, Convention de Vienne de 1963 ; M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit. p.
168
172 Article 14, Statut de Rome de la cour pénale
internationale de 1998
173
Jacques MBOKANI, « la cour pénale internationale :
une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des
victimes africaines? », in Revue québécoise de droit
international, février 2013, p. 48
174
Jacques MBOKANI, op.cit., p. 49
20
d'intérêt pour le continent »175
dans le but de «promouvoir la paix, la sécurité et la
stabilité sur le continent »176. El-Béchir
pouvait bien être un diplomate, pour les mêmes raisons, rien ne
fait penser que le comportement de l'Afrique pourrait être autre que
celui affiché dans le cas d'un El-Béchir Chef de l'Etat.
A ce stade, on peut bien être tenté de vouloir
savoir ce qui reste de l'obligation internationale juridique des Etats de
coopérer177 avec le CPI pour un bénéficiaire
d'immunité internationale178, si un Etat africain
préfère entrer en conflit avec la CPI qu'avec un autre Etat
africain, ou mieux, avec l'Union Africaine.
Des oppositions entre textes juridiques, ou entre textes et
leur exécution ou leur «exécutabilité» sont
souvent des problèmes de droit qui demandent des solutions aussi
juridiques. Le souhait ardent est que la CPI et l'Union Africaine harmonisent
pour donner effet au droit.
Les oppositions ne sont pas que rencontrées pour les
seules questions de coopération des Etats avec la CPI, elles peuvent
bien aussi être soulignées en parlant «des théories
justificatives »179 de l'octroi des immunités à
leurs bénéficiaires, si ces théories viennent à
être mises en face des notions ou principes sur lesquels repose la
matière du droit international pénal180 ou du droit
international public. La section, ici-bas, est consacrée à cette
question.
175 Article 3 d), Acte constitutif de l'Union Africaine de
2000
176 Article 3 f), Acte constitutif de l'Union Africaine de
2000
177 Article 86, Statut de Rome de la cour pénale
internationale
178 Article 31, Convention de Vienne de 1961 ; CIJ,
Requête, Affaire relative mandat d'arrêt du 11 avril 2000, (RDC c.
Belgique), p. 2 ; CIJ, Arrêt du 4 juin 2008, Affaire relative à
certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière
pénale (Djibouti c. France), par. 32
179 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit., p. 78
180 P. AKELE ADAU, A. SITA MUILA AKELE et Ngoy ILUNGA wa Ns T,
op.cit., p. 268
21
|