§2. Théorie représentative face à
la responsabilité pénale individuelle
Pour « la théorie de la représentation
»220, « les diplomates représentent l'Etat
auprès d'autres Etats ; en raison de leur caractère de
représentants de l'Etat, (ils) ont un statut spécial (dont)
découlent des immunités diplomatiques»221alors
que la théorie d'extraterritorialité fonde la justification des
immunités sur le fait que « les locaux d'une mission diplomatique
ou les locaux temporairement occupés par un souverain dans un pays
214 Préambule §1, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
215 Article 1er, Idem
216 J. VERHOEVEN, op.cit., p. 53
217 Article 22 §1, Convention de Vienne sur les relations
internationales de 1961
218 Confédération Suisse-Département des
affaires étrangères (DFAE), Op.cit., p. 19
219 J. VERHOEVEN, op.cit.
220 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit. p. 22
221 Adrien MULUMBATI NGASH, Les relations internationales,
Lubumbashi, Africa, 2005, p. 73
26
étranger étaient considérés comme
des appendices du territoire de l'État »222
accréditant. La présente théorie est fondée sur
« le caractère représentatif de l'agent diplomatique et de
la mission diplomatique, l'un et l'autre représentant l'Etat
accréditant et son Chef. C'est en cette qualité qu'ils
bénéficient des privilèges et immunités car, en
respectant leur dignité et leur indépendance, l'Etat
accréditaire respecte en même temps, comme il a le devoir, la
dignité, l'indépendance et la souveraineté de l'Etat
accréditaire »223, « or il n'est pas
nécessairement vrai que seules les personnes qui ont le caractère
représentatif qui bénéficient des privilèges et
immunités. En effet, l'épouse, l'enfant, les personnes vivant
sous sa dépendance »224, bref, « les membres de la
famille de l'agent diplomatique qui font partie de son ménage
bénéficient (également) des privilèges et
immunités »225. Ce qui fragilise la pensée selon
laquelle les immunités diplomatiques tirent leur justification dans le
caractère représentatif de leurs bénéficiaires de
l'Etat accréditant.
Mais plusieurs textes juridiques internationaux traitant, de
loin ou de près, des immunités, utilisent souvent les concepts
« représentants de l'Etat »226, «
représenter l'Etat »227, « ... représentant
un Etat »228, « représentation des Etats
»229, « représentant d'un Etat
»230... En effet, avant tout, un diplomate a la fonction de
représenter l'Etat accréditant auprès de l'Etat
accréditaire231, mais venir à en déduire que
c'est ce caractère représentatif qui justifie ses
immunités devant les juridictions de l'Etat
accréditaire232demanderait une autre réflexion et
aurait une conséquence de renier les immunités diplomatiques des
« membres de la famille de l'agent diplomatique qui font partie de son
ménage »233puisqu'ils ne représentent pas l'Etat
accréditant. Mais bien « un ambassadeur, loin d'être un
simple particulier, représente dans sa majesté, le souverain
qui
222 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.
22
223 Patrick DALLIER et Alain PELLET,
op.cit., p. 749
224 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 79
225 Article 37 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
226 Article 2 §1, Convention des Nations
Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de
janvier 2005 ; article 5, Convention de l'organisation de l'unité
africaine sur les privilèges et immunités de l'organisation de
l'unité africaine de 1965
227 Article 2 §1, Convention de Vienne
sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou
entre organisations internationales de 1986 ; article 17 §2, Convention de
Vienne sur les relations consulaires de 1963 ; Article 3 §1, Convention de
Vienne de 1961.
228 Article 7, Convention de Vienne sur le droit
des traités de 1969
229 Préambule §5, Convention de
Vienne sur la représentation des Etats dans leurs relations avec les
organisations internationales de caractère universel de 1975
230 Article 27 §1, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
231 Article 3 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
232 Article 31, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
233 Article 37 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
27
l'envoie, et dont les pouvoirs ne sauraient être
bornés par l'exercice de la juridiction locale » ...
Et vite, certains ont eu à l'esprit que « les
privilèges que le droit des gens reconnaît à un ambassadeur
procèdent de ce qu'il représente la personne de son maître,
qualité qui lui confère nécessairement tous les droits et
privilèges dont celui-ci, en tant que souverain, jouirait dans les
États d'un autre prince s'il s'y rendait en personne pour y traiter ses
affaires»234.
Tel nous brossons la notion de la théorie
représentative des immunités diplomatiques qui peut être
encore confrontée au principe de le « responsabilité
pénale individuelle »235. En fait, par
représentation de l'Etat, et de la couverture de ses actes par
l'immunité de juridiction puisque représentant l'Etat
accréditant, on comprendrait que l'agent diplomatique agit au nom et
pour le compte de l'Etat même quand il rédige une lettre d'amour
à sa femme, depuis qu'on sait que, à cause de l'immunité
de juridiction pénale, « aucun acte d'instruction, de poursuite, ou
de contrainte ne peut intervenir à l'encontre d'une personne
représentant un Etat»236. Cela signifie que « cette
immunité est totale, générale et absolue en ce sens
qu'elle couvre tous les actes tant officiels ou publics que privés que
cette personne pourrait commettre ».237
On serait tenté, de ce qui précède, de
comprendre que la théorie représentative fait incomber l'Etat
accréditant la responsabilité de tous les actes de son
représentant. Ce qui bloquerait la machine de la répression des
crimes graves parce que l'on ne saurait pas, dans ce cas, qualifier cette
responsabilité de l'Etat accréditant de «
responsabilité (...) des supérieurs hiérarchiques
»238, or en même temps, on ne pourrait hâtivement
affirmer que la responsabilité incombe au Chef de l'Etat de l'Etat
accréditant puisque tout simplement l'agent diplomatique ne
représente pas le Chef de l'Etat mais l'Etat
accréditant239 vu que ce ne sont plus « les Princes (qui
s'envoient) des Ambassadeurs »240depuis le régime «
de l'autorité étatique »241. Or on le sait,
« la Cour est compétente à l'égard des personnes
physiques »242 et non à l'égard des Etats. Dans
ce
234 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit. p.
21
235 Article 25, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
236 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 71
237 Ibidem
238 Article 28, Statut de Rome
239 Article 3 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
240 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 78
241 Marc de Montpellier, op.cit., p.
20
242 Article 25 §1, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
28
contexte, on a l'impression que « la reconnaissance de
l'immunité ratione personae entraînerait un risque grave
d'impunité »243 d'un diplomate auteur des crimes
internationaux, et pourtant il a été du souhait ardent des Etats
que « les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la
communauté internationale ne sauraient rester impunis ».
D'où, il est à comprendre qu'on peut « privilégier la
règle de l'immunité dans les cas où il n'y a pas de risque
d'impunité »244.
Cette théorie de la représentation ne saurait,
non plus comme celle de l'extraterritorialité, jouer devant la CPI
puisque, s'il venait à être soutenu qu'un agent diplomatique
aurait commis des crimes au nom et pour le compte de l'Etat accréditaire
comme, dans tous ses actes, il reste représentant de ce dernier, et que,
par conséquent, il est « inviolable »245, aussi si,
par impossible, il peut être établi qu'il y avait, au sens du
droit international pénal, des « relations entre supérieur
hiérarchique et subordonnés »246 entre l'Etat
accréditant et l'agent diplomatique, puis démontrer que l'Etat
accréditaire, qui serait l'autorité supérieure dans ce
contexte, « savait que ses subordonnés, (les agent diplomatiques),
commettaient ou allaient commettre ces crimes, ou a
délibérément négligé de tenir compte
d'informations qui l'indiquaient clairement ; (ou encore que) ces crimes
étaient liés à des activités relevant de sa
responsabilité et de son contrôle effectifs ; et (que) le
supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures
nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en
empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en
référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites »247, la CPI n'aura pas
compétence de poursuivre ce supérieur hiérarchique puisque
c'est un Etat.
Mais même si cette théorie pouvait batailler pour
que la responsabilité de la commission des crimes graves incombe
à l'Etat accréditant et non à l'agent diplomatique,
celui-ci ne pourrait être déchargé puisque la
responsabilité internationale de l'Etat n'affecte pas celle des
individus248par lesquels il aurait agi, comme à l'inverse,
« la responsabilité pénale des individus n'affecte la
responsabilité des États en droit
international.»249 D'où, l'Etat accréditant peut
engager sa responsabilité internationale, et l'agent diplomatique
engager la sienne.
243 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit. p.
3
244 Idem, p. 105
245 Article 29, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
246 Article 28 b), Statut de Rome de la cour
pénale internationale
247 Ibidem
248 Article 4 de la Commission de droit
international concernant la responsabilité de l'Etat
249 Article 25 §4, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
29
Et bien d'ailleurs dans la philosophie du droit de la CPI,
pareil raisonnement n'est pas à tenir parce que la théorie de la
représentation s'inscrit sur la ligne de justifier la reconnaissance des
immunités de l'agent diplomatique, et pourtant il n'est pas à
oublier que c'est un principe absolu, « le défaut de pertinence de
la qualité officielle »250, devant la CPI.
Reste de parler de la théorie de la
nécessité de la fonction de la mission diplomatique.
§3. Théorie de la nécessité
fonctionnelle
Pour la théorie de la nécessité de la
fonction de la mission diplomatique, « les privilèges et
immunités sont accordés non pas pour avantager les individus mais
pour leur permettre d'accomplir leurs fonctions en toute indépendance
par rapport à l'Etat accréditaire».251 Toutefois
« toutes les personnes qui bénéficient de ces
privilèges et immunités ont le devoir de respecter les lois et
règlements de l'État accréditaire»252.
C'est dans la même tracée qu'on aime dire que les immunités
ne consacrent pas l'impunité253 car « le but desdits
privilèges et immunités est non pas d'avantager des individus
mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions
diplomatiques en tant que représentants des États
».254
Mais si le bon exercice des fonctions de la mission
diplomatique était la justification de l'octroi des immunités, on
aurait voulu que ce soit pour les seuls actes de l'agent diplomatique rentrant
dans ses missions qu'il soit « inviolable »255. Ce qui
fait penser à des actes détachables de la fonction du
diplomate256. Car cette « théorie rejoint les
conceptions fonctionnelles modernes des institutions juridiques. Elle est
construite sur seules les nécessités de l'exercice
indépendant de la fonction diplomatique. Tout en mettant l'accent sur
l'intérêt de la fonction, elle ouvre la voie à la
limitation de ces privilèges et immunités, et vise par-là
à l'établissement d'un équilibre entre les besoins de
l'Etat accréditant et les droits de l'Etat accréditaire
»257. Mais comme « cette théorie justif(ie)
l'octroi des (...) immunités par le fait qu'un diplomate ne peut exercer
ses
250 Article 27, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
251 Confédération
Suisse-Département des affaires étrangères (DFAE),
op.cit., p. 32
252 Article 41 §1, Convention de Vienne de
1961
253 CIJ, arrêt du 14 février 2002,
affaire du Mandat d'arrêt (RDC c. Belgique), par. 60
254 Préambule §4, Convention de
Vienne de 1961
255 Article 29, Idem
256 CIJ, arrêt du 14 février 2002,
affaire du Mandat d'arrêt (RDC c. Belgique), par. 61
257 Patrick DALLIER et Alain PELLET,
op.cit., p. 749
30
fonctions que s'il est indépendant de l'Etat qui le
reçoit »258, le diplomate doit être mis à
l'abri de toute peur de se voir happé par les institutions de l'Etat
accréditaire dans le sens que « les immunités ont pour but
de supprimer des entraves au bon fonctionnement des activités de l'Etat
(...) du fait de l'Etat d'accueil ».259
Dans cette façon de voir, on ne saurait exclure
certains des actes du diplomate de la couverture des immunités de peur
que les intérêts de l'Etat accréditant, pour lequel il
travaille, ne se voient empiétés par l'Etat accréditaire ;
ce qui peut déclencher des différends entre Etats puisque, en
effet, « les immunités diplomatiques (sont des) prérogatives
reconnues aux agents diplomatiques (...) en vue de favoriser le libre exercice
de leurs fonctions »260dans l'intérêt de l'Etat
qui les a envoyés. C'est ce qui explique que « le but des (...)
immunités (...) n'est pas d'avantager des individus »261
parce que s'ils sont accrédités auprès de l'Etat
accréditaire c'est pour « représenter l'Etat
accréditant »262et protéger ses
intérêts263. D'où, mettre la main sur l'agent
diplomatique revient à porter atteinte à «
l'indépendance politique de (cet) État »264ou sa
souveraineté265. A côté de cela, «engager
des poursuites devant une juridiction étrangère contre tel
représentant de l'État en exercice peut conduire à
l'arrestation de celui-ci et avoir donc pour effet d'entamer directement son
aptitude à continuer de s'acquitter de ses fonctions
»266.
Dans cette perception, au lieu de courir le risque de voir les
relations internationales se désintégrer entre les Etats
accréditaire et accréditant, il a été
institué, par prudence et prévoyance, que « l'agent
diplomatique joui(sse) de l'immunité de la juridiction pénale de
l'État accréditaire »267et qu'il n'y soit «
soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention
».268Aussi ont-ils été inviolables les locaux de
la mission diplomatique dont la pénétration par les agents de
l'Etat accréditaire oblige préalablement « l'autorisation du
chef de la mission diplomatique ».269
258 Gérard BALANDA MIKUIN, op.cit.,
p. 80
259 Ibidem
260 Valérie LADEGAILLERIE, Lexique de
termes juridiques, Collection numérique, Anaxagora, 2005, p. 85
261 Préambule §6, Convention de
Vienne de 1975 ; Préambule §4, Convention de Vienne de 1961
262 Article 3 §1 a), Convention de Vienne
sur les relations diplomatiques de 1961
263 Article 3 §1 b), Idem
264 Article 2, 4), Charte des Nations Unies de
1945
265 Article 2, 1), Idem
266 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.
64
267 Article 31 §1, Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques de 1961
268 Article 29, Idem
269 Confédération
Suisse-Département des affaires étrangères (DFAE),
op.cit., p. 31
31
Pour la CPI, les choses ne sont pas à voir du
même angle puisque, nous ne le dirons jamais assez, « les
immunités ou règles de procédure spéciales qui
peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en
vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour
d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne
».270 Et on ne saura dire que la CPI empiète sur les
intérêts de l'Etat accréditant puisque, si la Cour est
compétente à poursuivre selon les conditions des articles 5, 11,
12, 13 et autres articles du Statut de Rome relatifs à sa
compétence, la Cour, en poursuivant un diplomate, respecte le droit qui
la régit encore que l'Etat accréditant y aurait consenti soit en
acceptant la compétence de la CPI, soit en ratifiant ou en
adhérant au Statut. En fait, il est connu, le
volontarisme271des Etats, selon lequel « le droit international
repose nécessairement sur la volonté des Etats
»272, est un grand principe en droit international.
A présent, après avoir longuement traité
de la confrontation, en général, du droit diplomatique au droit
international pénal, et, quelque peu, au droit international public et
au droit pénal international de quelque manière, il reste
à confronter des notions qui entourent les crimes graves aux
immunités diplomatiques, dans l'espoir de satisfaire aux soifs
intellectuelles sur la question de l'immunité de juridiction
pénale étrangère d'un diplomate en cas de commission des
crimes graves.
270 Article 27 §2, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
271 Marc de Montpellier, op.cit.,
p. 12
272 Idem, p. 13
32
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