III. L'évolution de la relation entre Etats et
entreprises dans le cadre du contrôle des exportations de produits de
défense
A. Un nécessaire recours à la puissance
publique dans le processus de contrôle, qui redéfinit sa relation
avec l'entreprise dans un mouvement de responsabilisation du secteur
privé
1. Le passage à une logique a posteriori encourage
le rôle de l'Etat à nouer une relation de confiance avec les
entreprises de la BITD
Le contrôle a posteriori devait permettre la
suppression des contrôles systématiques formels, tout en
maintenant la crédibilité du contrôle du fait de la
responsabilisation des entreprises116. Ainsi, la CIEEMG n'examine
pas le contrat avant que la livraison ne soit effectuée, sauf en cas de
conditions bloquantes117. A des fins d'efficience économique
et de fluidité de la supply chain, les contrôles s'effectuent dans
une logique d'évaluation en amont des risques et de définition de
référentiels globaux plutôt que sur des cas particuliers.
Les autorités administratives évaluent ainsi la capacité
des entreprises à contrôler des biens et des services grâce
à leurs procédures de gestion interne, puis leur accordent des
licences. Les industriels sont donc désormais des acteurs centraux de la
lutte contre la prolifération.
Cette responsabilisation des entreprises s'accompagne
toutefois de la charge du contrôle. En effet, même si la puissance
publique reste in fine le garant des engagements internationaux, la
délivrance de son autorisation n'exonère plus l'industriel de sa
responsabilité dans l'opération118. Les
modalités de ce contrôle doivent donc être adaptées,
afin que l'entreprise soit en mesure de vérifier les garanties
d'utilisateur et d'utilisation finaux. Le contrôle export doit donc
être effectif à chaque étape commerciale et l'organisation
interne des entreprises doit s'adapter à ce besoin en formalisant les
étapes de contrôle.
L'évolution actuelle du contrôle l'incite
à ne plus porter que sur les exportations les plus sensibles,
délégant la majorité des actes au secteur privé. La
dématérialisation des procédures et l'instauration du
contrôle a posteriori ne doit toutefois pas pousser
l'administration à ne faire peser la charge du contrôle que sur
les entreprises. D'un point de vue de la compétitivité
116 Rapport au Parlement 2016 sur les exportations
d'armement de la France (2016), Délégation à
l'information et à la communication de la Défense.
117 Voir II.B.1.
118 GENARD Q. (2012), L'extraterritorialité de la
législation américaine du contrôle du commerce des biens
sensibles : entre prétention juridique, intérêt public et
réalité économique, Université de
Liège, Belgique.
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internationale, le signal donné par l'Etat d'un
transfert de responsabilité dans le processus d'octroi de la licence
d'exportation pourrait être interprété par nos partenaires
commerciaux comme un intérêt moindre de la puissance publique
concernant le suivi de nos opérations stratégiques. Ce processus
doit donc être assorti d'une nouvelle façon d'aborder le
contrôle afin d'assurer la crédibilité de l'autorisation
délivrée et la corrélation entre les intérêts
de la France et ses acteurs privés de l'armement. Cette
répartition claire des prérogatives est une condition essentielle
pour éviter de désavantager les industriels nationaux par rapport
à ceux de pays pratiquant de manière plus extensive les contrats
de gouvernement à gouvernement (comme les Etats-Unis avec le Foreign
Military Sales), qui permettent d'aligner de manière très
évidente les intérêts politiques et industriels.
Enfin, les effectifs dégagés par la
responsabilisation du secteur privé doivent être consacrés
à l'accompagnement des entreprises de défense dans les campagnes
internationales, dans une logique partenariale davantage que
régulatrice. La dimension politique des exportations n'est en effet pas
privatisable, malgré une répartition du contrôle plus large
entre secteurs privé et public.
La réforme du contrôle avait initialement pour
objectif de diminuer le nombre d'autorisations d'exportations, qui sont autant
de lourdeurs administratives à gérer. Toutefois, depuis la mise
en oeuvre de la Directive européenne, les industriels de la
défense déposent de plus en plus de licences, ce qui est
contradictoire par rapport à l'effet final
recherché119. Dans la mesure où la délivrance
d'une licence n'oblige pas l'exportateur à vendre, les entreprises, qui
ont la responsabilité de leur contrôle, cherchent à
sécuriser leurs exportations en demandant préventivement des
licences. De plus, ce report de charges sur le secteur privé peut
être à double tranchant pour les industriels de la défense.
Dans la mesure où leur responsabilité est davantage
engagée, leurs services internes de contrôle prennent de
l'importance dans l'entreprise120, ce qui mobilise des ressources
humaines et financières et peut potentiellement entraîner un
désavantage compétitif. Les avantages apportés par la
réforme pourraient au final être contrebalancés par la
difficulté pour les entreprises les plus petites à gérer
ce contrôle en termes d'outils et de moyens, alors que les règles
se multiplient
119 Rapport au Parlement 2015 sur les exportations d'armement
de la France (2015), Délégation à l'information et
à la communication de la Défense.
120 CHABANNE N., FOULON Y. (2014), Rapport n°2469 fait
au nom de la Commission de la Défense Nationale et des Forces
Armées en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le
dispositif de soutien aux exportations d'armement, Assemblée
Nationale de la République Française.
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et que les procédures deviennent de plus en plus
denses121. Les procédures de contrôle a posteriori
pourraient cependant évoluer dans le sens d'un alignement sur les
impératifs des entreprises. La marge de manoeuvre accrue fournie aux
entreprises concernant l'obtention de leurs licences peut inciter l'Etat
à réallouer ses ressources dans le soutien aux entreprises
plutôt qu'à leur contrôle. Le développement du
contrôle export interne pourrait être valorisé au moyen
d'audits de la part de l'administration et d'un label pour attester de la
qualité du contrôle, dans une démarche de système de
contrôle fondé sur un partenariat de confiance avec la puissance
publique122.
La certification était une recommandation phare de la
Directive TIC, mentionnée dès les premiers rapports de la
Commission Européenne123. La certification de la
conformité des procédures de contrôle d'une entreprise
constitue une preuve de la fiabilité de ses procédures. Ce
dispositif est essentiel au respect des bonnes pratiques et à la
réputation des entreprises de défense à travers leur
partenariat avec l'Etat dans lequel elles se trouvent, alors que les produits
commercialisés sont particulièrement sensibles124. Les
fournisseurs européens des entreprises certifiées, dont la DGA a
estimé qu'elles étaient dotées d'un contrôle interne
suffisamment solide et qu'elles respectaient les restrictions associées
aux réexportations par exemple, disposent de la part de leur
gouvernement en conséquence de séries de contrôles
allégés125. Ainsi, les entreprises qui désirent
recevoir sans attendre une licence de transfert individuelle des produits
liés à la défense par le biais de licences
générales d'autres Etats membres sollicitent une certification
qui atteste de la fiabilité de leurs processus internes126.
Actuellement, chaque entreprise certifiée est inscrite dans la base de
données CERTIDER127, elle-même directement
administrée par la Commission Européenne.
Ce mécanisme devait à la base être le fait
d'un organisme indépendant (Commission Européenne ou Agence
Européenne de Défense) pour donner un référentiel
commun de
121 FROMION Y. (2011), Rapport n° 3311 fait au nom de la
Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées sur le
projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de
matériels de guerre et de matériels assimilés, à la
simplification des transferts des produits liés à la
défense dans l'Union européenne et aux marchés de
défense et de sécurité, Assemblée Nationale de
la République Française.
122 CHABANNE N., FOULON Y. (2014), Rapport n°2469 fait
au nom de la Commission de la Défense Nationale et des Forces
Armées en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le
dispositif de soutien aux exportations d'armement, Assemblée
Nationale de la République Française.
123 DUFOUR N., SCHMITZ P-E. (2005), Intra-Community Transfers
of Defence Products, Final report of the study «Assessment of
Community initiatives related to intra-community transfers of defence
products», UNISYS, Brussels
124 WILLIAMSON O. (1996), The Mechanisms of Governance,
Oxford University Press.
125 LGT FR 102 : licence générale de transfert
dans l'Union européenne de produits liés à la
défense à destination d'une entreprise certifiée d'un Etat
membre.
126 Art L.2335-16 du Code de la Défense.
127 CERTIfication DEfence Register.
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confiance aux Etats, reconnu de tous, mais les Etats ont
gardé cette responsabilité en l'attribuant à des acteurs
nationaux. Pour être viable au niveau européen, la certification
doit rassembler les mêmes critères afin d'harmoniser les
contrôles, dans la mesure où la décision de certification
d'une entreprise est une décision nationale, afin d'assurer une
reconnaissance mutuelle et d'améliorer la confiance réciproque
entre les différents Etats-membres concernant le statut de ces
entreprises128. Il importe également de renforcer
l'attractivité de la certification des entreprises, qui est un
instrument utile mais pas assez incitatif, d'autant plus que la charge de la
certification en matière financière et organisationnelle peut
s'avérer prohibitive pour les entreprises les plus petites. Enfin, la
faible visibilité associée aux licences générales
de transfert dans les pays membres ainsi que leur complexité due
à une faible harmonisation ont eu un impact négatif sur le
processus de certification. Dans la mesure où le processus est pour le
moment optionnel, les seules entreprises pour lesquelles la certification
constitue en l'état un outil avantageux sont celles qui livrent à
une entreprise certifiée. Afin de permettre une plus grande convergence
dans la mise en place de la Directive TIC, la Commission Européenne a
publié au moment de sa transposition une recommandation qui
détaille des lignes de conduite spécifiques à la
certification129.
Les bonnes pratiques entrepreneuriales sont également
encouragées par les actions de gouvernements étrangers. Ainsi, le
système de « dispense de licences » en place aux Etats-Unis
permet à certaines exportations de se soustraire aux contraintes
étatiques en fonction des Etats destinataires et de la nature des
produits. De la même manière, les harmonisations des
procédures de contrôle avec les Etats alliés, à
travers des « Declarations of Principle », permettent aux Etats-Unis
de mettre en place des zones de circulation simplifiée de
matériels militaires130. En définitive, les
entreprises disposant de bons processus de contrôle interne sont
avantagées d'un point de vue commercial par les acteurs
Américains, qui de par leur présence sur le marché,
influencent les autres entreprises du monde dans leur perception des bonnes
pratiques.
128 GIACOMETTI M. (2006), L'évolution des
dispositifs de contrôles des exportations de produits de défense
de l'Europe : conséquences sur les relations entre Etats et
entreprises, Presses Universitaires de France, pp.358
129 Commission Recommendation (2011) on the certification of
defence undertakings under Article 9 of Directive 2009/43/EC of the European
Parliament and of the Council simplifying terms and conditions of transfers of
defence-related products within the Community [2011] O.J. L11/62, January.
130 Notamment avec le Royaume-Uni dans le cadre de ses
coopérations industrielles.
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