SECTION II. Nécessité de réprimer
face aux intérêts nationaux et des relations
internationales
« L'immunité diplomatique est accordée sur
un fondement fonctionnel pour permettre aux diplomates de remplir leurs
fonctions lorsqu'ils sont en poste à l'étranger sans la menace
d'être poursuivis ou arrêtés dans le pays hôte
»390. L'immunité diplomatique protège ainsi les
intérêts nationaux de l'Etat accréditant391.
Aussi, « les relations internationales (...) sont également
citées comme raisons (...) pour accorder l'immunité des Etats
»392 et leurs représentants comme «
l'immunité a généralement pour objet de préserver
la stabilité des relations internationales »393. En
effet, il s'établit un lien « entre l'immunité des Etats et
l'égalité souveraine entre Etats (...) ou la
souveraineté
384 Article 29, Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques de 1961
385 Article 9, 1), Idem
386 CIJ, arrêt du 4 juin 2008, Affaire relative à
certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière
pénale (Djibouti c. France), par. 191
387 Article 3, 1) b), Convention de Vienne de 1961
388 Préambule §3, Idem
389 Préambule §4, Statut de Rome de la Cour
pénale internationale
390 LORNA McGregor, op.cit., p. 9
391 Article 3, 1) b), Convention de Vienne sur les relations
internationales de 1961
392 LORNA McGregor, op.cit., p. 11
393 M. GIONATA P. BUZZINI, op.cit., p. 74
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étatique (qui) form(e) la base du droit international
et des relations internationales »394 en ce sens que
l'immunité contribuerait à l'harmonisation des pratiques des
relations entre Etats395.
Cette position n'est pas unanime, ni inchangeable, car voici
qu'on trouve des avis pour lesquels « la répression effective des
crimes de guerre et des crimes contre l'humanité est un
élément important de la prévention de ces crimes, de la
protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, propre
à encourager la confiance, à stimuler la coopération entre
les peuples et à favoriser la paix et la sécurité
internationales »396. Comme ça, la communauté
internationale a toujours manifesté l'intérêt et la
nécessité de réprimer les crimes graves397 ou
les infractions, en général, à travers plusieurs textes
juridiques internationaux398.
On se trouve alors dans une sorte d'opposition entre «
l'immunité (d'un diplomate) et l'accès à la justice
»399 contre un diplomate. Ce qui nous fait tomber dans une
confrontation de ces deux matières : les intérêts nationaux
et ceux des relations internationales face à la nécessité
de réprimer les crimes graves.
§1. Confrontation de ces notions
De ce qui précède, on peut constater, «
l'immunité (...) est nécessairement incompatible avec
l'accès à la justice, et l'un doit donc prévaloir sur
l'autre »400. Le but ici n'est pas de savoir lequel prime sur
l'autre, plutôt chercher à savoir si, considérant
l'immunité diplomatique comme principe l'accès à la
justice pour violations des droits humains, par exemple, peut constituer une
exception ; ou si, en considérant la répression des crimes graves
comme principe, l'immunité diplomatique peut en constituer une
exception. Cette démarche rencontre la position de la Cour
internationale de justice dans l'affaire relative aux immunités
juridictionnelles de l'Etat selon laquelle « les exceptions à
l'immunité de l'Etat constituent une dérogation au principe de
l'Egalite souveraine. (Et
394 LORNA McGregor, op.cit., p. 11
395 Préambule §5, Convention des Nations Unies sur
les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2005;
Préambule §4, Convention de Vienne sur les relations
internationales de 1961
396 Préambule §5, Convention sur
l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité de 1968
397 Préambule §4, Statut de Rome de la Cour
pénale internationale
398 Article 6, Convention européenne des droits de
l'homme de 1950 ; article 14, Pactes internationaux relatifs aux droits civils
et politiques, et aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ;
article 5, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants de 1984
399 LORNA McGregor, op.cit., p. 41
400 Ibidem
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que) l'immunité peut constituer une dérogation
au principe de la souveraineté (...) et au pouvoir de juridiction qui en
découle»401.
Aussi, dans l'affaire Al-Adsani c. Royaume Uni, la Cour
européenne des droits de l'homme « a expliqué (...) que le
droit d'accès à la justice n'était pas absolu mais objet
d'une marge d'appréciation. Toute limitation au droit d'accès
à la justice doit tendre à un but légitime et, (...) elle
a considéré que l'immunité des Etats poursuivait le but
légitime de la courtoisie et des relations internationales grâce
au respect de la souveraineté d'un autre Etat »402. Mais
les tribunaux, comme la CEDH, « se contentent d'admettre que l'application
de l'immunité des Etats aux affaires de torture et autres graves crimes
internationaux correspond au but légitime d'observer le droit
international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre
Etats grâce au respect de la souveraineté d'un autre Etat sans
expliquer pourquoi »403.
Contrairement, les «droits-de-l'hommistes»
trouveraient que « l'immunité (...) peut aboutir à
l'impunité »404en ce sens que « l'impunité
se définit par l'absence, en droit ou en fait, de la mise en cause de la
responsabilité pénale des auteurs de violations, ainsi que de
leur responsabilité civile, administrative ou disciplinaire, en ce
qu'ils échappent à toute enquête tendant à permettre
leur mise en accusation, leur arrestation, leur jugement et, s'ils sont
reconnus coupables, leur condamnation à des peines appropriées, y
compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes
»405.
Malgré cette définition, la Cour internationale
de justice souligne que l'immunité de juridiction ne signifie pas qu'il
bénéficie d'une impunité406 en ce sens que
« immunité de juridiction pénale et responsabilité
pénale individuelle sont des concepts nettement distincts
»407. L'immunité dont bénéficie une
personne, en droit international, ne constitue pas un « obstacle à
ce que sa responsabilité pénale peut être recherchée
dans certaines circonstances »408. Nous le verrons, ici-bas,
quand nous parlerons des contours à l'immunité de juridiction
pénale d'un agent diplomatique.
401 CIJ, arrêt du 3 février 2012, affaire relative
aux immunités juridictionnelles de l'Etat (Allemagne c. Italie ;
Grèce (intervenant)), par. 57
402 LORNA McGregor, op.cit., p. 42
403 Idem, p. 47
404 Ibidem
405 LORNA McGregor, op.cit., p. 47
406 CIJ, arrêt du 14 février 2002, affaire du mandat
d'arrêt (RDC c. Belgique), par. 60
407 Ibidem
408 CIJ, arrêt du 14 février 2002, affaire du mandat
d'arrêt (RDC c. Belgique), par. 61
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On l'a vu, l'immunité trouve son fondement dans le
principe de souveraineté des Etats409qui « ne
reconnaissent pas d'autorité au-dessus d'eux »410. Cela
explique pourquoi l'agent diplomatique jouit de l'immunité devant les
juridictions de l'Etat accréditaire411, ou pourquoi un Etat
en jouit412. En effet, on évite qu'un Etat semble être
supérieur à un autre Etat en le soumettant à sa
justice.
Aussi, la reconnaissance de la souveraineté sous-tend
l'indépendance d'un Etat. D'où, le principe de la
non-ingérence dans les affaires internes d'un Etat413. Mais
« en droit international, les graves crimes internationaux ne sont pas
considérés comme relevant du domaine interne d'un Etat, mais de
la préoccupation et de la responsabilité de la communauté
internationale dans son ensemble »414. Ce qui amena la Cour
internationale de justice, dans l'affaire Barcelona Traction, à «
considérer que les Etats étaient débiteurs de certaines
obligations envers la communauté internationale dans son ensemble,
telles que les droits de l'homme. Ces obligations sont qualifiées de
erga omnes et reflètent souvent des règles ayant valeur
de jus cogens, comme l'interdiction de la torture. Les obligations
erga omnes tempèrent les principes de la souveraineté
étatique et de la non-intervention car les Etats ne peuvent se cacher
derrière ces principes lorsqu'une action est intentée à
leur encontre sur la base de la violation d'une
obligation»415.
Dans la même percée, dans l'affaire relative aux
immunités juridictionnelles de l'Etat, l'Italie soutint que « le
droit international n'accorde pas l'immunité à un Etat ayant
commis des violations graves du droit des conflits armés (ou droit
international humanitaire) »416.
Dans cette affaire, la Cour internationale de justice
démontra que la jouissance ou non de l'immunité ne dépend
pas de la gravité des crimes puisque « l'immunité
revêt (...) nécessairement un caractère préliminaire
»417qui doit être examinée, par un tribunal
national, avant que les faits viennent à être établis et
jugés
409 Marc de Montpellier, op.cit., p.
12 ; article 2, §1, Charte des Nations Unies de 1945 ; CIJ, arrêt du
3 février 2012, affaire relative aux immunités juridictionnelles
de l'Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), par. 57
410 Marc de Montpellier, op.cit.
411 Article 31, 1), Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961
412 Article 5, Convention des Nations Unies sur
les privilèges et immunités des Etats et de leurs biens de
2005
413 LORNA McGregor, op.cit., p.52
414 Idem, p. 53
415 LORNA McGregor, op.cit., p.53
416 CIJ, arrêt du 3 février
2012, affaire relative aux immunités juridictionnelles de l'Etat
(Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), par. 81
417 Idem, par. 82
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constitutifs de violations graves418. Cela est
logique puisque les questions de compétence, dont l'immunité,
sont un préalable pour qu'une juridiction vienne à examiner le
fond. Car en effet, « le droit à l'immunité n'est pas
fonction de la gravite de l'acte dont l'Etat est accusé ou du
caractère impératif de la règle qu'il aurait violée
est en outre fort importante »419. Et tranchant la question de
la relation entre le jus cogens, (à considérant que la
répression des crimes graves relève du jus cogens), et la
règle de l'immunité, la Cour continue et affirme que les deux
règles ne peuvent entrer même pas en conflit du fait que la
première peut interdire un comportement internationalement illicite,
mais la seconde est de « nature procédurale et se borne à
déterminer si les tribunaux d'un Etat sont fondés à
exercer leur juridiction »420sans revenir sur la question de la
licéité ou l'illicéité du comportement, ni sur
celle de responsabilité. Et d'ailleurs, la CIJ a toujours
considéré que les obligations des Etats en matière
d'immunité internationale ne sont pas que des obligations contractuelles
mais bien « aussi des obligations imposées par le droit
international en général.»421
Dix ans avant, la même Cour disait que même «
si diverses conventions internationales tendant à la prévention
et à la répression de certains crimes graves ont mis à la
charge des Etats des obligations de poursuite ou d'extradition, et leur ont
fait par suite obligation d'étendre leur compétence
juridictionnelle, cette extension de compétence ne porte en rien
atteinte aux immunités résultant du droit international
»422, après que longtemps elle affirmait qu'« il
n'est pas d'exigence plus fondamentale que celle de l'inviolabilité des
diplomates et des ambassades »423.
Comment pourrait-on alors dire que l'immunité ne
signifie pas l'impunité si la procédure judiciaire en est
bloquée ? Pour y répondre anticipativement, dirions-nous que la
justice n'est pas impossible pour réprimer les crimes graves commis par
un agent diplomatique, car, voici ici-bas, il sera étudié les
contours aux immunités, leurs destructions, ou leurs exceptions.
418 CIJ, arrêt du 3 février
2012, affaire relative aux immunités juridictionnelles de l'Etat
(Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), par. 82
419 Idem, par. 84
420 CIJ, arrêt du 3 février
2012, affaire relative aux immunités juridictionnelles de l'Etat
(Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), par. 93
421 CIJ, arrêt du 24 mai 1980, affaire
relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d'Amérique c. Iran), par. 62
422 CIJ, arrêt du 14 février 2002,
affaire du Mandat d'arrêt (RDC c. Belgique), par. 59
423 CIJ, arrêt 24 mai 1980, affaire
relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d'Amérique c. Iran), par. 91
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