B) : Le détournement de la bonne gouvernance
à des fins commerciales
La politique au sens large, ne se résume pas uniquement
à des phénomènes de pouvoir (« pouvoir de » et
« pouvoir sur »), de domination (monopole de la violence
légitime, contrôle des corps et des esprits), de
légitimation ou d'idéologie, même si elle est aussi, et
parfois surtout, cela. Il s'agit en même temps de fonctionnement des
administrations, de mise en oeuvre de politiques publiques, et plus largement
de délivrance et de gestion de biens et services publics. La bonne
gouvernance promue par le partenariat UE-Côte d'Ivoire vise à
atténuer le monopole étatique et à asseoir des concepts
comme la transparence de l'action publique, le contrôle de la corruption,
le libre fonctionnement des marchés, la démocratie et
l'État de droit.
Les bonnes politiques économiques sont dans ce
sens,177 définies en rapport avec la mise en oeuvre d'une
politique d'ouverture commerciale. L'ouverture d'un pays au commerce
international, étant considérée comme un gage de
progrès économique. À contrario une mauvaise politique
économique, se situerait aux antipodes des concepts
susmentionnés, elle est l'apanage de l'état interventionniste et
prône l'omniprésence de l'État dans la sphère
économique.
176 BERRAMDANE (A), « Le discours de la Baule et la
politique africaine », In, RJPIC, n° 3 septembre
-décembre 1999, pp. 248.
177 Voir la définition des objectifs du partenariat UE-ACP
: Article 1 paragraphe 4 de l'accord de Cotonou.
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Ce concept faisait déjà son apparition en
Côte d'Ivoire à la fin des années 1990178, face
à la faillite du modèle de gestion interventionniste entrepris
depuis l'indépendance. Désormais, les bailleurs de fond se
montrent plus précis sur les conditionnalités entourant leur
aide, quand ils demandent, la flexibilité de l'emploi, la suppression
des monopoles et la favorisation de l'émergence d'acteurs non
gouvernementaux par la privatisation des entreprises publiques.
A l'analyse la gouvernance correspond alors, à un
nouveau processus de gouvernement, une nouvelle organisation du pouvoir ou une
nouvelle façon de gouverner la société179. La
gouvernance traduit également le fait que le gouvernement n'a plus le
monopole de la puissance légitime. C'est la remise en cause d'un
État omnipotent, par le fait qu'il y a l'existence d'autres institutions
et facteurs favorisant le maintien de l'ordre et participant à la
régulation socio-économique.
On assiste à une perte d'autorité des
gouvernants ou gouvernance de l'autorité 180 dans la mesure où
l'élaboration de politiques publiques passe par certains canaux
notamment des conditionnalités en ce qui concerne l'aide publique au
développement. Une attention toute particulière est aussi
accordée au « partenariat », de toute évidence un style
de gouvernement dans lequel les frontières entre les secteurs publics et
privés, et à l'intérieur de chacun de ces secteurs tendent
à s'estomper 181.
La concrétisation de la question de la bonne
gouvernance en Côte d'Ivoire suppose un choc, puisqu'elle
décrète la fin du monopole étatique dans la gestion des
affaires publiques (décentralisation, l'implication à part
entière ou non des opérateurs privés). La promotion de la
bonne gouvernance ne serait-elle pas alors la réédition d'un mode
de gouvernement déjà existant en Afrique si on se
réfère à l'époque précoloniale. On assiste
à la résurgence d'un ensemble de clivages qui avaient eu cours
lors de la période coloniale, les institutions sont tributaires de
l'histoire des sociétés. Car
178 Voir Rapport Banque mondiale, « Afrique subsaharienne
», 1989.
179Rhodes, 1996 cité par STOCKER (L), In,
« Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance, Revue
Internationale des Sciences Sociales, n° 155, 1988.
180 FROGER(G), Gouvernance et développement
durable, Bale, Genève, Helbing et Lichtenhahn 2001, pp. 5-12.
181 STOCKER (L), op. cit. pp. 19-30.
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très souvent, le phénomène de jonction
institutionnelle rend les reformes difficiles, puisque la
légitimité de nouvelles règles s'enchevêtre avec
celles déjà existantes sans pour autant les
annuler182.
Le concept risque d'accoucher l'effet contraire, le processus
d'appropriation risque fort d'être affecté par la cohorte de
conditionnalités de l'aide et la faiblesse des capacités
institutionnelles, engendrant des politiques qui ne tiennent pas pleinement
compte des vocations nationales et locales. Ces politiques jugées
adéquates par les partenaires européens, vont dans le sens des
reformes proches ou identiques de celles déjà
développées, ce qui conduit à une ingérence accrue
de leur part.
182JACOB (J-P), La décentralisation comme
distance : réflexion sur la mise en place des collectivités
territoriales en milieu rural ouest-africain, Politique Africaine,
n° 71, pp. 133-147.
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