B. L'impulsion européenne en faveur d'un
déplacement du contrôle au niveau du secteur privé
1. Le développement d'une logique a posteriori dans
le contrôle
Malgré des velléités du Parlement
Européen d'organiser le contrôle des exportations d'armements
à un niveau supranational dès la fin des années
198087, les avancées en la matière n'ont
été que marginales par rapport aux évolutions qu'ont
connues les biens à double usage, du fait de la
prééminence des prérogatives nationales dans le secteur de
l'armement. Pour preuve, un Règlement européen a pu directement
être mis en place en 1994 au sortir de la guerre froide concernant les
biens à double usage, alors que les transferts intracommunautaires de
matériels militaires ne sont régis que par une Directive, dont
l'application n'est pas encore uniforme dans l'Union Européenne, qui a
été mise en place en 2009 et qui laisse une certaine
liberté de transposition aux Etats membres. Les institutions
européennes doivent donc trouver l'équilibre entre la recherche
d'un cadre de traitement plus global et efficace pour les produits de
défense et le besoin de ménager la souveraineté des Etats
de manière à ne pas bloquer ces derniers dans la progression vers
davantage d'intégration88.
86 COM (1992), Communication de la commission au
conseil et au parlement: Contrôles à l'exportation de biens et
technologies à double usage et achèvement du marché
intérieur, SEC/92/85/FINAL
87 Résolution du 14 mars 1989.
88 COM (2007), Communication de la Commission au
Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des régions :
Stratégie pour une industrie européenne de la defense plus
forte et plus compétitive, COM 764 final.
27
Yann WENDEL
Ce besoin de fluidité s'est traduit par l'harmonisation
des évolutions réglementaires en termes de licence,
impulsée par la Directive européenne 43/2009 dite Directive sur
les transferts intracommunautaires (TIC). En pratique, cette Directive devait
être le point de départ de la simplification et de l'harmonisation
de l'ensemble des pratiques de contrôle export en France, qu'elles
concernent les transferts entre Etats européens (TIC) ou bien des «
exportations » vers des pays tiers. Dans sa transposition dans les
procédures françaises de contrôle des transferts,
dès l'été 2012, en ce qui concerne les échanges
entre pays européens, les « matériels de guerre et
matériels assimilés » (terminologie conservée pour
les exportations) sont devenus des « produits liés à la
défense ». Pour les échanges intra-communautaires, les
exportations sont devenues des « transferts » et les exportateurs
sont devenus des « fournisseurs »89. Des licences
générales « TIC » ont été mises en place
ainsi qu'un processus de « certification » des
entreprises90. Plus largement, les modalités du
contrôle ont évolué, le principe du contrôle a
posteriori étant posé par la loi de transposition 702/2011
du 22 juin 2011. Ce principe est ainsi directement prévu aux articles
L.2335-6 et L.2339-1 du Code de la Défense, et a pour but de
vérifier, une fois que la licence a été
délivrée, que les opérations qui ont été
réalisées dans son cadre sont bien conformes aux conditions qui
s'y attachent. L'industriel doit pour ce faire tenir systématiquement un
registre des prises de commande, transferts et exportations, mettre en place un
contrôle sur pièces avec obligation de compte rendus semestriels,
en plus de ceux toujours possibles effectués au fur et à mesure
des transactions91. Ces contrôles sur pièces et sur
place92 sont placés sous la responsabilité du
Comité ministériel de contrôle a posteriori
(CMCAP) des exportations.
Les licences générales de
transfert93, instaurées par la loi 702/ 2011 pour une mise en
pratique à partir du 30 juin 2012, prennent la forme
d'arrêtés décidés au niveau national et ne
concernent que certains produits objets de listes propres à chacune et
de certains destinataires ou de certaines utilisations finales mais sans
limitation de quantité ni de montant. Il existe quatre licences
générales obligatoires qui doivent assurer l'approvisionnement
concernant : les forces armées des Etats membres, les entreprises
certifiées, les réparations, et les expositions. Cela permet aux
opérateurs d'exporter ou de transférer des produits
spécifiques sans recourir à une licence individuelle pour chaque
opération, ce qui sécurise la chaîne d'approvisionnement
entre pays européens en réduisant le poids administratif
associé à
89 Art 3 de la Directive européenne 43/2009
90 Art 9 de la Directive européenne 43/2009
91 Art L.2335-14 et L. 2336-6 du Code de la
Défense.
92 Art R.2335-17 du Code de la Défense
93 Art 5 de la Directive européenne 43/2009
28
Yann WENDEL
chaque échange. Tous les exportateurs peuvent en
bénéficier sous réserve d'une primo-déclaration
d'intention d'utilisation, suivie par la délivrance d'un numéro
d'enregistrement de la DGA lors de la première utilisation de cette
licence. Cette étape est donc le seul contrôle a priori
effectué par l'administration concernant ce type de licence, son
utilisation n'étant pas étudiée en CIEEMG et les
contrôles s'effectuant uniquement a posteriori, la licence
générale ne concerne que les matériels les moins
sensibles, dont les transferts sont effectués à destination de
pays fiables.
Il existe actuellement dix licences générales de
transfert et une d'exportation en France, très ciblées. Elles ne
concernent qu'une livraison sur mille en Europe94, leur faible
utilisation étant liée à la complexité de leur
utilisation, dans la mesure où chaque Etat membre a adopté un
contenu différent et où les conditions associées sont
relativement lourdes (primo-enregistrement, clauses techniques ...). En effet,
ces listes ne sont pour le moment pas harmonisées, en raison
d'interprétations concernant les composants les moins sensibles qui
diffèrent selon les pays. En conséquence, les pays membres de la
LoI, sous la présidence française pour la partie concernant le
contrôle des exportations, ont proposé la définition de
listes minimales communes de produits éligibles aux licences
générales de transfert à la Commission
Européenne95. A des fins de fluidité, il est
également envisagé de prévoir des conditions communes
d'utilisation des licences générales, incluant la
réexportation hors UE, sur la base d'une liste de destinataires de
confiance extra européens, comme ce qui se fait avec l'Autorisation
générale d'exportation de l'Union européenne
EU00196 pour les biens à double usage. Un des besoins
primordiaux de l'industrie n'a d'ailleurs pas été pris en compte
dans ces licences, celui d'échanger au sein de l'Union européenne
les flux de données techniques, ces dernières étant encore
soumises à autorisation préalable de par leur statut de «
technologie » au sein de la liste commune d'équipements militaires,
ce qui complique les coopérations avec des sous-traitants
européens97. Enfin, un travail de communication serait
à fournir de la part des autorités étatiques vers les
entreprises, qui ne connaissent pour la plupart pas les procédés
ni les avantages liés à ce type de licence. Cela provient en
partie d'un
94 Chiffres du séminaire « contrôle
export » de la DGA du 13 mai 2016.
95 MAMPAEY L., MOREAU V., QUEAU Y., SENIORA J. (2014),
Final Report, Study on the Implementation of Directive 2009/43/EC on
Transfers of Defence-related Products, Group for Research and Information
on Peace and Security (GRIP) Commissioned for the European Commission,
Brussels.
96 Destinataires de l'Autorisation
générale d'exportation de l'Union européenne EU001 :
Norvège, Suisse (dont le Liechtenstein), Etats-Unis, Canada, Australie,
Nouvelle-Zélande, Japon. A ces 7 pays, pour les exportations de produits
liés à la défense, s'ajouterait l'Islande.
97 BRONER R. (2014), La Directive n°2009/43/CE du
6 mai 2009 sur les transferts intra-communautaires de produits liés
à la défense et sa transposition en droit français :
perspectives industrielles. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W.,
Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale,
Editions A. Pedone., pp.290
29
Yann WENDEL
manque de standardisation de ces dernières, en termes
d'accès et de compréhension (très peu sont disponibles en
langue anglaise).
Depuis le 4 juin 2014 et l'application complète de la
loi n°2011-702 du 22 juin 2011, qui transpose la Directive TIC 43/2009,
l'agrément préalable et l'autorisation d'exportation de
matériels de guerre ont fait place à la licence d'exportation
(hors UE) ou de transfert (intra UE)98. L'Agrément
Préalable (AP) et l'Autorisation d'Exportation de Matériel de
Guerre (AEMG), nécessaires respectivement pour les négociations
commerciales et le passage physique de la frontière, suivaient une
approche systématique, dont les délais d'obtention étaient
particulièrement rigides et longs mais qui après des
années de pratique avaient des processus clairs. La licence individuelle
est délivrée pour une opération unique, limitée en
quantité et en montant, pour un ou plusieurs matériels
déterminés et un destinataire identifié. Les
opérations concernant les matériels les moins sensibles sont
simplifiées et placées sous la responsabilité de
l'industriel, qui peut, sans conditions particulières, exporter. Cette
autorisation peut être soumise à des conditions, qui peuvent
être bloquantes ou non pour l'exportation. Les « conditions non
bloquantes » associées font l'objet d'un contrôle a
posteriori reportant dans le temps le moment où l'entreprise doit
fournir des informations exigées par la licence, tandis que les
conditions « bloquantes » sont soumises à une
vérification préalable par la DGA avant l'exportation, comme lors
d'une AEMG, du fait de leur sensibilité particulière, ce qui
implique dans une certaine mesure un maintien de la logique de contrôle
a priori. Ainsi, le dialogue entre l'entreprise et l'administration
doit être renouvelé, pour assurer une plus grande fluidité
commerciale dans le respect du contrôle.
La licence globale de transfert99, également
mise en place le 4 juin 2014, est délivrée pour une ou plusieurs
opérations, sans limite de quantité ou de montant, pour un ou
plusieurs matériels déterminés et un ou plusieurs
destinataires identifiés. Son obtention est assez complexe du fait de la
nécessité de soumettre un « dossier d'organisation »
à l'administration pour y être éligible. Les obligations
associées sont les mêmes que pour la licence individuelle, avec
notamment un compte rendu semestriel à fournir pour les contrats
supérieurs à 200 000€, ce qui limite l'intérêt
lié à l'utilisation de cette licence. Ainsi, les licences
globales concernaient 3% de toutes les livraisons en 2015100.
98 Art. 7 de la Directive européenne 43/2009
99 Art. 6 de la Directive européenne 43/2009
100 Chiffres du séminaire « contrôle export
» de la DGA du 13 mai 2016.
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