2. La mise en place d'une approche « risques » :
l'attribution des contrôles les moins stratégiques au secteur
privé
Afin de faire face efficacement aux nouveaux enjeux
découlant des changements industriels en Europe, l'Etat doit faire
évoluer ses modalités de contrôle et donc se recentrer sur
les points durs de sa compétence régalienne dans une logique
« risques », en déléguant les procédures les
moins sensibles aux acteurs privés, l'entreprise devenant
l'échelon le plus pertinent pour le contrôle de base. Le mouvement
de privatisation des entreprises régaliennes, mais également la
baisse progressive des budgets de l'Etat, ont constitué une
opportunité pour ce dernier de rationaliser ses moyens, en reportant sur
les entreprises le coût induit par le contrôle et en prenant un
rôle d'accompagnement du secteur privé dans ses missions. Les
moyens de l'Etat dans le contrôle se sont donc ajustés dans une
logique de modernisation et de simplification de l'action publique (dans la
droite ligne de la Révision Générale des Politiques
Publiques108 débutée en 2007), dans la mesure
où il est préférable pour ce dernier d'être un bon
régulateur qu'un mauvais acteur du contrôle109. Ainsi,
le désengagement de l'Etat dans le contrôle ne s'effectue pas sur
le fond, mais sur la forme, dans la mesure où le contrôle a
posteriori remplace un contrôle systématique a priori
par un principe d'échantillonnage.
Dans les faits, les licences sont désormais presque
toutes délivrées sans problème. A titre d'exemple, en
France en 2015, sur 5346 licences notifiées, 5208 ont été
traitées par voie numérique ; le passage en réunion
plénière CIEEMG ne concerne donc que 5% des licences
notifiées. Les licences générales de transfert, quant
à elles, regroupent, rationnalisent et fluidifient les opérations
les plus simples, en les soustrayant au contrôle systématique de
l'Etat dans tous les cas et en les soumettant au contrôle de
l'entreprise. Le contrôle administratif s'effectue donc sur l'entreprise
dans son ensemble plutôt que sur les opérations individuelles, ce
qui demande un dialogue permanent entre secteur privé et puissance
publique. Ainsi, pour s'aligner avec les intérêts
stratégiques de la France tout en permettant
108 Révision Générale des Politiques
Publiques.
109 MIGEON F-D. (2010), La méthode RGPP : placer le
changement au coeur de l'administration, Revue française
d'administration publique, 2010/4 n°136, pp.944-985
35
Yann WENDEL
une fluidité du marché de l'armement à
des fins économiques, les entreprises de défense se voient
attribuer la part des contrôles les moins stratégiques, l'Etat se
concentrant à travers le passage en CIEEMG sur les opérations les
plus risquées au moyen de conditions restrictives associées aux
licences, qui concernent environ 39% des licences délivrées
actuellement110.
En France, la prééminence des
prérogatives étatiques dans le contrôle export se manifeste
à travers le contrôle de la destination finale
(CNR111), qui formalise l'engagement de l'acheteur à
respecter les réserves de destination émises par le vendeur ;
ainsi qu'avec le contrôle de l'utilisation finale du bien vendu
(CUF112), qui peut être, au même titre que le CNR, une
obligation à part entière du contrat que le client doit remplir,
et qui identifie le type, la quantité, la valeur du matériel, le
nom et l'adresse des contractants, et la destination finale du matériel.
L'industriel se chargeant de récupérer localement ces documents
auprès de l'Etat importateur et de les faire authentifier par les
autorités françaises, le secteur privé reste maître
de sa relation commerciale, tout en rendant des comptes à l'Etat du fait
d'enjeux sécuritaires induits. Ces conditions sont en effet
nécessaires dans la mesure où le contrôle export
français, contrairement à celui des Etats-Unis avec les
règles ITAR113 et EAR114 « de minimis
», n'a pas une application extraterritoriale automatique. Dans le cas
de matériel spécifié ITAR, le gouvernement acheteur doit
en effet demander l'autorisation aux Etats-Unis avant d'utiliser son
système d'armes, ce qui assure un contrôle permanent de la part de
l'exportateur américain.
A cet effet, la généralisation de la clause
attrape-tout est particulièrement révélatrice.
Destinée au contrôle des biens à double usage qui ne sont
pas identifiés sur les listes, elle permet aux entreprises qui, de par
leur expertise de leur produit et leur connaissance du client, sont à
même d'alerter le pays avec lequel elles sont en affaire, en cas de
risque de détournement du produit exporté, afin de lutter contre
la prolifération d'armes chimiques, biologiques ou nucléaires.
L'entreprise devient donc un acteur du contrôle à part
entière et joue un rôle dans la sécurité des
pays.
De manière similaire, les licences globales fournissent
un meilleur cadre réglementaire au contrôle à des fins de
sécurité collective, tout en donnant une plus grande
liberté aux industriels. Les modalités applicables à ces
dernières sont toutefois très strictes et bien
110 Chiffres du séminaire « Contrôle export
» de la DGA du 13 mai 2016.
111 Certificat de non-réexportation.
112 Clause d'utilisation finale.
113 International Traffic in Arms Regulations.
114 Export Administration Regulations.
36
Yann WENDEL
délimitées, ce qui compense la réduction
des contrôles. Les entreprises doivent, quel que soit le type de licence
utilisé, tenir des registres de leurs exportations et en rendre compte
chaque semestre, l'entreprise devenant un acteur à part entière
de la détection de partenaires commerciaux ne respectant pas les
règles115. Ainsi, l'Etat ne se désengage pas du
contrôle, mais entreprend une redéfinition de ses rapports avec
l'entreprise, en redistribuant de manière plus collaborative les
périmètres de contrôle entre les deux secteurs.
115 GIACOMETTI M. (2006), L'évolution des
dispositifs de contrôles des exportations de produits de défense
de l'Europe : conséquences sur les relations entre Etats et entreprises,
Presses Universitaires de France, pp.358
37
Yann WENDEL
|