2. La BITD, en tension permanente entre
nécessité économique et impératifs
stratégiques
La commercialisation d'armements, en ce qu'elle constitue
l'exportation de capacités de destruction, est soumise à de
fortes restrictions administratives. Ces impératifs sécuritaires,
bien qu'indispensables à la stabilité du monde, sont toutefois
à mettre en perspective avec le besoin pour la pérennité
de la BITD de recourir aux exportations afin d'atteindre un niveau minimal de
production que la commande nationale n'est plus à même de
garantir. Ce basculement constitue un changement de paradigme pour les
industriels, alors que les décisions d'exportation étaient
auparavant majoritairement guidées par des considérations de
politique étrangère.
Après la guerre froide, la composante économique
a connu un regain de légitimité, le politique s'alignant
davantage sur les intérêts industriels, alors qu'auparavant les
justifications stratégiques prévalaient quant aux ventes d'armes,
la France retirant un avantage diplomatique à l'exportation du fait de
son statut de puissance « non alignée » par rapport à
l'URSS ou aux Etats-Unis. Les pouvoirs publics coordonnent ainsi, le soutien
à l'exportation et son contrôle, de manière à
assurer l'équilibre économique des programmes et des
économies d'échelle pour permettre des coûts unitaires
moindres pour certains produits, à l'avantage de l'Etat producteur. La
DGA, en tant qu'acteur du contrôle et du soutien, est très
impliquée auprès de la BITD nationale, car elle s'occupe aussi
bien de la délivrance des licences et de leurs conditions que des
campagnes de soutien à l'exportation des entreprises de défense.
Les intérêts entre l'Etat et l'industrie peuvent donc converger,
la BITD entraînant la valorisation d'emplois qualifiés et
faiblement délocalisables, elle est également la colonne
vertébrale de l'outil industriel français et son impact sur la
balance commerciale est largement positif12. Ainsi, les financements
apportés par les exportations redonnent un sens économique au
maintien de certaines lignes de production stratégiques, donnée
d'autant plus importante que les budgets publics sont rarement
linéaires, les effets de cycle étant difficiles à
gérer pour
12 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
7
Yann WENDEL
les industriels en cas de monopsone. En conséquence,
l'industrie de défense française exporte actuellement entre 25 et
40% de son chiffre d'affaires, et cette part est en constante
augmentation13, du fait aussi bien d'une contraction tendancielle
des budgets de défense dans les pays développés, que
d'ouverture de nouveaux débouchés à l'export chez les pays
émergents.
L'intérêt économique d'une transaction,
même s'il entre en jeu, ne saurait toutefois être le
déterminant majeur de la décision d'exportation face aux
impératifs stratégiques et aux décisions de l'Etat en
termes de politique étrangère. Alors que les entreprises de
défense comptent majoritairement sur les exportations pour se
développer et croître, les licences constituent de plus en plus un
enjeu mais également un risque commercial incompressible pour les
acteurs privés du secteur14. L'incertitude politique s'ajoute
en effet au risque commercial classique, alors que des efforts sont investis
par les industriels dans de longues négociations, qui peuvent être
rendus caduques par une décision politique. Ces derniers
intègrent donc ce risque particulier dans leur décision de
dépôt de projet15.
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