§2. Par in parem non habet juridictionem
Le droit international se fonde sur « le principe de
légalité souveraine »318 des Etats ; ce qui fait qu'un
« Etat ne saurait être jugé par un autre Etat
».319 Ainsi, « un État jouit, pour lui-même
et pour ses biens, de l'immunité de juridiction devant les tribunaux
d'un autre État »320car par in parem non habet
juridictionem. Ce principe se comprend bien dans le fait que «
les personnes juridiques de statut égal ne peuvent pas
régler leurs litiges devant les tribunaux de l'une d'entre elles
»321.
Ce statut privilégié de l'Etat souverain dans
l'ordre juridique de ses pairs comporte de nombreux éléments
relatifs à la personne de l'Etat lui-même, ses services, ses
démembrements, ses « émanations »... à ses actes
de souverain et à ses biens affectés à une activité
souveraine ne relevant pas du droit privé. « Notons quelques cas
remarquables à ce sujet : les banques centrales, les missions
diplomatiques, les forces armées en stationnement à
l'étranger selon des accords multilatéraux ou bilatéraux
prévoyant
313 Article 12, Charte des Nations Unies de
1945
314 CIJ, arrêt du 24 mai 1980, affaire
relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d'Amérique c. Iran), par. 40
315 Article 31, Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
316 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p.
22
317 Article 3 §1, Convention de Vienne de
1961
318 Article 2 §1, charte des Nations Unies
de 1945
319 Marc de Montpellier, op.cit., p.
46
320 Article 5, Convention des Nations Unies
sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de
janvier 2005
321 LORNA McGregor, Immunité c.
responsabilité : Etude de la relation entre l'immunité des Etats
et la responsabilité pour torture et autres graves crimes
internationaux, Londres, The Redress Trust, 2005, p. 10
38
généralement des immunités de juridiction
et d'exécution, les chefs d'Etat et ministres en exercice, selon le
droit international coutumier, qui bénéficient de
privilèges en tout lieu alors même qu'ils ne sont pas
présents »322.
Les immunités de l'Etat jouent pour les seules «
activités souveraines relevant du jure imperii c'est-à-dire des
activités utilisées ou destinées à être
utilisées par l'Etat à des fins de service public. (Et non)
lorsque l'Etat fait du commerce relevant du jure gestionis, car ici il se
comporte comme une personne de droit privé et, dans ce cas, il ne
bénéficie en principe d'aucune immunité
»323.
Les difficultés restent à qualifier les actes de
l'Etat du jure imperii ou du jure gestionis reconnaissant « qu'il existe
à ce sujet des interprétations différentes selon les pays
; certains considèrent comme une transaction commerciale ce que d'autres
affirment comme relevant de la souveraineté. Il existe aussi des
divergences sur la qualité des acteurs étatiques de la
souveraineté: ministères, démembrements, entreprises
publiques «émanations» de l'Etat et des divergences
d'interprétation sur la nature de biens de l'Etat
»324.
Sans nous perdre dans les interprétations
opposées entre Etats des activités étatiques, ni comparer
ces interprétations, nous nous arrêtons au principe de
l'égalité des Etats, qui est frère au principe de la
souveraineté325 des Etats. Cette égalité entend
« la souveraineté, l'intégrité territoriale et
l'indépendance de (s) (...) Etats »326, et qu'aucun Etat
ne prévale sur l'autre dans les relations internationales ou dans les
décisions au sein des organisations internationales. C'est ce qui a
amené l'ONU à disposer dans la Charte que « chaque membre de
l'Assemblée générale dispose d'une voix
»327.
Hélas ! Contre le principe d'égalité
qu'elle-même reconnait, la Charte des Nations Unies reconnait et rend
droit les inégalités entre Etats en faveur des Etats dits grandes
puissances car voici que « le Conseil de sécurité se compose
de quinze Membres de l'Organisation. La République de Chine, la France,
l'Union des Républiques socialistes soviétiques, le Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et les États-Unis
322 Marc de Montpellier, op.cit., p.
47
323 Marc de Montpellier, op.cit., p. 47
; CIJ, arrêt du 3 février 2012, affaire relative aux
immunités juridictionnelles de l'Etat (Allemagne c. Italie ;
Grèce (intervenant)), par. 60
324 Ibidem
325 Confédération
Suisse-Département des affaires étrangères (DFAE),
op.cit., p. 37
326 Article 3 b), Acte constitutif de l'Union
Africaine de 2000
327 Article 18 §1, Charte des Nations Unies
de 1945
39
d'Amérique sont membres permanents du Conseil de
sécurité. Dix autres Membres de l'Organisation sont élus,
à titre de membres non permanents du Conseil de sécurité,
par l'Assemblée générale »328. Comme pour
pouvoir nous voiler les yeux, il est disposé que « chaque membre du
Conseil de sécurité dispose d'une voix »329, et
pourtant, on le sait, « les décisions du Conseil de
sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote
affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous
les membres permanents »330. Cela est dit droit de veto
dont sont titulaires les cinq membres permanents du Conseil de
sécurité.
On peut bien dire que, juridiquement, malgré la
position de ces cinq puissances, la souveraineté est la même pour
tous les Etats, mais bien, politiquement, la balance de souveraineté des
Etats peut en être inclinée. On se souvient fraichement de «
l'intervention du Conseil de sécurité et de l'abandon d'une
solution purement juridique du litige »331 dans l'affaire de
l'incident aérien de Lockerbie. Ici, « les échecs des
tentatives négociées pour amener la Libye à revenir sur sa
décision de juger elle-même ses ressortissants ont poussé
les Etats-Unis et la Royaume-Uni à réorienter le coeur du
problème en tenant de déplacer ce différend d'un terrain
juridique à un terrain plus politique ».332En effet,
d'une observation juridique, « il apparait très difficile de
remettre en cause la validité du choix opéré par la Libye
»333de poursuivre ses nationaux au lieu de de les extrader.
Mais, avec les pouvoirs élargis du Conseil de sécurité,
comme il lui revient de constater « l'existence d'une menace contre la
paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et (de faire) des
recommandations ou décide(r) quelles mesures seront prises (...) pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales »334, par influence d'un Etat parmi les cinq
grands, il peut accuser un Etat d'être en situation de menacer la paix et
la sécurité internationales, et « entreprendre, au moyen de
forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge
nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la
sécurité internationales »335.
De ce qui précède, on réalise que, si
juridiquement, un Etat ne peut pas juger un autre parce que les Etats sont tous
égaux, politiquement il le peut via le Conseil de
328 Article 23 §1, Charte des Nations Unies
de 1945
329 Article 27 §1, Charte des Nations Unies
de 1945
330 Article 27 §3, Charte des Nations Unies
de 1945
331 Nicolas PEREZ, op.cit., p. 47
332 Ibidem
333 Ibidem
334 Article 39, Charte des Nations Unies de
1945
335 Article 42, Charte des Nations Unies de
1945
40
sécurité. Comme « en matière de
règlement de différends internationaux, une approche plus
politique signifie que généralement le passage par le Conseil de
sécurité et le chapitre VII de la Charte des Nations Unies en
tant qu'il est susceptible d'imposer un mode particulier de règlements
et de modifier les rapports et obligations juridiques par le biais de ses
résolutions »336. Ce fut le cas dans l'affaire de
Lockerbie ci-haut citée. Mais à lui seul, le droit veto, ou la
position de ces cinq grandes puissances ne leur donne pouvoir de juger un autre
Etat. Par contre, la question est de savoir comment un Etat
accréditaire, peu importe qu'il soit ou non membre permanent du Conseil
de sécurité, peut se comporter devant un cas de commission des
crimes graves, qui relèvent de la compétence universelle, par un
diplomate.
Là, deux opinions s'affrontent : la première qui
soutient qu'un diplomate ne peut être soumis aux juridictions
étrangères puisque, dans le cas contraire, c'est l'Etat
accréditant qu'on aurait soumis aux juridictions d'un autre Etat. En
effet, la « mission diplomatique personnifi(e) l'État
d'envoi»337 qui s'incarne dans la personne de l'agent
diplomatique qui est son représentant. La seconde, qui est de la
compétence universelle, demande à un Etat de poursuivre des
présumés coupables de crimes internationaux peu importe que
ceux-là soient étrangers, que les victimes soient des
étrangers, que les crimes se soient perpétrés à
l'étranger, et que les présumés auteurs se trouvent
à l'étranger. Qu'en est-il alors lorsqu'il s'agit d'un diplomate
qui est présumé auteur des crimes internationaux ? Ici-bas, la
confrontation de ces deux principes.
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