CHAPITRE
II. LA REPRESSION DES CRIMES GRAVES ET
L'IMMUNITE DIPLOMATIQUE
Dans ce second chapitre de notre travail, l'objet
d'étude se veut être la rencontre de certaines notions et
principes qui entourent la matière qui organise la réglementation
ou la répression des crimes internationaux les plus graves de la
compétence de la CPI273, et certains principes et
théories qui, de quelque manière, justifient, expliquent ou
soutiennent la reconnaissance des immunités
diplomatiques.274
Cette gymnastique de confronter les crimes graves aux
immunités diplomatiques, restant dans le périmètre de
notre travail, a été incitée par des questions que
soulève la répression, par l'Etat accréditaire, des crimes
graves commis par un agent diplomatique accrédité auprès
de cet Etat. En effet, on peut déjà le réaliser, l'Etat
accréditaire se trouve entre l'obligation de ne pas laisser impunis les
crimes graves275, et l'obligation de ne pas soumettre un diplomate
« à aucune forme de détention ou d'arrestation
».276
Ici, nous partons de l'hypothèse que les juridictions
de l'Etat accréditaire sont compétentes à réprimer
les crimes graves en ce sens que la CPI leur est
complémentaire277. Et donc, sans nous atteler sur les
conditions de la compétence des juridictions nationales pour les crimes
graves, il importe ou suffit, ici, que l'Etat accréditaire soit partie
au Statut de Rome278 ou qu'il ait accepté la
compétence de la CPI279s'il n'est pas partie au Statut de
Rome. Aussi faut-il que cet Etat soit partie à la convention de Vienne
de 1961 sur les relations diplomatiques, sinon qu'il reconnaisse, par la
coutume internationale, les immunités aux représentants d'autres
Etats.
C'est dans ce contexte que nous opposerons le principe de la
compétence universelle280 au principe par in parem non
habet juridictionem281 (SECTION I) qui entend qu'un Etat ne
pourrait être jugé par un autre Etat ; et opposer la
nécessité de réprimer les crimes graves aux
intérêts nationaux et ceux des relations internationales (SECTION
II).
273 Article 5, Statut de Rome de la cour
pénale internationale
274 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.
22
275 Préambule §4, Statut de Rome de
la cour pénale internationale
276 Article 29, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
277 Article 1er, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
278 Article 12 §1, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
279 Article 12 §3, Statut de Rome de la
cour pénale internationale
280 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.
105 ; Marc de Montpellier, op.cit., p. 71
281 Marc de Montpellier, op.cit., p.
46
33
SECTION I. Le principe de la compétence
universelle face au principe par in parem non habet juridictionem
Le principe de la compétence universelle et celui de
par in parem non habet juridictionem fonctionnent tous devant les
juridictions nationales de l'Etat accréditaire, pourtant ils se
repoussent mutuellement. Pour le premier, on part de l'idée qu' «
à travers les personnes qui sont victimes (des crimes internationaux),
c'est toute l'humanité et toute la communauté internationale qui
sont atteintes »282. D'où, tout Etat peut connaitre de
ces infractions même s'elles sont commises (par des étrangers) en
dehors de son territoire, et sur des non-ressortissants de cet
Etat283. Mais, lorsqu'il s'agit de punir les infractions
internationales commises par un diplomate, il est juridiquement prudent de
confronter ce principe au second principe qui veut, par contre, qu'« un
Etat ne saurait être jugé par un autre Etat ».284
En effet, si l'agent diplomatique est couvert d'immunité de juridiction
de l'Etat accréditaire c'est parce qu'étant le
représentant de l'Etat accréditant285, le soumettre
aux juridictions de l'Etat accréditaire serait leur soumettre aussi
l'Etat accréditant. Cette opposition a convoité notre attention
à y réserver une réflexion. Comprenons donc d'abord la
portée de la compétence universelle (§1) et celle du
principe par in parem non habet juridictionem (§2) avant de
confronter les deux principes (§3).
§1. Le principe de la compétence
universelle
Le principe de la compétence universelle donne «
à la fois compétence au tribunal du lieu de commission du
délit et à celui du lieu d'arrestation du coupable
»286« de poursuivre toute personne
soupçonnée des crimes particulièrement graves en l'absence
du critère traditionnel de rattachement territorial, et sans
égard à la nationalité des auteurs ou des
victimes»287.
Les infractions internationales restent « soumises au
principe de la compétence ou de la répression universelle
»288. Et plusieurs théories sont nées de ce
principe dont celle du forum delicti commissi qui entend que sont
compétents « les
282 NYABIRUNGU Mwene SONGA, op.cit., p.
248
283 Ibidem
284 Marc de Montpellier, op.cit., p.
46
285 Article 3 §1, Convention de Vienne de
1961
286 S. DIMUENE PAKU DIASOLWA, L'exercice
de la compétence universelle en droit pénal international comme
alternative aux limites inhérentes dans le système de la cour
pénale internationale, Mémoire de Maitrise en droit
international, Université du Québec à Montréal,
Octobre 2008, p. 43
287 Idem, p. 45
288 P. AKELE ADAU et A. SITA MUILA AKELE, Les
crimes contre l'humanité en droit congolais, Kinshasa, CEPAS, 1999, p.
23
34
tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a
été commis ».289 Par opposition à cela
tout en complétant, il est aussi un autre principe qui se formule
ubi te invenero, ibi te judicato 290, du latin, qui se
traduit littéralement par « où je te trouverai, là je
te jugerai »291. C'est alors que l'Etat qui viendrait à
détenir l'auteur présumé des crimes graves est soumis
à un autre principe, celui de aut dedere aut judicare qui fait
assoir une obligation internationale « d'extrader ou de juger
»292. Cette obligation des Etats a encré sa marque dans
plusieurs accords internationaux pour « faire en sorte que
l'impunité du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité ainsi que des violations du droit international humanitaire
et des violations graves du droit des droits de l'homme ne soit pas
tolérée, et que ces violations fassent l'objet d'enquêtes
sérieuses et de sanctions appropriées, notamment en veillant
à ce que les auteurs de ces crimes ou violations soient traduits en
justice selon la procédure prévue par le droit interne ou, s'il y
a lieu, selon un mécanisme régional ou international, dans le
respect du droit international...»293.
On a vu ainsi s'instaurer « l'obligation de
coopérer pour combattre cette impunité dans de nombreuses
conventions, notamment au moyen de l'obligation d'extrader ou de poursuivre
»294. De ces traités internationaux, mentionnons la
Convention internationale pour la répression du faux monnayage de
1929295, et les quatre Conventions de Genève de 1949 et leur
Protocole additionnel I296 qui prévoient que chaque Partie
contractante a l'obligation de rechercher les personnes prévenues
d'avoir commis ou d'avoir ordonné de commettre des infractions graves,
et qu'elle devra les déférer à ses propres tribunaux,
quelle que soit leur nationalité. Elle peut aussi, si elle le
préfère, et selon les conditions prévues par sa propre
législation, les remettre pour jugement à une autre Partie
contractante intéressée à la poursuite, pour autant que
cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges
suffisantes297. Citons aussi « la Convention pour la
répression de la capture illicite d'aéronefs (Convention de La
Haye de
289 P. AKELE ADAU et A. SITA MUILA AKELE,
Les crimes contre l'humanité en droit congolais, Kinshasa,
CEPAS, 1999, p. 23
290 Idem, p. 24
291 Ibidem
292 CDI, Obligation d'extrader ou de
poursuivre, Rapport final, Annuaire de la CDI, Vol. II, 2014, p.
2
293 Résolution 67/1 de
l'Assemblée Générale de l'ONU du 24 septembre
2012, par. 22
294 Ibidem
295 Idem, par. 7
296 Konrad Adenauer Stiftung,
Armée et Etat de droit en République démocratique du
Congo, 2e éd., Kinshasa, Novembre 2014, p.
129
297 Articles 49, 50, 129 et 146,
respectivement, des première, deuxième, troisième et
quatrième Conventions de Genève de 1949
35
1970) »298qui dispose que l'État «
contractant sur le territoire duquel l'auteur présumé de
l'infraction est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet
l'affaire ... à ses autorités compétentes pour l'exercice
de l'action pénale»299.
é »302.
L'expression aut dedere aut judicare a eu comme
précurseur l'expression aut dedere aut punire300.
Mais du temps que le principe de la présomption
d'innocence301, pour toute personne poursuivie ou à
poursuivre, doit être respecté en procédure pénale,
le verbe punire ne devait que laisser place au verbe judicare
dans « la terminologie moderne (qui) remplace «punir» par
«poursuivre» comme deuxième branche de l'alternative par
rapport à l'extradition, pour mieux intégrer la
possibilité qu'un suspect soit disculp
Mais même aussi le mot «judicare»
(...) n'est pas véritablement l'équivalent de
«poursuivre»303. Sur cette question de terminologie, la
Commission de droit international « a décidé de se baser sur
l'idée que la question du caractère prioritaire de l'obligation,
soit d'«extrader» soit de «poursuivre» dépend du
contexte et du régime juridique applicable dans chaque cas
particulier»304.
A côté de ces questions de terminologie, pour le
principe de la compétence universelle, « la multiplication des
bases possibles de compétences, ouvrant à un grand nombre d'Etats
le droit de juger les suspects, est le principal (obstacle) ayant
empêché un règlement rapide de l'affaire de Lockerbie, (par
exemple). L'application du principe aut dedere aut judicare -extrader ou
juger- pouvait être vue comme une solution à ce conflit de
compétences, tant du point de vue juridique que matériel,
puisqu'il permettrait d'accorder la priorité à l'Etat sur le
territoire duquel les suspects se trouvent réfugiés et dont le
droit national ne permettait pas l'extradition de ces individus
»305.
En effet, l'affaire de Lockerbie qui oppose La Libye aux
Etats-Unis d'Amérique repose sur la convention de Montréal de
1971 qui prévoit que « tout Etat contractant prend les mesures
nécessaires pour établir sa compétence aux fins de
connaître des infractions dans »306 cette convention, et
que « l'Etat contractant sur le territoire duquel
298 CDI, op.cit., par. 10
299 Article 7, Convention pour la
répression de la capture illicite d'aéronefs de 1970
300 CDI, op.cit., par. 2
301 Valérie LADEGAILLERIE, op.cit.,
p. 179
302 CDI, op.cit.
303 Idem, par. 4
304 Ibidem
305 Nicolas PEREZ, op.cit., p. 12
306 Article 5 §1, Convention de
Montréal de 1971 sur la répression des actes illicites commis
contre l'aviation civile
36
l'auteur présumé de l'une des infractions est
découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, sans aucune
exception et que l'infraction ait ou non été commise sur son
territoire, a ses autorités compétentes pour l'exercice de
l'action pénale ».307 Ainsi dans l'affaire relative aux
questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader, « dans sa
requête introductive d'instance, la Belgique a demandé à la
Cour de dire et de juger que le Sénégal a l'obligation de
poursuivre pénalement M. Habré et, à défaut, de
l'extrader vers la Belgique »308conformément à la
convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants309.
Mais quoique tout cela soit, dirait-on, assez clair, «
dans l'affaire de Lockerbie, cette indéniable volonté de chaque
Etat concerné de vouloir juger lui-même les deux suspects (a
été la cause) de l'imbroglio juridique que fut la tentative de
détermination de la juridiction compétente pour ce procès
; et c'est également le désir des gouvernements britanniques et
américains de ne pas faire de concessions quant aux droits de leurs
juridictions pénales qui a (...) engendré la saisine du Conseil
de sécurité des Nations Unies et la réorientation du
différend vers un terrain politique »310. Car, contre ce
que prévoyait la convention de Montréal, décida « le
Conseil de sécurité aux termes des résolutions 731 (1992),
748 (1992) et 883 (1993): a) déterminant que le défaut,
de la part de la Libye, de répondre pleinement et efficacement aux
requêtes lui demandant de livrer les deux accusés, en vue de leur
jugement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, constitue une menace contre la paix
et la sécurité internationales ; b) décidant que le
Gouvernement libyen doit se conformer ces requêtes
»311.
Heureusement pour la Libye, et pour la convention de
Montréal, la CIJ fut d'avis que « les résolutions 748 (1992)
et 883 (1993) du Conseil de sécurité ne sauraient être
prises en considération à cet égard dès
lorsqu'elles ont été adoptées à une date
ultérieure » à la saisine de la CIJ par la
Libye312. Sinon, la Libye serait, peut-être, obligée
d'extrader ses nationaux au lieu d'avoir librement le choix entre extrader et
juger, et la CIJ
307 Article 7, Convention de Montréal
de 1971 sur la répression des actes illicites commis contre l'aviation
civile
308 CIJ, arrêt du 20 juillet 2012,
Affaire relative aux questions concernant l'obligation de poursuivre ou
d'extrader (Belgique c. Sénégal), par. 71
309 Article 6, conformément à
la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants de 1984
310 Nicolas PEREZ, op.cit., p. 11
311 CIJ, Exceptions préliminaires,
Affaire relative aux questions d'interprétation et d'application de la
convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident
aérien de Lockerbie (JAMAHIRYA ARABE LBYENNE c. ETATS-UNIS D'AMERIQUE),
27 février 1998, par. 40
312 CIJ, op.cit., par. 43
37
se verrait peut-être obligée à ne pas se
saisir de l'affaire. Mais on le saurait pas le dire tout haut puisque, comme la
Charte de l'ONU interdit à l'Assemblée générale de
faire une recommandation au sujet d'un différend à l'égard
duquel le Conseil de sécurité remplit ses
fonctions313, « ni la Charte ni le Statut n'apportent de
restriction semblable à l'exercice des fonctions de la Cour
»314.
Le principe de compétence universelle peut bien
souffrir, ou souffre, de certains problèmes, comme illustré
ci-haut, alors que bien d'autres questions restent à soulever si, en
vertu de ce principe, l'Etat accréditaire est devant le cas de la
commission des crimes graves par un diplomate, celui-ci
bénéficiant des immunités315parce que
représentant de l'Etat accréditant316. Il parait que
poursuivre un diplomate serait synonyme de poursuivre l'Etat qu'il
représente317. Or on le sait, par in parem non habet
juridictionem.
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