I. Le contrôle des exportations de produits de
défense est pleinement constitutif de la politique de défense
d'un pays
A. La commercialisation d'armements, une démarche
traditionnellement politique
1. Les armements, vecteurs de puissance dont le transfert
doit être régulé
Les armements participent à la défense
nationale, qui elle-même se trouve à la base de l'existence de
l'Etat et de toute notion de souveraineté. Le fait pour un pays
d'être en capacité de produire des équipements de
défense sur son sol, à travers une BITD5
fonctionnelle, assure son autonomie stratégique, en ce qu'il ne
dépend ainsi pas de la volonté de pays étrangers de lui
exporter de l'armement, fussent-ils des partenaires
stratégiques6. Cette volonté de l'Etat de
prévaloir en termes de technologie militaire se manifeste par des
investissements continus et de longue date dans les entreprises de
défense. Ces dépenses publiques dépassent une
rationalité économique stricto sensu pour atteindre un
objectif politico-sécuritaire, représenté par le dilemme
« beurre-canon »7.
L'intervention de l'Etat dans ce secteur tire ses racines du
monopole de la violence légitime8, qui se manifeste par une
délivrance d'une « Autorisation de Fabrication, de Commerce, et
d'intermédiation de matériel de guerre, armes, munitions »
(AFCI) par l'administration, document sans lequel une entreprise productrice de
systèmes d'armes serait illégale et son propriétaire
passible de poursuites pénales9. Ainsi, les pouvoirs publics
et les entreprises d'armement sont soumis à une dépendance
réciproque. D'un côté, l'Etat est le régulateur, le
soutien, et le client de référence et la vitrine à
l'export de l'industrie d'armement; et de l'autre, il a besoin d'elle pour
garantir l'approvisionnement de ses armées, et donc assurer ses
fonctions régaliennes Un monopsone fait donc face à un oligopole,
même si cette logique, qui prévalait très largement
à l'époque des arsenaux nationaux, s'est désormais
atténuée sous l'effet d'un recours plus massif des entreprises de
défense aux exportations du fait d'un budget de défense
domestique en baisse, si bien que nombre d'entre
5 Base Industrielle et Technologique de
Défense. « Elle rassemble les entreprises qui contribuent, de
façon directe ou indirecte, au développement, à la
production ou au maintien en condition opérationnelle des
équipements ou services participant à l'organisation de la
défense nationale » In : DUNNE (1995), The defense industrial
base. In : HARTLEY K. et SANDLER T, Handbook of defense economics, vol I,
Amsterdam, Elevier, pp. 399-430
6 KOLODZIEJ E. (1987), Making and Marketing
Arms. The French experience and its implications for the international
system, Princeton University Press.
7 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères,
pp.14
8 WEBER M. (1919), Politics as a Vocation
9 Article L.2332-1 du Code de la Défense
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Yann WENDEL
elles réalisent la plupart de leur chiffre d'affaires
à l'étranger. La production d'armements étant toutefois
difficilement viable économiquement par rapport aux domaines civils, du
fait des nombreuses contraintes inhérentes au secteur (faibles
débouchés à l'export, contrôles administratifs
omniprésents,...), cette activité est incitée par les
Etats, à travers la garantie d'un certain volume d'achat dans les Lois
de Programmation Militaire (LPM) et assurant notamment le financement d'une
partie de la recherche et développement. Dans ce système
très administré, la demande crée donc sa propre
offre10.
Par construction, le fait pour un pays de disposer de sa
propre capacité de production d'armements l'oblige d'autre part à
contrôler la destination et l'utilisation des produits qu'il
commercialise par l'intermédiaire de ses entreprises domestiques.
Premièrement, il est pertinent pour lui de chercher à
protéger son savoir-faire national ainsi que des procédés
industriels dans lesquels il a consacré des ressources de manière
durable sur plusieurs années. Deuxièmement, l'Etat a le devoir
devant la communauté internationale de veiller à la
non-prolifération des capacités de destruction qu'il produit. Il
doit ainsi veiller à contrôler ses exportations en fonction du
produit et du destinataire. Cette précaution passe par la mise en oeuvre
de quatre éléments : une liste de produits, une liste de
destinations, des licences d'exportation, et des sanctions applicables.
Historiquement, ces principes ont été organisés en France
avec le décret-loi du 18 avril 1939 et le décret n°55-965 du
16 juillet 1955, autour desquels s'articule le dispositif de contrôle, la
règle de base étant que l'exportation sans autorisation de
matériels de guerre et matériels assimilés est
prohibée11. On ne peut déroger à cette
règle qu'après avoir déposé une demande de licence
auprès de la Direction Internationale de la Direction
Générale de l'Armement (DGA/DI), qui est ensuite instruite par la
Commission interministérielle pour l'étude des exportations de
matériels de guerre (CIEEMG), à laquelle prennent part le
Ministère des Affaires Etrangères et du Développement
International (MAEDI), le Ministère des Finances (Douanes et
Trésor), et le Ministère de la Défense (EMA, DGA, DGRIS).
Sur avis de cette commission, le Premier ministre notifie sa décision
à la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects
(DGDDI) qui, en cas d'acceptation sous conditions particulières,
délivre la licence.
L'autorisation est en fait une dérogation
exceptionnelle à la prohibition, ce qui souligne la sensibilité
des produits commercialisés. Le contrôle parlementaire reste quant
à lui faible sur ces opérations, la représentation
nationale étant depuis 1998 informée a posteriori par
un
10 BELLAIS R. (2000), Production d'armes et
puissance des nations, Paris, L'Harmattan.
11 Article 13 du décret-loi du 18 avril 1939
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rapport annuel du Ministère de la défense au
Parlement sur les exportations, sans possibilité de débat
parlementaire à ce sujet. Cet état de fait découle d'un
besoin de confidentialité et de rapidité de traitement des
opérations de commercialisation d'armements, mais aussi pour
l'exécutif de la volonté de garantir l'efficacité
diplomatique du soutien de la France.
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