B) Des principes généraux du droit du
commerce international : la lex mercatoria
Par principes généraux du droit du commerce
international, il faut entendre toutes les règles qui ne sont pas «
tirées d'un seul ordre juridique national mais qui sont
dégagées soit de la comparaison des droits nationaux, soit
directement de source international, telles que les conventions
internationales, en vigueur ou non, ou de la jurisprudence des tribunaux
internationaux. »263 Ces principes généraux
doivent « présenter un degré suffisant d'abstraction et
de généralisation pour pouvoir être
énoncés. »264 Leur utilisation
nécessite attention particulière car ne s'identifiant à
aucune règle ou norme nationale. Ils appellent donc à une
interprétation ou à une certaine
concrétisation.265
261 Pour une étude approfondie sur la question des
incoterms, voir E. JOLIVET, Les incoterms, Etude d'une norme du
commerce international, Litec, 2003
262 Voir la Sentence rendue en 1976 dans l'affaire CCI
n°1788 discutée par Y. DERAINS, in « Statut des usages du
commerce international devant les juridictions arbitrales », Rev.
Arb.1973.122. spéc. p 142
263 Cf. E. GAILLARD, op.cit. p 205
264 Cf. Ph. KAHN, « Les principes généraux
du droit devant les arbitres du commerce international », JDI,
1989, p 305 et s
265 P. WEIL, « Principes généraux du droit et
contrats d'Etat » Etudes offertes à B. Goldman, 1982, p
387 et s
L'expression principes généraux du droit du
commerce international est souvent renvoyée aux notions de règles
transnationales, ou de tiers-droit266 ou encore de
règles a-nationales.267 Ces règles
formulées depuis de fort longtemps ont connu, à l'ère
moderne, une renaissance dans le jus mercatum qui régissait, en
dehors et par-delà les coutumes, le droit écrit ou les statuts,
les échanges commerciaux internationaux dans l'Europe occidentale
à l'aube des temps modernes.268 Les règles
transnationales sont donc un ensemble de principes généraux de
droit régissant la sociatas mercatorum dans laquelle
l'homogénéité des acteurs et la rapidité des
transactions ne sauraient être suffisamment appréhendées
par le seul ordre juridique d'un Etat. Ces normes spécifiques qu'appelle
le commerce international reprennent la dénomination de la lex
mercatoria.
La lex mercatoria, issue des pratiques qui
répondent à l'exigence des opérations économiques
ou commerciales transcendant les frontières nationales, est
« devenue une véritable ordre juridique
autonome apte à régir tous les rapports transnationaux et en
premier lieu les rapports contractuels entre Etats et personnes privées
étrangères. »269 Dans ce cas, la lex
mercatoria bénéficie une compétence
équivalente à celle qui serait reconnue à la loi d'un
Etat.270 Elle bénéficie ainsi du principe de la
force obligatoire des engagements conclus(en l'occurrence du principe
pacta sunt servanda) et celui de la bonne foi qui sont
indissociable à la règle nationale ou internationale. Ainsi, la
CIRDI, à l'occasion d'un litige opposant la République Arabe
d'Egypte à la Société Southern Pacific Properties
Ltd(SPP), avait estimé que si elle devait être retenue
à titre de la loi choisie par les parties, comme le soutenait l'Egypte,
l'application de la loi égyptienne ne serait en tout hypothèse
pas exclusive de l'application des principes de droit international pour en
combler les éventuelles lacunes.271 Dans l'affaire opposant
la société Framatome et d'autres sociétés
françaises à l'Atomic Energy organisation of Iran, le
tribunal (siégeant à Genève ) composé de MM.
P.Lalive, président, B.Goldman et J.Robert, arbitres, avait
estimé qu'il se référait aussi bien au droit iranien
auquel le contrat avait été soumis qu'au « principe de
bonne foi » et celui de « la force obligatoire des
engagements conclus » comme étant « des principes qui
sont à la base de toute relation contractuelle, notamment dans les
rapports internationaux et qui sont consacrés en particulier par des
usages du commerce international et par le droit
266 Voir, Moustapha. SOURANG, « Droit international
économique et pluralisme des ordres juridiques : Critique de la
théorie du tiers droit à la lumière de la pratique
africaine », in L'Afrique et le Droit international, Actes de
colloque sur l'enseignement du droit international et la recherche en droit
international en Afrique, Dakar, 11-13 décembre 1985, Annales
Africaines, numéro spécial, 1986-1987-1988, p 92
267Les concepteurs (notamment Ph. FOUCHARD) de ces
normes a-nationales considèrent que celles-ci «
présentent un trait commun d'ordre négatif : elles
n'émanent pas des Etats. Mais leur caractère a-étatique a
une double signification. Non seulement, les règles a-nationales ne sont
pas issues de l'activité normative des Etats, mais encore elles
échappent à l'emprise de tout ordre juridique
étatique. », Voir, E. LOQUIN, « L'appréciation des
règles a-nationales dans l'arbitrage international » in
L'arbitrage commercial international : l'apport de la jurisprudence
arbitrale, publication CCI n°440/1 p 69, voir, également
Osman. FILALI, Les principes généraux de la lex mercatoria.
Contribution à l'étude d'un ordre juridique a-national,
LGDJ, 1992
268Voir, B. GOLDMAN, « La lex mercatoria
dans les contrats et l'arbitrage international : réalité et
perspectives » JDI, 1976, p 475
269 Cf. Moustapha. SOURANG, op.cit, p 94
270 J.M.JACQUET et Ph. DELEBECQUE, op.cit. p 88
271 Voir, CIRDI, sentence du 20 mai 1992, République
Arabe d'Egypte c/ SPP
international. »272 Egalement, dans
une sentence partielle rendue le 3 mai 1988 dans l'affaire Primary Coal
c/Compania Valenciana de Cementos Portland SA, l'arbitre, M de Mello,
avait décidé, au cas où les parties n'avaient pas
arrêté la loi applicable au fond de leur litige, que celui-ci
serait « réglé selon les seules usages du commerce
international, autrement dénommés lex mercatoria.
»273 Ces deux sentences montrent, qu'au-delà des
approches controversées de la lex mercatoria, la conception de
la notion comme ordre juridique autonome n'est plus douteuse et, qui plus est,
présente l'avantage de conduire à l'admission que celle-ci
comporte un ordre public. Cet ordre public, dit « transnational
»274, forme à l'intérieur de la lex
mercatoria une sorte de jus cogens.275
Cependant, il faut retenir que la lex mercatoria est
loin d'être sans reproches. Parmi lesquelles, les plus fréquentes,
on peut relever : l'inexistence d'une véritable société
des opérateurs du commerce international, celle-ci se ramenant à
des îlots d'organisation et de solidarités, sans structure
commune276 ; le recours injustifié aux principes
généraux du droit visés à l'article 38 du
statut de la Cour Internationale de Justice(CIJ), car ce recours
nécessiterait la démonstration préalable que la lex
mercatoria constitue un ordre juridique positif277 ;
l'inaptitude des usages du commerce à constituer de véritables
règles de droit car les seuls usages sont ceux dits
conventionnels278 ; l'imprécision de son contenu ; enfin le
fait qu'elle constituerait surtout l'usage de l'équité de
l'arbitre du commerce international.279
Le mécanisme de résolution juridictionnelle des
conflits commerciaux internationaux a permis de voir une effectivité du
droit international général. En outre, il a permis de constater
une rationalisation des rapports commerciaux internationaux.
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